L`INTERET GENERAL SOUMIS AU PARTICULIER : DE LA FIN DE

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L`INTERET GENERAL SOUMIS AU PARTICULIER : DE LA FIN DE
L’INTERET GENERAL SOUMIS AU PARTICULIER :
DE LA FIN DE SAINT-DOMINGUE
Gérard Gabriel MARION,
Professeur d’histoire du droit
Faculté de droit et d’économie de Martinique
Les états généraux doivent trouver une solution au phénoménal problème de la dette
publique. La France a généreusement aidé les anciennes colonies anglaises révoltées contre leur
ancienne métropole : elle règle ainsi un contentieux remontant à la Guerre de Cent Ans. Mais elle
va y perdre son roi et son régime politique. Décidément, la perfide Albion aura coûté cher à la
France.
Le débat de l’Assemblée nationale constituante aurait pu se faire selon son mode propre,
n’eût été l’intervention quelque peu tonitruante des délégués de Saint-Domingue, qui n’ont pas
encore qualité de députés mais qui vont très rapidement faire déraper les débats généraux sur leurs
problèmes particuliers. Ils ne vont pas cesser d’opposer leurs propres intérêts de caste dans le
débat général de la nation, tenter de ravaler l’Assemblée nationale constituante au rang de
chambre d’enregistrement au service des planteurs, concrètement faire le lit à la Révolution des
anciens esclaves qui vont les éliminer définitivement. L’histoire de ces débats est une partition de
musique à lire sur plusieurs portées : en France, états généraux et réformes nationales, dans les
colonies : Saint-Domingue et les autres colonies antillaises 1.
Enfin dotée d’une Constitution, la France aurait pu mettre fin à la Révolution à la fin de
l’été de 1791 : la Révolution était faite, le roi aurait pu régner, les lois être faites par une
Assemblée, le système exécutif gouverner. Mais c’eût été faire abstraction de la guerre. Les pays
coalisés n’ont aucunement admis que le peuple de France se comportât en souverain. Et la
Révolution va prendre une tournure très péjorative. Les îles françaises d’Amérique, dont la perle
des Antilles, constituent un milieu original qu’il importe de connaître (I), car elles seront la cause
de débats passionnés aux conséquences terribles (II).
I. DES COLONIES ET DE LEURS HABITANTS
A- Le milieu domingois : une société de caste et de contestation
1. un état d’esprit
2. autant d’institutions que de foyers de contestation
B- Les mulâtres, l’abcès de fixation
1. une force numérique et économique grandissante
2. des vexations répétées
II. LA QUESTION COLONIALE A L’ASSEMBLEE NATIONALE
A- Autour de la spécificité coloniale
1. l’esclavage, le pour et le contre
2. une opposition virulente
B- la politique coloniale de la Constituante
1. les tergiversations de l’Assemblée nationale
2. les conséquences à Saint-Domingue : vers l’embrasement général
1
Une comparaison musicale n’est pas déplacée quand on sait Moreau de SaintMéry mélomane, et ses enfants et nièce pianiste, violoniste, harpiste.
De la fin de Saint-Domingue
2
Conclusion
L’assemblée des Notables de 1787 devait trouver une solution au problème terrible que
constitue le gouffre financier du royaume. Elle affichait une bonne volonté pleine et entière : elle
était prête à tout, à condition toutefois qu’on ne touchât à rien, et surtout pas aux privilèges. Une
telle pesanteur des structures, une telle lourdeur des mentalités, un tel déni de la réalité par les
privilégiés, une telle sclérose des institutions prouvent à l’envi que l’Ancien Régime était devenu
irréformable. Pourtant, si… Si une authentique réforme de fond avait pu redonner un coup de
jeune aux institutions, la suite de la Révolution et son cortège de sang et de souffrances eussent été
évités. Cela n’a pas été, la Révolution fut. À force de tout refuser, les privilégiés se sont vus tout
confisquer, signe évident que le régime était devenu irrémédiablement ancien.
Les colons à Saint-Domingue, les grands blancs en particulier, se sont comportés comme
les notables à Versailles : aveuglés par l’orgueil de leur race et leurs immenses prétentions,
campés qu’ils étaient sur des privilèges aussi illégitimes que fragiles, assis sur leur domination
pleine, inconditionnelle et immortelle sur leurs biens meubles et immeubles, ils ont refusé de
concéder ce qu’il fallait, à un moment donné, pour sauver la colonie, leur patrimoine et leurs
familles. Personne aux îles n’a compris, c’est bien là le problème, que l’environnement
diplomatique rendait tout avenir incertain, que la situation sociale nationale était en train de
changer du tout au tout, que la politique royale aux îles avait atteint le stade de non-retour, que le
système colonial lui-même avait touché ses ultimes contradictions, que les revendications des
mulâtres étaient non seulement légales mais encore légitimes, que l’esclavage était devenu un vice
de fond qui ne connaissait aucune autre solution que sa suppression totale, que la situation interne
de Saint-Domingue enfin annonçait un bouleversement radical et définitif. Tout ce monde est
installé sur un gigantesque baril de poudre, et personne ne voit les multiples mèches déjà bien
allumées : tout est une question de temps. Aux îles, à Saint-Domingue, les colons n’ont rien vu et
rien compris. Ils n’ont pas concédé. Parce qu’ils n’ont pas voulu un peu perdre, accorder, donner, on
leur a tout arraché : leurs propriétés, leur fortune, leurs esclaves, accessoirement leur vie. De
grandes analogies avec le régime royal en France.
En fait, les Lumières n’ont pas brillé du même éclat dans le royaume et aux colonies.
Leur scintillement a été filtré, obscurci, éclipsé, il n’a pas eu le temps de pénétrer les mentalités,
de faire tirer les conséquences de tant de belles théories : la liberté, telle qu’on la réclamait alors à
cor et à cri, était bien celle du commerce et la fin de l’Exclusif. Les physiocrates depuis Turgot
estimaient qu’un pays ne se réalise que dans la mesure où il commerce librement, jusques et y
compris avec l’étranger. La liberté, soit, mais on n’est pas libre à demi, il faut donc aller jusqu’au
bout, y compris pour les esclaves. La liberté est inséparable de l’égalité, y compris pour les
mulâtres. Cela, seuls les quelques esprits de la Société des amis des noirs l’auront perçu, et c’est
tout à leur honneur. Moreau de Saint-Méry n’en fut pas, mais on ne peut pas le lui reprocher. Il eut
ses illusions. Homme de son temps, jurisconsulte éminent et écrivain talentueux, il n’est pas
visionnaire comme Montesquieu, ni prophète comme l’abbé de Raynal. Parce qu’il était justement
un homme de son temps, il récapitule à la fois les Lumières de son siècle, et ses ombres.
Bibliographie
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De la fin de Saint-Domingue
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(Médéric Louis Elie) Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie
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15.
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