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OT/AB n°2013 104
Affaire suivie par :
Olivier TOCHE
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Les jeunes ni emploi, ni en études :
nouvelle cible des politiques de jeunesse ?1
Il m’a été demandé d’apporter quelques éléments de comparaison au niveau européen sur les
questions qui sont au cœur des priorités des missions locales à l’occasion de leur trentième
anniversaire.
J’ai choisi de vous parler des ‘’jeunes ni en emploi, ni en éducation, ni en formation’’ comme
nouvelle cible, nouvelle attention des politiques européennes de jeunesse.
C’est un sujet technique – la question d’un indicateur statistique. Mais c’est aussi un sujet
d’attention au niveau européen, qui n’est pas si éloigné, me semble-t-il, des préoccupations des
missions locales.
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Notes préparées par Olivier Toche, directeur de l’INJEP, pour son intervention aux 30 ans des missions
locales, Lille, décembre 2012.
Vers la définition d’un nouvel indicateur ?
Le service public de l’emploi se sert du taux de chômage comme indicateur de suivi et d’impact :
taux de chômage des jeunes par bassin d’emploi, par exemple.
Pour autant, la question du taux de chômage des jeunes fait souvent l’objet de critiques.
D’abord dans sa mesure :
-
sa publication mensuelle par les médias résulte de l’extrapolation par rapport aux nombres
de demandeurs d’emploi tel que recensés par Pôle Emploi, alors que les chiffres officiels
sortent de « l’enquête emploi », enquête trimestrielle retenant une autre définition, celle du
BIT ;
-
parce que cette mesure ne prend pas en compte ce que l’on appelle maintenant le « halo »
du chômage, personnes non disponibles pour travailler dans les deux semaines ou n’ayant
pas effectué de démarches actives de recherche d’emploi dans le mois précédant l’enquête ;
ni le sous-emploi (temps partiel subi). Or, si les jeunes ont en général des durées de
chômage plus courtes que leurs aînés, encore qu’elles aient tendance à s’allonger avec la
crise, ils connaissent des situations de « halo » du chômage plus fréquentes, étant plus
souvent que les adultes à enchaîner les emplois précaires, jobs d’été, etc.
Mais aussi sur le fond. En effet, que mesure ce taux de chômage ?
Le taux de chômage mesure le nombre de chômeurs jeunes rapporté à la population d’actifs de la
classe d’âge considérée.
Il ne tient donc pas compte des jeunes qui poursuivent leurs études. Or, on sait, par ailleurs, qu’il y a
une tendance à l’allongement de la durée des études avec la massification de l’accès à
l’enseignement supérieur ou la prolongation de celles-ci du fait de la conjoncture économique
dégradée et du manque de débouchés.
Et, il se sert comme dénominateur des seuls jeunes considérés comme faisant partie de la
population active et non de tous les jeunes.
L’activité des jeunes, c’est-à-dire la proportion des actifs, est mesurée par le taux d’activité.
Après avoir baissé, de 20 points entre 1975 et la seconde moitié des années 90, le taux d’activité de
l’ensemble des 15-29 ans reste compris entre 54 et 56% et est quasi stable depuis 2000. En
revanche, ce taux évolue avec l’âge.
Si seulement 10% des jeunes sont actifs à 17 ans (0% à 15 ans), ils sont plus de 70% à partir de 23
ans2. Et, avec la crise, il y a de plus en plus souvent d’allers-retours et de trajectoire alternant
chômage / activité réduite / reprise d’études, brouillant ainsi la transition école/emploi.
Le taux de chômage se calcule donc avec un dénominateur très peu stable.
On devrait davantage parler de part de chômage par tranche d’âge : c’est-à-dire du nombre de
chômeurs sur la population totale de la classe d’âge considérée. Sur 100 jeunes de 15 à 29 ans,
combien au chômage ? entre 9 et 10 « seulement » contre 25 sur 100 si on considère le « taux » de
chômage.
Mais cette part ne tient pas compte des jeunes « inactifs ». N’y voyez pas une connotation
péjorative. Les statisticiens cataloguent sous « inactifs » tous les jeunes qui ne sont pas actifs, au
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Emploi et chômage des 15-29 ans en 2011. Dares Analyses, décembre 2012, n°090.
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sens de ni en emploi, ni en recherche d’emploi, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils soient
« paresseux ».
Il ne s’agit pas en effet de rentiers ou de retraités mais de jeunes qui ne figurent ni dans les
statistiques de l’emploi, ni dans celles de l’éducation nationale ou de la formation professionnelle.
Il s’agit de ceux qui ne sont comptés ni comme actifs occupés (sur le marché du travail), ni comme
demandeurs d’emplois, ni comme scolaire, étudiants, apprentis ou stagiaires de la formation
professionnelle …
La Commission européenne a adopté en 2010 un nouvel indicateur pour appréhender l’l’insertion
des jeunes : tenant compte à la fois de leur insertion professionnelle mais aussi sociale.
