Influences majoritaire et minoritaire sur la représentation sociale de

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Influences majoritaire et minoritaire sur la représentation sociale de
Influences majoritaire et minoritaire sur la représentation sociale de la drogue.
Eric TAFANIa, Lionel SOUCHETa , Colomba CODACCIONIa
& Gabriel MUGNYb.
a
Laboratoire de Psychologie Sociale
Université de Provence
29 Avenue Robert Schuman
13621 Aix en Provence Cedex 1
France
Tel : 00 33 42 95 38 16 – 00 33 06 62 77 58 24
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b
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
Université de Genève
Influences majoritaire et minoritaire sur la représentation sociale de la drogue.
Résumé :
Trois études se sont intéressées à l’influence d’une source qui introduit un point
de vue contredisant une croyance centrale de la RS de la drogue (la dépendance), en
manipulant le statut numériquement majoritaire (2 sujets confrontés à 4 compères) ou
minoritaire de la source (4 sujets confrontés à 2 compères). L’influence manifeste
concernait le suivisme des réponses de la source en sa présence, alors que l’influence
latente renvoyait au statut structural (central ou périphérique) de la dépendance dans la
RS de la drogue qu’on mesurait de façon privée. Les résultats de la première étude
incluant une condition contrôle sans influence indiquent que la source majoritaire
produit une influence purement manifeste et la minorité une influence plus latente. La
seconde étude, qui testait également l’influence différée de la source, reproduit ces
résultats et démontre la persistance temporelle de l’influence minoritaire. Enfin, la
troisième étude, qui manipulait le statut numérique de la source ainsi que la modalité de
comparaison sociale (indépendante versus négativement interdépendante), montre que
l’influence minoritaire repose sur un processus de conversion. Ces résultats sont
discutés sur la base de la théorie de la conversion et du modèle de la dissociation.
Mots-clés : Dynamique des Représentations Sociales – Influences Majoritaire et
Minoritaire – Conversion – Dissociation – Traitements heuristique et systématique.
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Approche structurale des RS et influence sociale
Bien que les RS s’élaborent, se diffusent et se transforment dans des rapports de
communication (cf. Moscovici, 1993), ce n’est que très récemment que l’on s’est
intéressé à la façon dont une communication persuasive pouvait les modifier (cf.
Mugny, Quiamzade & Tafani, 2001). Du point de vue de l’influence sociale, cette
problématique a été abordée au regard de la théorie de l’élaboration du conflit (Pérez &
Mugny, 1993) en vue de spécifier la nature des processus intervenant dans un tel rapport
ainsi que les dynamiques de résistance ou de changement qui peuvent en résulter. Au
niveau représentationnel, de telles dynamiques ont été appréhendées dans le cadre d’une
approche structurale qui pose les RS comme des structures sociocognitives constituées
de deux entités complémentaires: le système central et le système périphérique (Abric,
1994). Le système central est composé de croyances consensuelles et non négociables
qui sont systématiquement associées à l’objet de RS et en détermine la signification
symbolique. Ces croyances qui s’avèrent particulièrement résistantes au changement
assurent en outre la stabilité de la RS (Tafani, 2001). Le système périphérique est
constitué de croyances conditionnelles qui sont fréquemment mais non nécessairement
associées à l’objet de RS (Flament, 1994a), ce qui leur confère une certaine souplesse
qui leur permet de protéger le système central des informations susceptibles de le mettre
en cause (Flament, 1994b). En ce sens, la transformation structurale d’une RS suppose
donc la modification de son lieu de cohérence, c’est-à-dire de son système central.
Dans le cadre de cette approche, une série de recherches a montré la pertinence
des paradigmes de l’influence sociale pour l’étude de la dynamique des RS (cf. Mugny
et al., 2001). Ces recherches ont été réalisées dans un contexte particulier, celui des
tâches d’aptitudes pour lesquelles il existe une réponse meilleure que les autres et dont
la connaissance donne lieu à une hiérarchisation sociale en termes de compétence
(Mugny, Butera, Quiamzade, Dragulescu & Tomei, 2003). Dans un tel contexte, on a pu
conceptualiser les conditions auxquelles une source compétente, assurée d'une influence
manifeste, pouvait aussi induire une influence latente se traduisant par la modification
structurale d'une RS. En l’occurrence, une telle influence prend place lorsque la source
est investie d'une autorité épistémique légitime qui assure sa compétence et que le
rapport d’influence ne rend pas saillant un contexte évaluatif qui attenterait à l'identité
des individus en les contraignant à dénier leur auto-compétence (cf. Quiamzade &
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Mugny, 2001). Se confirme en outre le fait qu’en dépit de l’absence d’influence
manifeste, les sources de bas statut sont également en mesure d'induire un changement
structural au niveau latent (Tafani & Mugny, 2002), selon un patron proche de la
conversion que l’on observe habituellement dans le cas des sources minoritaires
(Moscovici, 1980). Ces mises en évidence soulèvent la question de l’influence des
minorités sur les RS, et de celle de sources dont le statut supérieur ne tient pas à un
pouvoir légitime d’expertise (French & Raven, 1959), mais à leur supériorité
numérique, en l’occurrence les majorités.
Influence minoritaire et dynamique des RS
Si les auteurs s’accordent généralement sur le fait que les majorités produisent
une influence principalement manifeste et les minorités une influence plus latente
(Kruglanski & Mackie, 1990 ; Maass & Clark, 1984 ; Martin & Hewstone, 2001a ;
Wood, Lundgren, Ouelette, Busceme & Blackstone, 1994), la nature des processus en
jeu dans ces dynamiques fait encore l’objet de nombreuses propositions théoriques et
polémiques (cf. Martin & Hewstone, 2003). D’une part, la théorie de la conversion de
Moscovici (1980) accorde une place centrale à la façon dont les sujets élaborent le
conflit résultant de la divergence des jugements. Face à la majorité, ces derniers
focaliseraient leur attention sur la comparaison sociale à la source, et résoudraient ce
conflit par une simple conformité au point de vue majoritaire, le rapport numérique
défavorable aux sujets les amenant à céder à celle-ci. Il en découle une influence limitée
car publique, directe et superficielle qui, suivant un processus de dépendance normative
(Deutsch & Gerard, 1955), prend la forme de conformisme, de complaisance ou de
suivisme (Moscovici, Mucchi-Faina & Maass, 1994). Par contraste, face à une minorité,
toute identification s’avère menaçante du fait des connotations négatives qu’elle
implique (Mugny & Papastamou, 1982) et des risques qu’elle comporte pour la
cohésion du groupe (De Vries, De Dreu, Gordijn & Schuurman, 1999 ; Wood, Pool,
Leck & Purvis, 1996), ce qui rend compte de son influence manifeste limitée. Toutefois,
le relâchement de l’activité de comparaison sociale, qui dans ce cas est défavorable à la
source, autoriserait les sujets à se centrer sur le contenu même de la position alternative
qu’elle introduit et les principes qui les fondent (Pérez & Mugny, 1986) selon un
processus de validation qui génère une influence plus profonde, indirecte ou différée
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(Pérez, Falomir & Mugny, 1995). Selon cette perspective, la conversion minoritaire
reposerait sur la dissociation des activités de comparaison sociale et de validation des
opinions (cf. Pérez & Mugny, 1998), qui peut notamment se traduire par une corrélation
négative entre l’influence observée au niveau manifeste et celle intervenant au niveau
latent (cf. Moscovici, Lage & Naffrechoux, 1969).
