GROUPE ISP – ENM AE 2016

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GROUPE ISP – ENM AE 2016
GROUPE ISP – ENM AE 2016
La preuve pénale
Par Jérémie DILMI
Introduction :
La preuve a ceci de paradoxal qu’elle acquiert sa vigueur dans l’obstination que l’on met à en
débattre plus qu’en la tenant pour acquise ainsi que l’illustre le 8ème juré du film Douze
hommes en colère dont le doute l’amène à la démonstration, là où les autres jurés ne sont que
certitudes.
La preuve, d’essence judiciaire varie nécessairement selon la conception du procès. Ainsi, à
travers les époques, le modèle procédural (accusatoire, inquisitoire ou mixte) va dicter la
manière dont la preuve est administrée. A cet égard, la preuve a relevé tantôt de l'office du
juge tantôt de celle des parties tantôt elle est partagée entre eux. Tout d’abord, les droits
barbares ont emprunté au modèle accusatoire et aux preuves surnaturelles telles que les
ordalies dites « jugement de Dieu ». Ensuite, à partir du XIIIème siècle, la procédure pénale
s’est progressivement inscrite de la procédure inquisitoire en s’inspirant de la lutte contre
l’hérésie menée par l’Eglise catholique. Poursuivant dans cette perspective, la procédure
criminelle de l’Ancien Régime demeure inquisitoire en ce qu’elle est écrite, secrète et noncontradictoire ainsi que le prévoit l’Ordonnance criminelle de Saint-Germain-en-Laye de
1670. Puis, la Révolution Française marque une rupture en se réclamant du modèle
accusatoire (public, écrit et contradictoire) ; le système de la preuve légale est délaissé en
même temps que la présomption d’innocence est consacrée. Enfin, le code de l’instruction
criminelle de 1808 opère une synthèse entre le modèle de l’Ancien Régime dédié à
l’instruction et les évolutions acquises pendant la Révolution investissent la phase du
jugement. Ainsi, naît le modèle procédural mixte que nous connaissons aujourd’hui.
En matière pénale, la preuve occupe une place à la hauteur des enjeux que la matière
commande puisqu’elle met en cause la liberté d’un homme et son honneur. Prouver c’est
établir la véracité d’un fait. Il s’agira essentiellement pour la partie poursuivante de rapporter
la preuve de l’existence d’une infraction et de la culpabilité d’un auteur présumé. A cet égard,
le principe de la présomption d’innocence fait peser la charge de la culpabilité sur le ministère
public.
Au terme d’une longue hésitation, le système de la preuve libre a été privilégié au détriment
du système de la preuve légale en ce qu’il permet d’abolir les obstacles menant à la vérité.
Gage de l’efficacité de la procédure pénale, le système de la preuve libre consiste à user de
tous moyens pour établir l’existence d’un fait laissé à l’appréciation du juge. A cet égard,
l’article 427 du Code de procédure pénale énonce que : « Hors les cas où la loi en dispose
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autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide
d’après son intime conviction ». Néanmoins, il importe de préciser que le système de preuve
légale continue de régir quelques matières résiduelles à l’instar de la matière douanière. Dans
ces domaines, les procès verbaux font foi jusqu’à l’inscription en faux, ou jusqu’à la preuve
contraire qui ne peut être rapportée que selon certains modes déterminés par la loi.
Outre cet aspect réservé, il convient d’indiquer que la liberté de la preuve ne doit se concevoir
en aucune manière comme un « blanc-seing » laissé à tous les excès des acteurs et parties du
procès pénal. A ce titre, la liberté de la preuve répond à la légalité de son administration,
condition sine qua non pour qu’elle soit admissible. En conséquence, ces exigences
impliquent naturellement l’interdiction de modes de preuves contrevenant aux exigences
procédurales nationales ou européennes en ce qu’ils porteraient atteinte aux droits et libertés
du justiciable. Pourtant, la preuve pénale se doit d’être efficace en ce qu’elle participe à la
condamnation de l’auteur du trouble à l’ordre public que sa répression entend garantir.
