Prêt de main-d`œuvre illicite La spécificité des ssii
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Prêt de main-d`œuvre illicite La spécificité des ssii
par Nathalie Lenfant–Lestavel1 Odile Prot échanges avril 2008 16 Avocats Associés Département Droit des Ressources Humaines La Boétie, Association d’avocats droit et fiscalité Vous dirigez une entreprise de services et à ce titre, vous délivrez une prestation intellectuelle à votre client. Attention à ne pas être condamné pour prêt de main-d’œuvre illicite ! L’étude d’un arrêt récent rendu par la Cour d’appel permet de mieux comprendre l’approche du juge. Prêt de main-d’œuvre illicite La spécificité des SSII «Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions relatives au travail temporaire » (art.L.125-3 c.trav). Le juge ne doit pas s’arrêter à la qualification donnée par les parties au contrat, mais procéder à une analyse de la réalité en fonction de critères : réalité de la prestation fournie, exercice de l’autorité sur le personnel et mode de rémunération. L’appréciation de ces critères peut se révéler délicate en cas de prestation intellectuelle informatique. En effet, ce type de prestation intellectuelle conduit à l’envoi en mission, dans les locaux du client, d’ingénieurs chargés de mener à bien la mission confiée, le plus souvent sur le matériel du client. De sorte que, travaillant dans les locaux de l’entreprise cliente, ingénieurs du prestataire et salariés de l’entreprise cliente se côtoient, déjeunent dans le restaurant d’entreprise voire ont les mêmes horaires de travail. La frontière avec l’infraction pénale peut vite apparaître d’autant plus hasardeuse que la société cliente est aussi une SSII ou que le projet concerne directement la direction des systèmes d’information du client. L’approche différente de la Cour d’appel de Grenoble C’est tout l’intérêt des arrêts rendus, dans une même affaire, par les Cours d’appel de Nîmes le 5 novembre 2004 et Grenoble le 19 mars 2007. Une société de haute technologie (transactions électroniques) conclut avec une autre société ayant des compétences de haut niveau (procédure de tests et de validation de logiciels), un contrat d’assistance technique. Deux ingénieurs sont envoyés en mission sur le site du client. En novembre 2000, suite au contrôle opéré par l’inspection du travail sur le site client, la société cliente et son prestataire informatique font l’objet d’un procès verbal et de poursuites pénales au titre des infractions de prêt de main d’œuvre illicite. Considérant qu’une soustraitance n’était pas justifiée, la Cour d’appel de Nîmes confirme la condamnation du prestataire par le Tribunal de Privas pour délit de prêt de main d’œuvre illicite. Le 19 mars 2007, la Cour d’appel de Grenoble, saisie après cassation de l’arrêt de Nîmes, conclut en sens inverse, considérant que « la mise à disposition de salariés détachés de la société prestataire et ayant des compétences spécifiques se justifie par la nature du contrat d’assistance technique.» La présence de nombreuses sociétés informatiques dans le ressort de la Cour d’appel de Grenoble ne peut à elle seule expliquer une telle décision. La Cour d’appel de Grenoble a procédé à une appréciation des faits selon une approche différente tenant compte de la spécificité de l’activité des SSII. Pour rechercher la véritable qualification du contrat conclu au regard du délit de prêt de main-d’œuvre, les juges procèdent par la méthode du faisceau d’indices d’illicéité. La méthode du faisceau d’indices d’illicéité Ils examinent si le contrat fait appel à une spécificité propre de l’entreprise prestataire, laquelle exerce une autorité sur les ingénieurs en mission sur le site client. Sont ainsi des indices d’illicéité : le choix les ingénieurs ; la répartition des tâches, de la durée et de l’organisation du travail. Les juges étudient également le mode de rémunération du prestataire : celle-ci est-elle fixée en fonction des seules heures de travail effectuées et du nombre et de la qualification des salariés détachés ou sur la base du «temps passé» ? Appliquant cette méthode strictement, la Cour d’appel de Nîmes rejette toute spécificité du prestataire. Pourquoi ? Parce que le client était une « société de haute technologie » et que le prestataire disposait « de compétences de très haut niveau en matière d’informatique ». En conséquence, « ces deux sociétés contractantes opèrent dans un secteur de haute technologie, ce qui exclut une spécificité particulière sur ce plan ». À rechercher la véritable qualification du contrat conclu droit et fiscalité | Expertises 17 Lucrative Non lucrative A but exclusif interdite (C. trav., art. L. 125-3) sauf si elle interdit dans le cadre du travail temporaire autorisée (art.L.125-3 a contrario) A but non exclusif autorisée (C. trav., art. L. 125-3 a contrario) si elle n’a pas pour effet d’occasionner un préjudice au salarié ou d’éluder une disposition légale (C. trav., art. L. 125-1). autorisée (art. L. 125-3 a contrario noter que la certification ISO 9001 de la SSII prestataire a été jugée inopérante. Toute spécificité technique étant écartée, est ensuite appréciée la situation des ingénieurs envoyés en mission sur le site du client. L’encadrement des ingénieurs « ne peut être qualifié d’encadrement technique spécifique l’apparition épisodique d’un commercial de surcroît essentiellement préoccupé par un suivi de qualité». Le prestataire ne justifiait pas «que, dans sa branche, tout le matériel (y compris les petites fournitures de bureau) est nécessairement exclusivement fourni par l’entreprise cliente ».