la bonne gouvernance d`entreprise
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LA BONNE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE : « LA CORPORATE GOVERNANCE » « Pour que l’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition naturelle des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » Montesquieu. Cet aphorisme du 18ème siècle visait sans aucun doute les institutions publiques. Mais il y a tout lieu de penser qu’il peut et doit s’appliquer aujourd’hui au secteur privé et à un de ses agents les plus actifs l’Entreprise. En effet, l’irruption depuis quelques années du concept anglo-saxon de « Corporate governance » dans le discours francophone sur l’entreprise semble traduire cette préoccupation. De nombreuses définitions de la « Corporate governance » ont été proposées. On peut en citer quelques unes : - c’est le « système par lequel les sociétés sont dirigées et contrôlées » (Sir Adrian CADBURY) ; - c’est « l’organisation des relations dirigeants actionnaires au sein d’une société » (MONOD et FOUCARD) ; - c’est « la recherche du meilleur équilibre possible des pouvoirs dans l’entreprise » (P. MARINI). Il ne s’agit pas de choisir l’une ou l’autre de ces définitions. On peut juste remarquer qu’il y a bien des définitions dans la maison « Corporate governance » mais qu’il n’est point urgent de se prononcer pour l’une d’elles : l’enfant est né, le baptême peut attendre. En revanche, ce qui importe pour nous, pour l’Afrique d’aujourd’hui, celui des années 2000, c’est de savoir en quoi consiste au plus prés cette question de la « Corporate governance » qui nous intéresse ne serait ce qu’à travers l’objet de vos débats, c'est-à-dire le MAEP. Le MAEP constitue un mécanisme d’autoévaluation adhéré les Etats membres de l’Union africaine dans le des politiques, normes et pratiques qui conduiront croissance économique élevée, au développement économique régionale accélérée. auquel ont volontairement but d’encourager l’adoption à la stabilité politique, la durable et à l’intégration Quatre domaines principaux sont retenus pour l’auto évaluation : la démocratie et la bonne gouvernance politique, la gouvernance et gestion économiques, le développement socioéconomique et la gouvernance des entreprises. La gouvernance des entreprises est définie par le MAEP de façon large et correspond à l’évolution du concept et des pratiques que nous avons discutées et présentées cidessus. Ainsi, la gouvernance d’entreprise «touche à toutes les formes d’entreprises dans les secteurs privé et public». Toujours selon le MAEP, la gouvernance 1 d’entreprise doit permettre de veiller à la fois à ce que « elle honore ses obligations juridiques et rémissions dans le respect des relations saines avec les actionnaires et les autres acteurs, notamment les employés, les fournisseurs, les créanciers et les clients ainsi que la communauté, et agisse de manière responsable vis-à-vis de son environnement». Afin de renforcer la gouvernance des entreprises, cinq objectifs d’ordre général on été fixés : _ La promotion d’un environnement favorable et d’un cadre réglementaire efficace pour les activités économiques ; _ La responsabilité sociale, le respect des droits humains et la contribution à la durabilité de l’environnement ; _ L’adoption des codes de bonnes éthiques d’affaire dans la réalisation des objectifs de la société ; _ Le bon traitement par les entreprises des différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des actionnaires, des employés, des communautés et des fournisseurs ; _ La responsabilité des entreprises et de leurs dirigeants. Les principes affichés par le MAEP en matière de gouvernance des entreprises constituent un progrès certain dans l’adaptation du concept aux besoins de développement humain et spécificités du continent africain : l’accent nécessaire mis sur l‘amélioration du cadre réglementaire est complété des devoirs de l’entreprise en matière de droits sociaux ou humains et de respect de l’environnement ; toutes les formes d’entreprises sont concernées et les partenaires de l’entreprise sont définis de façon large ; l’accent est également mis sur l’engagement volontaire des entreprises à travers l’adoption de code éthique. La réponse à cette question suppose une bonne connaissance de cette révolution venue des Etats-Unis qui a gagné la Grande Bretagne puis la France. En ce sens, il convient de voir en trois (3) points, tout d’abord le cadre conceptuel ; puis les principes et enfin la compatibilité de la « Corporate governance » avec le droit positif sénégalais des sociétés commerciales : 1. