151 35-48 Pourriture racinaire du Blé

35
Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2012, 151(1-4), 35-48
COMPLEXE FONGIQUE DE LA POURRITURE
RACINAIRE DU BLE TENDRE AU NORD-OUEST
DU MAROC (*)
Houda EL YACOUBI (1,2,3), Rachida HASSIKOU (2), Alain BADOC (4),
Atmane ROCHDI (1), Allal DOUIRA (1)
La pourriture des racines du Blé a été prospectée dans des
champs de Blé tendre en avril-mai 2011 au Nord-Ouest du Maroc.
Les symptômes les plus apparents sont des taches brunes apparaissant
sur les racines, le collet, et le sous-collet des plantes. Les plantes
malades sont moins vigoureuses, présentent une pourriture
progressive du système racinaire et produisent des épis blancs ou
décolorés contenant des graines chétives. Les champs prospectés sont
largement touchés avec une incidence de 46 à 100 % et un indice de
la maladie de 10 à 56 %. Les champignons les plus fréquemment
isolés sont Cochliobolus sativus, Fusarium culmorum, F.
graminearum, F. oxysporum, F. moniliforme, F. solani et F. equiseti.
(*)
(1)
(2)
(3)
(4)
Manuscrit reçu le 12 octobre 2011.
Laboratoire ‘Botanique, Biotechnologie & PhytoProtection’, Faculté des Sciences,
Université Ibn Tofaïl, BP 133, 14000 Kénitra, Maroc. [email protected],
[email protected], [email protected]
Laboratoire ‘Botanique, Mycologie & Environnement’, Faculté des Sciences,
Université Mohamed V Agdal, Rabat, Maroc. [email protected]
Laboratoire de biotechnologie végétale, Faculté des Sciences, Université Abdelmalek
Essaâdi, 93002 Tétouan, Maroc.
GESVAB - EA 3675, Faculté des Sciences pharmaceutiques, Université Bordeaux
Segalen, ISVV, 210 Chemin de Leysotte, CS 50008, 33882 Villenave-d’Ornon.
[email protected]
36
INTRODUCTION
Les agents pathogènes responsables de la pourriture des racines causent
des pertes économiquement importantes dans plusieurs régions céréalières du
monde [1,5], spécialement dans les zones à pluviométrie faible à moyenne, cas
de l'Afrique du Nord [12,21]. L’infection des racines pendant la période de
sècheresse peut provoquer des pertes de rendement avec une diminution de la
qualité des grains [32]. Les pertes chez le Blé sont variables, de 8,5 [27], 4 à 11
[23], 16 à 20 [11], supérieures à 50 % [32] et même à 60 % [20].
La pourriture racinaire est aussi connue sous les noms de pourriture du
pied, fusariose du pied, pourriture des racines sèches, ou encore pourriture
commune [25]. Un complexe fongique qui varie selon les régions est
responsable de la pourriture des racines et du collet [15,30].
Au champ, les symptômes les plus apparents des pourritures racinaires
sont la fonte de semis et le symptôme d'épi blanc [24], et le dessèchement des
jeunes plants [31]. Quand les semences de Blé sont fortement infestées, on a
toujours des problèmes en pré- ou post-émergence entrainant une mort précoce
des plantules [8,24].
Au Maroc, des sévérités de 13,4 et 14,6 % ont été enregistrées dans les
régions de Abda et Doukkala [16], de 4,9 à 10,6 % dans celles de Haouz et
Rhamna [33]. Au nord-ouest du Maroc, elles varient de 0 à 52 % [9,35].
Ce travail propose d'étudier l'importance et la sévérité de la pourriture
racinaire du Blé, ainsi que l'isolement et l'identification des espèces fongiques
associées à cette maladie dans le Nord-Ouest du Maroc.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Procédure de prospection
Au cours de la campagne 2010/2011 et durant les mois d'avril-mai, des
prospections ont été organisées au Nord-Ouest du Maroc dans des champs de
37
Blé tendre d’hiver, Triticum aestivum. Les pieds étaient pour la plupart en
fleurs ou en début de maturité, stades de développement favorables à la
pourriture racinaire [17].
