ESSAI DE PHILOSOPHIE PRATIQUE APPLIQUÉE : LA
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ESSAI DE PHILOSOPHIE PRATIQUE APPLIQUÉE : LA
ESSAI DE PHILOSOPHIE PRATIQUE APPLIQUÉE : LA POLÉMIQUE ∗ AU SUJET DES ECOLES DIWAN Mémoire de maîtrise Izumi ISHIDA Université Paris IV – Sorbonne Département de Philosophie 2001-2002 ∗ La présentation qui suit constitue la seconde partie d’un mémoire sur le multiculturalisme présenté en septembre 2002 sous la direction de Monsieur le professeur Alain RENAUT. La première partie s’attachait à discuter les principes mis en jeu par la question de l’intégration du droit des minorités dans les démocraties modernes : les principes d’identité, d’égalité, de liberté et d’unité. La seconde partie a pour objet la mise en application pratique, sur un exemple actuel, du modèle théorique dégagé au terme de l’étude initiale. Pour mettre à l’épreuve les positions qui se dégagent actuellement en France du débat sur les droits culturels, nous nous proposons d’analyser les enjeux et les convictions qui s’affrontent dans la polémique autour du statut des écoles Diwan. Nous avons été guidés dans notre choix par la certitude que la pratique d’une langue, les politiques linguistiques, et l’organisation de l’enseignement d’une langue, constituent sans doute ensemble le support le plus révélateur de l’attitude d’un Etat vis à vis du pluralisme culturel, et la meilleure illustration de la politique multiculturelle qu’il entend mettre en œuvre. Autre atout présenté par le cas des écoles Diwan : cet exemple met particulièrement bien en lumière la séparation autour de laquelle s’organise tout le débat sur le multiculturalisme : la distinction de la sphère publique et celle de la sphère privée. Les écoles Diwan – d’abord privées, aujourd’hui privées sous contrat avec l’Etat – qui pratiquent la pédagogie de l’immersion1 pour l’enseignement de la langue bretonne, ont en effet déclenché les discussions les plus vives, lorsqu’il a été question de les faire accéder au rang d’écoles publiques. Les nombreux rebondissements qui ont émaillé le processus visant à l’intégration au service public de ces écoles, illustrent la nature passionnée du débat en cours (section 1). Un débat dans lequel s’affrontent explicitement partisans d’une meilleure prise en compte du pluralisme culturel par l’Etat, et défenseurs des principes républicains d’égalité, de laïcité et d’indivisibilité de la République, avec arguments à l’appui de part et d’autre (section 2). Il s’agira alors pour nous d’essayer d’éclairer les termes du débat, en évaluant la force des arguments, en rattachant les différentes positions aux principes qui les sous-tendent, et en en dégageant les conséquences logiques. Tout en veillant à ne pas excéder les limites qu’il convient au travail philosophique de ne pas franchir, nous tâcherons d’aller aussi loin que possible dans l’analyse des solutions envisageables pour l’avenir des écoles Diwan (section 3). 1 Le breton est non seulement la langue enseignée, celle de l’enseignement en classe, mais aussi celle dans laquelle les enfants se disputent dans la cour de récréation, ou demandent leur repas à la cantine. 3 1 – Chronique d’une polémique passionnée Afin de mieux cerner l’état du débat, nous retraçons ici les différentes étapes du processus qui allait aboutir à la proposition d’intégration des écoles Diwan au service public, et au conflit animé qui s’en suit. 1925 : Albert de Monzie, Ministre de l’Instruction publique déclare : « Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ». 1951 : Loi Deixonne sur « l’enseignement des langues et dialectes locaux » . Début de la reconquête institutionnelle des langues régionales. Néanmoins, faiblesse d’un dispositif soumis à la bonne volonté des enseignants. 1977 : Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, reconnaît « la personnalité culturelle de la Bretagne » et déclare que « la langue bretonne en est une de ses composantes fondamentales ». Mai 1977 : Charte fondatrice du mouvement Diwan. 1980 : Première école primaire Diwan (privée). 1988 : Premier collège Diwan (privé). 1994 : Premier lycée Diwan. Aujourd’hui : Environ trente écoles primaires Diwan, deux collèges, deux lycées, scolarisant au total un peu plus de deux mille élèves dans l’académie bretonne. 