Le roman et ses personnages : visions de l`homme et

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Le roman et ses personnages : visions de l`homme et
Objet d’étude : Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde.
CORPUS DE TEXTES
Texte A : Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, incipit.
Texte B : Camus, L’étranger, 1942, Deuxième Partie, chapitre I.
Texte C : Vernon Sullivan, J’irai cracher sur vos tombes, 1946, préfacé par Boris Vian, auteur réel de l’œuvre,
comme un roman américain traduit en français, incipit.
Texte D : Samuel Beckett, Molloy, 1951, incipit.
Texte E : Camus, La chute (Récit), 1956.
TEXTE A
Le roman de Céline est un récit à la première personne dans lequel le personnage principal, Bardamu, raconte, entre
autres, son expérience de la Première Guerre mondiale. La discussion se passe avant l’enrégimentement.
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Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un
étudiant, un carabin1 lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me
parler. Je l’écoute. « Restons pas dehors ! qu’il me dit. Rentrons ! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu’il
commence, c’est pour les oeufs à la coque ! Viens par ici ! » Alors, on remarque encore qu’il n’y avait personne
dans les rues, à cause de la chaleur ; pas de voitures, rien. Quand il fait très froid, non plus, il n’y a personne dans
les rues ; c’est lui, même que je m’en souviens, qui m’avait dit à ce propos : « Les gens de Paris ont l’air toujours
d’être occupés, mais en fait, ils se promènent du matin au soir ; la preuve, c’est que lorsqu’il ne fait pas bon à se
promener, trop froid ou trop chaud, on ne les voit plus ; ils sont tous dedans à prendre des cafés crème et des bocks.
C’est ainsi ! Siècle de vitesse ! qu’ils disent. Où ça ? Grands changements ! qu’ils racontent. Comment ça ? Rien
n’est changé en vérité. Ils continuent à s’admirer et c’est tout. Et ça n’est pas nouveau non plus. Des mots, et encore
pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont changés ! Deux ou trois par-ci, par-là, des petits... » Bien fiers alors
d’avoir fait sonner ces vérités utiles, on est demeurés là assis, ravis, à regarder les dames du café.
Après, la conversation est revenue sur le Président Poincaré qui s’en allait inaugurer, justement ce matin-là, une
exposition de petits chiens ; et puis, de fil en aiguille, sur Le Temps2 où c’était écrit. « Tiens, voilà un maître
journal, Le Temps ! » qu’il me taquine Arthur Ganate, à ce propos. « Y en a pas deux comme lui pour défendre la
race française ! - Elle en a bien besoin la race française, vu qu’elle n’existe pas ! » que j’ai répondu moi pour
montrer que j’étais documenté, et du tac au tac.
- Si donc ! qu’il y en a une ! Et une belle de race ! qu’il insistait lui, et même que c’est la plus belle race du monde,
et bien cocu qui s’en dédit ! Et puis, le voilà parti à m’engueuler. J’ai tenu ferme bien entendu.
- C’est pas vrai ! La race, ce que t’appelles comme ça, c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre,
chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus
des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça la France et puis c’est ça
les Français.
- Bardamu, qu’il me fait alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n’en dis pas de mal !...
- T’as raison, Arthur, pour ça t’as raison ! Haineux et dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous
valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d’opinions, ou bien si
tard, que ça n’en vaut plus la peine. On est nés fidèles, on en crève nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le
monde et singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Misère. C’est lui qui nous possède !
Quand on est pas sages, il serre... On a ses doigts autour du cou, toujours, ça gêne pour parler, faut faire bien
attention si on tient à pouvoir manger... Pour des riens, il vous étrangle... C’est pas une vie...
- Il y a l’amour, Bardamu !
- Arthur, l’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches et j’ai ma dignité moi ! que je lui réponds.
Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, incipit.
TEXTE B
Le roman de Camus est un récit à la première personne dans lequel le personnage principal, Meursault, raconte comment
il a été amené, par une suite d’événements apparemment sans importance, à tuer un homme, et à être jugé puis condamné
à mort.
