Cass. 1 civ., 11 févr. 2015, n° 13
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Cass. 1 civ., 11 févr. 2015, n° 13
Cass. 1re civ., 11 févr. 2015, n° 13-17.231 Responsabilité civile et assurances transport- Transport aérien de passagers – Accident international – Convention de Montréal – Existence d’une contestation sérieuse sur l’étendue de l’obligation à réparation du transporteur – Limitation des provisions allouées (oui) Obs. : Catastrophe aérienne et limitation du montant des provisions Il est des commentaires que l’on ne souhaiterait jamais rédiger, à plus forte raison lorsque l’actualité vient projeter un éclairage encore plus sombre sur ces lignes. Un mois et demi après cette décision de la Première Chambre civile relative aux conséquences de l’accident survenu lors du vol Air France Rio-Paris à la suite duquel l’avion s’était abîmé en mer dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, voici que le ciel se trouve une nouvelle fois endeuillé par le crash, le 24 mars dernier, d’un Airbus 320 de la Germanwings. Quelles que soient les raisons – encore partiellement incertaines – de ces deux drames, la douleur des proches des victimes est telle qu’il peut paraître pour le moins indécent de la quantifier et, par la même, de l’envisager suivant une stricte logique assurantielle. Pourtant, concernant le crash survenu il y a quelques semaines dans les Alpes, on remarquera que cette dimension indemnitaire est apparue très tôt. Les co-assureurs de la compagnie Germanwings – dont Allianz et AIG – ont annoncé avoir décidé de provisionner 300 millions de dollars, soit environ 279 millions € pour prévenir les demandes de dommages et intérêts des parents des 150 passagers victimes (en ce sens, V. not. Le monde, 31 mars 2015). Cette annonce rapide correspond aux exigences posées par les textes ; en effet, en vertu de l’article 28 de la Convention de Montréal, « en cas d’accident d’aviation entraînant la mort ou la lésion de passagers, le transporteur, s’il y est tenu par la législation de son pays, versera sans retard des avances aux personnes physiques qui ont droit à un dédommagement pour leur permettre de subvenir à leurs besoins économiques immédiats ». Le Règlement (CE) n° 2027/97 du Conseil relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident modifié par le Règlement (CE) n° 889/2002 du Parlement européen et du Conseil du 13 mai 2002 dispose quant à lui en son article 5 qu’ « avec toute la diligence nécessaire et, en tout état de cause, au plus tard quinze jours après que la personne physique ayant droit à indemnisation a été identifiée, le transporteur aérien communautaire verse à cette personne une avance lui permettant de faire face à ses besoins immédiats, en proportion du préjudice matériel subi » ; étant précisé que le montant alloué ne peut être inférieur à l'équivalent en euros de 16 000 droits de tirage spéciaux (DTS) par passager en cas de décès. Si la provision annoncée par les assureurs de la Germanwings respecte donc les exigences textuelles, on retiendra cependant que ce montant apparaît de prime abord assez élevé proportionnellement aux sommes jusqu’alors versées aux familles des passagers et membres d’équipage du vol Rio-Paris. C’est précisément au regard de ces provisions que la Première Chambre civile s’est positionnée par l’arrêt commenté ici. Les ayants droit de certaines victimes avaient assigné en référé-provision la compagnie aérienne (Air France), son assureur (AXA) et le constructeur de l’appareil (Airbus). Par un arrêt en date du 12 mars 2013, la Cour d’appel de Toulouse avait décidé de limiter le montant des provisions devant être allouées aux parents des victimes à la somme de 100 000 DTS par passager estimant que des investigations techniques et expertales étaient toujours en cours. On comprend assez nettement les raisons qui ont conduit les juges toulousains à fixer le curseur du montant des provisions à la hauteur de 100 000 DTS. Ce montant correspond en effet au seuil en-deçà duquel le transporteur aérien est placé dans le cas d’une responsabilité objective au regard de laquelle seule la faute de la victime peut valoir exonération. Si l’article 17 de la Convention de Montréal dispose que « le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement », c’est l’article 20 de ce texte qui précise le caractère exonératoire de tout acte de négligence ou omission préjudiciable du passager. Ainsi, jusqu’à 100 000 DTS, la responsabilité du transporteur est “quasi“ absolue et l’obligation à réparation ne peut subir aucune limite. En revanche, au-delà de 100 000 DTS, l’automaticité de cette obligation disparaît si le transporteur prouve, conformément à l’article 20 § 2 (a et b) de la Convention de Montréal, « que le dommage n’est pas dû à la négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable du transporteur, de ses préposés ou de ses mandataires, ou que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d’un autre acte ou omission préjudiciable d’un tiers ». C’est ainsi qu’au-delà de 100 000 DTS, l’interrogation nait au regard du principe et de l’étendue de l’obligation à réparation du transporteur aérien alors qu’en-deçà de ce seuil ces questions ne se posent pas. En l’espèce, Air France entend contester l’exclusivité de sa responsabilité dans la survenance de l’accident. Or, à ce jour, les investigations sont toujours en cours de sorte qu’il est impossible de connaître les causes