Aussi, ces exigences a priori antagonistes posent immanquablement la question de
savoir comment la procédure pénale garantit l’équilibre entre l’efficacité répressive du
dispositif probatoire et la nécessaire préservation des droits et libertés des justiciables ?
La procédure pénale paraît osciller entre le développement d’un modèle probatoire au
service de la répression (I) et son encadrement par une appréhension renforcée des droits et
libertés des justiciables (II).
I - Le développement d’un modèle probatoire au service de la répression
Devant l’apparition de nouvelles formes de criminalités organisées, cette dernière décennie, le
législateur s’est résolu à renforcer l’efficacité des moyens de preuve (A) et à réduire
substantiellement les limites posées à la production de la preuve (B).
A) Le renforcement de l’efficacité des moyens de preuve
Les différents acteurs de la procédure pénale se voient désormais offrir un large panel de
moyens de preuve qui en facilitent le recueil tant dans les procédures de droit pénal
communes que dans celles qui y dérogent.
Le développement exponentiel de ces procédés tend à supplanter ce qui autrefois était la
« reine des preuve », l’aveu. En témoigne la diversification des moyens de preuve à travers
l’essor des techniques scientifiques et technologiques qui favorisent indéniablement
l’établissement de la vérité. Parmi ces techniques figurent la preuve biologique ainsi que
l’illustre la faculté pour des experts nommés par l’Officier de police judiciaire de procéder au
relevé d’empreintes génétiques réglementé aux articles 706-54 et s. du CPP et ce, malgré
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l’absence de consentement de ce dernier lorsque la personne a déjà été condamnée pour crime
ou pour délit puni de dix ans d’emprisonnement.
La jurisprudence a aussi participé à la diversification des moyens de preuve en autorisant par
exemple l’usage des témoignages anonymes afin de fonder une condamnation, à condition
qu’ils soient corroborés par d’autres preuves (Crim.18 mai 2010).
S’agissant de la preuve par testing, la Cour de cassation a rappelé dernièrement dans un arrêt
du 4 février 2015 que ce mode de preuve était licite. A ce titre, la Haute cour a refusé de
transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité tendant à
mettre en cause la recevabilité de la preuve obtenue par testing aux termes de l’article 225-3-1
du Code pénal au motif que cette dernière « ne confère pas au procureur de la République la
faculté de provoquer la commission d’une infraction ».
Par ailleurs, le législateur s’est vu confronter à un nouveau phénomène criminel proliférant en
réseaux qu’il a dû endiguer en instaurant des procédures pénales dérogatoires.
Parmi les lois emblématiques figure la loi celle du 9 mars 2004 accompagnant la lutte contre
le trafic de stupéfiants, de terrorisme ou encore de proxénétisme suivie par celle du 13
novembre 2007 destinées aux infractions de corruption et de trafic d’influence. A cet égard,
de nouveaux procédés tels que l’infiltration ont été instaurés. Grâce à lui, les enquêteurs sont
autorisés à faire usage d’une identité d’emprunt et sont amenés à commettre des infractions
pénales excepté celle constituant des atteintes aux personnes. La preuve ainsi rapportée devra
nécessairement être corroborée par d’autres moyens à moins que les agents de police ne
déposent sous leur réelle identité.
Ces mêmes prérogatives ont été octroyées aux enquêteurs par les lois du 5 mars 2007 et du 14
mars 2011 s’agissant d’infractions sexuelles commises contre les mineurs et d’infractions
d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme, par le biais du réseau internet.
Poursuivant ce même dessein, la loi du 9 mars 2004 a instauré la possibilité pour l’autorité
judiciaire lors d’une instruction de recourir à un dispositif permettant la sonorisation et la
fixation d’images d’individus se situant dans des lieux publics ou privés. A cet égard, un arrêt
récent de la Chambre criminelle du 23 janvier 2015 est venu donner une appréhension large
de la licéité d’un tel dispositif primant sur la nécessité du respect de la vie privée. En effet, la
Haute cour a justifié le rejet de la nullité de la fixation d’image d’un véhicule dans un box
appartenant à un tiers dont se prévalaient les mis en examen au motif « que ces derniers ne
sauraient se prévaloir d’une prétendue atteinte au droit au respect du domicile ou de la vie
privée d’un tiers dont ils ne démontrent pas en quoi elle aurait porté atteinte à leurs
intérêts ».