D’autres explications, inspirées de la distinction entre traitements heuristique et
systématique du message (Chaiken, 1980) ont tenté de rendre compte de ces mêmes
patrons d’influence sur la base de la plus ou moins grande systématicité avec laquelle
les informations délivrées par la source sont traitées. Selon cette perspective, un
traitement systématique est nécessaire pour garantir une influence plus profonde ainsi
que sa persistance temporelle (cf. Alvaro & Crano, 1997 ; Crano, 2001 ; Crano & Chen,
1998; Crano & Hannula-Bral, 1994). Toutefois, on est tenu de constater que les
recherches produites dans le cadre de ce modèle ont donné lieu à des résultats
inconsistants (cf. Martin & Hewstone, 2003) qui suggèrent tantôt un traitement plus
systématique de la position minoritaire que de la position majoritaire (Martin &
Hewstone, 2001b), tantôt l’inverse (Baker & Petty, 1994 ; De Dreu & De Vries, 1993,
1996 ; De Vries, De Dreu, Gordijn & Schuurman, 1996 ; Mackie, 1987 ; Trost, Maass
& Kenrick, 1992 ), ou encore que l’une et l’autre induiraient un traitement tout aussi
systématique (Bohner, Franck & Erb, 1998 ; Crano & Chen, 1998). Finalement, plutôt
que d’associer un type particulier de traitement de l’information au statut majoritaire ou
minoritaire de la source, les recherches actuelles soulignent plutôt la nécessité de
spécifier les conditions auxquelles une source induit un traitement plus ou moins
systématique des informations qu’elle délivre (Crano, 2001 ; Erb & Bohner, 2001 ;
Martin & Hewstone, 2003). De ce point de vue, on a pu mettre en évidence le rôle
médiateur d’un ensemble de variables sur la systématicité du traitement effectué par les
sujets, et notamment de leur attitude initiale (Erb, Bohner, Rank & Einwiller, 2002), du
niveau d’activité de la source (Kerr, 2002), de l’évolution du support numérique dont
elle bénéficie (Gordijn, De Vries & De Dreu, 2002), du niveau de consensus (Martin,
Gardikiotis & Hewstone, 2002), des dimensions sur lesquelles porte l’influence (Martin
& Hewstone, 2003) ou encore de leur pertinence au regard de la définition de l’identité
sociale des sujets (Alvaro & Crano, 1996 ; Crano & Alvaro, 1998 ; Wood et al., 1996).
Cependant, le fait que les majorités puissent, sous certaines conditions, induire un
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traitement systématique ne permet pas de rendre compte du fait que l’influence
manifeste dont elles sont assurées ne se double pas nécessairement d’une influence plus
latente. En effet, postuler que les sujets procèdent à un tel traitement n’explique pas
pourquoi ils se contenteraient alors de suivre la position de la source sans toutefois
valider les principes plus généraux sur lesquels elle se fonde. Un tel patron d’influence
s’avère donc difficilement compatible avec une explication en termes de systématicité
du traitement qui postule que l’acceptation publique de la position de la source irait de
pair avec son intériorisation. En ce sens, la théorie de la conversion semble plus
appropriée pour rendre compte de l’influence purement manifeste de la majorité via une
focalisation sur la comparaison sociale et de celle plus latente de la minorité au travers
un processus de validation.
Sur la base de ces considérations, on a cherché à déterminer les conditions
auxquelles une source d’influence défendant une position contre-représentationnelle
pouvait modifier la structure de la RS qu’elle remet en cause. Sur la base de la théorie
de la conversion, on avançait l’hypothèse générale qu’une telle transformation, qui
suppose une influence profonde, interviendrait lorsque les sujets se focalisent sur le
point de vue introduit par la source plutôt que sur l’activité de comparaison sociale. On
s’attendait donc à ce qu’une telle influence prenne place face à une minorité plutôt que
face à une majorité. Deux expériences étayeront ce raisonnement en mesurant
l’influence manifeste d’une majorité ou d’une minorité numériques ainsi que leur
influence profonde immédiate (expérience 1) et différée (expérience 2). Une troisième
expérience examinera plus directement l’hypothèse que l’influence minoritaire latente
suit un processus de conversion que permet la dissociation des activités de validation et
de comparaison sociale dans le cas où cette dernière n’est pas contraignante.
Etude pilote : la RS de la drogue chez les étudiants
Les trois expériences réalisées ont porté sur la RS de la drogue chez les étudiants
car cet objet donne lieu à un ensemble de débats et de clivages sociaux largement
relayés par les médias et qu’en outre plusieurs enquêtes épidémiologiques soulignent
l’importance de la consommation de substances psychoactives dans cette population (cf.
Dany & Apostolidis, 2002 ; Rapport de l’Observatoire Français des Drogues et des
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Toxicomanies, 2002). Il en découle que la drogue présente un enjeu pour les étudiants,
condition nécessaire à l’émergence d’une RS structurée (Moliner, 1993).
Dans un premier temps, on a repéré les caractéristiques les plus saillantes de cet
objet en demandant à 50 étudiants de l’Université des Lettres d’Aix-en-Provence (25
femmes et 25 hommes, âge moyen : 21.4, Sd=1.62) de produire 5 associations à partir
du mot « Drogue ». Ceci a permis de dégager 12 éléments (cf. Tableau 1) ayant une
fréquence d’association avec l’inducteur « Drogue » supérieure à 10% et recouvrant
81.2% du corpus associatif recueilli. Dans un second temps, le statut structural de ces
caractéristiques a été déterminé au moyen d’un test de mise en cause (Moliner, 1989)
auquel ont répondu 120 étudiants de cette même université (60 femmes et 60 hommes,
âge moyen : 21.32 ; Sd=1.53). Ce test repose sur une logique de double négation selon
laquelle les croyances centrales d’une RS sont celles dont la mise en cause (1ère
négation) entraîne une réfutation massive (2ème négation) de l’objet de RS induit
(Flament, 1994c). Suivant cette logique, on testait par exemple la centralité de la
« dépendance » au moyen de la question suivante: « Peut-on dire d’une substance que
c’est une drogue (induction de l’objet de RS), si la consommation de cette substance
n’engendre aucune dépendance ? » (mise en cause de la « dépendance »). Les réponses
étaient recueillies sur une échelle numérique en 11 points de (–5) « Non, ce n’est très
certainement pas une drogue » à (+5) « Oui, c’est très certainement une drogue ». Les
réponses négatives, qui correspondent à une réfutation de la RS de la drogue constituent
un indicateur de la centralité de la caractéristique mise en cause et illustrent le caractère
non négociable du lien que les sujets établissent entre celle-ci et l’objet de RS.
Insérer ici Tableau 1
Les fréquences de réfutation observées consécutivement à la mise en cause de
chacune de ces caractéristiques ont été comparées à une norme d’équifréquence (cf.
Tableau 1) de façon à déterminer leur statut structural respectif (cf. Tafani & Souchet,
2002). Ces comparaisons indiquent que la mise en cause de la « dépendance »
(Chi2(ddl,1)=17.77 ; p<0.0001), des « effets psychologiques » (Chi2(ddl,1)=12.01 ;
p<0.001) et du « danger pour la santé » (Chi2(ddl,1)=9.38 ; p<0.001) donne lieu à des
fréquences de réfutation significativement supérieures à une norme d’équifréquence, ce
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qui indique leur statut central dans cette population au sens où leur mise en cause se
traduit par le fait qu’une large majorité d’individus ne considèrent plus comme une
drogue la substance qui leur est présentée. On notera en outre que le genre des
répondants n’a pas d’effet significatif sur les réponses produites (Chi2(ddl,1)<1).