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA CORPORATE GOVERNANCE (Modèle théorique) 2. LES PRINCIPES DE LA CORPORATE GOVERNANCE (Contenu) 3. LA COMPATIBILITE DE LA CORPORATE GOVERNANCE AVEC LE CONTEXTE (Opérationnalité). 2 1. LE CADRE CONCEPTUEL DE LA CORPORATE GOVERNANCE. Le mouvement de la « Corporate governance » repose sur un modèle théorique sous-jacent qu’il est opportun de rappeler avant de voir ses conséquences sur les logiques de perception de l’entreprise : - le modèle théorique de la « Corporate governance » (1.1) ; les effets induits du modèle (1.2). Le modèle théorique de la « Corporate governance » : la théorie de l’agence Dans la théorie économique néo-classique, l’efficacité de l’entreprise dépend essentiellement de sa capacité à optimiser les facteurs de production acquis sur le marché. Il en découle qu’un système de gouvernement performant sera considéré comme une circonstance indifférente dans l’amélioration de l’efficacité des firmes. * Pour les néo-classiques, l’entreprise dispose d’une fonction de production spécifique qui lui permet, à partir de facteurs de production (inputs), d’obtenir une certaine quantité de produits (out-puts). Cette fonction de production a pendant longtemps été considérée comme externe à l’entreprise, à son organisation interne. On estimait que ses performances ne dépendaient que du progrès technique qui permet d’optimiser les facteurs de production. L’organisation interne de l’entreprise, son système de gouvernement n’étaient pas considérés comme élément des facteurs de production dans la stratégie de développement de l’entreprise. * C’est sous la poussée des spécialistes de la finance, autour des années soixante, que la littérature économique anglo-saxonne fait émerger la théorie de l’agence qui va changer la perception de l’entreprise et du rôle des actionnaires : - en effet, depuis les travaux de COASE (un nobel d’économie), on considère que l’entreprise n’est qu’une fiction juridique fondée sur des droits de propriété, une fiction à l’intérieur de laquelle différents acteurs économiques disposent d’une fonction d’utilité spécifique et nouent entre eux une multitude de contrats ; - pour ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, les rapports entre actionnaires et dirigeants sont dominés par cette idée de relations contractuelles procédant d’une sorte de mandat. On signale par ailleurs que les relations contractuelles vont au-delà des rapports actionnairesdirigeants et s’établissent entre tous les partenaires de l’entreprise appelés de l’anglicisme « Stakeholders » (créanciers, salariés, l’Etat,…..) - les théoriciens de l’agence soulignent l’inexorable contradiction entre les intérêts des différents groupes de « stakeholders » et ceux de l’agent ou des 3 agents qui occupent le poste de dirigeant. Par exemple dans les sociétés où les dirigeants ne sont pas associés au capital social ou n’en détiennent qu’une infime portion, leur intérêt est moins d’améliorer la richesse des actionnaires que de servir leurs propres intérêts au détriment de ceux des actionnaires. Il peut également exister une collusion entre actionnaires et dirigeants au détriment des créanciers ou des salariés ; - c’est donc dire que si l’entreprise est un nœud de contrats c’est parce qu’il est le siège de différents intérêts catégoriels qui sont de plus en plus actifs au point de générer cette prise de conscience quant à l’importance du mode d’organisation interne de l’entreprise : chaque agent ayant un intérêt dans l’entreprise essaie de faire jouer au maximum sa fonction d’utilité spécifique. 1.2 Les effets induits du modèle fondé sur la théorie de l’agence. Différentes conséquences peuvent être tirées de ce modèle théorique. Elles tournent essentiellement autour des trois (3) idées suivantes qui sont devenues des revendications fortes de cette fin de siècle : la performance de l’entreprise, la transparence dans la gestion et l’équité dans la distribution des richesses. 1.2.1. La performance de l’entreprise. * Par application de la théorie de l’agence, l’entreprise sera considérée comme un mode d’organisation concurrent du marché des biens et services. Elle devra son existence au fait qu’elle permet de réduire un certain nombre de coûts notamment les coûts de contrôle et d’information associés à l’échange sur le marché. En effet, le passage par le marché requiert une spécification des prix pour chaque transaction réalisée. En revanche, avec l’entreprise, il est possible d’instaurer entre les agents des contrats de long terme, ne nécessitant pas pour chaque transaction la production d’informations spécifiques. Henry LEPAGE, un grand théoricien du libéralisme souligne que « le procédé consiste à remplacer le mécanisme bilatéral du contrat marchand par un système multilatéral de contrats qui confient à un entrepreneur central l’ensemble des fonctions d’orientation, d’impulsion, de motivation et de coordination précédemment assumées par le mécanisme des prix ». - Constituant une alternative au marché, l’organisation de l’entreprise devient une source d’enjeux importants et peut en même temps accroître ses performances par la réduction des coûts d’agence et l’accroissement de sa capacité concurrentielle. a- La réduction des coûts d’agence. 