Venant renforcer « l’attirail législatif » de lutte contre le terrorisme, la loi du 13 novembre
2014 concède désormais aux enquêteurs une nouvelle possibilité d’accéder à un contenu
informatique. Ces derniers peuvent désormais accéder, dans les conditions de perquisition
prévues, par un système informatique implanté dans les locaux d’un service ou d’une unité de
gendarmerie à des données intéressant l’enquête en cours et stockées dans un autre système
informatique, si ces données sont accessibles à partir du système initial. Le fait de s’abstenir
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de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3. 750
euros. Il convient enfin de noter que ces prévisions de droit commun, ne voient pas leur
domaine d’application limité aux seules infractions terroristes.
Enfin, cette même loi crée un nouveau moyen d’investigation en matière de délinquance et de
criminalité organisées, l’enquête sous pseudonyme. Cette dernière permet aux policiers d’agir
au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire sous réserve d’une affectation à un service
spécialisé et d’une habilitation spéciale de procéder à certains actes sans voir engager leur
responsabilité pénale. Peuvent être évoqués parmi ces actes, le fait de participer sous un
pseudonyme aux échanges électroniques ou encore d’extraire, transmettre en réponse à une
demande expresse, acquérir ou conserver des contenus illicites, dans des conditions fixées par
décret. L’art. 706-81-1 du Code de procédure pénale précise in fine que ces procédés ne
peuvent, à peine de nullité, constituer une incitation à commettre ces infractions.
Outre la procédure pénale, la diversification de moyens de preuve est relayée par les
dispositions du droit pénal général qui participent largement à la production des preuves
d’infractions appartenant à la criminalité organisée. En effet, la loi du 9 mars 2004 a étendu
largement le champ d’application des dispositions relatives aux repentis aux infractions
relatives au trafic de stupéfiants.
Cette tendance à la diversification des moyens de preuve est secondée par une réduction
substantielle des limites opposées à la production de la preuve pénale.
B) La réduction substantielle des limites à la preuve.
Cet amoindrissement des limites posées à la preuve facilite indéniablement la manifestation
de la vérité. Il s’entend dans la pratique comme des atteintes permises à certains droits et
garantis du justiciable.
Tout d’abord, la loi du 9 mars 2004 sur le respect de la vie privée ou encore le droit à la
sûreté. A ce titre, les enquêteurs peuvent réaliser des écoutes téléphoniques dans le cadre
d’enquêtes, dès lors qu’il est question de criminalité organisée.
Procédant du même objectif, des perquisitions peuvent désormais être effectuées sans
l’assentiment de l’intéressé lors de simples enquêtes préliminaires, si l’enquête est relative à
un délit puni d’une peine d’au moins 5 ans d’emprisonnement et sur autorisation du JLD.
Enfin, s’agissant du droit à la sûreté, dans l’hypothèse où une action terroriste semblerait
imminente, les mesures de garde à vue peuvent être prolongées jusqu’à 144 heures.
De surcroît, la loi du 9 mars 2004 a instauré la procédure de comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité. A cette occasion, le Conseil constitutionnel a rejeté l’argument des
auteurs de sa saisine selon lequel cet aveu négocié « instaure(rait) une présomption de
culpabilité et renverse(rait) ainsi la charge de la preuve en plaçant la personne poursuivie en
situation de s'accuser elle-même » au motif que l’article 9 de la DDHC 1789 n'interdit pas à
une personne de reconnaître librement sa culpabilité. Enfin, le Conseil constitutionnel précise
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que le juge du siège n'est lié ni par la proposition du Procureur, ni par l’acceptation de la
personne concernée, et conclut que la nouvelle procédure ne porte pas atteinte au principe de
la présomption d'innocence.
