DES REVOLTES : DU ROYAUME AUX COLONIES DE L
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DES REVOLTES : DU ROYAUME AUX COLONIES DE L
DES REVOLTES : DU ROYAUME AUX COLONIES DE L’AMERIQUE Gérard Gabriel MARION Professeur d’histoire du droit Faculté de droit et d’économie de Martinique Les textes font apparaître, en marge de leur contenu officiel et administratif, un fait qui semble dominer la vie sociale de la colonie, constitué de résistance, d’opposition, de refus, d’esprit d’indépendance voire républiquain ! et qu'on peut appeler la mentalité coloniale. Lorsqu'un ordre est donné ou qu'une décision est prise, les colons créoles freinent d'abord des quatre fers et se demandent comment échapper à cette nouveauté. On peut y voir bien sûr une forme de pesanteur propre à une société de type traditionnel, à qui toute nouveauté fait horreur par principe en perturbant les habitudes, en remettant en cause un acquis séculaire, en déstabilisant les structures anciennes, en annihilant la personnalité de l'individu par la perception qu'il a de cette tentative de désagrégation du groupe qui le porte et qui lui donne son identité. Mais on sait que les îles d'Amérique sont, aux XVII et XVIIIes siècles, des pays sans histoire, donc sans traditions, des pays neufs, dont la population importée provient d’horizons multiples 1. Les lourdeurs sociales multiséculaires de la France pèsent d'un poids infiniment moins lourd dans ces îles que dans le royaume. Les mouvements de sédition révolte, de soulèvement ont émaillé non seulement la France, mais il semble qu’il s’agisse d’une manifestation qui existe très largement (I). Ces manifestations de mécontentement populaire peuvent être considérées comme un produit d’exportation. Rien qui surprenne (II). Conclusion Ce qu’on ignore, avec un soulèvement populaire, c’est quand il prendra fin et ses conséquences. En France, une escouade armée, une cour prévôtale, quelques pendaisons, roues ou bûchers, et tout rentrait dans l’ordre, jusqu’à une prochaine fois. Le rapport de force reste à l’autorité royale. Aux îles, l’élément blanc minoritaire est vite maîtrisé, et éliminé. Il n’y a dès lors plus d’autorité pour remettre de l’ordre. Napoléon Bonaparte ne s’y est pas trompé : l’affaire de Saint-Domingue, qui dure depuis trop longtemps, est plus grave que ce qu’il soupçonnait. Il envoie son propre beau-frère rétablir l’ordre esclavagiste. Après la paix d’Amiens (1802), une force expéditionnaire doit y restaurer les anciennes structures coloniales. 1 Cette population est surtout masculine durant des dizaines d'années : la colonie a besoin d'hommes. Mais on réclamera des femmes ; Seignelay (?), aux affaires de la Marine et des colonies depuis la mort de son père, répond à des lettres du gouverneur Blénac et de l'intendant Dumaitz l’année de la publication du Code Noir. Il donne les ordres à Rochefort pour qu'on envoie 50 soldats à Saint-Domingue, mais aussi des religieuses et cent filles. Il demande également au provincial général (?) la mise à disposition de cent filles provenant de l'hôpital général pour le début de septembre. Un certain nombre de convois sont organisés : C8B 1, f° 71. 