Deuxième partie
I
Tout de suite après mon arrestation, j’ai été interrogé plusieurs fois. Mais il s’agissait d’interrogatoires d’identité qui
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Carabin : étudiant en médecine.
Le Temps est un des journaux les plus importants de l’époque, publié à Paris de 1861 à 1942.
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n’ont pas duré longtemps. La première fois au commissariat, mon affaire semblait n’intéresser personne. Huit jours
après, le juge d’instruction, au contraire, m’a regardé avec curiosité. Mais pour commencer, il m’a seulement
demandé mon nom et mon adresse, ma profession, la date et le lieu de ma naissance. Puis il a voulu savoir si j’avais
choisi un avocat. J’ai reconnu que non et je l’ai questionné pour savoir s’il était absolument nécessaire d’en avoir
un. « Pourquoi ? » a-t-il dit. J’ai répondu que je trouvais mon affaire très simple. Il a souri en disant : « C’est un
avis. Pourtant, la loi est là. Si vous ne choisissez pas d’avocat, nous en désignerons un d’office. » J’ai trouvé qu’il
était très commode que la justice se chargeât de ces détails. Je le lui ai dit. Il m’a approuvé et a conclu que la loi
était bien faite.
Au début, je ne l’ai pas pris au sérieux. Il m’a reçu dans une pièce tendue de rideaux, il avait sur son bureau une
seule lampe qui éclairait le fauteuil où il m’a fait asseoir pendant que lui-même restait dans l’ombre. J’avais déjà lu
une description semblable dans des livres et tout cela m’a paru un jeu. Après notre conversation, au contraire, je l’ai
regardé et j’ai vu un homme aux traits fins, aux yeux bleus enfoncés, grand, avec une longue moustache grise et
d’abondants cheveux presque blancs. Il m’a paru très raisonnable et, somme toute, sympathique, malgré quelques
tics nerveux qui lui tiraient la bouche. En sortant, j’allais même lui tendre la main, mais je me suis souvenu à temps
que j’avais tué un homme.
Le lendemain, un avocat est venu me voir à la prison. Il était petit et rond, assez jeune, les cheveux soigneusement
collés. Malgré la chaleur (j’étais en manches de chemise), il avait un costume sombre, un col cassé et une cravate
bizarre à grosses raies noires et blanches. Il a posé sur mon lit la serviette qu’il portait sous le bras, s’est présenté et
m’a dit qu’il avait étudié mon dossier. Mon affaire était délicate, mais il ne doutait pas du succès, si je lui faisais
confiance. Je l’ai remercié et il m’a dit : « Entrons dans le vif du sujet. »
Il s’est assis sur le lit et m’a expliqué qu’on avait pris des renseignements sur ma vie privée. On avait su que ma
mère était morte récemment à l’asile. On avait alors fait une enquête à Marengo3. Les instructeurs avaient appris
que « j’avais fait preuve d’insensibilité » le jour de l’enterrement de maman. « Vous comprenez, m’a dit mon
avocat, cela me gêne un peu de vous demander cela. Mais c’est très important. Et ce sera un gros argument pour
l’accusation, si je ne trouve rien à répondre. » Il voulait que je l’aide. Il m’a demandé si j’avais eu de la peine ce
jour-là. Cette question m’a beaucoup étonné et il me semblait que j’aurais été très gêné si j’avais eu à la poser. J’ai
répondu cependant que j’avais un peu perdu l’habitude de m’interroger et qu’il m’était difficile de le renseigner.
Sans doute, j’aimais bien maman, mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient plus ou moins souhaité
la mort de ceux qu’ils aimaient. Ici, l’avocat m’a coupé et a paru très agité. Il m’a fait promettre de ne pas dire cela
à l’audience, ni chez le magistrat instructeur. Cependant, je lui ai expliqué que j’avais une nature telle que mes
besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments. Le jour où j’avais enterré maman, j’étais très fatigué et
j’avais sommeil. De sorte que je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait. Ce que je pouvais dire à coup
sûr, c’est que j’aurais préféré que maman ne mourût pas. Mais mon avocat n’avait pas l’air content. Il m’a dit :
« Ceci n’est pas assez. »
Camus, L’étranger, 1942, Deuxième Partie, chapitre I.