1994 : François Bayrou, Ministre de l’Education Nationale, concède au nom de l’Etat un contrat d’association à la fédération Diwan. Les établissements Diwan deviennent des établissements privés sous contrat. Une partie de leur financement est prise en charge par l’Etat (dont par exemple la rémunération des enseignants). 7 mai 1999 : La France signe la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires. 4 16 juin 1999 : Le Conseil Constitutionnel juge la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires contraire au principe d’indivisibilité de la République. Septembre 1999 : « Affaire du lycée de Carhaix (Finistère) » : l’aide du Conseil Régional de Bretagne destinée à permettre à Diwan d’implanter un lycée à Carhaix est bloquée par le Tribunal Administratif de Rennes, au motif qu’elle dépasse le plafond fixé par la loi Falloux concernant les subventions publiques accordées aux établissements privés. Cette décision va mettre le feu aux poudres et révéler la nécessité d’intégrer les écoles Diwan au secteur public. 28 mai 2001 : Signature à Rennes d’un « protocole d’accord en vue de l’intégration au service public » des écoles Diwan, entre Jack Lang, Ministre de l’Education Nationale et Andrew Lincoln, Président des écoles Diwan. 30 octobre 2001 : Saisi par le CNAL, Comité National d’Action Laïque, par une procédure en référé, le Conseil d’Etat suspend le protocole d’accord signé le 28 mai, visant à intégrer les écoles bretonnes au service public. Motifs : risque d’atteinte aux principes d’égalité et d’unité ; existence d’un « doute sérieux » pesant « quant à la légalité » des textes du Ministère, notamment au regard de la Constitution ; au centre de la polémique : la pédagogie de l’immersion pratiquée dans les écoles Diwan. Le fond de l’affaire sera examiné dans les mois suivants. 8 novembre 2001 : Les députés, malgré l’ordonnance du Conseil d’Etat, votent en première lecture la titularisation dans la fonction publique pour 2002 de 194 personnels enseignants et non enseignants contractuels de Diwan. Veto du Sénat. En deuxième lecture, la Commission des Finances s’oppose à la décision des députés. Le texte est finalement adopté par l’Assemblée Nationale. 15 juillet 2002 : Le Conseil d’Etat statuant sur le fond suspend une nouvelle fois l’intégration des écoles Diwan dans le service public. A la 5 rentrée de septembre 2002, les écoles Diwan conserveront leur statut d’écoles privées sous contrat. Rappel de quelques points législatifs Article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ». Ajouté au texte constitutionnel en 1992. Loi Toubon du 4 Août 1994 : dispose que le français « est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics », et que « la langue de l’enseignement, des examens et des concours […] est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères ». On notera qu’à l’origine, ces ajouts visaient explicitement à protéger le français de sa contamination par l’anglais. Nullement à empêcher l’épanouissement des langues régionales. Loi Goblet : Toute aide directe en matière d’investissement aux écoles privées du premier degré, est interdite. Loi Falloux : Aucune subvention publique à un établissement privé ne peut dépasser « le dixième des dépenses annuelles de l’établissement ». 2 – Enjeux et positions en présence : les présupposés principiels Les termes du débat autour des écoles Diwan mettent en lumière deux enjeux de nature différente mais solidaires l’un de l’autre. Sur un plan immédiatement pratique et matériel, c’est autour d’un enjeu financier que s’organisèrent tout d’abord les difficultés. Les écoles Diwan ne bénéficiant actuellement que du statut d’établissement privé sous contrat, elles tombent en effet sous le coup de différentes dispositions 6 législatives2 restreignant les aides publiques qui leur sont accordées. Si l’on ajoute qu’un établissement ne peut signer un contrat d’association avec l’Etat qu’après cinq années de fonctionnement, on comprend la charge importante qui doit être supportée par des fonds privés, que ce soit sous la forme d’une participation financière des parents d’enfants scolarisés, de dons des sympathisants à la cause Diwan, ou encore de fonds récoltés à l’occasion de diverses manifestations culturelles bretonnes organisées par le mouvement Diwan. Cette contrainte financière pèse objectivement sur la capacité de développement de Diwan3 qui est pourtant parvenu à semer avec succès plusieurs établissements depuis sa création. C’est d’ailleurs l’implantation à Carhaix d’un second lycée Diwan qui