Espagne
N
Mer Méditerranée
Tanger
Tétouan
Tanger Al Hoceima
Larache
Océan Atlantique
Souk Larbaa
Souk Tlat
Kénitra
Ouazzane
Had Kourt
Sidi Kacem
Rabat
Fès
Casablanca
Trajet de la région
d’étude
0
40
80 km
Fig. 1: Itinéraire et localisation des régions prospectées.
Douze champs situés aux alentours de Kénitra, Ouezzane et Sidi Kacem,
choisis tous les 15 à 20 km le long des routes empruntées ont été prospectés
(Figure 1). Un total de 600 plants a été prélevé au hasard, à raison de 50 pieds
par diagonale de chaque champ échantillonné allant de 2 à 3 ha.
Évaluation de la sévérité de la maladie
Au laboratoire, la partie racinaire des plantes a été rincée, nettoyée et
séchée à l'air libre, puis examinée visuellement et évaluée selon l'échelle de
sévérité de Greany et al. [13] (Tableau I).
38
Tableau I :
Échelle d'évaluation de la pourriture racinaire des céréales [13].
Classes de
sévérité
Symptômes observés
S0
Pas d'infection
S1
Petites lésions nécrotiques dispersées au niveau du sous-collet
et des racines
S2
Lésions nécrotiques distinctes sur la partie basale de la plante,
particulièrement au niveau du sous-collet et des racines
S3
Grandes lésions nécrotiques sur le collet, le sous-collet et les
racines avec diminution de la vigueur de la plante
S4
Pourritures de la partie basale, chlorose de la plante, souvent
nanisme et flétrissement
S5
Plante morte
On a calculé l’incidence I = 100 [Nm / Nt], c'est-à-dire le pourcentage
de plantes malades Nm rapporté au nombre total Nt de plantes examinées. Et
l’indice de la pourriture racinaire IM = 100 Σ (Ni Si) / (5 Nt) avec Ni nombre
de plantes de classe de sévérité i et Si classe de sévérité i.
Échantillonnage et isolement
À partir des échantillons de Blé présentant les symptômes de la
pourriture racinaire, des fragments d’environ 1 cm ont été découpés du collet,
du rhizome et de la racine. Ces fragments ont été d’abord lavés à l’eau de
robinet, désinfectés 10 min à l’eau de Javel diluée à 10 %, rincés trois fois à
l’eau distillée stérile puis séchés sur du papier buvard stérile. Ils ont été déposés
dans des boites de Petri de 10 mm de diamètre renfermant 15 ml de milieu PSA
(Potato Sucrose Agar) additionné de 0,5 mg/l de chloramphénicol, antibiotique
à large spectre permettant d’éliminer la croissance des bactéries. Les cultures
ont été incubées une semaine sous une photopériode de 16 h à 26°C.
À partir du mycélium développé autour du fragment de culture primaire,
qui renferme plusieurs espèces fongiques, la purification des isolats sur le
39
milieu PSA a été réalisée dans les mêmes conditions de culture. Du mycélium a
été prélevé du front de la croissance des jeunes colonies d’une semaine jusqu’à
obtenir des cultures pures des isolats. Les espèces fusariennes obtenues ont
alors été repiquées sur le milieu CLA (Carnation Leaf Agar) [10], incubées dans
les mêmes conditions et identifiés selon le manuel de Nelson et al. [21].
RÉSULTATS
La pourriture racinaire a été observée dans tous les champs de Blé
tendre prospectés. La maladie a entrainé l’apparition d’épis partiellement ou
totalement échaudés ayant des grains à coloration rose et avec parfois des
taches noires.
On observe une prédominance de la classe de degré de sévérité S1
(45,5), suivie de S0 (25,4), S2 (17,6) et S4 et S3 (5,8 et 5,7 %).
Les pourcentages de S1 sont plus élevés pour Kénitra (49,2) et
Ouezzane (47,4) que Sidi Kacem (40,0 %) (Tableau I). La classe de sévérité S1
prédomine pour la parcelle 1 de Kénitra (86,7), suivie de la parcelle 7
d'Ouezzane (76,2) et est minimale pour la parcelle 11 (20 %).
La classe de sévérité S2 est plus élevée pour Sidi Kacem (27,5)
qu'Ouezzane (16,0) et Kénitra (9,2 %). Elle est supérieure à 20 % pour toutes
les parcelles de Sidi Kacem, et atteint 23,8 % à la station 7 d'Ouezzane et
23,3 % à la station 3 de Kénitra.