TEXTE C
Le roman de Vian est un récit en grande partie à la première personne, dans lequel le personnage principal, Lee
Anderson, un métis très clair et qui passe pour un blanc, quitte sa ville natale dans le sud des Etats-Unis, après la mort de
son plus jeune frère, qui a été lynché et pendu parce qu'il était amoureux d'une blanche. Son but est de venger cette mort.
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Personne ne me connaissait à Buckton. Clem avait choisi la ville à cause de cela ; et d’ailleurs, même si je m’étais
dégonflé, il ne me restait pas assez d’essence pour continuer plus haut vers le Nord. À peine cinq litres. Avec mon
dollar, la lettre de Clem, c’est tout ce que je possédais. Ma valise, n’en parlons pas. Pour ce qu’elle contenait.
J’oublie : j’avais aussi dans le coffre de la voiture le petit revolver du gosse4, un malheureux 6,35 bon marché ; il
était encore dans sa poche quand le shérif était venu nous dire d’emporter le corps chez nous pour le faire enterrer.
Je dois dire que je comptais sur la lettre de Clem plus que sur tout le reste. Cela devait marcher, il fallait que cela
marche. Je regardais mes mains sur le volant, mes doigts, mes ongles. Vraiment personne ne pouvait trouver à y
redire. Aucun risque de ce côté. Peut-être allais-je m’en sortir.
Mon frère Tom avait connu Clem à l’Université. Clem ne se comportait pas avec lui comme les autres étudiants. Il
lui parlait volontiers ; ils buvaient ensemble, sortaient ensemble dans la Caddy de Clem. C’est à cause de Clem
qu’on tolérait Tom. Quand il partit remplacer son père à la tête de la fabrique, Tom dut songer à s’en aller aussi. Il
revint avec nous. Il avait beaucoup appris et n’eut pas de mal à être nommé instituteur de la nouvelle école. Et puis,
l’histoire du gosse flanquait tout par terre. Moi, j’avais assez d’hypocrisie pour ne rien dire, mais pas le gosse. Il n’y
voyait aucun mal. Le père et le frère de la fille s’étaient chargés de lui.
De là venait la lettre de mon frère à Clem. Je ne pouvais plus rester dans ce pays, et il demandait à Clem de me
La ville anciennement nommée Marengo pendant la colonisation française, est une commune de la région de Tipaza, en Algérie, où se
déroule le roman.
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Les mots « le gosse » désignent le jeune frère du narrateur.
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trouver quelque chose. Pas trop loin, pour qu’il puisse me voir de temps en temps, mais assez loin pour que
personne ne nous connaisse. Il pensait qu’avec ma figure et mon caractère, nous ne risquions absolument rien. Il
avait peut-être raison, mais je me rappelais tout de même le gosse.
Gérant de librairie à Buckton, voilà mon nouveau boulot. Je devais prendre contact avec l’ancien gérant et me
mettre au courant en trois jours. Il changeait de gérance, montait en grade et voulait faire de la poussière sur son
chemin.
Vernon Sullivan, J’irai cracher sur vos tombes, 1946, préfacé par Boris Vian, auteur réel de l’œuvre, comme un roman
américain traduit en français, incipit.
TEXTE D
Le roman de Beckett commence par un récit à la première personne, où un vieux solitaire, Molloy, raconte certains
passages de sa vie, sous la forme de longues et vagues réflexions et tentatives de comprendre ce qu’il vit.
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Je suis dans la chambre de ma mère. C’est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j’y suis arrivé. Dans
une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement. On m’a aidé. Seul je ne serais pas arrivé. Cet
homme qui vient chaque semaine, c’est grâce à lui peut-être que je suis ici. Il dit que non. Il me donne un peu
d’argent et enlève les feuilles. Tant de feuilles, tant d’argent. Oui, je travaille maintenant, un peu comme autrefois,
seulement je ne sais plus travailler. Cela n’a pas d’importance, paraît-il. Moi je voudrais maintenant parler des
choses qui me restent, faire mes adieux, finir de mourir. Ils ne veulent pas. Oui, ils sont plusieurs, paraît-il. Mais
c’est toujours le même qui vient. Vous ferez ça plus tard, dit-il. Bon. Je n’ai plus beaucoup d’autorité, voyez-vous.