a servi de catalyseur au processus tendant à l’intégration des écoles Diwan au secteur public, lorsque Diwan s’est vu refuser par le Tribunal Administratif de Rennes l’aide accordée par le Conseil Régional de Bretagne, trop généreux eu égard aux dispositions de la loi Falloux. L’enseignement de cette affaire, tiré à la fois par les hommes politiques et par l’organisation Diwan, fut que seul l’accès des écoles bretonnes au statut d’établissements publics, permettrait un financement plus conséquent du mouvement Diwan, et partant, un développement plus serein. Or, ici apparaît l’autre enjeu – en réalité de loin le plus essentiel – autour duquel vinrent se cristalliser les oppositions. C’est en effet sur un terrain symbolique que se joue sans doute le combat le plus décisif de Diwan. L’accès des écoles bretonnes au rang d’établissements publics impliquerait certes la possibilité d’un financement public accru, mais il signifierait avant tout et plus fondamentalement que l’Etat français estime que des établissements pratiquant la pédagogie de l’immersion dans une langue régionale – en l’occurrence le breton – sont conformes aux caractéristiques du service public, et qu’il lui incombe de les prendre en charge. Or, c’est précisément la perspective de la mise en application d’une telle appréciation, qui a suscité une levée de boucliers de 2 Voir la section 1 du présent chapitre pour un éclairage succinct du dispositif législatif en question. 3 « le germe » en breton. 7 tous bords. Dans la polémique qui s’en est suivie et qui persiste aujourd’hui, on distingue très nettement deux « camps ». Un premier pôle regroupe ceux, bretons, sympathisants de Diwan, hommes politiques de différents horizons, etc., qui considèrent que l’intégration au secteur public des écoles Diwan marquerait une avancée décisive vers une meilleure prise en compte du pluralisme culturel. Ce serait, à travers l’enseignement du breton dispensé explicitement par l’Etat, aménager une pleine reconnaissance publique des langues régionales et des particularismes culturels dont elles sont le support. Une telle mesure permettrait de clore radicalement une période où il était « interdit de cracher et de parler breton », en offrant la possibilité à de nombreuses personnes de transmettre et de recevoir un héritage dans lequel elles reconnaissent une part de leur identité. Face à ce premier courant, un deuxième camp réunit ceux, d’autres bretons, d’autres français, et d’autres hommes politiques toutes couleurs confondues, qui restent catégoriquement opposés à l’intégration des écoles Diwan au secteur public. Ils entendent ainsi défendre l’égalité et l’idéal républicain de l’école laïque, et empêcher que des avancées concédées à des revendications communautaristes ne viennent mettre en péril l’indivisibilité de la République, entraînant à terme la dislocation de la société toute entière. Certains ne s’opposent pas à ce que le breton soit enseigné dans des écoles publiques, mais demandent que l’enseignement général soit délivré non pas exclusivement en langue bretonne, comme dans le système de l’immersion pratiqué dans les écoles Diwan, mais à part égale entre le français et le breton, de manière à ne pas fragiliser le sentiment d’appartenance à une nation unie. Ils manifestent également le souci de ne pas faire entrer le français dans les programmes comme une langue étrangère – dans les écoles Diwan, le français est enseigné seulement à partir du C.E.1 – mais comme la seule langue qui doit incarner l’identité française, une identité unique, commune à tous, et partagée par chaque individu. 8 Quelle analyse un philosophe peut-il faire de ces deux opinions divergentes ? Evaluer l’efficacité et la cohérence des arguments invoqués, éclairer les positions en présence par leurs présupposés principiels, et présenter les différentes solutions découlant des principes posés, c’est, nous semble-t-il, dans ce périmètre – et dans ces limites – que le travail philosophique peut et doit opérer. 