Expérience 1 : Influences majoritaire et minoritaire sur la RS de la drogue
Population
94 étudiantes (âge moyen=20.95, Sd=1.72) inscrites à l’Université des Lettres
d’Aix-en-Provence ont participé à cette expérience. Elles étaient réparties de façon
aléatoire au sein des différentes conditions.
Méthode
Variable indépendante
Les étudiantes étaient sollicitées sur le campus pour participer à une enquête
d’opinion à propos de la drogue. A leur arrivée au laboratoire, elles apprenaient que
cette enquête se déroulait en groupe et on les plaçait dans une salle avec cinq autres
personnes qu’elles ne connaissaient pas. On manipulait le statut de la source d’influence
au travers du rapport numérique entre sujets expérimentaux et compères au sein du
groupe suivant la procédure de Moscovici et Lage (1976). En l’occurrence, selon une
première modalité, les groupes comprenaient 4 compères et 2 sujets expérimentaux, le
rapport numérique favorable aux compères les plaçant ainsi en position majoritaire (16
groupes, soit 32 sujets expérimentaux). Selon une deuxième modalité, ce même rapport
était inversé (2 compères face à 4 sujets expérimentaux) de façon à conférer un statut
minoritaire à la source (8 groupes, soit 32 sujets expérimentaux). Dans les deux cas,
chaque groupe de compères était constitué à parts égales d’hommes et de femmes de
façon à ce que l’appartenance catégorielle de la source ne soit pas rendue saillante et ne
constitue pas alors un moyen de rendre compte de la divergence des jugements. En
effet, le cas échéant aurait conduit à émettre des hypothèses contrastées à propos de
l’influence de la source selon que les sujets la catégorisent comme endogroupe ou
exogroupe en fonction du sexe des compères (cf. Pérez, & Mugny, 1993 ; Turner, 1991)
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Enfin, dans une condition contrôle, les groupes étaient exclusivement constitués de
sujets expérimentaux (5 groupes de 6 sujets, soit 30 sujets expérimentaux).
Phase d’influence
Lors de la phase d’influence, l’expérimentateur projetait successivement 10
transparents qui présentaient chacun 3 substances fictives aléatoirement désignées par
les lettres A, B et C. Chaque substance était décrite au moyen d’un tableau indiquant
les caractéristiques qu’elle possédait ou non (cf. Tableau 2). Cette description se faisait
sur la base de 3 caractéristiques parmi lesquelles figurait systématiquement une
caractéristique centrale (« la dépendance ») et deux caractéristiques périphériques que
l’on faisait varier d’un transparent à l’autre. A chaque présentation, l’expérimentateur
lisait les informations du tableau pour s’assurer de la bonne compréhension des sujets.
La tâche de ces derniers consistait à indiquer de façon orale et donc publique (Deutsch
& Gerard, 1955) laquelle des trois substances décrites ressemblait le plus à une drogue.
Ici, la façon dont les différentes caractéristiques étaient ou non attribuées à chaque
substance décrite répondait à une logique qui offrait systématiquement aux sujets le
choix entre : (1) une réponse prototypique, la substance possédant à la fois une
caractéristique centrale et deux caractéristiques périphériques (la Substance A dans
l’exemple présenté) ; (2) une réponse contre-représentationnelle, la substance possédant
les deux caractéristiques périphériques mais pas la caractéristique centrale relative à la
« dépendance » (la substance B) ; et enfin (3) une réponse intermédiaire, la substance
possédant la caractéristique centrale mais pas les deux caractéristiques périphériques (la
substance C).
Insérer ici Tableau 2
En condition majoritaire, les compères s’exprimaient toujours avant les sujets
expérimentaux de façon à ce que ces derniers puissent prendre conscience du fait que
leur opinion personnelle était en contradiction explicite avec la position majoritaire. En
condition minoritaire, les réponses des sujets expérimentaux précédaient toujours celles
des compères afin de s’assurer qu’elles reflétaient bien la position majoritaire. Dans les
deux conditions, tous les compères donnaient lors des 10 présentations la même réponse
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contre-représentationnelle afin de maintenir constante la consistance aussi bien
synchronique que diachronique de la source (Moscovici & Lage, 1976). De telles
réponses impliquaient que du point de vue de la source, les substances qui ressemblaient
le plus à une drogue étaient précisément celles dont la consommation ne provoquait pas
de « dépendance ». A ce titre, ces réponses étaient en contradiction explicite avec la RS
initiale des sujets pour lesquels la « dépendance » constituait une caractéristique
nécessaire pour qu’une substance donnée puisse être considérée comme une drogue.
Variables dépendantes
L’influence manifeste concernait le nombre de sujets ayant produit au moins une
réponse contre-représentationnelle, et par conséquent conforme à la position défendue
par la source1. Cette influence était considérée comme manifeste au sens où elle relevait
d’un simple suivisme du point de vue de la source en sa présence.
L’influence latente portait sur le statut structural de la « dépendance » dans la
RS de la drogue qui était saisi en soumettant les sujets à un test de mise en cause
identique à celui utilisé dans l’étude pilote et auquel ils répondaient de façon privée. Un
score différant de celui de la condition de contrôle sera considéré pour le témoin d’un
changement à un niveau plus latent, puisqu’il suppose une restructuration de la RS de la
drogue et qu’en outre les sujets ne connaissent pas les réponses de la source à ce test. De
ce point de vue, il s’agit d’une mesure plus latente en ce qu’elle renvoie, non pas aux
réponses mêmes des sujets en la présence de la source, mais aux structures cognitives
qui sous-tendent celles-ci (cf. Moscovici & Lage, 1976).
Prédictions
On s’attendait à ce que l’influence manifeste de la source majoritaire soit plus
marquée que celle de la source minoritaire. Par contraste, on faisait l’hypothèse que
l’influence latente n’interviendrait que face à la source minoritaire. Dans les deux cas de
figure, étaient donc attendus des jugements différents de ceux donnés en condition de
contrôle, au niveau manifeste pour la majorité et au niveau latent pour la minorité.
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Nous avons retenu cette mesure d’influence car elle permet de compenser le fait qu’en condition
minoritaire, les cibles s’expriment toujours avant la source d’influence, et qu’à ce titre plusieurs essais
sont nécessaires pour que celles-ci prennent conscience de la divergence des jugements.
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Résultats
Influence Manifeste
Tout d’abord, il convient de souligner qu’en condition contrôle 94,4% des
réponses produites s’avèrent prototypiques de la RS de la drogue et qu’aucune réponse
de nature contre-représentationnelle n’apparaît, ce qui confirme l’attente de consensus
dont « la dépendance » fait l’objet. Conformément à notre première hypothèse, on
observe qu’une proportion plus importante de sujets reprend au moins une fois la
réponse contre-représentationnelle de la source lorsque celle-ci est majoritaire plutôt
que minoritaire (respectivement 40.6% et 15.6% ; Chi2(ddl,1)=8.33 ; p<0.01). On notera
toutefois que la minorité induit une influence non négligeable au regard des réponses
produites en condition contrôle (Chi2(ddl,1)corrigé=3.47 ; p<0.03). Se confirme donc
l’influence manifeste plus marquée de la majorité.