Quand il vient chercher les nouvelles feuilles il rapporte celles de la semaine précédente. Elles sont marquées de
signes que je ne comprends pas. D’ailleurs je ne relis pas. Quand je n’ai rien fait il ne me donne rien, il me gronde.
Cependant je ne travaille pas pour l’argent. Pour quoi alors ? Je ne sais pas. Je ne sais pas grand’chose,
franchement. La mort de ma mère, par exemple. Était-elle déjà morte à mon arrivée ? Ou n’est-elle morte que plus
tard ? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être ne l’a-t-on pas enterrée encore. Quoi qu’il en soit, c’est
moi qui ai sa chambre. Je couche dans son lit. Je fais dans son vase. J’ai pris sa place. Je dois lui ressembler de plus
en plus. Il ne me manque plus qu’un fils. J’en ai un quelque part peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux
maintenant, presque autant que moi. C’était une petite boniche. Ce n’était pas le vrai amour. Le vrai amour était
dans une autre. Vous allez voir. Voilà que j’ai encore oublié son nom. Il me semble quelquefois que j’ai même
connu mon fils, que je me suis occupé de lui. Puis je me dis que c’est impossible. Il est impossible que j’aie pu
m’occuper de quelqu’un. J’ai oublié l’orthographe aussi, et la moitié des mots. Cela n’a pas d’importance, paraît-il.
Je veux bien. C’est un drôle de type, celui qui vient me voir. C’est tous les dimanches qu’il vient, paraît-il. Il n’est
pas libre les autres jours. Il a toujours soif. C’est lui qui m’a dit que j’avais mal commencé, qu’il fallait commencer
autrement. Moi je veux bien. J’avais commencé au commencement, figurez-vous, comme un vieux con. Voici mon
commencement à moi. Ils vont quand même le garder, si j’ai bien compris. Je me suis donné du mal. Le voici. Il
m’a donné beaucoup de mal. C’était le commencement, vous comprenez. Tandis que c’est presque la fin, à présent.
C’est mieux, ce que je fais à présent ? Je ne sais pas. La question n’est pas là. Voici mon commencement à moi. Ça
doit signifier quelque chose, puisqu’ils le gardent. Le voici.
Samuel Beckett, Molloy, 1951, incipit.
TEXTE E
Le roman de Camus est la confession d'un homme à un autre, rencontré dans un bar d'Amsterdam. La particularité de ce
roman tient au fait que l'homme qui se confesse est le seul à parler, durant tout l'ouvrage.
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[…] On nous apporte enfin notre genièvre5. A votre prospérité. Oui, le gorille6 a ouvert la bouche pour m’appeler
docteur. Dans ces pays, tout le monde est docteur, ou professeur. Ils aiment à respecter, par bonté, et par modestie.
Chez eux, du moins, la méchanceté n’est pas une institution nationale. Au demeurant, je ne suis pas médecin. Si
vous voulez le savoir, j’étais avocat avant de venir ici. Maintenant, je suis juge-pénitent.
Mais permettez-moi de me présenter : Jean-Baptiste Clamence, pour vous servir. Heureux de vous connaître. Vous
êtes sans doute dans les affaires ? A peu près ? Excellente réponse ! Judicieuse aussi ; nous ne sommes qu’à peu
près en toutes choses. Voyons, permettez-moi de jouer au détective. Vous avez à peu près mon âge, l’œil renseigné
des quadragénaires qui ont à peu près fait le tour des choses, vous êtes à peu près bien habillé, c’est-à-dire comme
on l’est chez nous, et vous avez les main lisses. Donc, un bourgeois, à peu près ! Mais un bourgeois raffiné !
Broncher sur les imparfaits du subjonctif, en effet, prouve deux fois votre culture puisque vous les reconnaissez
Liqueur à base de baies de genièvre.
Ce terme désigne le patron, ou le serveur, du bar dans lequel se déroule la conversation.
