La place du consommateur dans le droit de la concurrence

Transcription

La place du consommateur dans le droit de la concurrence
UNIVERSITE MONTPELLIER I
CENTRE DU DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
Master II Droit de la consommation et Droit de la concurrence
LA PLACE
DU CONSOMMATEUR
DANS LE
DROIT DE LA CONCURRENCE
Par Mlle Hélène MESSMER
Mémoire réalisé sous la direction de Mme Aude LE DANTEC
Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier
Année universitaire 2013 – 2014
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à :
Monsieur Malo Depincé, Maître de conférences à la Faculté de droit de Montpellier et
Directeur du Master II Droit de la consommation et droit de la concurrence, pour
m’avoir offert l’opportunité de suivre ce parcours intéressant et riche d’enseignements.
Monsieur le Professeur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de
Montpellier et Directeur du Master II Droit privé économique pour l’ensemble des
enseignements dispensés au cours de l’année universitaire 2013/2014.
Madame Aude Le Dantec, Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier, pour sa
réactivité, sa patience, ses conseils, ainsi que pour toute l’aide apportée dans le cadre de
la rédaction de ce mémoire.
L’ensemble des membres de l’équipe pédagogique du Master II Droit de la
consommation et droit de la concurrence ainsi que du Master II Droit privé
économique pour les enseignements dispensés et les interventions enrichissantes ayant
eu lieu dans le cadre de cette formation.
1
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
LISTE DES ABREVIATIONS
act.
Actualité
aff.
Affaire
Aut. de la conc.
Autorité de la concurrence
Bull. civ.
Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de
cassation
c/
Contre
CEE
Communauté économique européenne
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes
CJUE
Cour de justice de l’Union européenne
Civ.
Arrêt d’une Chambre civile de la Cour de cassation
coll.
Collection
Comm. CE
Commission des communautés européennes
Comm. eur.
Commission européenne
comm.
Commentaire
Cons. Conc.
Décision du Conseil de la concurrence
Cons. de l’Union eur.
Conseil de l’Union européenne
D.
Recueil Dalloz
Déc.
Décision
Dir.
Directive
éd.
Edition
Ibid.
Ibidem, au même endroit
Infra
Plus bas
JO
Journal officiel
JOCE
Journal officiel des Communautés européennes
JORF
Journal officiel de la République française
p. et pp.
Page et pages
P.U.F.
Presses Universitaires de France
Rec.
Recueil
2
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Supra
Plus haut
TPICE
Tribunal
de
première
européennes
UE
Union européenne
3
instance
des
Communautés
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE EN
FILIGRANE AU SEIN DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
TITRE I – LE CONSOMMATEUR FACE A L’HEGEMONIE DU
MARCHE AU SEIN DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
Chapitre 1 – La place du consommateur liée aux origines et fondements
traditionnels du droit de la concurrence
Chapitre 2 – La place du consommateur liée à la délicate appréhension de
ses enjeux
TITRE II – LE CONSOMMATEUR EN TANT QUE DETERMINANT
CENTRAL DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
Chapitre 1 – Le consommateur en tant qu’élément cadre de référence au
sein du processus concurrentiel
Chapitre 2 – Le consommateur en tant qu’élément passif du processus
concurrentiel
4
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
SECONDE PARTIE – LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE AU
CŒUR DE LA MODERNISATION DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
TITRE I – LE CONSOMMATEUR FACE A L’EMERGENCE DE
NOUVELLES
OPPORTUNITES
AU
SEIN
DU
PROCESSUS
CONCURRENTIEL
Chapitre 1 – Le consommateur comme « cheval de bataille » du droit de la
concurrence
Chapitre 2
–
Le consommateur comme nouvel acteur du droit de la
concurrence
TITRE II – LE CONSOMMATEUR FACE A L’EMERGENCE D’UN
NOUVEAU CADRE NORMATIF
Chapitre 1 – La place du consommateur comme impulsion d’une évolution
législative
Chapitre 2 – La place du consommateur comme impulsion de l’avènement
d’un droit du marché
5
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
INTRODUCTION
1. -
Le consommateur, dans son acception la plus générale et commune, désigne une
personne qui va avoir recours à une chose, afin d’en faire un usage quelconque, ou non.
Il est plus ouvertement identifié au sein d’une sphère marchande, en tant qu’acheteur de
biens ou utilisateur de services, proposés le plus souvent par des entreprises.
Il participe quotidiennement à l’activité économique sur un territoire. Il est toutefois des
domaines où il ne semble pas être à même d’apprécier dans une juste mesure,
l’influence qu’il est destiné à avoir.
2. -
Un exemple illustrant parfaitement ce propos concerne le domaine propre au
phénomène de la concurrence. Le consommateur peut certainement appréhender cette
notion à son échelle. Il la percevrait comme une situation de compétition sur un marché,
entre plusieurs opérateurs, en vue de s’attirer ses faveurs, ceci dans un but de rentabilité
et de profit. Dans sa dimension plus juridique cependant, il ne relève pas de l’évidence
pour ce personnage particulier de soupçonner le processus qui s’y attache et qui fait
l’objet d’une législation singulière. Cette dernière, désignée par l’expression « droit de
la concurrence », l’appréhende pourtant sans conteste. Elle s’intéresse aux agissements
des divers opérateurs ayant cours sur des marchés, théâtres partagés des interventions
courantes du consommateur. C’est par ailleurs, en ayant pour mission de réguler les
comportements d’entreprises sur ces derniers, ainsi que la compétition à laquelle elles se
livrent, que le droit de la concurrence et les règles qui en émanent, parviendront à
garantir un libre jeu de la concurrence en leur sein. Ils permettront ainsi de surcroît, au
consommateur, d’opérer les meilleurs choix en termes de consommation. Il est présumé
que par leur souhait d’être les plus compétitives, chacune des entreprises redoublera
d’efforts pour présenter les offres les plus attractives au consommateur. Cet aspect ne se
vérifie pourtant pas toujours dans les faits, celles-ci retirant parfois un avantage plus
substantiel de par des agissements répréhensibles, au détriment des intérêts du
consommateur. Le droit de la concurrence aura ainsi pour mission de venir sanctionner
ces méfaits.
6
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
3. -
Une convergence émerge dès lors entre le consommateur et le droit de la
concurrence. Chacun d’eux serait amené à avoir un impact sur l’autre, de façon plus ou
moins directe. Ils entretiendraient ainsi des liens, sans pour autant que le consommateur
ne s’en rende compte outre mesure. Le droit de la concurrence pourrait d’ailleurs
paraître ambigu sur ce point, en ce qu’il fait souvent référence au terme « d’utilisateur »
par lequel il ne désigne pas uniquement l’utilisateur final, dernier maillon de la chaîne
économique, mais également les opérateurs intermédiaires, les entreprises.
4. -
Dans le cadre de la présente étude, seul sera considéré le consommateur en tant
que « personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son
activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale »1, ou en d’autres termes, le
consommateur final.
5. -
Il est intéressant d’appréhender les relations qui sont susceptibles de se nouer
entre ce protagoniste et ce corps de règles spécifiques, celles-ci n’étant pas perceptibles
dès le premier regard. Le consommateur pourra avoir une influence certaine à l’égard de
la législation notamment en ce qu’il pourra en constituer un élément permettant sa
réalisation. Réciproquement, celle-ci pourra avoir une influence sur sa condition tant par
les règles qu’elle édicte et qui auront vocation à jouer sur le marché, que par sa prise en
compte dans la mise en œuvre du droit.
6. -
Dans le but d’approfondir au mieux ce propos, il est nécessaire de délimiter le
champ d’investigation, afin de se concentrer sur les considérations les plus pertinentes.
A cette fin, le droit de la concurrence de l’Union européenne constituera le point de
repère essentiel. Le système de l’Union étant toutefois intégré dans un ordre juridique
national ; il ne saurait être omis de se fonder également sur le droit interne français. A
ce titre, une précision doit d’emblée être apportée. Le droit positif contient des
dispositions tout à fait analogues à celles établies par les autorités européennes,
notamment en ce qui concerne la poursuite des pratiques anticoncurrentielles dont les
1
2
Article préliminaire du code de la consommation.
