LE CERCLE ROUGE - Fondation Hainard

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LE CERCLE ROUGE - Fondation Hainard
LE CERCLE ROUGE
VOYAGES NATURALISTES DE ROBERT HAINARD DANS LES PYRÉNÉES
Avoir eu vingt ans à la fin des années cinquante et rechercher dans les Pyrénées,
véritable terra incognita de l'ornithologie de terrain, le mythique gypaète barbu, était
déjà une chance immense. Avoir eu l'occasion d'y côtoyer, presque en même temps, les
célèbres naturalistes genevois Jacques Burnier, Paul Géroudet et Robert Hainard,
modèles de toute une génération de passionnés des bêtes sauvages, était un privilège
exceptionnel dont nous mesurons aujourd'hui l'importance.
En 1957, des articles ornithologiques sur la Yougoslavie, signés Paul Géroudet et
Robert Hainard, orientent l'une de nos premières expéditions vers ce pays. Pour la
préparer nous leur écrivons sans trop d'espoir, et leurs réponses, si engageantes, suivies
d'un premier contact à Genève, vont sceller une longue amitié. Lettres après lettres,
s'établit entre nous un lien d'autant puls fort que nos découvertes pyrénéennes
nourrissent la nostalgie de ces naturalistes pour qui la Suisse n'est plus en mesure
d'assouvir leur besoin de nature complète et sauvage.
« Si l'on m'avait donné un ravin avec une faune complète, du bison au cloporte, je
n'en serais jamais sorti… Je suis l'homme des longues fidélités, de l'approfondissement »
écrivait Robert. Mais le gypaète a disparu de Suisse depuis près d'un siècle, et sa passion
pour cet oiseau l'a mené dans les Pyrénées depuis longtemps et sans les résultats qu'il
attendait. En effet, pour Robert, sculpteur et graveur avant d'être naturaliste, une
observation de gypaète ne peut s'entendre que s'il voit l'oiseau d'assez près pour voir et
colorier le fameux cercle orbital rouge, l'un des traits les plus remarquables de ce rapace.
Pour nous aussi, l'attrait du gypaète a quelque chose d'indicible, de magique. En
quelques années, nous avons appris à comprendre qu'il vaut mieux ne pas trop croire les
écrits des ornithologues décrivant les mœurs de ces grands rapaces. Par exemple, cette
description quasi générale de l'aire dite « inaccessible de tout aigle, vautour ou gypaète,
et toujours perdue au sommet des pitons les plus impraticables ». Il en faudra des
journées exténuantes de marche stérile pour Yves Boudoint, compagnon des premiers
pas, ou pour nous, quand nous suivons à la lettre ces conseils erronés et voués à l'échec !
Comment décrire ces printemps pyrénéens, où nous nous retrouvons pour écrire
les premières pages de l'ornithologie de ces montagnes encore si belles et intactes ? Et
quelles jubilations accompagneront les premières découvertes, à une altitude tellement
basse que nous ne voulons en croire nos yeux !
Les vautours fauves de la vallée d'Ossau, si accessibles, sont la première surprise
dans cette remise en question. Dès 1960, la première aire de gypaète barbu est célébrée
comme un accomplissement dans cette quête laborieuse. Avec ces premiers pas réussis,
nous tenons l'appât idéal pour captiver et attirer Robert. Et bien avant que le gypaète ne
lui livre ses secrets, nous passerons nos premiers moments d'intimité dans l'ambiance de
ce piémont ossalois, dormant dans les bergeries d'altitude ou nous fondant dans
l'intimité de cette première colonie de vautours fauves.
Cette chance d'accompagner Robert, de découvrir son sens animal de la nature,
jusqu'au moment où il dessine une scène fugitive, est une véritable révélation. Il donne à
l'envi sa recette, basée, dit-il, sur la mémoire des mouvements de l'animal qu'il dessine,
gardée intacte -et par quel miracle- dans ses propres muscles, puis restituée calmement
quelques instants après dans ses croquis. La première fois que l'un de nous deux a été le
témoin de ce don exceptionnel -il s'agissait de la rencontre fugitive et assez violente
entre deux vautours fauves en vol- reste profondément gravée dans sa mémoire.
