Le registre français de la plaisance en voie d`évaporation

Transcription

Le registre français de la plaisance en voie d`évaporation
Registre des navires
Le registre français de la plaisance
en voie d’évaporation
Gérard d’Aboville
Président du Conseil supérieur de la navigation de plaisance et des sports nautiques
Jusqu’en 1998, l’administration de l’État est très impliquée dans le contrôle de qualité
des navires de plaisance, dans le choix de la catégorie de navigation autorisée, c’est-à-dire la
distance à laquelle on peut s’éloigner d’un abri, et dans la liste précise du matériel
d’armement de sécurité obligatoire, en fonction de cette catégorie attribuée au navire, et
non pas en fonction de la navigation effectuée.
Outre la France, l’Espagne et l’Italie ont mis en place une réglementation
contraignante relative à la sécurité des navires de plaisance. D’autres pays européens
disposent d’une réglementation facultative, tandis que certains n’en ont pas. Cette disparité est
un obstacle à la libre circulation des biens à l’intérieur de la Communauté européenne. Un
navire ou un équipement de sécurité non agréé par l’administration ne peut alors être importé
et mis en vente en France. Cet agrément engendre un coût élevé en temps, démarches
administratives, qualification éventuellement destructive du modèle, etc. et nécessite
fréquemment des aménagements dans la construction pour satisfaire les critères français. La
sécurité de la plaisance est-elle de ce fait mieux assurée en France que dans les autres pays
européens ? Aucune étude ne permet de l’affirmer ou de le démentir. Dans des pays comme
le Royaume-Uni et l’Irlande qui ont une tradition de responsabilisation du citoyen et où les
conditions de navigation à la plaisance sont généralement plus dures que dans les eaux
françaises, les pouvoirs publics ne considèrent pas que le niveau de sécurité de la plaisance
soit de mauvaise qualité et inférieur à celui de la France.
La réalisation du marché unique s’applique également à la plaisance et
l’harmonisation des réglementations s’impose pour ne pas constituer une entrave à la libre
circulation des marchandises. La directive européenne du 16 juin 1994, transposée en droit
français le 4 juillet 1996, pour application en juin 1998, vise cet objectif. Est-il réalisé dans
notre pays ?
La directive européenne
La directive européenne détermine les exigences essentielles que les navires de
plaisance doivent remplir en fonction de catégories de conception qui sont au nombre de 4 :
A. « En haute mer ». Le bateau doit pouvoir résister en toute sécurité à une mer de plus de
4 m et à un vent supérieur à force 8.
B. « Au large ». Le bateau doit pouvoir résister en toute sécurité à une mer atteignant 4 m et à
un vent jusqu’à force 8.
C. « À proximité des côtes ». Le bateau doit pouvoir résister en toute sécurité à une mer
atteignant 2 m et à un vent jusqu’à force 6.
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D. « En eaux protégées ». Le bateau doit pouvoir résister en toute sécurité à une mer
atteignant 0,3 m et à un vent jusqu’à force 4.
Ces catégories peuvent être critiquées. Elles n’en remplacent pas moins, pour les
navires de plaisance concernés, les anciennes catégories de navigation. La notion de distance
d’un abri laisse place à une notion d’état de la mer et de force de vent. Les mentions « en
haute mer », « au large », … ne figurent qu’à titre indicatif. Ces catégories de conception ont
pour but d’informer le plaisancier sur les possibilités d’utilisation de son bateau. Avec le
marquage CE 1 prévu par la Directive européenne, les chantiers garantissent la conformité des
bateaux qu’ils mettent sur le marché.
L’État n’est plus responsable du contrôle de la qualité du produit. Cette
responsabilité est transférée aux constructeurs qui, avec l’aide d’organismes de certification
(sociétés de classification), garantissent que les navires qu’ils fabriquent sont aptes à affronter
telles ou telles conditions météorologiques.
Parallèlement, l’utilisateur ainsi informé voit, lui aussi, sa responsabilité valorisée.
Libéré de la notion simple mais déresponsabilisante de distance d’un abri, c’est à lui
d’anticiper toutes les conditions de mer et de vent qu’il est susceptible de rencontrer.
Cette directive ne concernant que les navires, se pose donc la question de l’évolution
de notre réglementation relative au matériel de sécurité embarqué.
La transcription en droit français
Le 11 octobre 1995, le directeur des ports et de la navigation maritimes missionne le
Conseil supérieur de la navigation de plaisance et des sports nautiques afin que ce dernier
fasse des propositions pour réexaminer les dispositions existantes en matière de matériel de
sécurité obligatoire afin de tenir compte de l’incidence de la réglementation européenne et de
l’évolution de la pratique et des progrès techniques sur le matériel de sécurité.
L’exercice était difficile, tant était grand le « fossé culturel » existant entre la nouvelle
réglementation européenne qui a pour objet une « information du consommateur » et pour
conséquence une indispensable responsabilisation de ce dernier et le principe caporaliste de la
réglementation française héritée du droit napoléonien.
Le rapport du Conseil spécifie que la juxtaposition des deux concepts, conception et
usage d’une part et zone d’utilisation d’autre part, l’un employé pour ce qui est des bateaux,
l’autre pour ce qui est du matériel de sécurité, n’est pas possible. Il propose de revoir la liste
de matériel de sécurité obligatoire en substituant à la notion de matériel homologué, une
notion de fonctions à remplir.