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des
7
sanctions
civiles
en
droit
des
pratiques
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
définitions sont similaires, avec parfois quelques subtilités. Chacun de ces deux pans
législatifs intègrent toutefois leurs propres spécificités, de sorte qu’ils seront amenés
chacun de leur côté à réprimer des violations faites aux règles de concurrence que
l’autre n’appréhendera pas. Le droit interne de la concurrence connaît encore, en sus du
droit antitrust pur et des règles relatives au contrôle des concentrations majoritairement,
des règles consacrées aux pratiques dites restrictives de concurrence. Celles-ci, quoique
ayant un lien avec la notion de concurrence, s’attachent davantage à la préservation de
la loyauté des relations commerciales et s’orientent vers la protection des opérateurs
concurrents. Dans le cadre de cette étude, ces règles particulières ne seront pas
envisagées, dans un souci de clarté et afin de combiner au mieux les fondements
internes et de l’Union européenne qui serviront de référence.
7. -
Les bases étant posées, il s’agit dès à présent, de mettre en parallèle la législation
et le consommateur aux fins de mettre en exergue leurs rapports.
Il apparaît que l’intérêt essentiel des problématiques mêlant à la fois le consommateur et
le droit de la concurrence concerne la place que le premier pourrait avoir au sein du
second, ainsi que la place que ce dernier est prêt à concéder au premier. Cette
problématique est vaste et revêt un caractère bien trop étendu pour qu’une seule réponse
puisse y être apportée. La notion de « place » elle-même sous-tend diverses acceptions,
de sorte qu’il serait possible d’envisager cette question sous de multiples angles.
Deux aspects semblent fréquemment être placés sur le devant de la scène et font par
ailleurs, l’objet d’actualités récentes.
8. -
Le premier s’attache à la considération du consommateur par le droit de la
concurrence. L’essentiel de l’interrogation se porte sur la teneur et la constance de sa
prise en compte. L’enjeu majeur étant semble-t-il de déterminer si le droit de la
concurrence se devrait de tendre vers une nécessaire protection du consommateur et de
son bien-être sur le marché.
8
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
9. -
Un second aspect s’attache à une vision plus active du consommateur. S’il est
admis qu’il participe à l’activité économique, il peut être envisagé qu’il intervienne
également au sein du processus concurrentiel, sans pour autant en avoir pleinement
conscience. L’interrogation principale se porte alors sur le rôle que le consommateur a
vocation à jouer en la matière. L’enjeu majeur est ici d’identifier les options et facultés
d’intervention qui lui sont à disposition et qui lui permettraient d’avoir une influence au
sein du processus concurrentiel, voire même dans l’efficacité du droit qui le régit.
10. -
A cela s’ajoute encore un autre facteur venant peser sur la balance. Le droit de la
concurrence n’est pas un droit résolument statique. Il est pétri de diverses notions et
conceptions de nature économique. Sa mise en œuvre est également irriguée de
nombreuses inspirations et ascendants. En vertu de ces coefficients, il aura vocation à
évoluer, tant au niveau des processus législatifs futurs le concernant, qu’au niveau de
son application.
S’il est admis que le droit de la concurrence n’ignore pas le consommateur et lui porte
une attention certaine, la situation de ce dernier en viendra nécessairement à être
modifiée, au fil des transformations. L’interrogation se porte dès lors sur l’évolution de
la place du consommateur au sein du processus concurrentiel. L’enjeu majeur est ainsi
de déterminer non seulement si les intérêts du consommateur ont vocation à être
davantage pris en considération dans le jeu du processus concurrentiel, mais également
s’il finira part y devenir un acteur à part entière.
S’il est admis encore que le consommateur prenne part au processus concurrentiel, ainsi
qu’à la mise en œuvre du droit dans sa globalité, il serait judicieux d’examiner s’il peut
également constituer un des vecteurs des renouvellements législatifs futurs.
L’interrogation se porte dès lors, sur l’impact de ce dernier comme moteur du
changement. L’enjeu majeur est ainsi d’entrevoir si le consommateur est à même de se
trouver au cœur d’un renouveau normatif.
9
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
11. -
Dès lors, il convient de s’interroger sur l’influence que le droit de la
concurrence est prêt à concéder au consommateur, tant dans sa mise en œuvre
actuelle que dans ses évolutions futures.
12. -
Il apparaît que le consommateur est sans cesse évoqué par la législation, de sorte
que celui-ci est nécessairement entrevu en la matière. Le processus concurrentiel
l’intègre, toutefois pas nécessairement à la teneur qui pourrait être soupçonnée. Il
représente davantage une figure centrale en filigrane au sein de celui-ci (Première
partie). Il y transparaît à de multiples reprises, tout en y étant en retrait, en comparaison
à d’autres composantes.
13. -
Il apparaît encore que les autorités publiques soient en quête d’un renouveau
constant, un mouvement de modernisation du droit, ainsi que du processus concurrentiel
en son entier étant en œuvre. En vertu de diverses prétentions, le consommateur semble
constituer l’une des figures centrale de cette nouvelle impulsion. Il se situe au cœur de
la modernisation du processus concurrentiel (Seconde partie).
10
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
PREMIERE PARTIE
LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE EN
FILIGRANE AU SEIN DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
14. -
Le droit de la concurrence, de sa conception à sa mise en œuvre, est marqué par
le postulat selon lequel son objectif cardinal s’orienterait vers le consommateur et la
prise en compte de ses intérêts. Son rôle de maintien de la concurrence dans le but
d’assurer l’allocation efficace des ressources ainsi que de promouvoir le progrès et
l’efficacité économique, se traduirait automatiquement à son niveau, en tant que celui-ci
est le dernier maillon de la chaîne de production et de distribution. De par sa mission de
préservation du libre jeu de la concurrence sur les marchés, le bien-être du
consommateur en serait toujours recherché, une concurrence effective lui étant
considérée comme nécessairement bénéfique in fine. Ainsi envisagé, il serait tentant
d’appréhender ce personnage en tant que partie prenante en la matière, acteur effectif,
conscient de ses droits et dans la capacité d’agir pour s’assurer de sa protection. Ceci
étant combiné à un corps de règles qui assurera à tout égard la concrétisation d’une telle
perspective. De manière plus générale, par ailleurs, il apparaîtrait naturel de le préserver
des pratiques préjudiciables mises en œuvre par les entreprises, celui-ci étant la pierre
angulaire de l’économie qui, de par sa consommation, en assurera la croissance.
15. -
La mission assignée au droit de la concurrence, dans sa réalisation, révèle
toutefois la prise en compte d’autres considérations jugées tout aussi majeures, et qui
auront souvent tendance à devenir prééminentes. Ainsi, il s’avère qu’au-delà de la visée
de protection du consommateur, ouvertement affichée, il opère assurément une mise en
balance entre le bien-être de celui-ci et l’exigence de protection d’une dynamique de
marché, terrain sur lequel il a vocation à s’exercer (Titre I).
16. -
Quoique le consommateur s’en trouve relégué à une position moins influente, il
reste un déterminant central de la mise en œuvre du droit de la concurrence dont la
référence pourra être vérifiée à plusieurs reprises (Titre II).
11
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TITRE I
Le consommateur face à l’hégémonie du marché au sein du processus
concurrentiel
17. -
Le consommateur, s’il est fréquemment désigné par les textes, se voit toutefois
conférer une place particulière au sein du processus concurrentiel dont il est parfois dur
d’évaluer l’importance.