Insérer ici Tableau 3
Influence latente
L’analyse de variance réalisée sur les scores de réfutation2 (cf. Tableau 3) révèle
un effet significatif du statut numérique de la source (F(2,91)=6.69, p<0.01) selon
lequel la « dépendance » s’avère moins centrale après la confrontation à une source
minoritaire (M=.07, 62% de réfutations) qu’après la confrontation à une source
majoritaire (M=2.78, 72% de réfutations, F(1,91)=5.87, p<0.02) ou qu’en condition
contrôle (M=3.34, 84% de réfutations, F(1,91)=10.92, p<0.01), ces deux dernières
conditions ne différant pas entre elles (F(1,91) < 1). Il apparaît ainsi que seule la
minorité exerce une influence latente sur la structure de la RS de la drogue et qu’en
l’occurrence la « dépendance » perd alors son statut central, puisque sa mise en cause
n’entraîne plus une réfutation massive de la RS de la drogue. Enfin, on notera que la
corrélation entre influences manifeste et latente s’avère faiblement positive en condition
majoritaire (rbp(32)=.17, ns) et négative en condition minoritaire(rbp(32)=-.42, p<0.03),
la différence entre ces deux corrélations étant significative (z=2.40, p<0.03).
Discussion
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Cette première expérience illustre les dynamiques contrastées qui interviennent
selon que les réponses contre-représentationnelles auxquelles sont confrontés les sujets
émanent d’une source majoritaire ou minoritaire. Face à la majorité, intervient une
influence manifeste significative qui conduit une proportion importante de sujets à
reprendre au moins une fois la position alternative qu’elle introduit, une telle réponse
n’étant jamais observée dans la condition contrôle. Toutefois, cette influence s’avère
superficielle, puisque la RS qui sous-tend les réponses des sujets n’a pas été modifiée.
En ce sens, ces premiers résultats suggèrent que face à la majorité le conflit serait résolu
à un niveau manifeste, sans élaboration de la position de la source, suivant un processus
de dépendance normative selon lequel l’adoption manifeste de la position de la source
permettrait aux sujets d’éviter la discrimination résultant de la divergence publique des
jugements (Moscovici, 1980). Cette dynamique reposerait sur une élaboration
relationnelle de la divergence.
Par contraste, une élaboration de nature plus épistémique prendrait place lors de
la confrontation à la minorité face à laquelle la comparaison s’avère moins menaçante
en ce sens que c’est la source et non plus les sujets qui sont déviants. Dans ce cas, on
observe une influence manifeste certes limitée de la minorité, mais non négligeable du
fait que sa consistance accentue l’intensité du conflit (cf. Moscovici & Lage, 1976,
Moscovici & Personnaz, 1980 ; Mugny & Pérez, 1985 ; Nemeth, Swedlund & Kanki,
1974 ; Nemeth & Wachtler, 1973; Personnaz & Guillon, 1985). Toutefois, le conflit ne
pouvant être résolu à un niveau relationnel puisque le rapport numérique est défavorable
à la source, l’élaboration de la divergence des jugements se déplacerait à un niveau
latent. En l’occurrence, les sujets focaliseraient leur attention sur les contenus mêmes de
la position minoritaire et les principes organisateurs qui la sous-tendent suivant un
processus de validation (Pérez & Mugny, 1986). Ils seraient alors amenés à inférer les
principes qui fondent le point de vue minoritaire, au-delà des opinions spécifiques
explicitées par la source et ce sont ces principes, et non les réponses de la source, qui
seraient alors élaborés, intériorisés et réactivés. De ce point de vue, la corrélation
négative observée en condition minoritaire entre influences manifeste et latente conforte
l’idée d’une dissociation entre l’activité de comparaison sociale sur laquelle se fonde la
première et celle de validation sur laquelle repose la seconde. En d’autres termes, même
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Ces scores ont été inversés afin que la centralité de la dépendance se traduise par un score élevé. Il en
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si les sujets soumis à l’influence minoritaire ont résisté et continuent de penser que les
drogues entraînent souvent de la « dépendance », celle-ci n’est plus vue comme une
caractéristique nécessaire pour considérer une substance donnée comme une drogue, ce
qui signifie qu’elle a perdu son statut central.
Finalement, cette recherche montre que la structure d’une RS peut être modifiée
dès lors que les sujets sont confrontés à une minorité consistante dont les réponses
remettent en cause une croyance centrale de leur RS initiale. Se pose alors la question
de la persistance d’un tel effet, d’autant que les croyances centrales sont définies comme
particulièrement résistantes au changement (Abric, 1994). C’est à cette problématique
que s’est attachée une seconde expérience.
Expérience 2 :
Persistance temporelle des influences majoritaire et minoritaire
Population
84 étudiantes de l’Université des Lettres d’Aix-en-Provence (âge moyen : 21.18,
Sd=1.79) ont participé à cette expérience. Elles étaient réparties de façon aléatoire au
sein des différentes conditions expérimentales.
Méthode
Pré-Test
A leur arrivée au laboratoire, les sujets répondaient de façon individuelle et
privée à un test de mise en cause à propos de la RS de la drogue, identique à celui utilisé
dans les recherches précédentes. Les résultats de ce pré-test (T1) ont permis de retenir
pour cette expérience uniquement les sujets (N=64) pour lesquels la « dépendance »
constituait effectivement une caractéristique centrale de cette RS, c’est-à-dire ceux
ayant fourni une réponse négative consécutivement à la mise en cause de la dépendance.
On s’assurait ainsi de la nature contre-représentationnelle des informations qui seraient
ensuite délivrées par la source, ce qui n’était pas le cas dans l’étude précédente.
sera de même dans les deux autres expériences présentées plus loin.
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Phase d’influence
Variable indépendante
Lors de la phase d’influence, on manipulait le statut numérique de la source en
plaçant les sujets dans un groupe de 6 personnes qui était constitué soit de 4 compères et
de 2 sujets expérimentaux (condition majoritaire : N=32, 16 groupes comprenant 2
sujets expérimentaux), soit de 2 compères et de 4 sujets expérimentaux (condition
minoritaire : N=32, 8 groupes incluant 4 sujets expérimentaux). Le reste de la procédure
était strictement identique à celui de la première expérience.
Variables dépendantes
Comme précédemment, l’influence manifeste concernait le nombre de sujets
ayant donné au moins une fois une réponse contre-représentationnelle conforme à la
position défendue par la source. L’influence latente renvoyait au statut structural de la
« dépendance » dans la RS de la drogue. Celui-ci était comme au pré-test mesuré de
façon privée au moyen d’un test de mise en cause, immédiatement après la phase
d’influence (T2), ainsi que 10 jours plus tard (T3).
Prédictions
En premier lieu, on s’attendait comme précédemment à ce que la majorité
produise davantage d’influence manifeste que la minorité (Hypothèse 1). Par contraste,
on faisait l’hypothèse que l’influence latente n’interviendrait que face à la minorité
(Hypothèse 2) et se maintiendrait en outre lors de la mesure différée (Hypothèse 3) du
fait qu’elle est censée être le produit d’une élaboration effective de la position de la
source (Moscovici, 1980 ; Pérez & Mugny, 1986).
Résultats
Influence manifeste
Il apparaît qu’une proportion plus importante de sujets reprend au moins une fois
les réponses de la source lorsque celle-ci est majoritaire (53%) plutôt que minoritaire
(22%; Chi2(ddl,1)=6.84, p<0.01), ce qui confirme le fait que l’influence manifeste de la
majorité est plus marquée que celle de la minorité.