4 La présence des intérêts catégoriels dans l’entreprise et leur inexorable contradiction génèrent un certain nombre de coûts qui sont autant de coûts dit d’agence. En effet, pour contrôler les dirigeants, les actionnaires sont amenés à mettre en place des solutions qui peuvent se révéler extrêmement coûteuses. Ce sont les coûts de surveillance qui sont associés aux systèmes mis en place par les actionnaires pour inciter les dirigeants à gérer conformément à leurs intérêts (coûts de fonctionnement des organes de contrôle, audit,…). Les dirigeants eux-mêmes génèrent des coûts dans la mesure où voulant faire connaître leurs actions positives (c’est un élément de la stratégie d’enracinement des dirigeants pour préserver la valeur de leur patrimoine personnel et se maintenir à la tête de l’entreprise), ils sont amenés à susciter des coûts d’information indispensables pour rendre perceptibles aux actionnaires les bienfaits de leur action. Ces différents coûts peuvent être réduits dans la théorie de l’agence grâce à des moyens permettant d’associer plus largement les dirigeants aux résultats de la société. Ils se sentiront beaucoup plus concernés par la société s’ils en sont des membres non négligeables (jeu des stocks, options…). Ce qui permet très certainement d’accroître les performances de l’entreprise. b- L’accroissement de la capacité concurrentielle. La mise en place d’une organisation spécifique permet à l’entreprise de se différencier de ses concurrents en créant ainsi un avantage concurrentiel. De fait, l’organisation devient une valeur au même titre que les biens incorporels attractifs de clientèle et d’investissement externes que sont la notoriété d’une marque et le savoirfaire (khow-how). 1.2.2 La transparence dans la gestion. Parce qu’ils sont en mesure de s’affranchir des différents mécanismes mis en place pour les contrôler, les dirigeants peuvent s’attribuer des rentes au détriment des actionnaires et des autres partenaires de l’entreprise. Pour cette raison, un contrôle de leur action est une nécessité impérieuse pour l’efficacité d’un système organisationnel performant. Par application de la théorie de l’agence, on sait qu’il y a une relation contractuelle entre actionnaires et dirigeants. Les premiers qui sont les propriétaires de l’entreprise donnent mandat aux seconds de gérer en leur nom. Ainsi, les actionnaires et dirigeants disposent chacun d’une fonction d’utilité spécifique qu’ils souhaitent maximiser, mais, avec l’asymétrie informationnelle en faveur des dirigeants, ils seront tentés d’exploiter toutes les failles possibles en vue d’augmenter leur utilité (stratégie d’enracinement). Donc pour qu’un système de gouvernement soit fiable aux yeux surtout des investisseurs, il faut que les dirigeants soient évalués sur leurs performances réelles 5 et qu’ils puissent être sanctionnés s’ils ne sont pas à la hauteur de leurs tâches (révocation). Ce n’est pas une mince affaire car un contrôle trop sévère risque d’être sclérosant pour le processus décisionnel et donc annihiler la création de la valeur. 1.2.3. L’équité dans la répartition des richesses. Si l’entreprise est gouvernée en respectant une certaine équité entre les différents partenaires, son efficacité ne peut que se trouver renforcée en longue période. En outre, elle peut bénéficier à court terme de la confiance des investisseurs dans le cas où elle aura besoin de lever des ressources nouvelles. L’entreprise doit donc mettre en place des systèmes susceptibles de résoudre les conflits déjà nés et de prévenir les autres. Ainsi, si ses partenaires actuels et éventuels savent qu’il existe un système de résolution des conflits acceptables par tous, il y a de fortes chances que la confiance s’instaure. En effet, pour accepter de s’engager dans l’entreprise, les « stakeholders » ont besoin de garanties quant aux comportements qui seront adoptés quand les conflits surgiront. Pour conclure sur cette première partie, il y a lieu de faire deux (2) constats : - le premier est lié à la contractualisation des rapports dans l’entreprise. C’est la preuve du dynamisme de la