Par ailleurs, les présomptions de responsabilité ont apporté un tempérament à l’obstacle que
constitue la présomption d’innocence. L’existence de ces présomptions de quasi culpabilité a
été admise par la Cour européenne des droits de l’homme à condition que les droits de la
défense soient respectés et que le prévenu puisse renverser la charge de la preuve. De même,
dans une décision du 16 juin 1999, le Conseil constitutionnel a validé l’existence de telles
présomptions, à condition qu’elles soient réfragables, que le respect des droits de la défense
soit assuré, et qu’elles reposent sur une vraisemblance raisonnable induite des faits. Parmi ces
présomptions de responsabilité figurent aux termes de l’article 225-6-3e du Code pénal
l’individu qui sera déclaré proxénète parce qu’il n’est pas en mesure de justifier de l’existence
de ressources correspondant à son train de vie et qu’il vit avec une personne se livrant
habituellement à la prostitution.
Enfin, le principe de loyauté de la preuve s’est vu considérablement affaibli en raison de
décisions jurisprudentielles récentes concernant la preuve recueillie par les particuliers, mais
aussi celles administrées par des autorités publiques lesquelles y sont pourtant tenues à
l’inverse des premiers. En témoigne s’agissant des particuliers, l’arrêt rendu par la Chambre
criminelle en date du 28 janvier 2015 où elle rappelle que la preuve illégalement recueillie par
un particulier reste recevable s’agissant de l’enregistrement d’une conversation téléphonique à
l’insu de son interlocuteur. De surcroît, l’arrêt du 2 juin 2015 a jugé que les déclarations d’un
descendant, contrairement à la matière civile, pouvait être prise en compte. Ainsi, le
témoignage de l’enfant a pu être reçu dans le cadre d’une affaire de violences conjugales
opposant ses parents. Enfin, dans son arrêt du 30 avril 2014, la Cour de cassation s’est livrée
de manière inédite à une appréciation souple la loyauté de la preuve à laquelle les autorités
publiques sont habituellement tenues. Il s’agissait ici d’un auteur de fraude bancaire résidant
en France qu’un site internet américain avait permis d’appréhendé. Celui-ci avait contesté la
régularité de la procédure en alléguant que la provocation à l’infraction était contraire au
principe de loyauté. La Chambre criminelle n’a pas reçu favorablement son argumentation au
motif que : « le site internet créé par les autorités américaines a seulement permis de
rassembler les preuves de la commission de fraudes de carte bancaire et d’en identifier les
auteurs, aucun ne démontrant qu’il ait eu pour objet les personnes qui l’ont consulté de
passer à l’acte ».
Cette diversification des moyens de preuve et cet amoindrissement des limites à la production
de la preuve sont autant d’atteinte aux droits et libertés du justiciable que tentent d’encadrer le
législateur et les juridictions sous l’impulsion renouvelée des exigences européennes.
II – L’encadrement du modèle probatoire par une appréhension renforcée des droits et
libertés des justiciables
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Le système procédural soumet la preuve pénale à un encadrement ferme que sont l’exigence
de légalité de la preuve (A) et l’exigence de loyauté de la preuve (B).
A) L’exigence d’une preuve légale
Dans un Etat de droit, la vérité ne peut être établie par n’importe quel procédé. Ainsi, les
moyens d’administrer la preuve susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés se voient
encadrer. L’administration de la preuve est susceptible de porter atteinte à des droits et
libertés qui profitent d’une protection tantôt absolue tantôt plus relative.