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Insérer ici Tableau 4
Influence latente
Au niveau latent, la principale variable dépendante concernait la différence entre
les scores de réfutation observés au pré-test (T1) et ceux respectivement obtenus lors
des deux post-tests (T2 et T3). Ces données (cf. Tableau 4) ont été soumises à une
analyse de variance dans laquelle la statut numérique de la source constituait un facteur
inter-sujets et le moment de recueil des données une variable intra-sujets. Cette analyse
révèle un effet principal du statut numérique (F(1,62=7.54, p<0.01) selon lequel
l’influence de la minorité s’avère plus marquée (M=2.25) que celle de la majorité
(M=0.77). Une décomposition de cet effet en fonction du moment où intervient le posttest, indique qu’il est significatif aussi bien en T2 (respectivement, M=2.34 et M=0.87;
F(1,62)=4. 83, p<0.04) qu’en T3 (M=2.16 et M=0.66; F(1,62)=5.53, p<0.03), ce qui
illustre la persistance temporelle de l’influence minoritaire. Cette influence se traduit
par le fait que par rapport au pré-test (M=3.62, 100% de réfutations), la « dépendance »
s’avère moins centrale en T2 (M=1.28, 53% de réfutation ; F(1,124)=21.01, p<0.0001)
ainsi qu’en T3 (M=1.47 ; 62% de réfutation, F(1,124)=17.22, p<0.0001), ces deux posttests ne différant pas entre eux (F(1,124)<1). Il apparaît ainsi qu’en T2 la
« dépendance » a perdu son statut central pour 47% des sujets placés en condition
minoritaire et qu’elle conserve en T3 un statut périphérique pour 38% d’entre eux (cf.
Tableau 4). Par contraste, en condition majoritaire, aucune des comparaisons entre le
pré-test et les deux post-tests ne se révèle significative, ce qui indique que la majorité
n’a pas eu d’influence latente sur la structure de la RS de la drogue. Enfin, se confirme
le fait que la corrélation entre influences manifeste et latente est positive mais non
significative dans cette condition (rbp(32)=.18, ns en T2 et rbp(32)=.21, ns en T3) alors
qu’elle s’avère négative en condition minoritaire (rbp(32)=-.38, p<0.03 en T2 et
rbp(32)=-.32, p<0.04 en T3), la différence étant significative en T2 (z=2.32, p<0.03)
comme en T3 (z=2.05, p<0.05).
Discussion
15
Cette seconde expérience confirme le fait que la majorité exerce une influence
purement manifeste sans effet sur la structure de la RS alors que la minorité, en dépit
d’une influence manifeste plus limitée, induit au niveau latent une restructuration de
celle-ci selon laquelle « la dépendance » perd son statut central lors du premier post-test
et conserve un statut périphérique lors du second intervenant dix jours plus tard. Ce
dernier résultat illustre le fait qu’une telle influence procède d’une élaboration effective
de la position minoritaire qui garantit sa persistance temporelle. En outre, la corrélation
négative entre influences manifeste et latente qui se confirme en condition minoritaire
suggère l’intervention d’un processus de conversion selon lequel la résistance dont les
sujets font preuve au niveau manifeste face à la minorité favoriserait paradoxalement
l’élaboration ultérieure de sa position, comme il en va des effets paradoxaux du déni (cf.
Falomir, Mugny & Pérez, 1996). Ces dynamiques reposeraient sur le fait que la
divergence avec la majorité focaliserait les sujets sur la comparaison sociale des
jugements, induisant un traitement relationnel de la divergence qui limite les possibilités
d’élaboration du point de vue de la source (cf. Quiamzade & Mugny, 2001) alors qu’en
cas de divergence avec la minorité cette même activité de comparaison sociale serait
dissociée du processus de validation. Sur la base de cette interprétation, on a donc
réalisé une troisième expérience où on a manipulé la comparaison sociale des opinions,
induisant soit une modalité négativement interdépendante, et donc contraignante, de
façon à centrer les sujets sur la seule activité de comparaison, soit une modalité
indépendante, et par conséquent moins contraignante, qui autorise une certaine
décentration de l’activité de comparaison (Pérez & Mugny, 1989). La principale
prédiction était que l’influence minoritaire prendrait place dans la mesure où
l’indépendance de la comparaison sociale permet aux sujets de se centrer sur les
principes générateurs qui sous-tendent la position de la source, alors que
l’interdépendance négative les focaliserait sur la seule activité de comparaison, bloquant
toute élaboration ultérieure (Sanchez-Mazas & Falomir, 1995).
Expérience 3 :
Comparaison sociale, suivisme majoritaire et conversion minoritaire
16
Population
108 étudiantes de l’Université des Lettres d’Aix-en-Provence (âge moyen :
20.31, Sd=2.01) ont participé à cette expérience. Elles étaient réparties de façon
aléatoire au sein des différentes conditions expérimentales.
Méthode
Pré-Test
Comme précédemment, les sujets répondaient de façon privée à un test de mise
en cause à propos de la RS de la drogue qui permettait de retenir uniquement des sujets
(N=96) pour lesquels la « dépendance » était une caractéristique centrale de cette RS.
Phase d’influence
Variable indépendante
Cette expérience était conçue selon un plan factoriel 2(Statut numérique de la
source) x 2(Modalité de comparaison sociale). Selon une première variable, les sujets
étaient placés dans un groupe de 6 personnes dont la composition permettait de
manipuler le statut numérique de la source. Ces groupes étaient ainsi constitués soit de 4
compères et de 2 sujets expérimentaux (condition majoritaire : N=48, 24 groupes de 2
sujets expérimentaux), soit de 2 compères et de 4 sujets expérimentaux (condition
minoritaire : N=48, 12 groupes de 4 sujets expérimentaux). La phase d’influence se
déroulait ensuite selon une procédure strictement identique à celle mise en place dans
les deux expériences précédentes. A l’issue de celle-ci, on demandait aux sujets de
comparer sur 5 échelles (« raisonnables », « sensées », « réalistes », « justifiées » et
« pertinentes ») les opinions qu’ils avaient émises en situation de groupe à celles des
compères (que l’on désignait comme les personnes ayant répondu différemment d’eux).
Pour une moitié des sujets, la comparaison se faisait sous indépendance des jugements,
les sujets disposant de 100 points pour évaluer l’opinion de la source et de 100 autres
points pour évaluer leur opinion personnelle sur chacune de ces 5 échelles. Pour l’autre
moitié des sujets, cette comparaison s’effectuait sous interdépendance négative des
jugements et consistait à répartir 100 points entre soi et la source pour chacune des
évaluations produites sur ces mêmes échelles. Chaque condition comprenait ainsi 24
sujets expérimentaux.
17
Variables dépendantes
Les mesures d’influences manifeste et latente étaient identiques à celles utilisées
dans l’expérience précédente, à ceci près qu’on ne réalisait qu’un seul post-test qui
intervenait immédiatement après la comparaison sociale à la source.
Prédictions
Au niveau manifeste, on faisait de nouveau l’hypothèse d’une influence plus
marquée de la majorité relativement à la minorité (Hypothèse 1). Au niveau latent, on
prédisait une interaction entre le statut numérique de la source et la modalité de
comparaison sociale selon laquelle cette dernière affecterait l’influence de la minorité et
non celle de la majorité. Plus particulièrement, on s’attendait à ce que l’interdépendance
négative des jugements bloque la dissociation entre activités de comparaison et de
validation, et par conséquent la conversion minoritaire. A ce titre, on faisait l’hypothèse
que l’influence minoritaire ne prendrait place que sous indépendance de la comparaison
sociale (Hypothèse 2). Par contraste, on prédisait que la majorité, face à laquelle la
divergence est élaborée de façon relationnelle, ne produirait pas d’influence au niveau
latent, que la comparaison soit indépendante ou négativement interdépendante
(Hypothèse 3).