1685. Ce document microfilmé se présente d'une façon absconse, ne comporte pas d'en-tête et n'est constitué que d'extraits. Les convois de femmes ne présentent pas de problème particulier, à en croire Wimpffen : La France ne manquait point alors de filles pauvres, laborieuses, modestes, dont la douceur et l'ingénuité même eussent poli, eussent épuré des mœurs plus dépravées que corrompues… Wimpffen, Op. cit., Lettre X, p. 101. La suite de ce texte montre que l'auteur se départit sa réserve habituelle, laissant entendre qu'il y a un lien de cause à effet avec les mœurs qu'il déplorera amplement ensuite. Cf. infra, pp. 50 sq... Mais Pluchon tempère cette sévérité : Ce tableau du peuplement féminin reflète l'esprit métropolitain, plus que la réalité qui ne fut pas, non plus, entièrement angélique : note (g), p. 102. James se fait l'écho des mêmes appréciations, et cite Vaissière : Op. cit., p. 26. Des révoltes : du royaume aux colonies d’Amérique 2 Une armada de quatre-vingt-six vaisseaux de guerre transporte à SaintDomingue 34 000 soldats, commandée par son beau-frère, le général Leclerc. L’expédition compte 13 généraux de division, 27 généraux de brigade et des officiers, dont les motivations sont diverses. Les instructions secrètes de Leclerc – comme celles du général Richepanse en Guadeloupe – prévoient la déportation en France des principaux chefs indigènes, le désarmement des nègres et le rapide rétablissement du système esclavagiste. Les événements ne se déroulent pas comme prévu. Toussaint est arrêté par traîtrise le 7 juin 1802, et déporté au fort de Joux, dans le Jura, où il meurt en avril 1803. Les nègres alliés aux gens de couleur poursuivent la guerre sous les ordres de chefs valeureux tels que Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe. La nouvelle de l’échec de l’insurrection en Guadeloupe et du rétablissement de l’esclavage accélère considérablement le mouvement de révolte populaire : Aussitôt [...] l’insurrection, qui jusqu’alors n’avait été que partielle, est devenue générale, rapporte Leclerc. Cette guerre populaire se termine par l’anéantissement des forces étrangères d’occupation, malgré la volonté de leur chef Rochambeau. Leclerc est mort le 1er novembre 1802 : il a succombé à un ennemi invisible, la fièvre jaune, qui a décimé une partie de ses troupes. Une maladie, dans le monde, a-t-elle eu autant d’effet ? À la fin de novembre 1803, il ne reste plus de soldats français, et, le 1er janvier 1804, l’indépendance nationale d’Haïti est proclamée avec éclat. La révolution d’Haïti est résolument différente des soulèvements populaires ci-dessus mentionnés. Il s’agit d’un soulèvement général, avec une prise de conscience dans toute la partie française de l’île. L’objectif est neuf, par définition : refuser le rétablissement de l’esclavage. Le moyen pour y arriver : mettre à bas le pouvoir blanc, et tenir en échec une armée nombreuse venue de France. Quitte à en payer le prix, celui du sang. La Révolution, n’est-ce pas une révolte qui réussit ? Bibliographie : Brugot Maillard (Sandrine). Travaux d'Histoire : Du Tertre (R.P. Jean-Baptiste), Histoire générale des Antilles Habitées par les François. Réédition d’après l’édition de Th. Jolly de 1667-1671. Edition des Horizons Caraïbes. Fortde-France, 1973. 585, 288 et 337 p. Encyplopaedia Universalis. Fabre (Michel), Esclaves et planteurs, Paris, Julliard, 1970, 304 p. Fohlen (Claude), Histoire de l'esclavage aux Etats-Unis, Perrin, Paris, 1998, 346 p. Frostin (Charles), Les révoltes blanches à Saint-Domingue aux XVIIe et XVIII siècles (Haïti avant 1789). Editions de l'Ecole. Paris, 1975. 407 p. Hilliard d’Auberteuil, Considérations… Lhérété (Annie et Jean-François), Chronologie thématique des Etats-Unis, Nathan, Paris, 1994, 128 p. Marion (Gérard Gabriel), L’administration des finances en Martinique : 1679-1790. L’Harmattan. Paris, 2002. XXXIV et 764 p. [email protected] Sowell (Thomas), L'Amérique des ethnies, L'âge d'homme, Lausanne, 1983, 328 p. Wimpffen (Alexandre-Stanislas de), Haïti au XVIIIe siècle. Richesse et esclavage dans une colonie française. Karthala, Paris 1993. 317 p. Réédition du Voyage à Saint-Domingue pendant les années 1788, 1789, 1790 par le baron de Wimpffen, Paris 1797.