Cet indicateur, a été dénommé «NEET 3», il mesure la part des jeunes qui ne sont ni en emploi,
ni en études, ni en formation, que cette dernière soit initiale ou non, parmi l’ensemble des jeunes
pour une tranche d’âge considérée.
Ont été retenus comme faisant partie des NEET, non seulement les jeunes au chômage mais aussi
les jeunes, découragés, désœuvrés des `` inactifs`` qui souvent ne demandent rien, au sens du BIT.
C’est-à-dire les jeunes qui ne poursuivent pas leurs études initiales et qui n’ont pas déclaré suivre à
la date de l’enquête emploi une autre formation.
Comme il s’agit d’une « part » de jeunes, elle est rapportée à la population totale de jeunes pour la
classe d’âge considérée, dénominateur très stable.
Selon la DARES, en 2011, un peu moins de 15% (14,7 %), des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont
sans emploi et ne suivent pas une formation, qu’elle soit initiale ou continue (part des
NEETs).
Cette proportion atteint 20% pour les 20-29 ans. Elle est plus forte chez les jeunes femmes que les
jeunes hommes, car les jeunes femmes sont plus fréquemment en retrait du marché du travail à des
âges où la présence de jeunes enfants est plus fréquente.
Parmi les 15% de NEETs (15-29 ans) 57% sont au chômage au sens du BIT et 43%, qui échappent
à la population active comme à la population des jeunes en études ou en formation professionnelle
,sont considérés comme « inactifs ».
Entre 15 et 24 ans, les taux d’activité et d’emploi des jeunes sont nettement inférieurs en France à
la moyenne des autres pays européens, en raison notamment :
- d’une scolarité relativement longue,
- et d’une faible proportion de jeunes qui travaillent pendant leurs études.
Depuis début 2008, les évolutions du taux de chômage des 15-24 ans en Europe ont été très
variables selon les pays avec, en France, une augmentation un peu inférieure à la moyenne de
l’Union.
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NEET: Not in Employment, Education or Training.
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Qui sont les NEETs en France ?4
La part des NEET de 15 à 29 ans est légèrement inférieure à la moyenne de l’Union européenne
(14,9% / 15 ,2%), mais en se comparant aux 27 Etats membres..
Ils sont 14 millions en Europe (15-29ans). Les écarts sont, importants avec des taux faibles en
Suède, en Allemagne et aux Pays-Bas et élevés en Bulgarie, Espagne, Grèce, Irlande et Italie.
Cette part reste néanmoins préoccupante
Sa progression est inquiétante et sa répartition territoriale devrait interroger.
Elle est passée au-dessus de 14% depuis début 2009 et se rapproche de 15%. Les chiffres de
l’ONZUS montrent qu’elle est particulièrement élevée dans les quartiers prioritaires de la politique
de la ville.
On peut se reporter aux données des fiches thématiques publiées dans le rapport 2012 de
l’INJEP/Observatoire de la jeunesse, intitulé « Inégalités entre jeunes sur fond de crise » et à
la carte de répartition des NEETs par département.
Il s’agit de la part des jeunes âgés de 18 à 25 ans qui n'ont pas d’emploi et ne sont ni
étudiants, ni élèves, ni stagiaires selon leur lieu de résidence (recensement de la population
2008). Le Monde daté du 4 décembre parle de « jeunes désœuvrés ».
Sur cette tranche d’âge, ils sont 18,5% en moyenne en France métropolitaine (la moitié au
chômage, l’autre moitié inactifs : décrochés, découragés, en rupture, en retrait).
Avec des écarts importants :
seulement 10% à Paris, 12-13% dans l’Ile-et-Vilaine, la Haute-Garonne, les Hauts-de-Seine
Plus de 25% Pyrénées orientales, Aude, Gard, Vaucluse, Corse du Sud
… ainsi que dans les ZUS (25,2% 15-24 ans et des différences minimes hommes-femmes de
24,9-25,5 qui masquent le surchômage des hommes (16 points d’écart) - et la sur-inactivité
des femmes (12,5 point d’écart).
Plus de 28% dans l’Aisne, le Pas-de-Calais, les Ardennes
Enfin, des pointes très au-dessus de 30% en Martinique/Guadeloupe ; et au-dessus de 40% à
la Réunion et en Guyane.
Pourquoi cette attention nouvelle à cette catégorie de jeunes
Cette population (jeunes chômeurs et jeunes inactifs) est encore mal connue.
On commence à peine à mesurer le phénomène.
Jeunes désœuvrés, jeunes éloignés de l’insertion sociale et professionnelle, jeunes découragés de
faire des recherches actives d’emploi, jeunes vivant dans des foyers où les parents sont eux-mêmes
au chômage, jeunes femmes assignées au foyer parental.
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Ibid.
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Cette catégorie est considérée au niveau européen comme l’un des groupes les plus
problématiques et donc le plus prioritaire.