3 – Quelles solutions, pour quel avenir de Diwan ? Dans cette dernière section, nous nous borderons à essayer d’évaluer quel dispositif – maintien des écoles Diwan dans le secteur privé ou accès au secteur public – nous paraît le mieux répondre aux exigences d’une théorie libérale du droit des minorités suivant les principes mis en jeu dans notre partie théorique. Au regard de la liberté individuelle, il nous semble important d’insister sur le fait que l’éventuel accès des écoles Diwan au secteur public ne devrait – et ne devra – occasionner aucune restriction des choix individuels. Il ne sera fait aucune obligation aux parents résidant à proximité des écoles Diwan de scolariser leur enfant dans un tel établissement. De même, aucun enseignant ne devra pouvoir subir une mutation forcée dans une de ces écoles. La force du mouvement Diwan a d’ailleurs jusqu’ici reposé en grande partie sur le caractère volontaire des adhésions ; nous ne voyons pas en quoi un changement de statut pourrait ou devrait affecter cette caractéristique majeure qu’il faut évidemment préserver. Symétriquement, l’inscription aux écoles Diwan devra rester accessible à tous. C’est déjà le cas, et nous ne voyons pas l’intérêt qu’auraient les partisans de Diwan à instaurer un système de filtrage, dans la mesure où leur objectif est bien davantage celui du développement que celui de l’autarcie. L’argument selon lequel un enfant non scolarisé dans une école Diwan depuis la première année ne pourrait plus y accéder par la 9 suite ne nous semble pas suffisant pour dénoncer une tendance au repli communautaire. En effet, personne ne semble s’offusquer qu’un élève n’ayant jamais appris le grec au collège, ne puisse pas suivre les mêmes cours au lycée, que ses camarades qui ont commencé leur apprentissage plusieurs années auparavant. En revanche, nous tenons pour tout à fait fondamental qu’un enfant scolarisé pendant un certain temps dans une école Diwan, puisse librement réintégrer une scolarité plus classique, dans un établissement traditionnel. Le suivi des programmes officiels par les écoles Diwan nous apparaît donc comme une nécessité non négociable, pour leur accès au secteur public. Inversement, nous pouvons tirer des acquis de notre première partie, que le refus d’intégrer Diwan dans le service public impliquerait sans doute une certaine limitation de la liberté de nombreux individus de perpétuer une culture particulière. En leur refusant les moyens publics de continuer la méthode de l’immersion, on pose un obstacle sérieux au maintien d’un système particulièrement efficace de transmission d’une langue. Il faut noter à ce sujet que, de l’avis général, les quelques 8000 élèves étudiant le breton – écoles Diwan, établissements publics bilingues, établissements privés bilingues, et universités confondus – ne suffiront pas à conserver intact l’héritage de nombreux anciens qui disparaissent en emportant avec eux leurs expressions. Il n’est évidemment pas question d’entreprendre à tout prix le sauvetage du breton. Mais dans la mesure où des individus sont disposés et revendiquent même avec force le droit à continuer de pratiquer cette langue minoritaire, il peut paraître pour le moins paradoxal de vouloir freiner un tel enthousiasme. Au regard de la liberté individuelle, il est donc probable que la reconnaissance publique de Diwan n’est porteuse d’aucun danger. Au contraire. Les principes d’égalité et de laïcité républicaine sont souvent brandis par les opposants à l’intégration des écoles Diwan au secteur public. Selon eux, un enseignement aussi spécifique que celui pratiqué par Diwan mettrait 10 les élèves bretons dans une situation d’inégalité flagrante par rapport aux élèves suivant un cursus traditionnel. Et intégrer Diwan au public, ce serait également enterrer le sacro-saint principe de neutralité à l’égard des différences, si cher à l’Etat républicain. Sur ce point aussi, notre première partie nous a fait parvenir à certains acquis ; nous avons notamment établi que l’égalité, loin de se résumer à une simple identité, comprise comme une duplication à l’identique, appelait la prise en compte indispensable des différences. L’égalité qu’il nous faut rechercher ici, n’est-ce pas précisément celle qui permet d’offrir à chacun des moyens équivalents pour suivre le cursus à travers lequel il pourra épanouir pleinement ses aptitudes et construire son identité propre ? On signalera du reste que l’existence déjà effective de nombreuses filières distinctes, n’ayant parfois en commun certaines matières qu’à titre purement esthétique, n’attire pourtant pas les foudres qui s’abattent sur Diwan. Le principe d’égalité n’est par conséquent pas de nature à justifier le refus du statut public des écoles Diwan. Notons toutefois que s’il advenait que les établissements Diwan soient intégrés au secteur public, ce