Résultats
Influence manifeste
Au niveau manifeste, se confirme l’influence plus marquée de la majorité dont
une plus grande proportion de sujets (41.67%) reprend au moins une fois les réponses
comparativement à la minorité (12.5%, Chi2(ddl,1)corrigé= 8.91, p<0.01).
Comparaison sociale
Au niveau de la comparaison sociale des opinions, les points attribués à soi sur
chacune des 5 échelles ont été agrégés (α=. 85) de même que ceux attribués à la source
(α=. 88). Une analyse de variance sur le pourcentage des points attribués à la source par
rapport à l’ensemble des points distribués indique un effet principal du statut numérique
18
(F(1,92)=9.94 ; p<0.01). L’effet de la modalité de comparaison sociale est également
significatif (F(1,92)=9.04 ; p<0.01). Cependant, ces deux effets principaux sont
qualifiés d’une interaction (F(1,92)=6.52 ; p<0.02) selon laquelle l’opinion minoritaire
est évaluée plus favorablement sous indépendance des jugements (M=44.48) que sous
interdépendance négative (M=32.33, (F(1,92)=15.46 ; p<0.0001), alors que les
jugements concernant l’opinion majoritaire ne varient pas en fonction de la modalité de
comparaison sociale (M=32.01 vs M=31.02, F(1,92)<1). Il en résulte que l’opinion
minoritaire est jugée plus favorablement que l’opinion majoritaire sous indépendance
des jugements (F(1,92)=16.27 ; p<0.0001), et non pas sous interdépendance négative
(F(1,92)<1). En d’autres termes, même si globalement les sujets privilégient leur
opinion personnelle au détriment de celle de la source (F(1,92)=210.07, p<0.0001),
l’indépendance de la comparaison sociale les dispose toutefois à moins rejeter la
position minoritaire. Par contraste, l’interdépendance négative des jugements se traduit
par un rejet plus marqué de celle-ci qui atteint alors un niveau comparable à celui
observé à propos de la position majoritaire.
Enfin, on notera que la corrélation entre les points attribués à soi et ceux alloués
à la source est de –1 sous interdépendance négative des jugements, ce qui indique que
les sujets ont respecté la consigne. Partant, ils étaient donc amenés à se centrer sur la
comparaison sociale des opinions au sens où la reconnaissance de la validité de leur
opinion personnelle impliquait alors le rejet de la position de la source. Sous
indépendance des jugements, cette même corrélation reste négative mais non
significative face à la majorité (rbp(24)=-.22, ns), et s’avère toutefois moins marquée que
dans le cas précédent (z=3.56, p<0.001). Reste toutefois que la comparaison sociale
demeure contraignante dans la mesure où le point de vue de la source bénéficie d’un
statut majoritaire. Finalement, ce n’est que face à la minorité que l’indépendance des
jugements se traduit par une corrélation positive (rbp(24)=.52, p<0.01) qui diffère
significativement de celle observée face à la majorité (z=2.59, p<0.01) et qui suggère
que la comparaison sociale n’est pas alors menaçante.
Insérer ici Tableau 5
Influence latente
19
Au niveau latent, la principale mesure d’influence concernait la différence entre
le score de réfutation observé au pré-test et celui du post-test (cf. Tableau 5). L’analyse
de variance réalisée sur ces données met en évidence un effet principal du statut
numérique de la source (F(1,92)=9.70 ; p<0.01) selon lequel l’influence latente de la
minorité (M=1.12) s’avère plus marquée que celle de la majorité (M=-0.19). L’effet de
la modalité de comparaison sociale est également significatif (F(1,92)=7.34 ; p<0.01) et
rend compte de ce que l’influence latente est plus marquée sous indépendance des
jugements (M=1.04) que sous interdépendance négative (M=-0.10). Toutefois, ces deux
effets sont qualifiés d’une interaction (F(1,92)=9.09 ; p<0.01) selon laquelle l’influence
latente ne prend place que sous indépendance des jugements face à la minorité
(M=2.33), et non sous interdépendance négative face à cette même minorité (M=-0.08 ;
F(1,92)=16.44 ; p<0.0001), pas plus que sous indépendance des jugements face à la
majorité (M=-0.25, F(1,92)=18.78 ; p<0.0001). Il en découle que la confrontation à une
minorité sous indépendance des jugements est, comme prédit, la seule condition où la
« dépendance » s’avère moins centrale au post-test (M=2.04, 67% de réfutation) qu’au
pré-test (M=4.37, 100% de réfutation, F(1,91)=14.36, p<0.001). Dans ce cas, la
« dépendance » perd son statut central pour un tiers des sujets (cf. Tableau 6).
Par ailleurs, une analyse corrélationnelle confirme le lien positif mais non
significatif entre influences manifeste et latente dans le cas de la majorité, que ce soit
sous interdépendance négative (rbp(24)=.32, ns) ou sous indépendance (rbp(24)=.22, ns)
des jugements. Une corrélation de même sens (rbp(24)=.11, ns) prend place lorsque la
comparaison à la minorité est négativement interdépendante. Finalement, ce n’est que
dans le cas où la comparaison à la minorité est indépendante que la corrélation entre ces
deux niveaux d’influence s’avère négative (rbp(24)=-.39, p<0.06) et diffère
significativement de celle observée dans les autres conditions (z=2.53, p<0.01). Cette
analyse suggère ainsi que face à la minorité la dissociation ne prend place que dans le
cas où l’indépendance des jugements autorise un relâchement de l’activité de
comparaison sociale qui permet aux sujets de s’engager dans un processus de validation
du point de vue de la source.
Discussion
20
Cette troisième expérience confirme l’influence plus marquée de la majorité au
niveau manifeste, puisque les sujets sont plus nombreux à reprendre publiquement le
point de vue contre-représentationnel de la source lorsque celle-ci bénéficie d’un statut
majoritaire plutôt que minoritaire. Toutefois, il s’avère qu’une telle dynamique relève
de la complaisance puisqu’au niveau de la comparaison sociale qui s’ensuit les sujets
restent convaincus de la supériorité de leur opinion personnelle relativement à celle de
la source, et ce quelle que soit la modalité de comparaison. En d’autres termes, il
apparaît que ces derniers ont cédé face à la majorité sans accepter pour autant le point
de vue qu’elle défend, ce qui rend compte de l’absence d’influence majoritaire au
niveau latent. La position minoritaire, qui suscite beaucoup moins de suivisme au
niveau manifeste, n’est pas mieux acceptée en privé dès lors que l’interdépendance des
jugements focalise les sujets sur la comparaison sociale à la source. La résistance
observée sur le plan manifeste se double dans ce cas d’un rejet au niveau privé qui
montre que la centration sur une comparaison contraignante bloque toute élaboration
ultérieure du point de vue minoritaire et par conséquent toute influence latente. Par
contraste, l’indépendance des jugements facilite la prise en compte de la position
minoritaire qui, au niveau privé, s’avère alors moins rejetée que dans les autres
conditions. Il en découle une influence latente qui se traduit par une restructuration de la
RS de la drogue selon laquelle la dépendance perd son statut central. Ce résultat,
conjugué au fait que l’indépendance des jugements face à la minorité constitue l’unique
condition dans laquelle la corrélation entre influences manifeste et latente est négative,
indique que ces dynamiques reposent sur un processus de conversion. En effet, au-delà
du suivisme manifeste observé face à la majorité et de la résistance intervenant face à la
minorité, l’influence latente ne prend place que dans la mesure où l’élaboration du point
de vue de la source n’est pas contrecarrée par la centration des sujets sur une
comparaison sociale contraignante, ce que rend possible l’indépendance des jugements,
alors que l’interdépendance négative conduit les sujets à ignorer la position minoritaire
au même titre que la position majoritaire. Enfin, on soulignera que ces dynamiques ne
peuvent être expliquées en termes d’un traitement plus systématique de l’information
qui suppose qu’influences manifeste et latente aillent de pair. En outre, une telle
explication semble peu pertinente dans ce paradigme, dans la mesure où la source se
contente d’exprimer son opinion sans fournir le moindre argument.