La classe de sévérité S3 est également plus élevée pour Sidi Kacem (7,9)
que Kénitra (5,8) et Ouezzane (3,4 %). Elle atteint 20 % pour les parcelles 3 et
11 (20 %).
La classe de sévérité S4 est toujours plus élevée pour de Sidi Kacem
(10,8) que Kénitra et Ouezzane (3,3 %). Elle atteint 40 % pour la parcelle 11
dont les grains des épis étudiés apparaissent chétifs et non remplis, et 13,3 %
pour les parcelles 3 et 8.
40
Tableau I :
Fréquence (%) de survenue des classes de sévérité de la maladie de la
pourriture racinaire du Blé tendre d’hiver dans douze parcelles au Nord
du Maroc.
Parcelles
prospectées
près de Kénitra
près d’Ouezzane
près de Sidi Kacem
Classe de sévérité
S0
S1
S2
S3
S4
1
6,7
86,7
3,3
3,3
0,0
2
50,0
50,0
0,0
0,0
0,0
3
20,0
23,3
23,3
20,0
13,3
4
53,3
36,7
10,1
0,0
0,0
1-4
32,5
± 22,8
49,2
± 27,2
9,2
± 10,3
5,8
± 9,5
3,3
± 6,6
5
53,3
26,7
13,3
6,7
0,0
6
40,0
50,0
10,0
0,0
0,0
7
0,0
76,2
23,8
0,0
0,0
8
26,7
36,7
16,7
6,7
13,3
5-8
30,0
± 22,7
47,4
± 21,4
16,0
± 5,9
3,4
± 3,8
3,3
± 6,5
9
9,5
57,1
33,3
0,0
0,0
10
30,0
36,7
30,0
0,0
3,3
11
0,0
20,0
20,0
20,0
40,0
12
15,4
46,2
26,9
11,5
0,0
9-12
13,7
± 12,5
40,0
± 15,7
27,6
± 5,6
7,9
± 9,7
10, 8
± 19,5
L'incidence et l'indice de la maladie varient significativement selon les
champs prospectés. L'incidence varie entre 46 et 100 % (Tableau II). La
prévalence (pourcentage de champs infectés) enregistrée est donc de 100 %. La
parcelle 11 est la plus touchée.
L’incidence est de 100 % pour les parcelles 7 et 11 et est relativement
élevée pour 1 et 9. L'indice de la maladie varie de 10 à 56 % et est maximal
aussi pour la parcelle 11. Cependant, le classement des parcelles sur la base de
l'incidence de la maladie de la pourriture racinaire est différent de celui basé sur
l'indice de sévérité (coefficient de corrélation linéaire de seulement 0,54).
41
Tableau II :
Incidence (%) et Indice (%) de la pourriture racinaire du Blé tendre
d’hiver au Nord-Ouest du Maroc (campagne 2010/2011).
Parcelles prospectées
près de Kénitra
près d’Ouezzane
près de Sidi Kacem
Incidence
Indice
1
93,3
20,6
2
50,0
10,0
3
80,0
36,6
4
46,6
11,3
5
46,6
16,0
6
60,0
14,0
7
10,0
24,7
8
73,3
34,0
9
90,4
24,7
10
70,0
28,6
11
100,0
56,0
12
84,6
26,9
Plusieurs espèces en association avec la maladie de la pourriture
racinaires du Blé ont été isolées : Cochliobolus sativus (Ito et Kurib.) Drechs.
ex Dastur (= Bipolaris sorokiniana (Sacc.) Shoemaker = Helminthosporium
sativum Pammel, C.M.King & Bakke) et un complexe d’espèces fusariennes
constitué par Fusarium culmorum (Wm.G.Sm.) Sacc., espèce la plus fréquente,
F. equiseti (Corda) Sacc. (= Gibberella intricans Wollenw.), F. graminearum
Schwabe (= Gibberella zeae (Schwein.) Petch), F. moniliforme J.Sheld.
(= Gibberella fujikuroi (Sawada) Wollenw.), F. oxysporum Schltdl., F. poae
(Peck) Wollenw. et F. solani (Mart.) Sacc. (= Haematonectria haematococca
(Berk. & Broome) Samuels & Rossman).