18. -
Initialement établi afin de répondre à des situations factuelles dommageables
survenues sur des marchés, le droit de la concurrence se veut essentiellement
pragmatique et empreint de nombreux fondements de nature économique. Ses origines
et les conceptions traditionnelles qui l’imprègnent sont à même d’expliquer cette place
particulière reconnue au consommateur en la matière (Chapitre 1). Quoique cette
constatation puisse s’opérer dès le stade de l’élaboration du droit, elle se vérifiera
également au stade de son application. Au sein du processus législatif, les
problématiques liées au consommateur n’ont pas fait l’objet d’une détermination
expresse et claire, seul le marché ayant été typiquement entrevu. La mise en œuvre de
ce corps de règles spécifiques en a nécessairement été impactée, de sorte que la place du
consommateur est intimement liée à la délicate appréhension des enjeux le concernant
(Chapitre 2).
Chapitre 1 - La place du consommateur liée aux origines et fondements
traditionnels du droit de la concurrence
19. -
A titre liminaire, il convient de préciser qu’il ne s’agira pas ici de déceler une
véritable dichotomie entre la prise en compte du marché et celle du consommateur en
tant que telle, ces deux impératifs ne pouvant s’exclure l’un de l’autre et pouvant même
être considérés comme interdépendants2. Il s’agira toutefois, de concevoir que dès
2
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
12
sanctions
civiles
en
droit
des
pratiques
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
l’origine, le marché économique a constitué le déterminant majeur de l’élaboration du
droit de la concurrence, ceci pouvant expliquer que sa prise en compte prenne le pas sur
d’autres considérations qui seront reléguées à un plan plus secondaire.
20. -
L’analyse du rôle conféré au consommateur au sein du droit de la concurrence
ne saurait s’affranchir de celle relative au socle sur lequel ce dernier est établi. La
concurrence étant nécessairement liée à la notion de marché, la législation lui étant
consacrée ne pouvait s’en détacher. De par ses origines, il est donc unanimement
reconnu que le droit de la concurrence a été fondé au regard de cet élément, dont la
protection a été perçue comme une nécessité, afin d’en garantir la vigueur et la
prospérité (Section 1). L’établissement d’un corps de règles spécifiques n’étant pas le
seul gage de l’effectivité et de l’efficacité d’une telle protection, le droit de la
concurrence, dans sa mise en œuvre, est résolument un droit au service du marché
envisagé (Section 2).
Section 1 – Le droit de la concurrence originellement fondé au regard d’un marché
21. -
Lorsqu’il s’agit d’examiner les origines du droit de la concurrence, le point de
départ se situe inévitablement au niveau de la législation antitrust développée aux
Etats-Unis3, ainsi que de l’influence plus tardive de l’Ecole structuraliste de Harvard4
(Paragraphe 1). Une réflexion s’orientera également et principalement sur l’Union
européenne, utilisant le droit de la concurrence comme un instrument de réalisation d’un
marché intérieur unique (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Le droit antitrust américain et l’Ecole structuraliste de Harvard
22. -
La naissance du droit de la concurrence est intimement liée aux évènements
historiques ayant eu cours essentiellement dans la seconde moitié du XIXème siècle aux
Etats-Unis. Une intervention en la matière n’était jusque là pas perçue comme une
3
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point de
vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3, p. 368.
4
Ecole structuraliste de Harvard à laquelle sont assimilés notamment Edward Mason (1939) ainsi que Joe
Bain (1956).
13
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
évidence, la tendance majoritaire exprimant l’idée selon laquelle la concurrence serait
un ordre économique spontané, capable de s’autoréguler5. Du fait de l’industrialisation,
de grands monopoles ont été amenés à se constituer et se sont accrus jusqu’à atteindre
une puissance telle que les marchés et leurs structures en ont été perturbés, au détriment
en dernier lieu des utilisateurs, bénéficiaires de cette économie. Une concurrence
effective ne pouvait plus être garantie, les entreprises à tendance monopolistique ne
laissant plus place à d’autres acteurs. Afin de permettre un démantèlement de ces
dernières pour la remise en ordre des marchés et d’assurer la pérennité de leur
fonctionnement optimal au bénéfice des opérateurs économiques, les autorités publiques
ont décidé d’intervenir. Cela s’est illustré par l’établissement d’un corps de règles
propres à ces situations par le biais du « Sherman Antitrust Act » en date du 2 juillet
18906, complété par un « Clayton Antitrust Act » le 15 octobre 19147.
23. -
Un fondement tourné vers cette idée de marché sain et dans le but de pallier une
conjoncture particulière est à même d’expliquer que la législation soit imprégnée des
mêmes préoccupations dans sa mise en œuvre. Le consommateur sera certes selon une
acception commune le bénéficiaire de cette législation, mais cela ne sera pas dû au fait
qu’elle soit exclusivement orientée vers son bien-être et la préservation de ses intérêts,
cela sera uniquement le résultat de son objectif principal de protection du marché et du
libre jeu de la concurrence sur celui-ci.
24. -
Cette constatation quant à la primauté du marché peut encore se vérifier avec
l’influence prédominante qu’a pu avoir l’Ecole structuraliste de Harvard8 dont la thèse a
été illustrée notamment par le paradigme « structures-comportements-performances »
(SCP) développé par Edward Mason. L’étude de la structure du marché y est
primordiale, cette dernière influençant non seulement le comportement des opérateurs
économiques, mais également leurs performances, l’idée étant que la concentration du
pouvoir en une seule main ne pourrait avoir que des effets néfastes. Le droit se
développe dans un climat de méfiance envers les situations de monopoles et de
5
6
7
8
Voir notamment les thèses d’Adam Smith et de Jean-Baptiste Say.
The Sherman Antitrust Act, 2 juil. 1890, ch. 647, 26 Stat. 209, 15 U.S.C. §§ 1-7.
The Clayton Antitrust Act, 15 oct. 1914, 15 U.S.C. §§ 12-27, 29 U.S.C. §§ 52-53.
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, coll. Systèmes Droit, LGDJ, 2002, p. 11.
14
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
regroupements d’entreprises, dont il faut combattre « les comportements susceptibles de
réduire le niveau de concurrence »9. Cet objectif prédomine dès lors sur toute autre
considération.
25. -
Après avoir brièvement rappelé les rudiments du droit antitrust américain, il
convient encore de se concentrer sur la constitution du droit de la concurrence de
l’Union européenne, imprégnée tout autant par ce concept de marché, dans une
acception tout autre cependant.
Paragraphe 2 – Le droit européen de la concurrence comme instrument de la
réalisation d’un marché intérieur unique
26. -
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale en Europe et face aux nécessités de
reconstitution des économies nationales, est venu s’ancrer un enjeu supplémentaire tout
à fait spécifique ; celui de la construction européenne. Aux fins de réalisation d’un tel
objectif, un ensemble de règles a été mis en place dont le droit de la concurrence de
l’Union européenne constitue une partie. Ce dernier intègre alors inévitablement ce
même enjeu que ce soit au stade de son élaboration, qu’au stade de sa mise en œuvre.
27. -
Inspiré du droit antitrust américain, il va véritablement naître en Europe de par la
signature du Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne, le 25
mars 195710. Il est une synthèse des influences des politiques françaises de nature très
interventionnistes et des politiques allemandes plus libérales 11 . L’idée primordiale
portait sur la création d’un grand marché unique, intégrant les marchés de divers Etats,
où s’exercerait une libre circulation faisant tomber les barrières et restrictions à la
concurrence, doublé de l’établissement de règles spécifiques destinées à éviter que des
comportements privés n’en recréent.
9
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, coll. Systèmes Droit, LGDJ, 2002, p. 35.
Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957.
11
Dont notamment l’Ecole de pensée de Fribourg, à l’origine de la doctrine de l’ordo-libéralisme animée
par Walter Eucken et Franz Böhm.