Parmi eux, le droit à la dignité fondé sur l’article 3 de la CESDH qui implique qu’aucune
décision ne peut être établie sur des aveux qui auraient été obtenus par la violence, par la
torture ou par des traitements inhumains et dégradants. A cet égard, la CEDH est venue
encadrer des interrogatoires policiers dans un arrêt Gäfgen c. Allemagne du 1er juin 2010 en
condamnant le recours à la violence morale par les policiers interrogeant un suspect en le
menaçant de vives souffrances s’il ne révélait pas l’emplacement de l’enfant qu’il était
soupçonné d’avoir enlevé. Ainsi, la Cour livre une conception absolutiste de l’article 3 de la
CESDH en ne tolérant aucune restriction à ce dernier et ce, même en cas de grave danger.
C’est dans la même perspective que l’usage de la narco-analyse est formellement interdit
comme les techniques consistant à prolonger déraisonnablement des interrogatoires.
Poursuivant cette idée, l’administration de la preuve doit être effectuée au regard du respect
des droits de la défense. A cet égard, l’article 6§3 de la CESDH implique que des aveux
recueillis lors d’une mesure de garde à vue où l’avocat n’est pas intervenu conformément aux
exigences légales sont inopérants. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a encadré
le recueil de l’aveu en garde à vue en imposant une intervention immédiate de l’avocat et ce,
même en matière de criminalité organisée (CEDH 14 oct. 2010 Brusco c/ France). La loi du
14 avril 2011 portant réforme de la garde a vue a entériné ces exigences conventionnelles,
lesquelles ne s’imposent pas seulement au stade présentenciel mais aussi au stade de la
décision puisque le juge se doit de fonder celle-ci uniquement sur des preuves produites au
cours des débats et, conformément au principe du contradictoire, soumises à la libre
discussion des parties ainsi que l’exige l’article 427-2 du CPP. La Cour européenne des droits
de l’homme a rendu dernièrement une décision qui pourrait invalider la solution retenue par le
législateur de 2011 en ce qu’elle dépasse ses exigences. En effet, dans l’arrêt Fidanci c.
Turquie rendu le 17 janvier 2012, la CEDH fustige la décision par la juridiction turque qui
fonde la décision de condamnation du prévenu au motif que les aveux avaient été recueillis
hors la présence de l’avocat et ce, bien qu’ils aient été corroborés par d’autres éléments de
preuve.
Par ailleurs, en matière de criminalité organisée, la loi du 17 août 2015 a mis un obstacle
substantiel au recueil de la preuve lors de la garde à vue dérogatoire en indiquant que la
prolongation exceptionnelle (jusqu’à 96 heures) n’est plus applicable au délit d’escroquerie
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commis en bande organisée, ni lorsqu’ils sont rattachés à cette infraction aux délits de
blanchiment, recel, non-justification de ressources et association de malfaiteurs (article 70631 du Code de procédure pénale).
Ensuite, la recherche des preuves doit être conciliée avec la liberté de l’information et le libre
exercice de leur activité professionnelle par les journalistes et plus précisément la protection
de leurs sources. Dans cette finalité, la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection des
sources des journalistes a introduit dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un
article 2 disposant solennellement que « le secret des sources des journaliste est protégé dans
l’exercice de leur mission d’information du public (…) qu’en cours de procédure pénale, il
est tenu compte pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de
l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette
infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la
manifestation de la vérité ».
Enfin, l’article 8§1 de la CESDH garantit le droit à chacun au respect de sa vie privée et
familiale, toutefois ce texte prévoit l’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce
droit pour peu qu’elle soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire dans
une société démocratique. Dernièrement, la Cour de cassation avait dans sa décision en date
du 22 octobre 2013 considéré la géolocalisation d’un portable comme « une ingérence dans la
vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge ». Les
magistrats du parquet n’étant pas des juges au regard du droit européen, la loi du 28 mars
2014 est alors venue encadrer cette mesure en prenant les dispositions suivantes : pour qu’un
juge d’instruction ou un procureur ait le droit d’ordonner une géolocalisation, il faut que
l’infraction soit punie d’au moins cinq ans de prison. La mesure est encadrée puisque le
procureur ne peut ordonner une géolocalisation que pour quinze jours, il doit ensuite
demander l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention (JLD).