pratique face à la loi. Il n’est pas étonnant que ce soit l’Amérique qui découvre que l’entreprise est un nœud de contrats (c’est un pays de droit non écrit – la pratique y joue un rôle considérable) ; - le second constat est la difficulté qu’auront les juges à déterminer l’intérêt de l’entreprise. En effet, les juristes situaient cet intérêt au point de rencontre des divers intérêts constitutifs de l’entreprise. Or la théorie de l’agence semble reporter cet intérêt sur les actionnaires, ce qui risque d’avoir pour conséquence la rupture de solidarité entre les différents groupes dans l’entreprise et s’il s’agit d’une société commerciale, l’affectiosocietatis en prend un sacré coup car, il est de notoriété que la catégorie des actionnaires n’est plus aussi homogène, surtout dans les grandes sociétés. 2. LES PRINCIPES DE LA CORPORATE GOVERNANCE. 6 Dans le sens de l’amélioration de l’efficacité de leurs entreprises, américains et anglais ont tenté de consigner les principes de la « Corporate governance » dans des documents (Code Cadbury pour la Grande Bretagne et Principles of Corporate Governance de l’American Law Institute). Ces documents ont suscité un très intense débat en France qui a engendré deux (2) célèbres rapports sur la nature des réformes à entreprendre dans ce pays : le rapport VIENOT (CNPF et AFEP, 1995) qui s’est plus intéressé aux conseils d’administration des sociétés côtées et le rapport MARINI (1996) qui est un document officiel rédigé sur demande du Premier Ministre et qui s’intéresse à la modernisation du droit des sociétés. Tous ces documents contiennent une multitude de règles que l’on peut regrouper, dans un souci pédagogique, sous deux (2) grandes rubriques : l’éthique et les structures : - les principes fondés sur une éthique du comportement des dirigeants (2.1) ; - les principes fondés sur la création de structures (2.2). 2.1. Les principes fondés sur une éthique du comportement des dirigeants. Généralement, les comptables qui parlent de la « Corporate governance » mettent l’accent sur les organes de contrôle de l’action des dirigeants. Mais la « Corporate governance » c’est aussi des règles de comportement, des règles destinées à sécuriser les partenaires de l’entreprise en assurant la transparence. D’ailleurs, c’est le débat sur l’éthique des marchés financiers qui est véritablement à l’origine de cette question en France, pays dans lequel, certains observateurs n’ont pas hésité à placer la réflexion sur la « Corporate governance » dans la lignée de la réflexion déontologique en matière de marchés financiers (Peltier, 1997). Ainsi, la « Corporate governance » se résumerait à un code de déontologie. Sans aller jusqu’à cet extrême, il faut admettre que, dans ce débat, les obligations et les responsabilités des dirigeants et administrateurs occupent une place centrale. En effet, la « Corporate governance » postule une relation de confiance entre les dirigeants et les différents « stakeholders » en particulier les actionnaires. En contrepartie de cette confiance, les dirigeants et administrateurs ont un devoir de bien gérer (duty to manage) qui comprend une obligation de diligence consistant, pour les dirigeants, à agir avec bonne foi, compétence et attention dans l’exécution de leurs fonctions (duty of care) et une obligation de loyauté leur interdisant de créer un conflit d’intérêt entre leurs intérêts personnels et ceux de la société (duty of loyalty ou duty of fair dealing) : - L’obligation de loyauté (2.1.1.) ; - L’obligation de diligence (2.1.2.). 7 2.1.1. L’obligation de loyauté (Duty of loyalty). Cette obligation de loyauté requiert des dirigeants de la société qu’ils ne doivent en aucun cas agir pour leur intérêt propre contre celui de la société qu’ils administrent. Les “ Principles of Corporate governance” de l’American Law Institute exposent ainsi ce principe : “by assuming his office, the corporate directors commits allengiance to the enterprise and acknowledges that the best interest of the corporation and its shareholders must prevail over an individual interest of his own. The basic principle to be observed is that director should not use his corporate position to make a personal profit or gain other personal advantage”. Traduction : « Prenant ses fonctions, le dirigeant de la société prête allégeance à l’entreprise et prend acte de ce que les intérêts de la société et de ses actionnaires doivent prévaloir sur ses intérêts personnels. Le principe fondamental à respecter est que le dirigeant ne doit jamais user de sa position pour réaliser un profit personnel ou bénéficier d’un autre avantage personnel ». La violation d’une telle obligation est sanctionnée en droit américain par l’annulation des « interested transactions ». Nous retrouverons plus loin cette obligation qui n’est pas aussi étrangère à notre droit positif que ne le laisse une première approche de la question. En tout cas, le droit français a pris le parti de consacrer l’obligation de loyauté des dirigeants par le biais de ses juges (Cour de Cassation – 24 février 1998 et 27 février 1996). 