Le principal reste à faire et Robert qui suit de très près les progrès de nos
recherches, doit attendre 1964 pour réaliser ce qu'il appelait « le type même du souhait
déraisonnable ». Dans son beau livre Chasse au crayon, Robert consacre un chapitre
dénommé Le cercle rouge à ce qu'il considère comme l'une de ses suprêmes ambitions. Il
l'assouvit en juin 1964 en pénétrant dans l'inconfortable et périlleux affût que nous avons
construit. Là, il est assez près de l'oiseau pour se rassasier de sa structure, qu'il décrit
ainsi : « Les rapaces ont en général une sobre élégance. Le gypaète, lui, est rutilant avec
distinction. »
Voir Robert face à face avec la bête a beaucoup marqué tous ceux qui ont eu la
chance d'être associés à cette rencontre singulière. Est-ce la tension du regard, la
concentration animale de l'artiste transperçant sa proie, le bruit du crayon griffant le
papier maintenu sous les jumelles ? Est- ce ce rapport primitif que Robert a toujours eu
avec les artistes paléolithiques auxquels il s'est identifié bien souvent ?
Est-ce enfin le constat de sa passion amoureuse pour la nature, qu'expriment si
bien ses dessins ou ses gravures, dans une volupté d'être, pleine d'une joie aiguë qu'il
veut faire partager aux autres ? Une complicité amicale, puis une profonde amitié sont
nées lors de ces moments de grâce.
Plus tard, nous avons partagé de nouvelles rencontres, tout en exauçant des rêves
communs. Les pélicans observés ensemble sur une cachette flottante dans les vastes
roselières du lac Mikra Prespa en Grèce et l'un des derniers ours -gravé par Robert en
1981- quelque part dans les sylves slovènes, jalonnent nos parcours communs. Robert
Hainard, tout au long d'une vie enracinée dans la simplicité et l'authenticité d'une passion
hors du commun, nous a apporté beaucoup plus que nous l'espérions. A son contact, la
découverte d'un système de pensée pour tenter de remettre l'homme à sa vraie place et
surtout faire admettre l'indispensable nécessité de respecter l'autre, notre complément, la
nature sauvage, allait profondément marquer une génération de naturalistes.
Ce qui est encourageant c'est que de jeunes talents redécouvrent aujourd'hui
l'immensité de l'oeuvre de Robert Hainard, Stéphan Carbonnaux est de ceux-là, et la
minutie de ses recherches autour des voyages pyrénéens de celui qui a tant marqué
l'écologie du XXe siècle est un symbole fort et rassurant. Dans cette folle espérance pour
réconcilier l'inconciliable, Robert nous a enseigné que notre avenir passait par le respect
des forêts primitives, des ours et des loups… Ce XXIe siècle parviendra-t-il à atteindre cette
sagesse avant que disparaisse la dernière violette sous le dernier buisson ?
Jean-François et Michel Terrasse
septembre 2002
LES COMPAGNONS DE ROBERT HAINARD DANS LES PYRÉNÉES
1949
Germaine Hainard-Roten, Théo Dupraz, André Rey
1952
Jacques Burnier
1953
rené-Pierre Bille
1956
Jacques Burnier
1959
Jacques Burnier, Germaine Hainard-Roten, Pierre Hainard
1961
Yves Boudoint, Jacques Burnier,
Eric Burnier, François Burnier,
Dominique Meininger, François Merlet,
Jean-François et Michel Terrasse,
Bernard Touillaud
1962
Germaine Hainard-Roten, Marie et Léopold Pflug,
Paul et Carmen Géroudet, Paul van Groenendael,
Willy Suetens, Michet et Patrick Terrasse,
Jean-Marc Thiollay
1964
Germaine Hainard-Roten, Yves Boudoint,
Jean-François et Michel Terrasse,
Bernard Touillaud
1981
Hermannn Heinzel, Michel Lecomte,
Maïo Pargade, Maurice Roux, François Sagot,
Jean-François et Michel Terrasse
Robert Hainard et Michel Terrasse
dans le cirque de Moundelhs, au pied du pic du Midi d'Ossau
Cliché Maurice Roux - 23 novembre 1981
© FONDATION HAINARD
Marie Madeleine Defago Paroz / 151011