Les femmes ont des forces secrètes

Transcription

Les femmes ont des forces secrètes
interview
ARIELLE DOMBASLE
La plus baroque des actrices
et chanteuses françaises
sort un nouvel album empreint
de mysticisme. Conversation
à bâtons rompus sur la prière,
la séduction et les femmes.
Propos recueillis par Murièle Roos et
Catherine Rouillé-Pasquali • Photo Pascal Ito
“Les femmes
ont des forces
secrètes”
À peine sortie du Festival de Cannes où
elle a présenté Opium (1), une comédie
musicale qui met en scène les amours de
Jean Cocteau­et de l’écrivain Raymond
Radiguet­, elle se prépare activement à la
sortie d’Arielle Dombasle by Era (2), son
nouvel album, où se mêlent les résonances du sacré avec les sonorités les
plus innovantes. Elle nous reçoit dans
les salons d’un hôtel parisien, telle qu’en
elle-même, délicate et avenante, encore
remplie de l’atmosphère du clip qu’elle
vient de tourner pour l’Ave Maria, dans
l’église du Val-de-Grâce, à Paris.
Vous êtes partout ! À Cannes
comme réalisatrice, en studio pour
un album, bientôt sur le petit écran
pour la série Y a pas d’âge sur
France 2. Qu’est-ce qui vous anime
à ce point ?
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai
toujours voulu appréhender puis changer le monde pour qu’il soit tel que je
l’aimerais, quitte à tordre le cou au réel
quand il ne correspond pas à ce que je
veux. Enfant, j’ai commencé très tôt à
prendre des cours de danse, faire du
chant, monter sur les planches, j’avais
même construit un petit théâtre et je
jouais des pièces… Succès et plaisir
étaient au rendez-vous. J’ai pourtant
remarqué que là où je me sens le plus en
adéquation avec moi-même, c’est quand
je chante, quand j’arrive à émouvoir le
public aux larmes et que s’établit une
communication intense avec l’autre…
Justement, avec votre nouveau
disque, vous abordez un registre
nouveau, le sacré.
J’avais commencé le chant par des arias,
des cantates, des motets… je renoue aujourd’hui avec cette musique qui respire
le divin. Dès l’aurore de ma vie, j’ai connu
la prière. Au Mexique, j’ai été élevée dans
un milieu catholique fervent et j’ai suivi
tous les rites religieux avec ardeur. J’ai
fait un nombre de processions incalculable, connu dans ce pays les fêtes des
morts, avec les fleurs, les chants, les
cierges, d’une beauté extraordinaire. Je
suis pétrie de religion. Ce disque est
l’expression de ce qui me transcende : les
chœurs, les orgues et l’harmonie qui résonne au sein du sacré.
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interview
J’y ai toujours puisé une grande force, je
vis dans l’idée qu’il y a un au-delà et
qu’il me protège, je crois au dialogue
avec les morts, les gens que l’on a aimés.
La prière, c’est la béatitude face au
monde, à notre cheminement, la réconciliation avec soi. En réalité, je pense
que nous adressons tous des prières
secrètes, tout au long de la vie.
Vous êtes représentée en madone
sur la pochette du disque…
La vierge Marie est un modèle féminin
merveilleux, une figure de femme éternelle, qui a traversé les siècles et que
l’on retrouve dans tous les pays sous
différents visages. Dans son sillage
viennent les saintes, les mystiques [elle
sort Les Femmes mystiques (3) de son
sac et nous le montre avec élan]. J’ai une
passion pour ces femmes-là ! Les abbesses, les théosophes, les petites
sœurs, toutes étaient des femmes exigeantes et le monastère le seul lieu où
se dispensait la culture… Je nourris une
grande admiration pour ces femmes
remarquables, pour leurs parcours difficiles à travers les âges. Certaines ont
été brûlées pour leurs interrogations…
Depuis toujours, les femmes
doivent se battre…
Oui. Les avancées dans le corps social
sont encore récentes : Marguerite Yourcenar, première femme nommée à l’Académie, le droit à l’autonomie financière,
et je ne parle même pas du droit de vote !
C’était il n’y a pas cent ans et il y a vingt
siècles de lutte derrière ! Sur de nombreux plans, le prix à payer pour la liberté est élevé, toujours à l’origine de
bien des souffrances… Dès que l’on revendique sa féminité, que l’on se défie
du conformisme, c’est terrible ! On vous
impose tout de suite trois figures : vous
êtes forcément ou mère, ou pute ou sorcière. Nous, ici, sommes des femmes
extraordinairement gâtées, cultivées,
dans une des capitales du monde et des
Lumières. Mais nous appartenons à une
catégorie qui tient dans un mouchoir de
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poche. Je me rappelle ces femmes démunies au Mexique, je pense à ces
autres, qui vivent dans des pays où l’islam les réduit au silence. Mais heureusement, elles ont des ressources insoupçonnées. Elles arrivent à s’organiser
parfois, en sociétés secrètes, à se serrer
les coudes, à être des mères fortes, piliers de leur foyer…
