Apprentissage en Angleterre : employeurs au cœur de la réforme

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Apprentissage en Angleterre : employeurs au cœur de la réforme
Bulletin de l’Observatoire compétences-emplois vol. 6 no 3 (2015)
Apprentissage en Angleterre :
employeurs au cœur de la réforme
Laurence Solar-Pelletier
Chercheure
Observatoire compétences-emplois
Extrait
Cette réforme donne une place prépondérante aux employeurs dans l’ingénierie de formation des programmes. Et le
cadre national qui la chapeaute, d’une grande souplesse, permet néanmoins la conception de programmes
d’apprentissage exigeants.
Mots-clés : Programme d’apprentissage, Royaume-Uni
Une réforme nécessaire
La dernière réforme de l’apprentissage en Angleterre
date des années 1990. Nommée Modern
Apprenticeship, elle plaçait les fournisseurs de
formation au cœur du système pour, entre autres,
améliorer la qualité des apprentissages. Toutefois,
cette formule a eu des limites, dont un bas taux
d’achèvement des formations, de faibles offres et
demandes de stages dans plusieurs secteurs
stratégiques et peu de partenariats avec les
employeurs.
C’est dans ce contexte, et en souhaitant rehausser les
compétences de la main-d’œuvre, que le
gouvernement a commandé une étude à Doug Richard
en 2012. S’appuyant sur une large consultation menée
auprès d’entreprises, de fournisseurs de formation et
d’autres intervenants, Richard a constaté que le
système devait être réformé en profondeur. Il devenait
essentiel de définir ce qu’était – et donc n’était pas –
un apprentissage, de mettre les employeurs sur le «
siège du conducteur » et d’améliorer la qualité du
cursus. Et pour Richard, seul un financement contrôlé
par les employeurs pouvait assurer que la formation
réponde à leurs besoins et que le gouvernement
maximise ses investissements en la matière.
Bref, ce qui était proposé était une transformation
complète du système, ce à quoi a adhéré le
gouvernement dès mars 2013. Il a alors lancé son plan
d’implantation avec quatre orientations spécifiques :
1) rendre les employeurs responsables de
l’établissement des standards d’apprentissage ; 2)
améliorer la qualité de l’apprentissage ; 3) simplifier
le système et 4) donner aux employeurs le pouvoir
d’achat pour la formation se faisant à l’extérieur de
l’entreprise.
Il faut préciser ici que tout ce travail s’effectue dans
une approche que le gouvernement britannique vient
de mettre en place : l’open policy making. Cette
approche implique le public, les experts et des
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intervenants clés tout au long du développement
d’une politique publique afin de la rendre aussi
adéquate et pertinente que possible. Dans ce cas-ci,
les employeurs ont été les principales parties
consultées, mais pas exclusivement.
L’État définit un nouveau cadre
La récente réforme du système d’apprentissage de
l’Angleterre a donc mis les employeurs à l’avantscène. Mais, avant d’impliquer davantage les
employeurs, le gouvernement a pris soin de définir un
nouveau cadre. En voici les grandes lignes.
La redéfinition de l’apprentissage a été un premier
pas pour orienter l’ensemble des démarches. Ainsi, «
l’apprentissage est un emploi qui requiert une
formation substantielle et soutenue, menant à
l’obtention d’un standard d’apprentissage et au
développement de compétences transférables. » Il a
pour but de former les personnes âgées de 16 ans et
plus pour qu’ils atteignent un standard
d’apprentissage tel que défini par les employeurs afin
de leur permettre d’occuper un métier qualifié. Une
telle vision implique que les adultes de tous âges
peuvent être des apprentis, dans la perspective où les
adultes sont appelés à changer plusieurs fois de métier
dans leur vie. Cependant, il faut que l’apprentissage
soit fait dans le cadre d’un nouvel emploi ou d’un
nouveau poste requérant une formation soutenue.
Les apprentissages doivent durer un minimum de 12
mois, dont 20% du temps est passé en formation
externe. Elle doit être suivie auprès de fournisseurs
publics et privés reconnus et enregistrés auprès du
gouvernement. Bien que les compétences et
connaissances soient définies par les employeurs, le
gouvernement a fixé comme minimum la maîtrise du
niveau 2 en anglais et en mathématiques (premier
cycle du secondaire). Certains métiers, tel
l’ingénierie, peuvent requérir des exigences plus
élevées.
L’évaluation se fait en fin d’apprentissage, sur la base
des résultats. De la sorte, ce n’est pas le processus luimême qui est analysé, mais bien la capacité de
l’apprenti à répondre de façon professionnelle à des
mises en situation définies par les employeurs.