10
15
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
28. -
L’Union a toujours eu une acception étroite de la concurrence, de nature ordo-
libérale, seule la préservation de son existence étant réellement impérative. Elle n’est
pas considérée comme une fin en soi, mais comme une « concurrence moyen »,
instrument au service de l’objectif des traités, de réalisation du marché intérieur, défini
par l’article 26 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne 12 comme
comportant un espace sans frontières intérieures dans lequel circulent librement
marchandises, personnes, services et capitaux. Depuis son élaboration, ces règles n’ont
guère évolué au sein des diverses versions consolidées des traités, seuls des
changements mineurs étant perceptibles. Alors que la concurrence était mentionnée dès
les dispositions liminaires dans le Traité de Rome13, elle n’y figure plus expressément
dans l’article 3 paragraphe 3 du Traité instituant la Communauté européenne14 qui se
contente de disposer que l’Union établit un marché intérieur sans plus amples précisions
à cet égard. Cette notion n’a pourtant pas été négligée et a été reléguée dans un
protocole (n°27)15 relatif au marché intérieur et à la concurrence qui confirme que ledit
marché comprend un système « garantissant que la concurrence n’est pas faussée ».
29. -
Il ne saurait être fait omission en outre, que le système de l’Union européenne
est intégré dans un ordre juridique national. Le droit de la concurrence de l’Union
européenne coexiste avec des droits nationaux dont le droit interne français, qui
constituera l’un des objets de cette étude. Celui-ci ne fait pas fi des règles d’origine
européenne et en est même fortement imprégné, les dispositions législatives en la
matière étant similaires. L’Autorité de la concurrence, comme les juridictions nationales
conçoivent également à leur respect et à leur application. Le droit interne aura toutefois
une acception plus large de la concurrence dans la mesure où il se préoccupera
également de la préservation de sa loyauté au sein du marché et entre les divers
opérateurs y étant établis. Il est manifeste que, non seulement pétri de cette notion de
12
Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, C-83/47, 30 mars 2010,
article 26.
13
Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957.
14
Version consolidée du Traité instituant la Communauté européenne, 25 mars 1957.
15
Protocole (n°27) sur le marché intérieur et la concurrence : « le marché intérieur tel qu’il est défini à
l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est
pas faussée ».
16
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
marché comme toute législation en la matière, il envisagera nécessairement
l’importance de la construction européenne et du développement du marché unique16.
30. -
A tous les égards, il est ainsi possible d’observer que la notion même de marché
irrigue le droit de la concurrence dès le stade de son élaboration. De ce fait, il va
s’intéresser en priorité aux entreprises et offreurs, ceci pour en réguler le pouvoir de
marché afin d’assurer qu’il ne fausse pas le libre jeu de la concurrence. La protection du
consommateur n’a pas été prise en compte en tant que telle dans le processus
législatif17 ; il sera entrevu comme le simple bénéficiaire évident de l’exercice de ces
règles. Les fondements du droit antitrust américain, tout comme les perspectives d’une
construction européenne sont à même d’expliquer que le droit de la concurrence ait été
établi comme un véritable droit du marché et au service constant de sa protection, de
son accroissement et de ses finalités.
Section 2 - Le droit de la concurrence résolument au service du marché
31. -
Ainsi qu’il l’a été démontré précédemment, le socle fondamental du droit de la
concurrence repose sur des exigences relatives à un marché économique, ceci
conditionnant son impulsion. Partant de cette constatation, il est parfois ardu de
comprendre le postulat constamment énoncé18 selon lequel le consommateur en serait
l’élément essentiel, dont la recherche du bien-être et la préservation des intérêts serait le
fil conducteur. Il semble certes relever de l’évidence qu’une concurrence non faussée
assure un meilleur dynamisme des marchés pour un meilleur fonctionnement de
l’économie, notamment au profit des opérateurs qui pourront ainsi répercuter leurs
actions sur les utilisateurs finals, dont nécessairement les consommateurs. Ces derniers
pourront alors profiter pleinement d’une politique de prix qui ne soit pas biaisée, ainsi
16
M. MALAURIE-VIGNAL Droit de la concurrence interne et européen, 5e éd., coll. Sirey Université,
Dalloz, 2011, p. 38.
17
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 24 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
18
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 5e éd., coll. Sirey Université,
Dalloz, 2011, p. 16.
17
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
que des progrès en terme d’innovations et de qualité des produits et services présentés.
Envisagé selon cette conception, le droit de la concurrence aurait toujours en ligne de
mire le consommateur in fine et lui serait en quelque sorte dévoué.
32. -
L’examen des origines du droit de la concurrence permet pourtant de développer
une toute autre analyse et de nuancer un tel propos. Dès lors qu’une législation est
fondée sur un élément particulier et au regard d’un impératif spécifique, ceux-ci
resteront les éléments qui viendront sous-tendre sa mise en œuvre de manière
continuelle. Ce qui transparaît au stade de la formation du droit, transparaîtra a fortiori
au stade de son application. Il est ainsi commode de comprendre cette perception selon
laquelle le droit de la concurrence a pour dessein majeur la protection des marchés et
non des consommateurs, quoi que ces deux intérêts ne sauraient être exclusifs l’un de
l’autre. Ils ne seront pas en effet, forcément discordants et une opposition frontale entre
les deux ne sera jamais vérifiée en tout instant. Il sera néanmoins tout à fait
envisageable que les intérêts du consommateur soient relégués à un second plan, voire
parfois même négligemment mis de côté notamment concernant ses intérêts immédiats,
au regard de l’intérêt plus impérieux de la pérennité d’une dynamique des marchés,
censée lui être tout autant bénéfique in fine dans sa globalité.
Ceci peut se vérifier aisément par l’exemple de la pratique des prix prédateurs opérée
par une entreprise en position dominante sur un marché, en vue de l’éviction d’un
concurrent. Au cours d’une première période, le consommateur pourra profiter d’une
politique de prix bas. Cet intérêt ne saurait toutefois primer dans la mesure où lorsque le
dessein de l’entreprise aura été accompli, celle-ci aura tout loisir de mettre en place des
tarifs beaucoup plus conséquents, au détriment du consommateur in fine. Il ne pourra
plus exploiter une situation de concurrence et rechercher des prix moindres ou alors
dans une proportion moins avantageuse. La structure du marché doit ici être protégée,
pour une finalité qui s’exprimera indirectement auprès du consommateur au final.
33. -
En s’attardant d’un peu plus près, par ailleurs, à la poursuite des ententes et
accords entre entreprises, il est possible d’y déceler un point faisant office de curiosité.
Le principe qui prévaut en la matière est celui d’une répression des violations au droit
18
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
qui auront un impact restrictif de concurrence. Si le comportement infractionnel
s’avérait d’une ampleur moindre, de sorte qu’aucun effet majeur ne puisse être
véritablement retenu, par le jeu des seuils de sensibilité notamment, il ne sera pas
sanctionné à ce titre. Il serait considéré que la protection du marché soit garantie et
ainsi, le bien-être du consommateur préservé in fine. Il n’empêche que ce dernier serait
toutefois susceptible de subir une quelconque atteinte de ce fait, la pratique étant réelle
et ne pouvant être considérée comme effacée. Quoique les autorités de concurrence
décident de ne pas infliger de sanction à ce titre, il faudrait tout de même qu’il puisse
obtenir réparation du préjudice qui lui aura été éventuellement causé 19 . Si cette
possibilité ne lui était pas offerte ou trop difficilement réalisable, cela reviendrait à
constater une fois encore, la délicate place du consommateur au sein de la législation et
la recrudescence des considérations tenant au marché.
34. -
Le droit de la concurrence, s’il n’oublie jamais totalement le consommateur,
place toutefois les intérêts du marché, du commerce et donc de l’économie au dessus. Il
leur est totalement consacré, cela se vérifiant aisément dans la pratique. Ce contexte
idéologique perdure aujourd’hui et le droit a gardé son esprit initial de véritable droit du
marché.