précises de l’accident. En conséquence, il existe une contestation sérieuse sur l’étendue de l’obligation à réparation de la compagnie aérienne ce qui justifie que les juges du fond aient limité les provisions devant être allouées aux ayants droit. La Première Chambre civile de la Cour de la Cour de cassation a donc estimé que les juges du fond avaient valablement borné le montant des provisions à 100 000 DTS du fait de la persistance des incertitudes entourant encore les causes de l’accident du vol Rio-Paris. On pourra s’interroger en dernier lieu sur le fait de savoir si les ayants droit des victimes du vol Rio-Paris n’auraient pas pu obtenir, suivant un autre fondement, davantage que les 100 000 DTS alloués par la Cour d’appel de Toulouse. En effet, la Convention de Montréal a été révisée le 30 juin 2009 conformément à son article 24 avec une entrée en vigueur fixée au 30 décembre 2009 (sur cette révision, V. spéc. A. Lemarié, « Transport aérien : révision des limites de responsabilité de la convention de Montréal », Revue de droit des transports, étude 4). Les limites de responsabilité sont désormais établies à 113 100 DTS en cas de décès du passager. La question se pose alors de savoir si cette réévaluation devait bénéficier aux ayants droit des victimes de la catastrophe aérienne du vol Rio-Paris. La réponse est malheureusement négative puisque seuls les contrats de transport conclus et exécutés après le 30 décembre 2009 se voient appliquer les nouvelles limites. En revanche, les contrats antérieurs à cette date restent soumis à la limite de 100 000 DTS, même si le traitement judiciaire de ces catastrophes est réalisé postérieurement au 30 décembre 2009. Tel est le cas des contrats de transport correspondant au vol Air France Rio-Paris, lequel trajet s’était déroulé dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009. L. de GRAËVE L’arrêt : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 mars 2013), que, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009, un aéronef, exploité par la société Air France (le transporteur aérien), en provenance de Rio de Janeiro et à destination de Paris, s'est abîmé en mer, causant la mort de tous les passagers et membres d'équipage ; que des ayants droit de victimes ont assigné en référé-provision le transporteur aérien, son assureur (la société Axa Corporate solutions), ainsi que le constructeur de l'appareil (la société Airbus) ; Sur le premier moyen : Attendu que ces ayants droit font grief à l'arrêt de limiter le montant des provisions à leur profit à la somme de 100 000 droits de tirage spéciaux (DTS) par passager, alors, selon le moyen, qu'en application des articles 17, 20 et 21 de la Convention de Montréal, le transporteur reste tenu de plein droit d'une obligation objective et sans limite d'indemniser les passagers ayant trouvé la mort ou victimes de lésions corporelles lors d'un accident aérien tant qu'il n'a pas rapporté la preuve de la réunion des conditions d'une exonération, en l'occurrence la preuve de ce que le dommage n'était pas dû à sa négligence ou à un autre acte ou omission préjudiciable de lui-même, de ses préposés ou de ses mandataires; qu'ainsi, les juges du fond qui ont refusé sur le principe d'attribuer aux ayants droit des victimes des provisions d'un montant supérieur à 100 000 DTS, au seul motif que des investigations étaient encore en cours et que les causes de l'accident n'étaient pas définitivement établies, sans rechercher si la société Air France, qui s'était bornée à faire valoir dans ses conclusions que les causes de l'accident n'étaient pas encore déterminées dès lors que des expertises et enquêtes n'étaient pas encore achevées, avait sérieusement contesté en produisant des éléments de preuve pertinents les conclusions expertales intervenues mettant gravement en cause les réactions inappropriées de l'équipage à la suite du givrage des « sondes Pitot », n'ont pas, en substituant à la règle selon laquelle le transporteur ne peut invoquer de limitation à l'indemnisation due aux victimes tant qu'il n'a pas prouvé de manière certaine les éléments prévus à l'article 21 de la Convention une règle erronée selon laquelle le transporteur pourrait opposer aux victimes une limitation tant qu'il ne peut être certain que ce transporteur soit dans l'impossibilité de rapporter cette preuve, justifié légalement leur décision au regard de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble des articles 17 et 21 de la Convention de Montréal ; Mais attendu que l'existence d'investigations en cours, destinées à déterminer les causes d'un accident de transport aérien international, suffit à caractériser l'existence d'une contestation sérieuse sur l'étendue de l'obligation à réparation du transporteur aérien et à justifier à ce titre, en vertu de l'article 21 de la Convention de Montréal, une limitation des provisions allouées au seuil de 100.000 DTS; que dès lors, ayant relevé que les causes de l'accident litigieux n'étaient pas encore définitivement établies, les enquêtes et expertises n'étant pas encore achevées, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; Et sur le second moyen, ci-après annexé : Attendu que les ayants droit font encore grief à l'arrêt de rejeter leur demande de provision à l'encontre de la société Airbus ; Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne les demandeurs au pourvoi aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;