2.1.2. L’obligation de diligence (Duty of care). Le “Duty of care” est défini dans les « Principles » en ces termes: « A director, or officer, has the duty to the corporation to perform the director’s or officer’s function in good faith, in a manner that is reasonably believed to be in the best interests of the corporation, and with the care that an ordinarily prudent person would reasonably be expected to exercise in a like position and under similar circumstances” Traduction : « Un administrateur a l’obligation d’exercer ses fonctions de bonne foi, de la façon qu’il peut considérer raisonnablement être la meilleure pour promouvoir la société, et avec le soin attendu d’une personne normalement prudente dans l’exercice d’une telle mission et dans des circonstances identiques ». A la lecture de ce principe on ne peut s’empêcher de penser à ce standard juridique de la « gestion en bon père de famille ». L’american Bar Association (Association des barreaux), propose cinq (5) règles de conduite répondant au « duty of care » pour les membres de conseils d’administration (boards) : 8 - Prenez votre temps, évitez les décisions prises à la hâte ; - Etudiez sérieusement l’information qui vous est communiquée en vue de prendre votre décision ; - Vérifiez que le compte rendu de la réunion du conseil est complet et reflète correctement les débats ; - Prenez connaissance de l’ensemble de la documentation juridique (éventuellement des documents transitoires qui balisent la négociation) lorsque vous devez approuver une transaction. En définitive ce devoir de diligence n’est pas étranger aux droits francophones tout comme ne l’est pas le devoir de loyauté. Conclusion sur l’éthique du comportement des dirigeants dans la « Corporate governance ». La bonne attitude du dirigeant social ou de l’administrateur s’ordonne autour de trois (3) idées principales : - les dirigeants doivent être avant tout objectifs, d’où l’absence de prise en compte de leur intérêt personnel dans le processus de prise de décision ; - ils doivent ensuite être diligents, c’est-à-dire mettre en œuvre les moyens, y compris en recourant à des experts, pour aboutir à la meilleure décision ; - enfin, dernière règle, qui résulte des deux précédentes : la décision doit être considérée par l’administrateur comme la meilleure pour les intérêts de la société. Un avocat français s’interrogeant sur la nécessité de l’introduction des principes de la « Corporate governance » en France estime que la réflexion doit avant tout porter sur la question des devoirs généraux des administrateurs. A son avis, il faut préciser la mission des administrateurs pris individuellement, ce qui évitera qu’ils se réfugient derrière la collégialité pour s’exonérer de leurs éventuelles responsabilités. Ainsi pour lui, il n’est peut être pas nécessaire de trop se focaliser sur la création de nouvelles structures de contrôle dont je vais parler à présent. 2.2. Les principes fondés sur la création de structures de contrôle. Pour que les dirigeants et d’une manière générale le Conseil (Board) puisse remplir ses fonctions qui deviennent quasi permanentes en vue d’une gestion loyale, diligente et transparente, il doit se doter d’organes nouveaux. Ainsi, l’application des principes de la « Corporate governance » appelle la création d’organes supplémentaires. 2.2.1. Le Comité d’audit. 9 Il doit mettre en œuvre et soutenir la fonction de contrôle du Conseil en revoyant périodiquement les procédures de production des documents financiers, les contrôles internes de la société et l’indépendance de ses commissaires aux comptes. En fait, un tel comité tend à résorber le déficit d’information qui est celui des actionnaires et des autres partenaires C’est une pièce essentielle dans l’exercice de la mission de contrôle car c’est ce comité qui doit en principe procéder au recrutement des auditeurs et apprécier avec eux les résultats des opérations de contrôle. Aux Etats-Unis, il doit être composé d’au moins trois (3) membres, dont aucun n’est ou n’a été employé de la société et n’a aucun lien familial ou financier avec les dirigeants. Il s’agit donc avec un tel comité d’empêcher tout versement illicite et d’assurer que les comptes reflètent véritablement la situation de la société. De fait, le comité d’audit est le délégué du conseil dans son pouvoir de surveillance. 