35. -
Ces remarques permettent de donner des éléments de réponse permettant
d’expliquer le voile entourant parfois le rôle du consommateur au sein du processus
concurrentiel. Une place particulière lui est conférée, dont on ne sait pas réellement
avec précision où la situer au sein du droit de la concurrence, ni de quelle façon il sera
réellement pris en compte. Il est parfois affirmé que le bien-être du consommateur se
situe loin des préoccupations effectives des pouvoirs publics, des autorités de
concurrence comme des juridictions, qui ne le percevraient, dans les faits, qu’en dernier
lieu. Cette assertion ne saurait être retenue avec force dans la mesure où tant le droit
antitrust américain que le droit de l’Union européenne notamment envisagent le
consommateur comme ayant une place certaine dans le processus concurrentiel. La
19
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
19
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
seule inconnue de cette problématique se portant sur la teneur de cette prise en
considération et sur ses fluctuations.
36. -
Les enjeux relatifs au consommateur n’ayant pas été définis au préalable, ceux-
ci seront soumis à une délicate appréhension dans le cadre de la mise en œuvre de la
législation. La place qui reviendra au consommateur en la matière en sera
nécessairement impactée.
Chapitre 2 – La place du consommateur liée à la délicate appréhension de ses
enjeux
37. -
Ainsi qu’il l’a été évoqué précédemment, le droit de la concurrence a été établi
non au regard du consommateur expressément, mais bien au regard d’un marché. Dès
lors que ce personnage n’a guère fait l’objet d’une attention trop particulière dans le
cadre de l’établissement des règles propres à la matière, lorsqu’il sera question de
l’envisager de manière plus spécifique, une certaine variabilité pourra être constatée.
La mise en œuvre des règles du droit de la concurrence à son égard pourra être sujette à
fluctuations (Section 1), tout comme l’appréciation des enjeux lui étant liés (Section 2)
et ce en fonction de facteurs divers.
Section 1 – Une fluctuation dans la mise en œuvre des règles du droit de la
concurrence
38. -
Par une analyse de certaines décisions rendues dans le cadre de la mise en œuvre
du droit de la concurrence, par les instances en étant en charge, il a été possible de
constater des divergences concernant la place qu’il revient de conférer au
consommateur. Quoique ces dernières ne sauraient être exhaustives et ne sont que
ponctuelles, elles sont toutefois représentatives de la complexité ayant cours au sein de
cette problématique.
20
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Il est ainsi arrivé et il le sera encore sans aucun doute probable, que le consommateur se
retrouve face tant à l’ambivalence de la conception de la concurrence elle-même20
(Paragraphe 1), qu’à la difficile appréhension de ses intérêts (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Le consommateur face à l’ambivalence de la conception de la
concurrence
39. -
Il est reconnu de longue date et notamment depuis un arrêt « Europemballage
Corporation et Continental Can Company Inc. » rendu par l’actuelle Cour de justice de
l’Union européenne le 21 février 197321, relatif à un abus de position dominante, que
« l’article 8622 ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice
immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en
portant atteinte à une structure de concurrence effective, telle que mentionnée à
l’article 3, lettre f du traité ». Cette analyse a été rappelée plus fermement à l’occasion
d’une affaire ayant donné lieu à un arrêt du Tribunal de première instance de l’Union
européenne en date du 17 décembre 2003, dans lequel il a estimé que « l’article 82 CE
réprimant la seule atteinte objective à la structure même de la concurrence »,
l’argument de l’entreprise en cause tiré de l’absence de preuve du préjudice causé aux
consommateurs par ses pratiques ne saurait être retenu23. La Cour de justice est par
ailleurs, venue confirmer cette position au travers d’un arrêt en date du 15 mars 200724.
40. -
Le bien-être du consommateur est envisagé en tant que tel, bien qu’une
conception structurelle de la concurrence prenne toujours le dessus. Il a toutefois pu être
considéré comme un élément de plus grande ampleur dans l’application du droit de la
20
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 15 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
21
CJCE, 21 février 1973, aff. 6-72, Europemballage Corporation et Continental Can Company Inc. c/
Commission des Communautés européennes, Rec. 1973 p. 00215, pt. 12.
22
Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957, article 86.
23
TPICE, 17 décembre 2003, aff. T-219/99, British Airways plc c/ Commission des Communautés
européennes, Rec. 2003 II-05917, pt. 311.
24
CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04, British Airways plc c/ Commission des Communautés européennes,
Rec. 2007 I-02331, pt. 106.
21
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
concurrence et dans la reconnaissance d’une pratique anticoncurrentielle par certaines
instances. En témoigne notamment un arrêt en date du 27 septembre 2006 rendu par le
Tribunal de première instance de l’Union européenne25, concernant un accord visant à
cloisonner les marchés par la limitation des importations de médicaments entre Etats.
En l’espèce, la juridiction a tout d’abord rappelé que l’objectif assigné à l’article 81,
paragraphe 1, CE est « d’éviter que des entreprises, en restreignant la concurrence
entre elles ou avec des tiers, réduisent le bien-être du consommateur final des produits
en cause26 ». Elle a ensuite pu estimer qu’il était nécessaire d’examiner les effets de
l’accord en cause, celui-ci ne pouvant être considéré comme anticoncurrentiel par son
objet dès lors qu’eu égard au contexte particulier dans lequel il s’inscrivait, il ne pouvait
pas être présumé que la restriction réduisait le bien-être du consommateur final. Elle a
ainsi considéré que le critère de l’atteinte au dit bien-être constituait une condition de
constatation de l’objet anticoncurrentiel d’une restriction, analyse que la Cour de justice
de l’Union européenne a toutefois jugé comme une erreur de droit, dans un arrêt en date
du 6 octobre 200927. Celle-ci s’est encore attachée en outre, à rappeler que les règles de
concurrence visent à protéger la structure du marché et ainsi la concurrence en tant que
telle, sans uniquement se cantonner aux intérêts des concurrents ou des
consommateurs28.
Au travers de ces quelques exemples, il est possible de constater que les juridictions
chargées de connaître des affaires de concurrence ont une conception quelque peu
ambivalente de ce qui relève au fond de sa préservation, ainsi que de ses tenants et
aboutissants. Tantôt, les décisions font référence uniquement à l’aspect structurel de
cette dernière, tantôt elles intègrent des considérations relatives au consommateur, tout
comme aux autres opérateurs économiques sur les marchés, faisant apparaître alors une
25
TPICE, 27 septembre 2006, aff. T-168/01, GlaxoSmithKline Services Unlimited c/ Commission des
Communautés européennes, Rec. 2006 II-02969.
26
Ibid. pt. 118.
27
CJCE, 6 octobre 2009, aff. C-501/06, C-513/06, C-515/06 et C-519/06, GlaxoSmithKline Services
Unlimited c/ Commission des Communautés européennes, Rec. 2009 I-09291, pt. 64.
28
Ibid. pt. 63.
22
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
conception plus finalisée de cet impératif de préservation y intégrant nécessairement
l’atteinte au marché, mais également celle au bien-être du consommateur29.
41. -
Le droit de la concurrence étant toutefois un droit du marché, sa protection
restera toujours la pierre angulaire de sa mise en œuvre. La teneur de la prise en compte
du consommateur en reste, cependant, incertaine et cela sera vraisemblablement le cas
tant qu’aucune position fixe ne sera clairement établie sur le sujet. Cette dernière
passant nécessairement par la détermination des bases de la conception à retenir de la
notion de concurrence elle-même.
42. -
La mise en œuvre du droit de la concurrence sera également sujette à variation
au regard de la place accordée au consommateur du fait d’une appréhension parfois
difficile de ce que constituent ses intérêts.
Paragraphe 2 – Le consommateur face à la difficile appréhension de ses intérêts
43. -
La prise en compte du consommateur au sein du processus concurrentiel ne
saurait se détacher d’un savoir précis des éléments lui étant considérés comme
favorables ou défavorables, ceci permettant une appréciation en connaissance de cause.
Au même titre que le consommateur en lui-même, tout comme sa protection, n’ont pas
été inclus spécifiquement au sein du processus législatif, la définition de ses intérêts a
été sensiblement omise, de sorte que diverses interprétations sont susceptibles d’en
ressortir.