21
Conclusion
Cet ensemble de recherches a permis non seulement de spécifier certaines des
conditions auxquelles une influence sociale peut induire la transformation structurale
d’une RS, mais aussi de dégager les processus impliqués dans les dynamiques de
résistance ou de changement qui découlent de ce rapport d’influence. La première
expérience, qui incluait une condition de contrôle, indique que les majorités exercent
une influence principalement manifeste résultant d’une élaboration relationnelle de la
divergence des jugements selon un processus de dépendance normative qui ne génère
aucune influence au niveau latent, en l’occurrence sur la structure de la RS. Par
contraste, les minorités, en dépit d’une influence manifeste très limitée, favorisent
l’élaboration effective de la position alternative qu’elles introduisent, suivant un patron
proche de la conversion qui induit au niveau latent une transformation structurale de la
RS. La seconde expérience a confirmé ces dynamiques dans un paradigme introduisant
des mesures répétées pré-test/post-test, et a mis en évidence la persistance temporelle de
l’influence minoritaire sur la mesure différée. Enfin, la troisième expérience fournit une
première explication de ces dynamiques en suggérant que celles-ci reposent sur un
processus de conversion qui suppose une dissociation entre les activités de comparaison
sociale et de validation des opinions. En effet, il s’avère que l’influence latente de la
minorité ne prend place que dans la mesure où l’indépendance des jugements limite la
focalisation des sujets sur l’activité de comparaison sociale, ce qui favorise la prise en
compte de la position minoritaire et conduit à un changement latent.
En ce qui concerne la dynamique des RS, le fait qu’une minorité introduisant un
point de vue contre-représentationnel soit apparue susceptible de modifier durablement
leur structure pose bien évidemment la question de la stabilité des croyances centrales.
De ce point de vue, un tel résultat ne peut nous conduire qu’à envisager leur stabilité
comme relative et à considérer que leur plus grande résistance au changement par
rapport aux croyances périphériques (Tafani, 2001) n’exclut nullement le fait qu’un
rapport d’influence puisse les modifier, comme l’ont d’ailleurs montré les premières
expériences réalisées dans ce champ (Mugny et al., 2001) ainsi que celles consacrées
aux effets des pratiques (Tafani & Souchet, 2002) ou des positions sociales (Tafani,
Bellon, & Apostolidis, 2002) sur les RS. On rappellera en outre que la stabilité n’est pas
22
la seule propriété des croyances centrales, qui exercent en outre un rôle structurant et
déterminent la signification symbolique de l’objet de RS (Abric, 1994). Cela suppose
par conséquent que leur transformation modifie la signification de cet objet, ce qui
permettrait ainsi aux sujets de redéfinir celui-ci en un sens qui soit moins conflictuel
avec la position alternative introduite par la source. En d’autres termes, une telle
dynamique illustrerait la fonction adaptative des RS qui constitue une condition
nécessaire à l’équilibre et au maintien des structures cognitives (Heider, 1958).
Enfin, ces résultats soulèvent également la question des raisons pour lesquelles
un tel changement structural prend place lorsque la RS est contredite par une minorité et
non dans le cas d’une majorité. Ici, il convient de souligner le fait que les RS en tant que
systèmes de croyances collectivement élaborés et partagés participent de la définition de
l’identité sociale des sujets en leur fournissant un cadre de référence commun qui
exprime les normes et valeurs auxquelles ils adhèrent (Breakwell, 2001). A ce titre, la
dynamique des RS s’avère régulée par un ensemble de processus identitaires (cf. Tafani
& Deschamps, 2004) qui assurent le maintien ou la restauration d’un consensus au sein
du groupe et garantissent ainsi sa cohésion. Face à la majorité, un tel consensus est
préservé par un suivisme manifeste qui amène les sujets à reprendre le point de vue
contre-représentationnel de la source, ce qui limite toutefois son élaboration, et par
conséquent la possibilité d’obtenir une influence plus latente. Par contraste, face à la
minorité, le conflit ne peut être résolu à un niveau manifeste étant donné que le rapport
d’influence est défavorable à la source et que celle-ci remet en cause une croyance
faisant l’objet d’un consensus au sein du groupe. Il en découle une résistance manifeste
qui se traduit par le maintien de la position dominante, ce qui ne permet donc pas la
restauration du consensus attendu. Dans ce cas, celle-ci interviendrait à un niveau plus
latent au travers d’une élaboration effective de la position minoritaire qui procède d’une
restructuration de la RS visant à rendre celle-ci plus compatible avec le point de vue de
la minorité. En d’autres termes, la restauration du consensus au sein du groupe à propos
de croyances impliquées dans la définition d’une identité collective constituerait une
motivation essentielle dans ces dynamiques, ce dont la recherche future devra s’assurer,
en manipulant notamment l’appartenance sociale de la source d’influence.
23
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29
Influences majoritaire et minoritaire sur la représentation sociale de la drogue.
Les recherches présentées s’intéressent aux effets d’une source d’influence sur la
structure de la RS de la drogue. Cette problématique a été abordée au regard de la
théorie de l’élaboration du conflit (Pérez & Mugny, 1993) de façon à spécifier la nature
des processus impliqués dans un tel rapport d’influence ainsi que les dynamiques de
résistance ou de changement qui en découlent. Au niveau représentationnel, ces
dynamiques étaient saisies sur la base de l’approche structurale des RS (Abric 1994)
selon laquelle la structure d’une RS repose sur une opposition qualitative et
fonctionnelle entre des croyances centrales posées comme consensuelles et non
négociables et des croyances périphériques définies comme conditionnelles et soumises
à des variations interindividuelles, ce qui d’un point de vue dynamique implique que la
modification structurale d’une RS suppose la transformation des croyances constitutives
de son système central. Une étude préalable menée selon la méthodologie afférente à
cette approche a permis de dégager 3 croyances centrales dans la RS de la drogue chez
les étudiants: « la dépendance », « les effets psychologiques » et « les dangers pour la
santé » qui apparaissent comme autant de caractéristiques nécessairement associées à
cet objet.