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d’abord et qu’ils vous agacent ensuite. Enfin, je vous amuse, ce qui, sans vanité, suppose chez vous une certaine
ouverture d’esprit. Vous êtes donc à peu près... Mais qu’importe ? Les professions m’intéressent moins que les
sectes. Permettez-moi de vous poser deux questions et n’y répondez que si vous ne les jugez pas indiscrètes.
Possédez-vous des richesses ? Quelques-unes ? Bon. Les avez-vous partagées avec les pauvres ? Non. Vous êtes
donc ce que j’appelle un saducéen7. Si vous n’avez pas pratiqué les Écritures8, je reconnais que vous n’en serez pas
plus avancé. Cela vous avance ? Vous connaissez donc les Écritures ? Décidément, vous m’intéressez.
Quant à moi... Eh bien, jugez vous-même. Par la taille, les épaules, et ce visage dont on m’a souvent dit qu’il était
farouche, j’aurais plutôt l’air d’un joueur de rugby, n’est-ce pas ? Mais si l’on en juge par la conversation, il faut me
consentir un peu de raffinement. Le chameau qui a fourni le poil de mon pardessus souffrait sans doute de la gale ;
en revanche, j’ai les ongles faits. Je suis renseigné, moi aussi, et pourtant, je me confie à vous, sans précautions, sur
votre seule mine. Enfin, malgré mes bonnes manières et mon beau langage, je suis un habitué des bars à matelots du
Zeedijk9. Allons, ne cherchez plus. Mon métier est double, voilà tout, comme la créature. Je vous l’ai déjà dit, je
suis juge-pénitent. Une seule chose est simple dans mon cas, je ne possède rien. Oui, j’ai été riche, non, je n’ai rien
partagé avec les autres. Qu’est-ce que cela prouve ? Que j’étais aussi un saducéen... Oh ! entendez-vous les sirènes
du port ? Il y aura du brouillard cette nuit, sur le Zuyderzee10.
Camus, La chute (Récit), 1956.
Question sur le corpus (4 points).
Comment certains détails de l’énonciation attribuée aux différents personnages narrateurs permettent-ils de donner une
vision assez précise du monde dans lequel ils vivent, et de leur personnalité ? Vous répondrez en vous appuyant sur des
faits et des procédés précis.
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des trois sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous ferez le commentaire du texte B, de Camus (L’étranger).
Dissertation : Dans un roman, faut-il que le langage des personnages et leur psychologie soient forts, pour leur donner une
épaisseur humaine et pour rendre signifiant le monde décrit par l’auteur, ou suffit-il que l’intrigue soit bien ficelée, que les
aventures soient palpitantes, que les décors soient réalistes ou vraisemblables ? Dans une argumentation construite, vous
ferez la part de ces ingrédients littéraires dans ce qui fait à vos yeux la valeur d’un roman, en vous appuyant sur les textes
du corpus, les oeuvres que vous avez étudiées en classe ou lues personnellement.
Écriture d’invention : Dans certains textes de ce corpus, les dialogues sont indirects ou narrativisés, ce qui les éloigne
beaucoup des formes traditionnelles (retour à la ligne, tirets, incises du genre « dit-il », etc.). Vous n’appréciez pas cette
manière de faire parler ou penser les personnages, et vous le dites dans un article de critique littéraire, en partant des textes
du corpus. Vous défendrez l’opinion qu’un roman gagne en intérêt et en compréhension, si les dialogues sont plus visibles,
en illustrant votre argumentation par des exemples de votre choix.
SUJET EN RÉSERVE, POUR
MODIFICATIONS ET APPROBATION.
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Les saducéens sont une secte juive, recrutée dans l'aristocratie et notamment dans la caste des prêtres. La référence est savante et ne
doit pas être sur-interprétée par le lecteur.
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Dans le langage chrétien, les Saintes Écritures, ou les Écritures, sont les paroles écrites et dites par les saints hommes de Dieu. Le mot
désigne également les textes sacrés juifs.
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Zeedijk (« Digue de la mer ») est une rue d'Amsterdam.
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Le Zuiderzee est un ancien golfe du centre-nord des Pays-Bas, près d’Amsterdam, qui a été transformé en lac d'eau douce.

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