La Commission européenne a réagi en lançant l’initiative ‘’Jeunesse en mouvement’’ et plusieurs
initiatives visant à libérer le potentiel des jeunes dans le cadre de sa stratégie baptisée : Youth Investing and Empowering, publiée fin 20095.
L’une des priorités est de créer des passerelles permettant aux jeunes concernés de reprendre des
études, de suivre une formation ou de faciliter l’accès au marché du travail.
D’après une étude publiée fin 2012 de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions
de vie et de travail de Dublin6 les NEETs forment une population très hétérogène :
On y retrouve :
-
les jeunes qui sont traditionnellement sans emploi (demandeur d’emploi non qualifiés).
des jeunes ‘’inactifs’’ vulnérables et non vulnérables.
Parmi les sous-groupes vulnérables figurent :
-
les jeunes non disponibles parce que malades,
les jeunes femmes élevant leur enfant,
certains jeunes en situation de handicap,
ainsi que les jeunes assurant les soins de proches.
Et parmi les sous-groupes non vulnérables : ceux qui prennent du temps pour eux et ceux qui
s’impliquent dans d’autres activités : artistiques, auto-apprentissage, volontariat.
Ils ont tous en commun le fait qu’ils n’accumulent pas de capital humain ‘’connaissances ou
compétences’’ par les voies traditionnelles mais par de l’éducation non formelle voire par l’économie
informelle.
Le risque de devenir NEET est plus grand chez les jeunes au faible niveau d’instruction, jeunes
issus de l’immigration, jeunes souffrant d’une forme de handicap ou de problèmes de santé, avec
une forte influence du contexte familial.
Être NEET a de graves conséquences sur l’individu, la société et l’économie, d’après l’étude de la
fondation de Dublin :
-
désaffection à l’égard de l’emploi,
plus grande distance avec le système de protection sociale (beaucoup fondé en France sur
le statut de travailleur),
relégation future dans des emplois précaires (effet cicatrice),
délinquance,
ou encore des troubles physiques ou mentaux.
La fondation de Dublin chiffre à 1,2 points de PIB les pertes économiques imputables au
désengagement des jeunes par rapport au marché du travail ou au système éducatif (17 Mds
d’euros pour la France) .
5
COM(2009). An EU Strategy for Youth – Investing and Empowering. A renewed open method of coordination
to address youth challenges and opportunities.
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Eurofound(2012). NEETs – Young people not in employment, education or training : Characteristics, costs
and policy responses in Europe. Publications Office of the European Union, Luxembourg.
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Enfin les NEETs sont davantage exposés au risque d’aliénation politique (tentation des extrêmes) et
sociale (« trappe pauvreté », assistanat). Avec un intérêt et une confiance dans les institutions
considérablement plus faibles que chez les autres jeunes.
On s’est beaucoup focaliser en France et à juste titre sur :
- le décrochage scolaire,
- et sur la transition école emploi,
… sans toujours prendre en considération plus globalement la sous population des NEETS avec
lesquels ces catégories se recoupent mais pas complètement.
Ce rapport européen a comparé et repéré ce qui semble marcher en Europe. En voici, une liste
résumée :
•
des mesures diversifiées pour s’attaquer aux différents obstacles entravant le processus
d’insertion avec une attention particulière aux différents groupes vulnérables qui cumulent
les handicaps (approche globale) ;
•
le fait de tenir compte du degré de préparation des bénéficiaires à l’entrée et au retour dans
l’emploi (suivant que les jeunes sont plus ou moins éloignés du marché du travail) ;
•
préférer orienter les jeunes vers des solutions durables (donc d’abord privilégier des
qualifications par exemple pour atteindre l’objectif de 100% de jeunes qualifiés par classe
d’âge) ;
•
une coopération plus étroite avec toutes les parties prenantes, notamment les employeurs ;
•
un effort pour adapter l’offre de service faite aux jeunes aux parcours des jeunes et non pas
adapter les jeunes à l’offre de service existante (de façon par exemple à pouvoir proposer à
la fois des cursus de formation classique et des parcours d’apprentissage personnalisés et
accompagnés).
Enfin, les politiques qui réussissent en Europe, toujours d’après le rapport de la fondation de Dublin,
sont celles qui laissent de la place à l’innovation, des marges de manœuvre ou la possibilité
d’expérimenter.
A ce titre, la fondation cite de nouvelles méthodes pour atteindre les groupes cibles (et lutter contre
le non-recours), en introduisant une place importante au travail de proximité pour recruter les jeunes
laissés pour compte, tout en développant des services plus universels en faveur de l’emploi des
jeunes.
C’est cet équilibre difficile entre une approche par le droit commun et une offre de service adaptée
et personnalisée que se propose de mettre en œuvre le dispositif de « garantie jeunes » qui devrait
bientôt être expérimenté.
Olivier Toche
INJEP
décembre 2012
(révisée en mai 2013)
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