L’administration ne retient pas cette proposition d’évolution radicale qui conduit, fautil le remarquer à déshabiller sa mission régalienne. L’arrêté du 19 juillet 1996 établit des
équivalences entre les anciennes catégories de navigation et les nouvelles catégories de
conception. Comme le souligne la Fédération des industries nautiques dans son livre blanc de
septembre 2002, « cet arrêté posait des gros problèmes à la fois par sa rédaction, sa
légitimité, sa compréhension et son application. »
Une réglementation aux effets pervers
Ce système d’équivalences, encore en vigueur aujourd’hui, aurait dû n’être que
provisoire. Sept ans plus tard, ses défauts et ses effets pervers sont plus que jamais
d’actualité :
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La marque CE (pour Communauté européenne) est la marque de l’Union européenne.
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Les plaisanciers sont toujours sous tutelle et donc déresponsabilisés. L’obéissance
au règlement reste le gage illusoire d’être en sécurité. L’État sait mieux que le pratique le
matériel de sécurité qui convient à telle ou telle circonstance. Le plaisancier est de ce fait
soumis à un surcoût dans l’acquisition de son équipement qu’il fait a minima, c’est-à-dire en
se limitant à la liste obligatoire et en choisissant le matériel le moins onéreux.
La réglementation française, basée sur une liste normative, n’est
qu’exceptionnellement réactualisée et ne permet pas la prise en compte de nouveaux matériels
plus performants ou mieux adaptés. Il est difficile de comprendre, également, que ne soient
pas autorisés, comme dans les autres pays de l’Union européenne, les radeaux de survie
inférieurs à six places, ni que la durée de validité de ces radeaux soit administrativement
limitée dans le temps sans tenir compte de leur état, pourtant contrôlé régulièrement.
Les multiples autorités en charge des contrôles (affaires maritimes, gendarmerie
maritime, douanes) se focalisent trop souvent sur la vérification tatillonne des matériels
contenus dans la liste normative, plutôt que de concentrer leur action sur les comportements
dangereux, générateurs de la plupart des incidents ou accidents.
La fuite devant le pavillon
Face à cette situation, l’armateur français à la plaisance soumis à des contraintes
administratives et à un harcèlement policier sans grandes raisons (15 à 20 accidents mortels
par an, ce qui en fait une des activités de plein air les moins dangereuses) joue
l’alternative de l’immatriculation de son navire dans un autre pays de l’Union européenne.
Ainsi, le pavillon belge (dont le droit est rédigé en français), en particulier, reçoit les faveurs
de nombreux plaisanciers. En 2002, ont été immatriculés en Belgique, 20 bateaux français ; en
2003 environ 500 2. Parmi ces bateaux, on trouve notamment la plupart de ceux qui sont
produits par la construction amateur (200 à 300 par an) qui n’ont pratiquement plus la
possibilité d’être immatriculés en France (manque de personnel et constructions réalisées sans
suivi des services des centres de sécurité des navires).
Ce mouvement ne peut que s’amplifier si rien n’est fait pour restaurer l’attractivité du
pavillon français. Des sociétés se créent, dont l’activité est notamment de servir de conseil
aux plaisanciers désireux de changer de pavillon et toutes les revues nautiques ont consacré
des articles détaillés sur le sujet. Les entreprises françaises de location de navires de plaisance
dont la vocation commerciale est internationale, sont tentées par les pavillons des États du
port à l’étranger ou par ceux des pays d’origine des clientèles majoritaires en France3.
Est-il acceptable que notre pays, leader en Europe dans le domaine de la
construction navale de plaisance et dans celui de la pratique, soit un des plus
rétrogrades dans sa réglementation ?
Vers un pavillon français attractif
Il apparaît comme urgent de restaurer l’attractivité du pavillon français de la plaisance
dans un environnement favorable à son développement. Aussi, à la demande de Monsieur
Didier Simonnet, directeur du Transport maritime, des ports et du littoral, le Conseil supérieur
de la navigation de plaisance et des sports nautiques vient de lui remettre un ensemble de
propositions d’aménagement des conditions d’enregistrement des navires de plaisance en
France.
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Source : Philippe Brouez, responsable de la lettre de pavillon en Belgique
Confer le forum intitulé : « Le Pavillon Français, pour quoi faire ? » au Salon nautique international de Paris, le
12 décembre 2003.
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Tant dans le respect des obligations internationales de la France (droit de la mer et
réglementation OMI) que dans le souci d’améliorer encore le niveau de sécurité de la
plaisance, l’objectif est que la réglementation applicable en France :
- soit en accord avec la réglementation européenne,
- responsabilise le plaisancier,
- prenne en compte les évolutions des matériels de sécurité dès leur apparition,
- évite les mouvements de dépavillonnement vers les pays dont le droit local considère leurs
citoyens comme responsables.
Trois principes sont proposés :
- abandonner définitivement les catégories de navigation au profit des seules catégories
européennes de conception ;
- responsabiliser les plaisanciers de manière à ce qu’ils adaptent les moyens nécessaires à leur
sécurité aux conditions de la navigation entreprise ;
- fixer par voie réglementaire les conditions d’une approche fonctionnelle pour la définition
des équipements de sécurité nécessaires pour chaque catégorie de navigation.
Les règles concernant les navires et les règles concernant les matériels de
sécurité seront alors totalement dissociées. Ainsi, la pédagogie proactive remplacera la
mise sous tutelle d’une activité de loisirs qui est, faut-il, le rappeler, non seulement un
sport et une plongée dans la nature, mais surtout un exercice de liberté, et donc de
responsabilité personnelle.
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