Croyez-vous à la solidarité entre
femmes ?
Les femmes sont absolument étonnantes. Quand elles se retrouvent entre
elles, il y a une grande complicité, beaucoup d’éclats de rire, mais il suffit de la
présence d’un homme pour que tout
change. Il y a une hiérarchie qui se réinstalle, on réinvestit un rôle très différent parce qu’il faut séduire… et c’est
l’éternel dilemme.
Une femme libre, c’est d’ailleurs ce
que vous êtes. Vous assumez votre
côté fantasque tout en étant d’une
grande intériorité… Comment
conciliez-vous cela ?
Mais je n’y arrive pas ! [elle éclate de rire].
J’essaye de composer avec tout cela. On
peut me juger sur ma manière d’être, sur
ma singularité, mais quand on est
femme, on est obligée de biaiser, de trouver des subterfuges, d’avancer parfois en
prenant des chemins de traverse.
Vous parlez souvent de votre
grand-mère, qui a été pour vous un
formidable modèle. L’âge permet la
transmission…
Je ne pense pas que ce soit une question
d’âge mais plutôt de rencontres qui
nous révèlent. Avec ces femmes et ces
hommes qui vous apportent ce petit
quelque chose en plus qui vous permettra d’avancer. Je ne crois pas en l’expérience en soi, plutôt à des moments qui
vous ont éclairé et façonné. C’est merveilleux le temps de la vie, et ma grandmère m’a beaucoup appris, oui, en effet.
Elle a vécu 102 ans. Elle m’a montré la
voie, y compris de la vieillesse, j’y suis
préparée, à cette étape de la vie où le
corps vous abandonne, où l’on devient
très fragile et où l’on affronte le regard
des autres. Elle m’a enseigné qu’il faut
bien se traiter, prendre soin de son
corps, tout aimer de soi. Car nous pouvons aussi être nos pires ennemies.
La séduction est donc indissociable
du genre féminin ?
C’est l’essence du féminin, c’est notre
vrai pouvoir. Les femmes ont, je crois,
des forces secrètes, et cela fait peur.
Depuis la nuit des temps, elles sont
craintes des hommes, parce que potentiellement dangereuses. Évidemment,
on veut toujours nous réduire à la frivolité, au « lipstick » [rires], surtout les
marques de cosmétiques ! Heureusement la séduction dépasse les apparences. Elle se joue sur l’intelligence, le
fait d’être cultivé, libre…
arielle
dombasle by era
mercury
Mais au fond, je crois que nous restons
les mêmes. Moi, je suis exactement
comme celle que j’étais à 14 ans.
Vous êtes la féminité incarnée,
quelle serait pour vous la définition
du style ?
J’ai grandi parmi des gens extraordinairement raffinés, dans des endroits merveilleux. Ma mère, ma grand-mère, encore elle, était une femme d’une grande
élégance. Face à elles, je me suis toujours sentie comme une petite sauvageonne et j’ai d’abord pris leur contrepied. En tant qu’actrice, je joue
tellement de rôles, je me prête à tellement de personnages que je ne sais pas
très bien quel est mon style. Celui-ci
s’exprimerait plutôt dans le fait que
j’essaye d’être prévenante, attentive aux
autres. C’est cela mon style.
Il est temps de délivrer notre
traditionnel message aux Femmes
Majuscules…
Les Femmes Majuscules, pensez aux
plaisirs minuscules, microscopiques,
qui sont immenses ! ✦
1. Long-métrage librement inspiré du journal
éponyme que Jean Cocteau a tenu pendant
une cure de désintoxication en 1930. Sortie en
salles prévue en octobre.
2. Dans les bacs depuis le 1er juillet.
3. Les Femmes mystiques – Histoire et
dictionnaire, sous la direction d’Audrey Fella,
Robert Lafont « Bouquins ».
«Je ne crois pas en
l’expérience en soi,
plutôt à des moments
qui vous ont éclairé
et façonné, à des
rencontres qui nous
révèlent »
Yves Bottalico
La prière est-elle importante pour
vous ?
« Dès que l’on se défie
du conformisme,
on vous impose trois
figures : vous êtes
forcément ou mère,
ou pute ou sorcière »
Biographie
Née aux États-Unis, Arielle
Dombasle grandit au Mexique
où son grand-père est
ambassadeur de France et où
son père s’est installé à son tour.
Après le décès prématuré de sa
mère, qui était un « ange
absolu », elle est confiée à sa
grand-mère, « une femme
extraordinaire et hors du
commun » qui l’inspirera
beaucoup.
Elle démarre sa carrière
d’actrice en 1978 dans Perceval
le Gallois (1979) d’Éric Rohmer,
dont elle deviendra l’actrice
fétiche et qui la révèle
au grand public dans
Pauline à la plage (1983).
Elle tourne avec Robbe-Grillet,
Ruiz, Handke, mais aussi dans
des comédies comme
Un Indien dans la ville (1994)
et Astérix et Obélix contre
César (1999)…
Elle est aussi chanteuse et
passe du registre classique
au bel canto et aux chansons
latinos dont (Diva Latina,
Liberta, Amor Amor).
Elle s’est produite
au Crazy Horse en 2006.
Opium est son troisième
long-métrage.
Elle a reçu la Légion
d’honneur en 2007, pour
l’ensemble de sa carrière.

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