44. -
Concernant cette question spécifique, des affaires emblématiques mettant en
cause l’entreprise Microsoft méritent d’être citées, celles-ci ayant donné lieu à une
appréciation divergente de la part des juridictions nord-américaines et européennes en
matière de ventes liées. Certes, il s’agit là de deux droits de la concurrence différents,
29
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 15 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
23
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
toutefois dans la mesure où le premier s’est inspiré du second, et que les textes et les
définitions des pratiques anticoncurrentielles sont analogues, il est tout à fait légitime de
pouvoir comparer les applications y afférant.
Au travers d’un arrêt rendu par le Tribunal de première instance de l’Union européenne
le 17 septembre 2007 30 , l’intérêt du consommateur a été placé sur le terrain de
l’innovation31 pour un accès à des produits toujours plus variés et perfectionnés. Il a pu
être considéré que l’admission d’une vente liée serait préjudiciable en ce que celle-ci
n’est pas de nature à inciter l’entreprise en cause à favoriser le progrès32, notamment à
défaut d’autres concurrents sur le marché. Au surplus, elle pourrait encore dissuader des
tiers d’investir et de développer de manière indépendante des produits innovants sur des
marchés annexes33. La cour d’appel de Columbia34, pour une affaire similaire au sujet
d’une vente liée, a pu considérer quant à elle, qu’un tel système pouvait présenter des
effets pro-concurrentiels35 et était favorable au consommateur notamment en termes de
prix et de qualité d’innovation et d’utilisation.
45. -
Dès lors qu’au regard de la préservation du consommateur seul un postulat tient
lieu de référence au détriment d’une définition expresse de ce dont ses intérêts relèvent,
aucun consensus ne pourra réellement s’élever et les incertitudes seront de mises. Selon
l’appréciation retenue du bien-être du consommateur, le positionnement de ce dernier
pourra se situer à des niveaux différents. Ainsi, se pose la question de savoir comment
30
TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft Corp. c/ Commission des Communautés
européennes, Rec. 2007 II-03601.
31
C. PRIETO, D. SPECTOR et A. WACHSMANN, Notion d’abus : Comparaisons transatlantiques
dans les affaires Microsoft, Revue Concurrence, n° 1-2004, – Pratiques unilatérales – Chroniques - site
Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com - Déc. 2004.
32
TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft Corp. c/ Commission des Communautés
européennes, Rec. 2007 II-03601, pt. 1088 : « par la vente liée en cause, Microsoft envoie des signaux
qui découragent l’innovation dans toutes les technologies auxquelles elle pourrait un jour s’intéresser et
qu’elle pourrait coupler à Windows à l’avenir ».
33
C. PRIETO, D. SPECTOR et A. WACHSMANN, Notion d’abus : Comparaisons transatlantiques
dans les affaires Microsoft, Revue Concurrence, n° 1-2004, – Pratiques unilatérales – Chroniques - site
Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com - Déc. 2004.
34
United States Court of Appeal for the District of Columbia Circuit, June 28, 2001, United States v.
Microsoft, 253 F. 3d 34, 85, D.C. Cir. 2001.
35
C. PRIETO, D. SPECTOR et A. WACHSMANN, Notion d’abus : Comparaisons transatlantiques
dans les affaires Microsoft, Revue Concurrence, n° 1-2004, – Pratiques unilatérales – Chroniques - site
Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com - Déc. 2004.
24
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
véritablement pouvoir apprécier cet intérêt dans le cadre du processus concurrentiel. Les
interrogations se portent tant sur le contenu, sur la quantification que sur les modalités
d’appréhension. Son intérêt se porte-t-il uniquement en termes de prix ? Doit-il être
entrevu de manière plus globale, en termes de prestations annexes proposées, de choix
de produits, de qualité ou encore de progrès et d’innovation ? Où faut-il placer le
curseur permettant de déterminer si son intérêt est suffisamment assuré ou si des efforts
mériteraient d’être opérés ? Est-il uniquement immédiat où doit-il être apprécié à moyen
ou encore à long terme ?36 Aucune réponse catégorique ne peut être apportée ici. Il est
évident qu’à chaque situation factuelle correspondra des éléments nouveaux à
considérer et à mettre en balance, néanmoins un fil conducteur ou guide s’avèrerait utile
et permettrait de se positionner plus sereinement quant à la place du consommateur dans
le droit de la concurrence. A ce titre, il convient de préciser que certains textes
déterminent les avantages ou gains d’efficience générés par certaines infractions au
droit de la concurrence et qui pourraient bénéficier au consommateur. Ceci pourrait
constituer un indice certain de ce qui serait susceptible de contribuer à son bien-être.
46. -
Ce questionnement perpétuel posera également difficulté au stade de la
détermination et de l’évaluation du préjudice subi par le consommateur, au cours d’une
éventuelle action en réparation. Ses intérêts ne reposant pas nécessairement et
uniquement sur les prix, ces appréciations s’avèreront délicates, dans la mesure où
divers élément seront amenés à être pris en compte. Il est à noter encore que leur
individualisation en sera tout autant complexe, le consommateur étant généralement
considéré comme une victime indirecte des pratiques anticoncurrentielles, qui en aura
tout de même éprouvé les répercussions37. Le manque de clarté et de régularité constaté,
contribue ainsi à une efficacité moindre de la préservation du consommateur qui aura
plus de difficulté à faire sanctionner les atteintes contre lui portées.
36
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 19 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
37
A.-S. CHONE-GRIMALDI, Avant-projet de loi « Hamon » : Les apports en droit de la concurrence,
La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 15, 11 avril 2013, act. 265.
25
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Face à ces incertitudes, la mise en œuvre des règles du droit de la concurrence aboutit à
des situations inconstantes. Au même titre, il est possible de percevoir une fluctuation
de l’appréciation des enjeux liés au consommateur.
Section 2 - Une fluctuation de l’appréciation des enjeux liés au consommateur
47. -
L’appréciation des enjeux liés à la place du consommateur est sujette à
controverses et à variabilité, ceci expliquant le « flou » qui entoure son rôle véritable au
sein du processus concurrentiel. Deux raisons majeures peuvent expliquer cette
équivoque. Il s’agit tout d’abord d’une absence de consensus sur le sujet, d’autant plus
qu’aucune position législative ne vient conforter une thèse particulière (Paragraphe 1).
S’ajoute à cela une influence certaine de ce qui peut être qualifié de politique de la
concurrence, censée manier en quelque sorte ces enjeux (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Le consommateur face à l’absence de consensus quant à sa
situation
48. -
Les enjeux liés au consommateur et la manière de les appréhender s’avèrent
délicats dans la mesure où aucune position législative expresse n’est intervenue et
aucune position issue de la pratique décisionnelle ou jurisprudentielle ne fait foi par
rapport à une autre. Une seule certitude mérite d’être mise en avant ; celle du lien entre
le marché et l’intérêt du consommateur. Une preuve pourrait en être tirée de l’article
153, 3), a) du Traité instituant la Communauté européenne38, relatif à la protection des
consommateurs, et renvoyant à l’article 95 concernant la réalisation du marché
intérieur39. Il en ressort que la Communauté européenne contribue à la promotion des
intérêts des consommateurs ainsi qu’à l’assurance d’un niveau élevé de leur protection
par les mesures qu’elle adopte en application de cet article, figurant dans une partie
édictant notamment les règles communes sur la concurrence.
38
Version consolidée du Traité instituant la Communauté européenne, 25 mars 1957.
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et communautaire, 4e éd., coll. Sirey
Université, Dalloz, 2008, p. 83.
