Qu`est-ce Que le soufisme ?
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Qu`est-ce Que le soufisme ?
D Qu’est-ce que es voix féminines et masculines se Lorsque j’ai rencontré le soufisme, j’ai enfin trouvé ce le soufisme ? mêlent et s’élèvent dans la pièce que j’attendais de l’islam. Le cosmopolitisme qu’on Le soufisme, ou Tasawuf plongée dans le noir. La répétition y trouve est exceptionnel », remarque-t-elle. Avec en arabe, est une quête de la shahada, profession de foi, sa confrérie Boutchichiya, cette responsable en ontologique et religieuse s’enchaîne. « La illaha illa’allah, la ressources humaines estime enfin pratiquer un dans l’islam. La pratique de illaha illa’allah, la illaha illa’allah. » « islam du comportement, prônant une ouverture l’islam est l’un des principaux Le rythme augmente, la parole au monde ». Elle fait même partie d’un groupe de pré-requis du soufisme. accélère jusqu’à ne pouvoir distinguer qu’une sama (chant soufi) qui donne des concerts avec L’élément commun à tous syllabe. Assis en tailleur autour d’un cercle, des rabbins ou dans des églises. Au quotidien, les soufis est le dhikr, soit le certains tapent des mains, d’autres balancent elle l’avoue : être soufi n’est pas une mince « rappel » ou « invocation », leur buste d’avant en arrière. Puis la vitesse affaire. « On lutte contre ses propres penchants au qui consiste à se remémorer retombe, chacun reprend son souffle. La quotidien. Si l’on nourrit les mauvaises parties de Dieu notamment en répétant lumière s’allume et les cinquante soufis présents nous-même comme la déprime, le renfermement, son nom de manière rythmée ce jeudi soir s’embrassent en se souhaitant le la colère… alors la petite part de bonté en nous ou des formules tirées du meilleur. La séance de souvenir de Dieu, dikhr, disparaîtra, prévient Anissa. A partir du moment Coran. Pratiqué de façon une pratique au cœur du soufisme, vient de où l’on entre dans une voie soufie, on s’aperçoit d’une individuelle et collective, s’achever. Comme chaque semaine, les membres chose : l’existence de notre égo, cette petite voix le dhikr est considéré comme de la confrérie Naqshbandi se retrouvent durant qui nous tire vers le mal. » une pratique purificatrice de quelques heures pour un dhikr collectif suivi l’âme. Le soufisme a pour but d’un repas convivial. Sous la photo du maître Une école de la vie de conduire à l’excellence de spirituel de la voie, cheikh Abdel Hafid rappelle la foi et du comportement Comme de nombreux soufis, la jeune femme à tous l’importance de l’évocation du nom divin. afin d’accéder au degré a eu l’occasion de rencontrer le guide spirituel « Durant le dhikr, le diable quitte notre cœur. recherché de connaissance de sa confrérie. « J’étais extrêmement sceptique Celui qui est présent à Allah, Allah est présent pour de Dieu. au départ avec la notion même de maître lui. C’est ça le miracle du dhikr. » Orthodoxes, spirituel. Puis j’ai décidé de voir par moi-même. libéraux, convertis, étudiants, médecins, jeunes, Je me suis rendue au Maroc et j’y ai vu un homme, Sidi Hamza, moins jeunes, Maghrébins, Africains… La diversité des profils qui accueillait chez lui des milliers de personnes, du bédouin à dos de l’assemblée est frappante. Et sa mixité aussi. « La confrérie de chameau à l’Américain de Los Angeles. Pour la première fois, Naqshbandi vit avec son temps. Il serait hypocrite de totalement j’ai vu l’humanité toute entière dans un seul homme. Le cœur vit séparer hommes et femmes alors que tout le monde se colle à longueur quelque chose d’indescriptible », se souvient Anissa. de journée dans les transports. Aussi, on peut retrouver un grand Sa rencontre avec le guide spirituel, Salim s’en rappelle comme si nombre de nationalités différentes. On surnomme la voie " United c’était hier. « Depuis tout petit, je ressentais un vide en moi. Un jour, colors of mawlana " (Mawlana signifie " notre maître " en arabe, j’ai rêvé que je parlais à mon maître, Sidi