A l’exigence de légalité de la preuve pénale s’ajoute celle de la loyauté, notion qui se pose
avec acuité au regard de la jurisprudence récente.
B) L’exigence d’une preuve loyale
D’origine prétorienne, le Doyen Bouzat offre une définition de la loyauté de la preuve en ces
termes : « le fait que le modèle procédural (accusatoire, inquisitoire ou mixte) va dicter la
manière dont la preuve est administrée. Tantôt elle relève de l'office du juge tantôt de celle
des parties tantôt elle est partagée entre eux ». Ainsi, l’administration de la preuve doit être
conforme au principe de loyauté ayant pour objet d’interdire à celui qui rapporte la preuve
l’utilisation de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes. Le respect de ce principe
s’avère essentiel au procès équitable. Il s’impose aux autorités publiques mais pas aux
particuliers, lesquels, de jurisprudence constante, peuvent produire une preuve déloyale à
condition qu’elle puisse être discutée contradictoirement lors du jugement. Le principe de
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loyauté de la preuve, traditionnellement consacré, voit sa définition enrichie à travers
l’actualité jurisprudentielle.
Dans un premier temps, ce principe a été appliqué au juge d’instruction lequel avait maquillé
sa voix au téléphone pour confondre un suspect (Chambre Réunies, 31 janvier 1888). Puis,
l’affaire Imbert (Crim. 12 juin 1952) a étendu cette exigence aux policiers qui avait influencé
un entretien entre deux individus en dictant à l’un d’eux des questions afin de procéder à
l’enregistrement de ses réponses. En effet, le sujet qui a le plus prêté à débat est sans doute
celui des provocations policières. Ladite provocation amène un enquêteur à inciter un individu
suspecté à commettre une infraction qu’il n’aurait vraisemblablement pas commise en
l’absence de pressions. Ainsi la jurisprudence distingue entre la provocation à la preuve,
licite, et la provocation à l’infraction, irrégulière car constituant une atteinte au principe de la
loyauté de la preuve.
Ce principe fait l’objet d’une attention renouvelée. En effet, dans un arrêt rendu le 6 mars
2015, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation confirme la solution retenue par la
Chambre criminelle dans un arrêt du 7 janvier 2014 par laquelle cette dernière avait invalidé
la mesure de sonorisation de cellules de garde à vue contigües où avaient été placés les deux
suspects pendant leur temps de repos au motif que : « porte atteinte au droit à un procès
équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un
agent de l’autorité publique ». L’Assemblée plénière énonce dans un arrête rendu au visa de
l’article 6 de la CESDH que : « la sonorisation de cellules contigües même si elle est
respectueuse des prévisions légales, constitue un procédé déloyal d’enquête mettant en échec
le droit de se taire ou de ne pas s’incriminer soi-même ». Malgré cette tendance à une
appréhension extensive du principe de loyauté, la Haute cour se livre à une véritable analyse
casuistique comme l’atteste son arrêt du 17 mars 2015 où elle juge que lorsque la sonorisation
s’effectue en dehors d’un autre acte d’investigation elle ne peut être considérée comme un
stratagème contraire au principe de loyauté de la preuve. Enrichissant la définition de la
loyauté de la preuve, la Chambre criminelle vient dans deux arrêts en date du 15 avril 2015
préciser que la déloyauté dans le recueil de la preuve apparaît dès lors que l’autorité publique
recourt à un stratagème caractérisé par des actes positifs.
Cet encadrement de la preuve pénale au profit de la protection des droits et garantis du
justiciable atteste indéniablement de la coloration accusatoire qui innerve de plus en plus
notre modèle procédural et l’administration de la preuve pénale. Selon l’adage Justice before
Truth, la recherche de la manifestation de la vérité s’avère désormais moins importante que le
respect des moyens légaux qui y conduisent. L’avènement de la preuve scientifique, quasi
irréfutable, aura sans doute contribué à ce glissement. En effet, l’établissement à tout prix et
par tous moyens de la vérité justifient de moins en moins les errements pris en la violation des
droits des justiciables.
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