« En réalité, les commandes étaient effectuées, non pas en fonction d’un montant forfaitaire pour un résultat déterminé à atteindre, mais en fonction d’un prix de journée multiplié par le nombre de jours passés par salarié sur le site d’affectation et selon les grilles annexées au contrat d’assistance technique ». Pourquoi le jugement initial a-t-il été cassé ? La Cour d’Appel de Grenoble devait toutefois prendre le contrepied de cette décision en rappelant la particularité des SSII : « la mise à la disposition d’une autre entreprise d’un personnel spécialisé ne constitue l’apport d’un savoir-faire spécifique que si ce dernier est distinct de celui des salariés de l’entreprise utilisatrice ; il est constant que l’une des caractéristiques d’une SSII est de déléguer ses salariés auprès de sa clientèle et d’assurer la formation technique du personnel de l’entreprise cliente, cette activité apparaît comme celle d’accompagnement intellectuel. Ainsi le prêt de main-d’œuvre n’est-il pas prohibé lorsqu’il n’est que la conséquence nécessaire de la transmission d’un savoir-faire ou la mise en œuvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse, laquelle doit définir les tâches et l’organisation du travail des salariés détachés et lorsqu’aucun profit n’est réalisé sur l’opération par l’entreprise prêteuse. » Ainsi, le juge doit s’attacher à vérifier que la fourniture de main-d’œuvre s’inscrit dans le cadre plus vaste d’une prestation de service spécifique à l’entreprise prestataire. Dans notre affaire, le dirigeant de la société prestataire a produit au débat un nombre conséquent d’éléments de preuve démontrant l’effectivité de cette spécificité technique retenue la Cour. Sur quels éléments factuels, le juge s’est-il appuyé ? Sur l’analyse des fiches de suivi des prestations des ingénieurs, démontrant la réalité de la mission prévue au contrat et pour laquelle ces salariés étaient formés, à la différence du personnel du client. On comprend donc tout l’intérêt de telles fiches, mais également des ordres de mission, des comptes rendus d’activités (CRA). Sur un rapport d’expert confirmant que la société cliente ne possédait pas la compétence technique du prestataire et devait donc inévitablement faire appel à un sous-traitant intervenant nécessairement sur son propre matériel. Le juge grenoblois a ensuite apprécié les autres critères en procédant à l’audition, en qualité de témoins, des deux ingénieurs missionnés sur le site client, à l’examen des fiches de suivi des prestations, une fois encore, démontrant que ces ingénieurs étaient encadrés par leur employeur, recevaient de lui leurs instructions. De même, s’agissant du mode de rémunération de la prestation, et pour la première fois à notre connaissance, est validé le « mode de rémunération prenant en compte la durée du travail ainsi que le nombre et la qualification du personnel détaché, et ce conformément aux usages en matière de sociétés de service informatique ». Ainsi, les critères sont restés identiques, mais sont désormais envisagés sous un angle favorable aux SSII tenant compte de leur spécificité technique effective et démontrée. Cette affaire s’inscrit dans un contexte de renforcement de la lutte contre le travail illégal, dont fait partie le délit de prêt de main-d’œuvre illicite, ayant généré un premier plan pour 2004 suite à la mise en avant par un parlementaire de l’existence de dérives dans le secteur des SSII : « Ce système d’intermédiaire, sans valeur ajoutée, ne favorise guère l’innovation et prive de surcroît des salariés d’une partie de ce qui pourrait leur revenir. Aussi, il faut revoir ce système particulièrement inique. » Un second plan national était lancé pour 2006-2007 accentuant le contrôle sur les pratiques frauduleuses « résultant d’un usage détourné de l’externalisation de l’emploi par la sous-traitance en cascade »2, référence indirecte aux SSII. À noter qu’en 2006, 67 000 entreprises étaient contrôlées (+15 %), générant 7244 procès verbaux dont 4,8 % pour prêt de main d’œuvre3. Face à ce renforcement des contrôles, les SSII doivent donc s’attacher à pouvoir démontrer la réalité de la prestation mentionnée dans le contrat passé avec leur client. n 1. Nathalie Lenfant intervient régulièrement au cours des matinées sociales organisées par Syntec informatique (chambre syndicale des SSII et éditeurs de logiciels de la Fédération Syntec) www.syntec-informatique.fr. 2. Déclaration de Gérard Larcher devant la Commission nationale de lutte contre le travail illégal du 26 janvier 2006. 3. Sources : Intervention de Gérard Larcher le 21 mars 2007 ; Rapport de la DILTI 23 août 2007. échanges Opération de fourniture de main-d’oeuvre avril 2008 Synthèse du système législatif actuel