Hamza. J’ai commencé à ndlr) », ironise Abdel Hafid. A l’image de tous ici, le cheikh aller aux réunions et j’ai compris que le soufisme était ce que je cherchais affiche un sourire apaisé et un regard bienveillant. depuis toujours. J’y ai rencontré des gens que je ne connaissais pas mais j’avais l’impression d’avoir toujours vécu avec eux. Comme si j’avais Un islam du comportement trouvé ma place », confie l’étudiant de 19 ans. La rencontre physique Idriss fréquente cette voie soufie depuis quelques semaines avec le guide spirituel, il la qualifie de « paradis sur terre ». seulement. A 24 ans, il sent que ses prières n’ont jamais été « Mon cœur a été ébloui par la lumière divine », explique-t-il. accompagnées d’une réelle concentration. Grâce au soufisme, Pourtant, de nombreux Musulmans considèrent le soufisme comme il se réveille chaque matin avec un seul but : rechercher la une secte. Pour Siham, cette vision négative a eu des conséquences présence divine dans chacun de ses actes. « On traverse une période sur sa vie privée. « Le soufisme a fait le tri dans mes amis puisque de troubles. La perte de proches et le chômage auraient pu me faire certains se sont éloignés, pensant que c’était dangereux », avoue-t-elle. péter des câbles. Le soufisme me fait prendre conscience que je ne serai Lorsque cette professeure de français a découvert la spiritualité jamais égaré. Je peux affronter les situations car je place ma confiance à l’âge de 21 ans, ses parents se sont méfiés. « Puis, ils ont vu une en Dieu », assure le jeune homme. Davantage que la spiritualité évolution positive dans ma personnalité, observe Siham. Ado, je voyais dans l’islam, le soufisme s’affiche comme une philosophie de les choses en noir. Avec le soufisme, je me suis épanouie. » Au décès de vie pour ceux qui y adhèrent. « J’ai toujours été dans une quête de sa mère, des disciples sont venus en nombre pour la levée du corps. quelque chose d’absolu, une vraie quête existentielle », raconte Anissa, Une initiative qui a touché le père de Siham. Depuis, après 27 ans. Lorsqu’elle a découvert le soufisme à la fac il y a plusieurs avoir découvert la solidarité qui y régnait, certains membres de sa années, Anissa ressentait un « gros manque de Dieu ». Le soufisme famille s’intéressent au soufisme. « C’est une école de la vie donc lui est alors apparu comme une « évidence de l’islam ». « J’avais une l’éducation spirituelle se vit vraiment dans le compagnonnage. Les vision très restrictive de la religion, peu valorisante pour la femme et disciples sont comme des galets : ils se polissent à force de se frotter. » dichotomique : on a le droit de faire ceci et pas le droit de faire cela. Et si la recherche du bonheur commençait par celle de Dieu ? 76 Gazelle Entre adhésion sans faille et scepticisme, le soufisme interroge les Musulmans. De plus en plus de jeunes semblent pourtant être à la recherche d’une spiritualité, allant au-delà du strict dogme. Rencontre avec des apprentis soufis sur le chemin de la purification. Par L.S. soufie Génération Gazelle 77 Cheikh K. Bentounes Râbia Al Adawiya, première voix du soufisme Cheikh Bentounes : « Si l’islam était un corps, le soufisme en serait le cœur » Maître spirituel de la confrérie Alawiya, Cheikh Khaled Bentounes revient sur les origines du soufisme et son développement. mComment est né le soufisme ? Le soufisme est apparu dès les premiers temps de l’islam. Toutes les voies soufies remontent au gendre du Prophète, Ali. En plus de la charia, il a reçu un enseignement particulier, plus intérieur et ésotérique. De lui, descend une chaîne : d’abord à travers Hassan, son fils, puis avec les compagnons qui ont cheminé et emmené l’enseignement avec eux. Chaque soufi se rattache à une chaîne qui représente sa généalogie spirituelle, grâce à laquelle il est relié par différents intermédiaires au Prophète. mPourquoi existe-t-il différentes confréries ? Il y a une dizaine ou une quinzaine de confréries en France. Elles