même principe d’égalité devra nous conduire à envisager un même aménagement pour d’autres langues régionales (le corse par exemple). Il n’en demeure pas moins vrai que les enseignements dispensés jusqu’ici dans l’ensemble des écoles publiques, toutes filières confondues, se déroulaient au moins pour moitié en français. Le dernier point d’achoppement sur lequel vient se nouer la polémique – celui que nous croyons le plus décisif, se situe précisément autour des effets que l’on prête à un enseignement délivré exclusivement en breton. Les crispations se font ici sentir lorsque l’on évoque les dangers que ferait éventuellement peser un tel système sur l’unité de la société. Les républicains de tous bords s’insurgent contre l’accès de Diwan au statut public, en arguant que permettre à un tel mouvement une représentation publique, ce serait encourager l’enfermement communautaire, et 11 abandonner le rôle d’ouverture aux autres que pouvait jusqu’ici se vanter d’incarner l’école républicaine laïque. A cet argument, on peut objecter que c’est au contraire en permettant l’expression du pluralisme culturel en son sein, et en veillant à ce que celuici irrigue des échanges réciproques, que l’école remplira son rôle d’accompagnement des enfants vers l’inconnu. On peut également se demander si le meilleur moyen d’encourager les replis identitaires et les séparatismes, ne consiste pas précisément à continuer de refuser catégoriquement d’aménager un espace public à un mouvement aussi vivace que l’est Diwan. La volonté tenace avec laquelle les défenseurs de Diwan veulent faire reconnaître leur culture spécifique sur la scène publique, manifeste d’après nous un profond désir d’intégration. Si Diwan aspirait à devenir le chef de file d’une minorité indépendante, il est probable qu’il s’efforcerait bien au contraire d’accentuer l’autarcie dans laquelle il se trouve actuellement. Faire accéder les écoles Diwan au rang d’établissement public nous paraît en réalité le moyen le plus sûr de favoriser une intégration réussie de l’identité bretonne, au sein même de l’identité française. Parvenus à ce point, il reste encore un dernier pas à faire, qu’il ne revient assurément pas au philosophe de franchir. L’issue qu’il convient de trouver au débat autour des écoles Diwan repose en effet ultimement sur les bases sur lesquelles on entend construire l’unité et la consistance du lien social. Deux options peuvent être suivies : - ou bien l’on affirme que contre la diversité et le pluralisme culturel, la seule solution consiste à réaffirmer une identité unique, commune à tous – en l’occurrence l’identité française, unie dans une République une et indivisible. Dans ce cas, il est clairement préconisé de ne surtout pas faire accéder les écoles Diwan sur la scène publique. Il serait également de bon ton dans cette optique de fermer les écoles bilingues, et de multiplier les obstacles à l’enseignement de toute langue régionale. 12 - ou bien l’on est d’avis qu’il convient plutôt d’éviter les revendications indépendantistes, et on fait valoir l’articulation possible d’un espace commun (la République), avec la diversité et le pluralisme culturel de l’espace social. Ce serait accorder un crédit ambitieux à l’idée selon laquelle un espace commun n’empêche pas l’expression d’un pluralisme, ni l’expression du pluralisme le maintien d’un espace commun suffisamment consistant. Dans ce cas, l’intégration des écoles Diwan au service public serait de rigueur – ainsi que les modifications législatives et constitutionnelles indispensables – et marquerait une étape décisive dans un processus visant à repenser les liens qui unissent. * Dans ce chapitre, nous avons tenté de relier les différentes positions qui s’affrontent au sujet du statut à accorder aux écoles Diwan, à leurs présupposés principiels. Nous avons essayé d’aller aussi loin que possible dans l’analyse qui doit être celle du travail philosophique, et d’éclairer autant que faire se peut, les enjeux du débat. Parvenus au terme de notre réflexion, nous n’oublions pas que l’espace de la décision finale n’appartient plus au philosophe. A cette frontière commence le domaine du politique. Nous lui transmettons le flambeau sans regret. Puissent nos modestes travaux l’éclairer d’une lueur bienveillante. 13 BIBLIOGRAPHIE J.F. Chanet, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996. B. 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