2.2.2. Le comité de sélection (ou comité de nomination). Ce comité a pour rôle de proposer qu’au conseil puisse entrer telle ou telle personne qui y serait utile pour telle ou telle raison. L’idée est que des personnalités indépendantes et ayant la compétence requise doivent être sélectionnées pour assurer des fonctions dirigeantes ou d’administration et ce, indépendamment de la direction en place. 2.2.3. Le comité des rémunérations. Il est chargé de proposer, sur des fondements objectifs, les rémunérations que doivent recevoir les membres du conseil et ceux du management (salaires, avantages annexes, stocks-options des principaux dirigeants). 2.2.4. Le comité d’éthique. Moins prôné que les trois (3) autres comités, il est en charge de la réputation de l’entreprise. La conclusion qu’on peut tirer de l’existence de ces comités est que dans l’entreprise il y a une fonction de gestion assumée par les dirigeants et une fonction de surveillance qui va en s’accentuant avec la montée en puissance des stakeholders comme les créanciers (banquiers et autres bailleurs de fonds) les investisseurs (capital-risque et épargne collective), salariés – actionnaires,… Voici donc le schéma proposé de la « Corporate governance ». Peut-il et doit-il être mis en œuvre au Sénégal ? 10 C’est à cette question qu’il convient de répondre dans la troisième partie de cette présentation. 3. LA COMPATIBILITE AVEC LE DROIT SENEGALAIS. Le droit sénégalais des sociétés puisse sa source dans deux (2) supports : l’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales (OHADA) et les textes du droit boursier (UEMOA). On ne peut pas dire que ces textes ignorent fondamentalement les préoccupations liées à la « Corporate governance ». Mais, il n’est pas non plus possible d’avancer qu’ils les intègrent. Dans la pratique, nous avons rencontré, des sociétés de droit sénégalais qui prévoient dans leyrs statuts la création d’un comité d’audit à l’exemple de la SONATEL. En tout état de cause, même si une hirondelle ne fait le printemps, il semble que les bases d’une réception juridique de la « Corporate governance » existent dans notre pays. Mais pour une approche globale, il faut se poser la question de savoir si les bases de réception économique existent aussi. Donc, nous développerons deux (2) points : 1. La compatibilité juridique ; 2. la compatibilité économique. 1. LA COMPATIBILITE JURIDIQUE. a - Les bases de la critique du fonctionnement des sociétés anonymes se retrouvent dans le droit sénégalais ; - Le Président Directeur Général surpuissant face à un Conseil et des Assemblées Générales réduites à des chambres d’enregistrement. b- L’instauration d’une éthique des dirigeants : - les obligations de loyauté et de diligence ; - la responsabilité de l’administrateur individuel. c- La mise en place de comités de contrôle en dehors des organes 11 légaux : Sous l’égide de la loi n° 85-40 (anciennes lois sén égalaises sur les sociétés commerciales) la création de nouvelles structures de contrôle ne posait aucun problème dans la mesure où il existait un décret qui permettait au conseil d’Administration de créer des organes. Mais ceci est remis en cause avec les textes de l’OHADA dont l’article 2 pose que les règles édictées dans ce texte sont d’ordre public. Ce qui signifie en clair qu’il n’est pas possible de mettre en place des organes autres que celles énumérées dans la loi en question en l’occurrence le conseil d’administration, l’Assemblée Générale… Ce qui nous amène à nous interroger sur la validité de la pratique - la pratique (SONATEL, BICIS, ECOBANK …). 2 . LA COMPATIBILITE ECONOMIQUE. La « Corporate governance » est une nécessité rationnelle pour l’économie sénégalaise dans la mesure où elle peut permettre de contribuer à résoudre les problèmes de performance et de confiance pour l’entreprise. a- Une meilleure combinaison des ressources managériales garantit une plus grande implication des « Stakeholders » en vue de la création de la richesse commune. b- La « Corporate governance" garantit également une certaine sécurité aux stakeholders » ce qui contribue à accroître la confiance des investisseurs nationaux et étrangers dans l’entreprise. 