42
DISCUSSION ET CONCLUSION
La maladie de la pourriture des racines du Blé est présente dans tous les
champs prospectés de la région du nord-ouest marocain. Les incidences sont
aussi importantes que celles enregistrés dans les prospections antérieures [9,35].
Les indices de la maladie, qui varient de 10 à 56 %, sont largement
supérieurs à ceux enregistrés dans la région du centre ouest (25 %) en 1987 et
1988 [19]. L'incidence et l'indice de la pourriture racinaire remarquablement
élevés sont à mettre en rapport avec des précipitations généralement très
élevées et les fortes chaleurs enregistrés en mai 2011. L'infection est favorisée
par des conditions d'humidité peu après le semis et la sévérité de la maladie
augmente et les réductions de rendement deviennent significatives quand les
plants infectés sont soumis au stress hydrique et / ou à de fortes températures en
fin de croissance [6,25,28-29]. En outre, la pourriture racinaire est favorisée par
un stress associé à un sol chaud et sec [34].
Le complexe est dominé par divers pathogènes selon les différentes
aires de culture [25]. La pourriture racinaire est principalement causée par
Fusarium culmorum, F. pseudograminearum O’Donnell & T.Aoki
(= Gibberella coronicola T.Aoki & O’Donnell), et F. graminearum [7,14-15,25].
F. avenaceum (Fr.) Sacc., F. acuminatum Ellis & Everh., F. equiseti (Corda)
Sacc., Microdochium nivale (Fr.) Samuels & Hallett (= F. nivale (Fr.) Sorauer),
et d'autres espèces de Fusarium ont été également rapportées, mais sont
considérées comme moins virulentes et moins abondantes [7]. Cochliobolus
sativus est un autre agent pathogène fréquent dans les zones arides, causant de
la pourriture des racines dans les cultures céréalières [26]. Boughalleb et al. [2]
ont identifié, outre Microdochium nivale, cinq espèces de Fusarium à partir des
échantillons du collet : par ordre d’importance des dégâts F. culmorum,
F. graminearum, F. avenaceum, F. solani et F. equiseti sur des cultures de Blé
en Tunisie.
Bien que de nombreuses espèces soient associées au complexe fongique
responsable de la pourriture des racines du Blé dans les zones arides,
F. culmorum, F. pseudograminearum et Bipolaris sorokiniana sont considérées
comme les espèces les plus virulentes et les pathogènes les plus néfastes
économiquement [3,25,29]. Des études récentes conduites en Tunisie ont montré
que Fusarium culmorum est l’agent principal de cette maladie [4,12]. Au Maroc,
F. culmorum a été signalé dans presque 25 % des champs [19].
43
Dans une étude réalisée en Chine sur la pourriture du pied de plants de
Blé, quatre groupes d'agents pathogènes ont été identifiés : Cochliobolus sativus
(41 isolats), Fusarium spp. (33), Microdochium nivale (24) et Epicoccum
nigrum (12) ; la pathogénicité évaluée par inoculation sous serre est apparue
plus importante pour C. sativus, suivie par Fusarium spp. [18].
Ces agents coexistent en général dans les mêmes cultures et au niveau
des mêmes plantes. Les espèces dominantes peuvent varier d'une année à
l'autre, indiquant un niveau élevé d'adaptation aux changements de température,
à la répartition de l'humidité saisonnière, à la quantité d'humidité, et peut-être à
d'autres facteurs édaphiques [29].
La pourriture racinaire du Blé, due à un complexe fongique, présente
une menace pour la production céréalière marocaine. L'accent doit être mis sur
la surveillance des régions céréalières afin de mettre en place des stratégies de
lutte efficaces.
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ABSTRACT
Fungal complex of wheat rot in the northwest of Morocco
Surveys of wheat root rot were conducted in the northwest of Morocco during
April-May 2011. The most obvious symptoms were the brown spots that
appeared on roots, crown and subcrown in plants. Diseased plants were less
vigorous, had a progressive decay of the root system and produced white or
discolored heads containing stunted seeds. The fields surveyed were largely
affected, with an incidence variing between 46 and 100 and an index of the
disease between 10 and 56%. The most frequently isolated fungi were
Cochliobolus sativus, Fusarium culmorum, F. graminearum, F. oxysporum, F.
moniliforme, F. solani and F. equiseti.
Key-words: Fusarium, root rot, Triticum aestivum
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