L’évaluation se fait de façon indépendante en dehors
du milieu de travail. Une fois évalué, l’apprenti
obtient la mention « passe », « mérite » ou «
distinction ». Cette pratique n’est pas généralisée
puisque, suite à la demande de certains employeurs,
ce ne sont pas tous les apprentissages qui seront
soumis à ce classement.
Le gouvernement a mené des consultations afin de
sélectionner la meilleure approche pour financer
l’apprentissage. La formule retenue, assez simple, est
sous la directive des employeurs. Le gouvernement
co-investit avec les employeurs pour la formation
hors entreprise de l’apprenti. C’est l’employeur,
toutefois, qui a le choix du fournisseur de formation.
La subvention est bonifiée pour les petites et
moyennes entreprises, ainsi que pour les entreprises
prenant des apprentis âgés de 16 à 18 ans. Le
gouvernement ne finance pas les dépenses internes
tels le salaire, les coûts internes de formation ou le
recrutement. Finalement, une grande partie du
financement est remise à la suite de l’évaluation afin
de motiver les employeurs à former complètement
leurs apprentis.
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Le graphique suivant représente le modèle de subvention de l’apprentissage.
Et donne le leadership aux employeurs
Un aspect fondamental de la réforme de
l’apprentissage en Angleterre est l’implication des
employeurs et des corps professionnels dans le
développement des standards d’apprentissage. Les
employeurs d’un même secteur d’activités se
réunissent au sein d’un trailblazer pour définir ces
standards. Il y a un seul programme d’apprentissage
par standard, mais un trailblazer peut en développer
plusieurs. Par exemple, le trailblazer de la
construction en a quelques-uns à son actif, dont
couvreur, maître maçon et empileur.
Depuis 2013, le gouvernement a lancé plusieurs
phases de trailblazers. Pour chacune d’elles, il a
demandé aux employeurs et aux corps professionnels
de soumettre leurs propositions du ou des standards
d’apprentissage qu’ils souhaitent développer. Si
aucun standard n’a encore été conçu pour le métier
ciblé, le regroupement d’employeurs peut se déclarer
intéressé (expression of interest) et soumettre sa
candidature. Comme au Québec, le standard doit être
soutenu par plusieurs employeurs, incluant des petites
et moyennes entreprises.
Un standard d’apprentissage comprend un référentiel
de savoirs, savoir-faire et savoir être et un référentiel
d’évaluation. Bien que les employeurs aient toute
latitude sur le contenu de ces référentiels, le
gouvernement fixe des critères qui balisent leur
élaboration. À titre d’exemple, les énoncés de savoirs,
savoir-faire et savoir-être doivent être courts,
transférables et le référentiel doit comprendre une
description du niveau des connaissances et des
compétences à maîtriser.
Une fois développé, le référentiel de savoirs, savoirfaire et savoir-être est soumis au gouvernement qui
l’évalue en fonction des critères spécifiés plus haut.
Lorsqu’il est approuvé, le travail du trailblazer se
poursuit avec l’élaboration d’un référentiel
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d’évaluation qui définit ce qui doit être évalué,
comment ce sera évalué et par qui. Tout ce travail se
fait en collaboration entre les entreprises et les corps
professionnels du trailblazer. Puis, lorsque le modèle
d’évaluation est lui aussi approuvé, le standard entre
dans une phase d’implantation qui permet de vérifier
in situ que les requis d’apprentissage répondent bien
aux besoins du métier. La réforme étant en vigueur
depuis peu, peu de standards d’apprentissage ont
atteint cette phase.
Toute cette démarche fait l’objet d’un guide qui
accompagne les employeurs du trailblazer pas à pas
dans le développement d’un standard d’apprentissage.
Le tableau suivant résume le processus du trailblazer.
État de la situation en 2015
La réforme du système d’apprentissage a suscité un
intérêt marqué chez plusieurs employeurs. Des
secteurs industriels ont rapidement répondu à
l’invitation du gouvernement de développer des
standards d’apprentissage pour leur milieu. De la
sorte, dès 2013, huit trailblazers étaient lancés dans
des secteurs, tels l’aérospatiale, l’électrotechnique,
l’automobile et les services financiers. En juillet
2015, le gouvernement lançait sa 5e phase avec 26
nouveaux trailblazers. En deux ans, l’Angleterre a vu
naître 140 traiblazers qui ont développé 350
standards d’apprentissage.
Ces standards sont accessibles en ligne. Ils
comprennent des métiers diversifiés couvrant
l’équivalent de la formation professionnelle,
technique et universitaire au Québec. En effet, dans sa
réforme, l’Angleterre souhaite développer
l’apprentissage pour des formations de niveau
universitaire comme l’ingénierie.