Une première expérience a confronté les sujets à une source d’influence qui
introduisait un point de vue contre-représentationnel. En l’occurrence, la source niait
l’importance de la « dépendance » dans le fait de considérer une substance donnée
comme prototypique des drogues alors qu’en tant que caractérisrtique centrale « la
dépendance » est censée être nécessairement associée aux drogues et organiser les
jugements produits à leur propos. Cette expérience qui se déroulait en situation de
groupe, manipulait le statut numérique de la source (majoritaire versus minoritaire) au
travers du rapport entre sujets expérimentaux et sujets compères présents au sein du
groupe. En l’occurrence, on reprenait une procédure analogue à celle élaborée par
Moscovici et Lage (1976). Selon une première modalité, les compères étaient au
nombre de 4 et les sujets expérimentaux 2, le rapport numérique favorable aux
compères les plaçant ainsi en position majoritaire ; selon une deuxième modalité, ce
même rapport était inversé et opposait 2 compères à 4 sujets expérimentaux de façon à
conférer un statut minoritaire à la source d’influence. Dans les deux cas, lors de la phase
30
d’influence qui consistait à produire une série de 10 jugements à propos de la drogue,
tous les compères (consistance synchronique) donnaient systématiquement (consistance
diachronique) une réponse contre-représentationnelle remettant en cause l’importance
de « la dépendance ». Enfin, selon une dernière modalité qui servait de contrôle les
groupes étaient exclusivement constitués de sujets expérimentaux. L’influence
manifeste de la source concernait le suivisme induit par la source en sa présence, en
l’occurrence la proportion de sujets qui reprenait la position contre-représentationnelles
qu’elle défendait. L’influence latente renvoyait au statut structural (central versus
périphérique) de la « dépendance » dans la RS de la drogue, cette dernière mesure étant
effectuée en privé au moyen d’un test de centralité qui intervenait consécutivement à la
phase d’influence. Comme prédit, les principaux résultats indiquent que la source
majoritaire exerce une influence manifeste plus importante que la source minoritaire
selon un processus classique de dépendance normative, la minorité exerçant toutefois
une influence manifeste non négligeable du fait de sa consistance. En revanche,
l’influence latente n’intervient que dans le cas de la confrontation à une source
minoritaire et se traduit alors par une restructuration de la RS de la drogue selon
laquelle la « dépendance » perd alors son statut central. Un tel patron d’influence qui
procède d’une résistance manifeste et d’un changement latent suggérait ainsi que
l’influence minoritaire repose sur un processus de conversion, ce que confirme la
corrélation négative observée entre ces deux niveaux d’influence.
Une seconde recherche manipulait le statut numérique de la source (majoritaire
versus minoritaire) selon une procédure identique à celle utilisée dans l’expérience
précédente mais cette manipulation s’effectuait cette fois-ci dans un plan intra-sujets
comportant un pré-test, une phase d’influence et deux post-tests intervenant à 10 jours
d’intervale, de façon à s’assurer de la persistance temporelle de l’influence minoritaire.
Les résultats obtenus confirment ceux de la première expérience, en l’occurrence
l’influence manifeste plus marquée de la majorité ainsi que l’influence latente de la
minorité, et indiquent en outre que le changement structural découlant de l’influence
minoritaire se maintient dans le temps. De nouveau, on observe en condition minoritaire
une corrélation négative entre influences manifeste et latente qui suggère l’intervention
d’un processus de conversion.
31
De façon à asseoir cette interprétation qui suppose une dissociation entre le
processus de comparaison sociale dont découle l’influence manifeste et le processus de
validation qui garantit l’influence latente (cf. Pérez & Mugny, 1989), on a réalisé une
troisième expérience qui manipulait le statut numérique de la source (majoritaire versus
minoritaire) ainsi que la modalité de comparaison sociale des opinions (négativement
interdépendante versus indépendante). L’hypothèse était que la contrainte résultant de
l’interdépendance négative des jugements focaliserait les sujets sur l’activité de
comparaison sociale, bloquant ainsi toute élaboration du point de vue alternatif introduit
par la minorité. Par contraste, on s’attendait à ce que l’indépendance des jugements qui
s’avère moins contraignante, limite la centration des sujets sur la comparaison sociale,
autorisant ainsi la validation de la position minoritaire. Les résultats obtenus confirment
ces hypothèses au sens où l’influence latente de la minorité ne prend place que sous
indépendance de la comparaison sociale, l’interdépendance négative des jugements
contrecarrant une telle dynamique.
Finalement, les patrons d’influence observés dans ces trois recherches s’avèrent
conformes aux hypothèses issues de la théorie de la conversion introduite par Moscovici
(1980). En l’occurrence, il s’avère que l’influence de la majorité se limite à un niveau
purement manifeste et se traduit par des réponses de complaisance sans élaboration
ultérieure de la position introduite par la source alors que l’influence de la minorité
intervient à un niveau plus latent et donne lieu à une restructuration de la RS de la
drogue qui procède d’une dissociation entre activités de comparaison sociale et de
validation.
32
Tableau 1 : Fréquence d’association et de réfutation des différentes croyances du champ
représentationnel de la drogue.
Dˇpendance
.96
.81*
Effets psychologiques
.52
.75*
Danger pour la santˇ
.50
.73*
Consˇquences sociales
.10
.58
Fuite de la rˇalitˇ
.28
.56
Troubles psychologiques
.20
.54
Plaisir
.32
.54
Risques mortels
.20
.50
Isolement
.16
.44
Dˇlinquance
.12
.40
Co˛t ˇlevˇ
.34
.39
Illˇgalitˇ
.16
.33
* Fréquence de réfutation significativement supérieure à une norme d’équifréquence
selon le test du Chi2
33
Tableau 2. Exemple de présentation des substances dans la tâche.
Indiquez parmi les 3 substances ci-dessous celle qui ressemble le plus
une drogue.
Substance A
Substance B
Substance C
provoque de la dˇpendance
oui
non
oui
est illˇgale
oui
oui
non
prˇsente des risques mortels
oui
oui
non
La consommation de laÉ
s ont déc
r equi
Qom
ui
s c kpr
pour
Ties
m e™
s eur
v is io et
nner
G run
aphi
c etq ue
t e im age.
s ont déc
r equi
Qom
ui
s c kpr
pour
Ties
m e™
s eur
v is io et
nner
G run
aphi
c etq ue
t e im age.
34
Tableau 3 : Score moyen et fréquence de réfutation de la RS de la drogue lors de la mise
en cause de la « dépendance » (écart type entre parenthèses).
Score Moyen
Fréquence de Réfutation
Contrôle
Majorité
Minorité
3.34
(Sd=2.06)
2.78
(Sd=2.65)
.07
(Sd=3.09)
.84
.72
.62
Plus les scores et les fréquences de réfutation sont élevés, plus la dépendance
s’avère centrale et moins l’influence latente est marquée.
35
Tableau 4 : Score moyen et fréquence de réfutation de la RS de la drogue lors de la mise
en cause de la « dépendance » (écart type entre parenthèses).
Majorité
Minorité
Score Moyen
Fréquence
Score Moyen
Fréquence
Pré-Test (T1)
3.92
(Sd=1.23)
1.00
3.62
(Sd=1.65)
1.00
Post-Test
immédiat (T2)
3.03
(Sd=2.52)
.84
1.28
(Sd=2.39)
.53
Post-Test
différé (T3)
3.25
(Sd=2.55)
.84
1.47
(Sd=2.09)
.62
T1-T2
0.87
(Sd=2.42)
.16
2.34
(Sd=2.90)
.47
T1-T3
0.66
(Sd=2.42)
.16
2.16
(Sd=2.68)
.38
36
Tableau 5 : Score moyen et fréquence de réfutation de la RS de la drogue lors de la mise
en cause de la « dépendance » (écart type entre parenthèses).
Majorité
Pré-Test
Réfutation
Post-Test
Réfutation
Pré Test
- Post Test
Réfutation
Minorité
Interdépendance
Négative
Indépendance
Interdépendance
Négative
Indépendance
4.08
(Sd=1.18)
4.00
(Sd=1.25)
4.29
(Sd=1.00)
4.37
(Sd=0.88)
1.00
1.00
1.00
1.00
4.21
(Sd=1.47)
4.25
(Sd=1.03)
4.37
(Sd=1.17)
2.04
(Sd=2.39)
.96
1.00
.96
.67
-0.13
(Sd=1.94)
-0.25
(Sd=1.29)
-0.08
(Sd=1.59)
2.33
(Sd=3.01)
.04
0
.04
.33
37

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