39
26
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
49. -
Le consommateur ne saurait être négligé en la matière, celui-ci remplissant tout
de même une tâche sur les marchés. L’action des entreprises et les produits ou services
qui en relèvent lui sont avant tout destinés. Par ses choix et typiquement sa
consommation, il participe de la bonne marche de l’économie. Il doit dès lors être pris
en considération à la hauteur de la fonction qui lui incombe. Afin que l’économie
fonctionne et s’accroisse, il est certes nécessaire que la concurrence ne soit pas faussée
et que son libre jeu ait court, que la structure des marchés soit purgée de toutes pratiques
ou systèmes qui viendraient empêcher cet état requis et que cela soit garanti de manière
primordiale. Au delà de cela toutefois, il ne faut pas omettre cet acteur majeur de
l’économie qui, tout comme la dynamique de marché, est susceptible de souffrir de
pratiques mises en œuvre par les opérateurs. L’inconnue de cette problématique se porte
sur l’intensité conférée à sa protection en comparaison de celle octroyée au marché.
50. -
Il est tout à fait probable qu’une pratique puisse porter atteinte à la structure d’un
marché et à l’existence même de la concurrence sur ce dernier, tout en étant bénéfique
pour le consommateur. Dans une telle hypothèse, de surcroît fréquente, il serait
bienvenu de connaître la réaction appropriée à adopter. De manière générale, ces
pratiques qui s’avèrent profitables au premier abord au consommateur, comme celles
entraînant une baisse des prix par exemple, seront sanctionnées du fait de la restriction
de concurrence qu’elles engendrent. La protection du marché est ici plus impérieuse,
l’atteinte au libre jeu de la concurrence étant certainement trop forte pour que ce seul
effet bénéfique ne soit retenu en tant que justification. L’intérêt du consommateur
s’apprécierait ainsi sur le long terme et ne se cantonnerait pas à son seul intérêt
immédiat, celui-ci étant présumé bénéficiaire de l’application des règles de concurrence
in fine. Certaines décisions jurisprudentielles ont toutefois admis qu’un système a priori
nocif pour la concurrence puisse ne pas être condamné, celui-ci étant favorable au
consommateur40. Il s’agit notamment de l’exemple d’un arrêt en date du 23 novembre
200641 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’échanges
d’information entre établissements bancaires sur la solvabilité de clients emprunteurs.
40
M. MALAURIE-VIGNAL, Entente et échange d’information dans le secteur bancaire, Contrats,
conc., consom. N° 1, 2007, comm. 15.
41
CJCE, 23 nov. 2006, aff. C-238/05, Asnef-Equifax et Administracion del Estado, Rec. 2006 I-11125.
27
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
51. -
Il convient encore d’ajouter que certaines pratiques ont pu être réprimées alors
même qu’aucun effet néfaste pour la concurrence n’ait été relevé42. A l’appui de ce
propos, la Commission européenne a pu considérer que le Comité français
d’organisation de la Coupe du monde de football 1998 avait enfreint les règles de
concurrence en mettant en œuvre des dispositions discriminatoires pour la vente au
grand public de certains billets d’entrée ayant abouti à imposer aux consommateurs
résidant hors de France des conditions de transaction non équitables et s’étant traduite
par une limitation des débouchés à leur détriment43. Elle a ainsi estimé que l’actuel
article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne 44 pouvait être
correctement appliqué, malgré l’absence de tout effet sur la structure de la concurrence,
aux situations dans lesquelles le comportement d’une entreprise dominante cause un
préjudice immédiat aux intérêts des consommateurs, ladite disposition assurant
également leur protection au même titre que celle du libre jeu de la concurrence45.
52. -
La situation du consommateur s’avère quelque peu ambiguë, notamment
concernant sa protection. Il est difficile de véritablement savoir où placer le curseur
déterminant ce qui lui sera le plus favorable et si cette circonstance mérite d’être retenue
ou non au regard des divers autres enjeux irriguant le droit de la concurrence. S’il est
manifeste que le marché sera toujours favorisé, il est possible d’entrevoir des évolutions
par lesquelles la mise en œuvre de la législation pourra s’atteler davantage ou non à ce
personnage particulier. Celles-ci auront libre court et pourront s’intensifier, du fait
notamment de l’existence et de l’influence d’une certaine politique concurrentielle, qui
ne contribuera cependant guère à lever les ambivalences en la matière.
42
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et communautaire, 4e éd., coll. Sirey
Université, Dalloz, 2008, p. 83.
43
Comm. CE., Déc. 2000/12/CE, 20 juill. 1999, aff. n°IV/36-888, Coupe du monde de football 1998,
relative à une procédure d’application de l’article 82 du Traité CE et de l’article 54 de l’accord EEE,
JOCE 08 janv. 2000, n° L 005, p. 0055 – 0074.
44
Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, C-83/47, 30 mars 2010,
article 102.
45
Comm. CE, Déc. 2000/12/CE, 20 juill. 1999, aff. n°IV/36-888, Coupe du monde de football 1998,
relative à une procédure d’application de l’article 82 du Traité CE et de l’article 54 de l’accord EEE,
JOCE 08 janv. 2000, n° L 005, p. 0055 – 0074, pt. 100.
28
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Paragraphe 2 – Le consommateur face à l’influence d’une politique concurrentielle
certaine
53. -
Le droit de la concurrence est certes fondé sur un corps de règles déterminées,
mais sa mise en pratique repose sur une méthode d’analyse liée au contexte dans lequel
il s’insère. C’est en cela qu’il est habituellement fait référence à une politique de
concurrence 46 . Il n’est ainsi pas un droit résolument statique. A des éléments
pragmatiques et économiques qui viendront pénétrer ses modalités d’application, vont
s’ajouter des considérations de nature idéologiques.
54. -
Il ne faudrait pas en effet, se désintéresser de cet aspect plus « politique » du
droit de la concurrence, car ce sont bien les conceptions et préoccupations sous-jacentes
qui en ressortent qui vont également être à l’origine de la casuistique des raisonnements
qui l’animent. Il n’est pas sans rappeler que la mise en œuvre du droit de la concurrence
est le fait en partie d’entités ou autorités dont les personnalités les composant pourront
en donner une impulsion qui sera fonction de la coloration qu’ils souhaiteront
éventuellement lui conférer. Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne
dispose d’une Direction Générale de la concurrence avec à sa tête un commissaire qui
très souvent émettra une orientation spécifique ayant vraisemblablement vocation à
transparaître dans la politique de concurrence menée. Mario Monti47 par exemple, est
considéré comme à l’origine de la modernisation des règles de concurrence de par sa
volonté d’une lecture plus économique, tandis que Joaquin Almunia48 est plus empreint
d’une certaine économie sociale du marché, ce qui a pu se manifester au sein du paquet
de règles en matière d’aides d’Etat en vue de l’appréciation des compensations
publiques pour les services d’intérêt économique général49, qui prend en compte des
spécificités sociales.
46
Lamy Droit Economique – 2014, Propos introductifs, n° 781, e) site internet de la base de données
documentaire juridique lamyline.lamy.fr.
47
Mario Monti, Commissaire européen à la Concurrence du 16 septembre 1999 au 31 octobre 2004,
succédant à Karel Van Miert et précédant Neelie Kroes.
48
Joaquin Almunia, Commissaire européen à la Concurrence depuis le 10 février 2010, succédant à
Neelie Kroes.
49
Paquet de règles en matière d’aides d’Etat en vue de l’appréciation des compensations publiques pour
les services d’intérêt économique général, dit « Paquet Almunia », 20 déc. 2011.
29
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Une réflexion analogue peut être énoncée à propos de l’Autorité de la concurrence en
France, dont l’actuel Président, Bruno Lasserre50 a plusieurs fois fait référence lors de
prestations orales, de l’attachement de l’Autorité au bien-être du consommateur.
55. -
A titre supplémentaire, viendront s’y adjoindre également l’influence de la
politique concurrentielle et des conceptions d’outre-Atlantique, dont notamment celle
de l’Ecole de Chicago51 mettant en avant l’argument de l’efficacité économique, au
détriment de l’analyse apportée par l’Ecole structuraliste.