Jusqu’à présent, les efforts se sont concentrés sur le
développement des standards d’apprentissage. Le
gouvernement compte implanter graduellement cette
nouvelle formule au cours des deux prochaines
années. L’objectif est d’avoir, pour 2017-2018, tous
les apprentis anglais qui suivent une formation basée
sur la réforme.
Quelques enjeux soulevés
Il est encore trop tôt pour analyser l’impact qu’aura
cette ambitieuse réforme sur l’apprentissage en
Angleterre. Néanmoins, Chankseliani et James Relly
(2015) ont relevé trois enjeux. Le principal reproche
fait est que le gouvernement surestime le désir des
employeurs de conduire la réforme de l’apprentissage.
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Les auteures sont d’accord avec le fait que les
employeurs n’étaient pas suffisamment impliqués
dans l’apprentissage jusqu’à récemment et que les
fournisseurs de formation avaient trop de pouvoir.
Toutefois, la réforme crée un nouveau déséquilibre et
ne laisse de nouveau la place qu’à un seul acteur, ici
l’employeur. Or, selon ces auteures, un système
optimal implique un équilibre entre les différents
acteurs, que ce soit les employeurs, les apprentis, le
gouvernement et le système d’éducation.
Ensuite, le modèle suppose que c’est le marché qui
décide du coût d’apprentissage et qui va permettre
une amélioration de la qualité des services. C’est
donner beaucoup de crédit à la « main invisible » du
marché. Surtout, un sondage mené auprès des
employeurs indique que la majorité n’est pas prête à
participer, ce qui est d’autant plus vrai pour les PME.
Seulement 10% des entreprises ont des apprentis et la
majorité des employeurs ne souhaite pas payer
davantage pour avoir un contrôle sur l’apprentissage.
Même, la moitié ne souhaite pas que le financement
soit sous leur contrôle.
Il reste que l’Angleterre est un exemple inspirant qui
illustre qu’il est possible, en quelques années
seulement, de transformer complètement un système
d’apprentissage. Il montre également qu’un ingrédient
essentiel reste la volonté politique : le gouvernement
soutient sans faille cette réforme depuis 2012.
En savoir plus
Ceux et celles qui sont familiers avec le Cadre général
de développement et de reconnaissance des
compétences et les normes professionnelles
québécoises trouveront intéressant de consulter
le guide The future of apprenticeships in England:
guidance for trailblazers – from standards to starts qui
expose en détail les consignes de développement d’un
standard d’apprentissage britannique. Il est toujours
stimulant de jeter un coup d’œil sur ce type de
document parce qu’il donne du relief à nos propres
pratiques.
Dans le même esprit, ils consulteront ces liens:

Pour les standards d’apprentissage déjà
développés :

https://www.gov.uk/government/collections/
apprenticeship-standards
Pour les standards d’apprentissage en cours
de développement dans les trailblazers :
https://www.gov.uk/government/publication
s/apprenticeship-standards-in-development
Ceux et celles qui veulent approfondir le sujet de la
réforme proprement dite consulteront ces documents :
Le rapport qui a inspiré le gouvernement britannique :
Richard, D. (2012). The Richard review of
apprenticeships (pp. 141). Londres: School for
startups.
Et ces autres documents gouvernementaux :
HM Government. (2013). The Future of
Apprenticeships in England : Implementation Plan
(pp. 44). Londres: HM Government.
HM Government. (2013). The Future of
Apprenticeships in England: Next Steps from the
Richard Review. Londres: Department for
education/Department for business innovation &
skills.
HM Government. (2015). Apprenticeship reforms –
progress so far. Londres: Department for business
innovation & skills.
Hogarth, T., Adams, L., Gambin, L., Garnett, E. &
Winterbotham, M. (2014). Employer routed founding:
employeur responses to funding reform (Vol. 161).
Londres: Department for business innovation & sills.
Et enfin, ces analyses produites par des chercheurs du
domaine :
Chankseliani, M. & James Relly, S. (2015). From the
provider-led to an employer-led system: implications
of apprenticeship reform on the private training
market. Journal of vocational education & training,
Vol. 67, N. 4, 1-14.
Hogarth, T., Gambin, L. & Hasluck, C. (2011).
Apprenticeships in England: what next. Journal of
vocational education & training, 1-16.
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L'Observatoire compétences-emplois (OCE) a été fondé en mars 2010 par le Centre
interdisciplinaire de recherche & développement sur l'éducation et la formation tout
au long de la vie (CIRDEF) de l'Université du Québec à Montréal et la Commission
des partenaires du marché du travail (CPMT), qui en assure le financement.