correspondent à des écoles de pensée. Historiquement, le soufisme a pris racine à Médine. Depuis, il est parti vers Damas, puis Bagdad, l’Asie centrale, l’Inde, le Pakistan, le Moyen-Orient et l’Afrique du A lire du Cheikh Khaled Bentounes kLe soufisme au cœur de l’islam (éd. Pocket) kThérapie de l’âm e (éd. Albin Michel) kLa fraternit é en héritage : Histoire d’une confrérie soufie (éd. Albin Michel) 78 Gazelle Nord. On trouve donc des différences, des subtilités d’un continent à un autre, d’un maître à un autre sur le plan des pratiques. Par exemple, certains maîtres axent leur enseignement sur un retrait du monde. D’autres souhaitent plutôt que leurs élèves vivent dans la cité et ne s’isolent pas. Certains introduisent le chant et la danse, comme les derviches tourneurs qui utilisent ce moyen pour se souvenir de Dieu. Au final, ce sont des différences minimes mais toutes ces confréries parlent du retour à soi et à Dieu par l’amour, la fraternité et l’ouverture d’esprit. Et elles se rencontrent chaque année à l’occasion de la 27e nuit du Ramadan et du Mawlid. mQuelle est la particularité de votre confrérie, la tariqa Alawiya ? Ma confrérie est jeune, elle n’a qu’un siècle d’existence. C’est une des toutes premières confréries implantée en Europe dans les années 1920. Elle est qualifiée de confrérie moderne, notamment par la place très présente qu’elle offre à la femme. L’enseignement est orienté vers l’intériorité mais est aussi très actif au sein de la société avec des mouvements de jeunesse, des actions de sensibilisation visà-vis de la préservation de la nature etc. mComment devient-on soufi ? On devient soufi en fréquentant une confrérie soufie, afin de voir si elle répond à une demande intérieure. Cela comporte certaines exigences avec des litanies à réciter et un enseignement à suivre au quotidien. Surtout, être soufi est exigeant sur le plan des qualités humaines : il faut faire preuve de bonté, de charité, de fraternité, de tolérance. Le soufisme n’est pas une idéologie, on y est plutôt chercheur. A lire kSagesse des contes soufis, d’Oscar Brenifier et Isabelle Millon (éd. Eyrolles) kSagesse Céleste, Traité De Soufisme, de Ahmad Al-Alawi (éd. Entrelacs) kB.A.-BA du soufisme, de Gérard Chauvin (éd. Pardès) Râbia Al Adawiya est née à Basora au VIIIe siècle. Orpheline et travaillant durement comme esclave chez un maître, elle ne se révolta jamais contre le sort du destin, derrière lequel elle voyait incessamment la volonté divine. Considérée comme une sainte de l’islam, elle n’était pas seulement la femme de jeûne et de prière, mais celle qui servait Dieu dans l’amour ardent et décapant. Cet amour qui lui fît dire ces vers : « Oh mon Dieu, si je T’adore par crainte de l’enfer ; brûle-moi dans l’enfer ; et si je T’adore dans l’espoir du paradis, exclus-moi du paradis (...) » En plus de respecter les cinq obligations de l’islam, le soufi doit réciter des prières sur le prophète, la chahada (profession de foi), des noms divins pour se resouvenir de Dieu. Cela demande de se mettre dans une attitude humble pour que notre égo s’amenuise et que nous puissions aller vers une âme apaisée. A la question « en quoi consiste le Soufisme ? », Abu Sa’id Ibn Abi El Kheir répondit : « Ce que tu as en tête, abandonne-le ; Ce que tu as en main, donnele ; Ce qui t’advient, ne l’esquive pas. » mDe plus en plus de jeunes semblent s’intéresser au soufisme. Pour quelle raison, d’après vous ? Je pense que nos jeunes veulent retrouver du sens dans une société en pleine mutation, où ils se sentent déboussolés. Ce que je souhaite pour eux, c’est qu’ils cherchent à embellir leur vie, sans être un problème pour les autres. Qu’ils soient dans un islam qui les nourrit, avec une vie basée sur le savoir, sur l’amour de Dieu et du prochain. Ils ne doivent pas tomber dans l’illusion du paraître. Si l’islam était un corps, le soufisme en serait le cœur. Notre religion ne peut être qu’une loi et un dogme, sans recherche de l’essentiel. n