12 , ANNEXES 13 ANNEXE 1 L’IRRUPTION DU CORPORATE GOVERNANCE 14 L’IRRUPTION DU CORPORATE GOVERNANCE ENTRETIEN AVEC MICHEL ALBERT * Le mouvement du « Corporate governance » le « Gouvernement d’Entreprise », est-il une mode ou le début d’un changement important dans l’organisation et la gestion des firmes ? C’est plus que cela. C ‘est une véritable révolution au sein même du capitalisme. Comme toute révolution, celle-ci fait appel au peuple, et le peuple du capitalisme, ce sont les actionnaires ; souvent représentés, d’ailleurs, par de grandes organisations de gestion collective de l’épargne. Comme toujours, le peuple mobilisé pour une révolution réclame des têtes. Ici, les premières ont été les plus prestigieuses. En quelques mois, une bonne demi-douzaine de patrons de grandes entreprises américaines ont été remplacés : IBM, Apple, General Motors, Kodak, American Express…. Une liquidation qui n’a pas de précédent d’une nouvelle légitimité du capitalisme aux Etats-Unis. Le « Gouvernement d’Entreprise » consiste à ne plus donner aux dirigeants des firmes qu’un seul et unique but, celui de maximiser le profit et les dividendes. Les actionnaires renforcent leur pouvoir en se donnant les moyens de contrôler étroitement les comptes grâces, en particulier, à la nomination de comités d’audit externes. Quel changement ! Il y a trente ans, on expliquait qu’il fallait se méfier de l’actionnaire et, au contraire, compter sur les managers. Nous sommes ici à l’opposé de cette « ère des organisateurs ». Les organisateurs ne sont plus que des employés et, souvent, à titre précaire1 * Membre du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France. Cet entretien a déjà été publié dans le Monde du 11 octobre 1994). 15 Quelles en seront les conséquences ? Cette tendance est, à mes yeux fondamentale. Non seulement pour les entreprises elles-mêmes mais pour la société tout entière. Une bonne part du droit et des pratiques des entreprises est en cause, en particulier la fonction des gestionnaires. Ils sont placés en état d’instabilité virtuelle et ne peuvent espérer faire une carrière qu’à la condition de rester compétitif. Tout naturellement, le « Gouvernement d’Entreprise » fait système avec l’autre innovation récente du capitalisme anglo-saxon : le « reengineering ». Produire plus hic et nunc, tel est le but de ces méthodes introduites l’an passé à la suite du livre de Michael Hammer et James Champy, le Reengineering (Dunod), qui s’est vendu à 1 million d’exemplaires, dont 200.000 au Japon. On lit : « La diminution du personnel due à la réorganisation des processus de gestion ne doit pas être de l’ordre de 15 % ou 20 % mais de 80 % à 90 %. Le temps nécessaire pour mettre un nouveau produit en service ne doit pas passer de 6 à 5 mois, mais de 6 mois à trois semaines ». Le moyen de cette réorganisation radicale est un bouleversement du concept d’entreprise, celle-ci devant en permanence réviser ses arbitrages entre ce qu’elle fait elle-même et ce qu’elle sous-traite. Partout, on assiste au remplacement d’une relation salariale stable par une relation commerciale instable. Dans cette nouvelle logique, l’emploi à durée indéterminée apparaît irrationnel, voire incongru. On est à l’opposé du modèle « rhénan » ou du modèle japonais, dont la philosophie profonde est qu’il peut s’établir une harmonie entre progrès économique et progrès social, notamment en personnalisant et en stabilisant des emplois de plus en plus hautement qualifiés et donc peu interchangeables. Quelles sont les origines de ce mouvement et ses raisons ? D’abord, une compétition farouche entre les différentes formes de placement. Aux Etats-Unis, les fonds de pension pratiquent la Wall Street Walk, sautant d’un titre à l’autre en permanence. En 1960, la durée moyenne de détention des actions américaines était de 7 ans. Elle est aujourd’hui de 9 mois – et de 7 mois pour les fonds de pension. Le Corporate Gouvernance se fonde sur des idées magnifiques, celles de la démocratie, et aboutit à un principe d’efficacité indiscutable. Les pouvoirs de propriété et de gestion sont séparés ; à la place de l’opacité et de l’ambiguïté, la transparence s’impose. Elle se fait selon un principe d’économie financière : l’entreprise tout entière doit travailler à la satisfaction des organismes de gestion collective et notamment des fonds de pension, dont les gestionnaires sont recrutés parmi les professionnels les plus performants et s’appuient sur le jugement des agences de rating. Partant de là, toute l’entreprise est mobilisée et mise sous pression. D’où son efficacité. Du moins au début. 16 Du moins au début ….l’entreprise peut-elle vive dans l’instabilité permanente ? Ce système force à réaliser d’indéniables progrès en matière de transparence et d’information et en matière d’égalité des actionnaires. Les actions sans droit de vote ou autres formes amputées de propriété sont justement mises en cause. Le regain de compétitivité de plusieurs secteurs de l’industrie américaine s’explique, en partie au moins, par le Corporate Governance. C’est bien ce qu’on commence à comprendre au Japon, où le droit des sociétés a été modifié en 1993 pour permettre aux actionnaires d’attaquer plus facilement en justice les dirigeants d’entreprise négligents. Le directeur financier de Daimler-Benz, commentant la décision historique prise par son groupe de se faire côter à la Bourse de New-York, déclarait récemment : « En Allemagne, nous avons pour tradition de négliger les actionnaires (…). Cela doit changer » Mais le Corporate Governance présente aussi, probablement, certains inconvénients. Même si les marchés financiers peuvent s’intéresser à des projets à rentabilité différée, la logique du court terme risque parfois de prévaloir. Aussi certains craignent-ils la destruction des liens de confiance au sein de l’entreprise, voire une certaine « judiciarisation », vecteur de méfiance et de contentieux. Si l’esprit marchand en venait à remplacer la conscience professionnelle, ce ne serait pas nécessairement synonyme de compétitivité» accrue. Les coûts cachés du Corporate Governance risquent avec le temps d’apparaître élevés. Je vous renvoie à François Perigot, le Président du CNPF, lorsqu’il déclare : « Le modèle libéral est terriblement menacé. Les entreprises occidentales doivent trouver des règles de solidarité compatibles avec l’efficacité ». Le Corporate Governance risque, à l’inverse, de séparer efficacité et solidarité. S’agit-il alors d’une dérive du capitalisme anglo-saxon à laquelle s’opposerait le « modèle rhénan » ? Il y a, en effet, une géopolitique du Corporate Governance. Il réussit mieux à s’imposer aux Etats-Unis, en particulier dans ses aspects juridiques. En Europe, l’acclimatation est plus difficile. Mais regardez le refus des actionnaires de Volvo d’accepter la fusion avec Renault. Pour Pehr gyllenhammar, l’ancien président de la firme suédoise, « c’est devenu la mode de gérer en fonction de la seule rentabilité des actions et de diriger en faisant preuve d’une certaine brutalité (…). J’ai toujours cru aux vertus capitales du marché mais j’ai toujours pensé aussi que certaines solidarités étaient bonnes. Pour l’entreprise et pour la société. Et qu’en conséquence je ne tenais pas seulement mon mandat de chef d’entreprise de mes actionnaires mais également des employés de la communauté ». Or, comme vous le savez, Gyllenhammer a perdu son poste… Le débat est partout en cours. Aux Etat-Unis même, la Cour Suprême du Delaware a jugé, en 1986, que dès lors qu’une entreprise fait l’objet d’un projet de rachat ou de 17 fusion, son conseil d’administration a le devoir de rechercher le prix le plus élevé pour les actionnaires et de ne pas prendre en compte les intérêts des autres parties intéressées au maintien de l’indépendance de l’entreprise. Voilà un Etat en faveur du Corporate Governance. Mais dans 29 autres, la législation est différente et elle enjoint aux administrateurs de prendre en compte les intérêts des autres parties intéressées : clients, fournisseurs, collectivités locales où l’entreprise a son siège, salariés. Grosso modo, on peut dire néanmoins que les pays à banque, comme l’Allemagne, s’opposent aux pays à Bourse, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. En Allemagne, l’entreprise doit, par la loi, satisfaire ses actionnaires mais tout autant ses clients, ses salariés et elle doit être bonne citoyenne vis-à-vis de son environnement. La pure logique du marché est tout autre ! Et le débat intervient, il faut le souligner, au moment où beaucoup estiment, y compris aux Etats-Unis, que la véritable richesse de l’entreprise, c’est son capital humain. Quelles leçons doit-on néanmoins tirer du « Corporate Governance » ? Faut-il autoriser les comités d’audit en France ? Il faut d’abord se féliciter de l’œuvre accomplie ces dernières années en faveur de la transparence des marchés. Tout ce que la Commission des Opérations de Bourse (COB) a emprunté aux pays anglo-saxons est positif. Reste sans doute à organiser la coopération internationale qui s’avère indispensable avec la mondialisation de l’économie et des marchés financiers. Pour le reste, je pense qu’il faut éviter de légiférer. La création d’un comité d’audit chargé de vérifier les comptes présentés par les dirigeants, par exemple, doit être laissée au libre choix des conseils d’administration. La présence au conseil d’administrateurs indépendants est très utile comme le prouve l’exemple néerlandais, mais la rendre obligatoire provoquerait des anticorps et des biais. Tout cela doit, pour être efficace, procéder d’une démarche empirique et, en quelque sorte, biologique. Propos recueillis par Eric Le Boucher 18