56. -
Messieurs Lucas de Leyssac et Parléani résument cette question en expliquant
que le droit de la concurrence « ne fait que traduire les choix politiques qui ont présidé
à son élaboration. » Il apparaît qu’il « ne menace pas par lui-même l’intérêt du
consommateur mais seulement que les pouvoirs publics sont inévitablement amenés à
réaliser des arbitrages de nature politique entre des impératifs contradictoires, et à
organiser ensuite le marché en fonction de ces choix ».52
57. -
S’il apparaît indiscutable que ces acceptions ne sauraient à elles seules remettre
en cause l’esprit du droit de la concurrence et les fondements sur lesquels il repose, il
est toutefois envisageable d’en percevoir certains effets. Une évolution vers l’admission
d’autres considérations pourrait être entrevue et la place du consommateur au sein du
processus concurrentiel pourrait en être impactée suivant les directions données. Il serait
possible ainsi de voir émerger une tendance plus axée vers ses intérêts si une protection
plus accrue venait à devenir le cheval de bataille d’une de ces personnalités.
50
Bruno Lasserre, Président du Conseil de la concurrence du 29 juillet 2004 au 14 janvier 2009, Président
de l’Autorité de la concurrence depuis le 14 janvier 2009, succédant à Marie-Dominique Hagelsteen.
51
Ecole de Chicago, symbolisée notamment par les figures de Milton Friedman, George Stigler ou encore
Richard Posner.
52
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F., 2002,
p. 110.
30
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
58. -
Les traités fondateurs de ce qui constitue aujourd’hui l’Union européenne
entrevoient de manière spontanée ce personnage particulier qu’est le consommateur. Sa
protection est en outre, envisagée en tant que telle, mais non dans le cadre spécifique du
droit de la concurrence. Les règles qui relèvent de ce dernier, évoquent toutefois le
consommateur à de nombreuses reprises, sans pour autant qu’il soit aisé d’évaluer avec
fiabilité et certitude sa réelle position au sein du processus concurrentiel. Son bien-être
et la préservation de ses intérêts ne sont certes pas négligés, mais il est communément
admis et il relève de l’acception générale que les besoins du marché seront toujours
prééminents, suivis par ceux des producteurs et concurrents, ceci s’expliquant
notamment par le fait que le droit de la concurrence n’a pas été établi au regard du
consommateur. Il n’est pas un droit du consommateur et n’aurait pas vocation à l’être,
d’autant plus que ce dernier bénéficie, notamment en France, d’une législation qui lui
est spécifiquement consacrée. Si le processus concurrentiel venait à devoir intégrer
expressément une protection plus spécifique à son égard, il serait nécessaire de trouver
un équilibre, ce qui ne serait pas mince affaire et demanderait un examen plus poussé
des questions et enjeux y afférent. Ce point sera par ailleurs, plus amplement traité dans
la suite du présent développement53.
59. -
En l’état du droit positif, le bien-être du consommateur ne constitue pas un
standard juridique du droit de la concurrence, mais il est possible d’y voir un principe
directeur d’interprétation des règles en relevant54. Le consommateur a une place au sein
du processus concurrentiel, notamment de par son action de consommation sur les
marchés et de sa fonction dans l’économie. Il constitue notamment une référence
lorsque des analyses auront à être menées ou lorsqu’il s’agira d’apprécier certains
comportements. Bien qu’il soit relégué à une place moins influente que celle du marché,
il n’en reste pas moins un déterminant au centre du droit de la concurrence.
53
Infra, 164.
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 25 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
54
31
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TITRE II
Le consommateur en tant que déterminant central du processus
concurrentiel
60. -
Si la prise en compte des intérêts du consommateur reste fluctuante et sujette à
tergiversations et débats, ce dernier a tout de même vocation à figurer et œuvrer en
matière de concurrence. Il est paradoxal de relever que le bien-être du consommateur
est constamment abordé comme composante à part entière du droit de la concurrence, à
tel point qu’il serait séduisant de vouloir l’ériger en tant que norme, alors que cela n’a
pas été envisagé de la sorte au niveau législatif. Une autre constatation tendrait à
soutenir une telle acception. De multiples renvois s’opèrent en effet à l’égard du
consommateur, si bien qu’il est à même de servir d’élément de référence, ceci à divers
stade du processus concurrentiel (Chapitre 1). Malgré cette considération non
insignifiante, cette place qui semblerait prépondérante, reste à relativiser. Le
consommateur est certes un déterminant au cœur du processus concurrentiel, mais il
apparaît néanmoins comme un élément passif de la mise en œuvre du droit (Chapitre 2).
Chapitre 1 – Le consommateur en tant qu’élément cadre de référence au sein du
processus concurrentiel
61. -
Le bien-être du consommateur ne constitue pas un dogme du droit de la
concurrence, ses intérêts ne sont toutefois pas intégralement mis de côté et ne sauraient
l’être. Ainsi qu’il a pu l’être démontré auparavant, des considérations qui lui sont
propres sont intégrées par les autorités publiques ainsi que par les entités et juridictions
chargées d’intervenir. Le consommateur est pris en compte, et ce de multiples façons,
témoignant de sa place non dérisoire. Nombreux sont ceux qui s’attachent à considérer
que la première attention portée au consommateur en la matière se reflète dans la
composition de l’Autorité de la concurrence elle-même55, y incluant un collège composé
55
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F., 2002,
p. 114 : pour un propos relatif à l’article L. 461-1 du code de commerce dans sa version en vigueur du 21
32
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
notamment de « cinq personnalités choisies en raison de leur compétence en matière
économique ou en matière de concurrence et de consommation »56, censé représenter
ses intérêts en son sein.
62. -
Par devers cette réflexion préalable, il est en outre caractérisé comme une sorte
de repère au sein du processus concurrentiel. De nombreux textes ou pratiques lui
confèrent le caractère d’un élément de référence tant à l’égard de l’appréciation de
certaines infractions anticoncurrentielles (Section 1) qu’à l’égard de l’emploi d’une
fraction d’analyses économiques et concurrentielles (Section 2).
Section 1 - Un repère dans l’appréciation des infractions anticoncurrentielles
63. -
Dans le cadre de la définition des infractions anticoncurrentielles, qu’il s’agisse
du droit de l’Union européenne comme du droit interne français, les textes n’établissent
pas le consommateur en tant qu’élément participant de leur qualification, ou de façon
peu influente. L’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne57 en
particulier, relatif aux abus de position dominante, le cite expressément et uniquement
dans le contexte d’un exemple de ce qui peut consister en une telle pratique58. Il l’est
également en matière de contrôle des prix abusivement bas par le droit interne français,
où il constitue un infime élément de l’infraction59. Eu égard à ce type de formulation, la
prise en compte du consommateur peut sembler tout à fait minime. Elle sera en
revanche, beaucoup plus significative concernant une analyse tout à fait spécifique au
droit de la concurrence.
septembre 2000 au 13 novembre 2008 et correspondant de manière quasiment identique à cette
disposition dans sa version en vigueur au 25 juillet 2010.
56
Article L. 461-1, II, 2° du code de commerce.
57
Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, C-83/47, 30 mars 2010,
article 102.
58
Article 102, al. 2, b) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « limiter la production,
les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ».
59
Article L. 420-5, al. 1er du code de commerce : « Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix
de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et
de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet
d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits. »
33
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
64. -
Celui-ci n’a pas une vision résolument rigide des agissements ou systèmes mis
en place par les opérateurs sur le marché et admet qu’une pratique puisse être validée,
exemptée si les résultats qu’elle génère peuvent s’avérer positifs 60 . L’article 101,
paragraphe troisième du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne61 le prévoit
expressément en matière d’accords entre entreprises, tandis que le droit positif français
l’envisage également quant aux abus de position dominante et abus de dépendance
économique au travers de l’article L. 420-4 du code de commerce62. Ces dispositions,
dans une rédaction somme toute analogue, expriment les conditions y afférent dont
notamment celle que la pratique envisagée contribue « à améliorer la production ou la
distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en
réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte »63. Le terme
« utilisateur » ici employé, désigne en partie, le consommateur.
65. -
En l’occurrence, il constitue le sujet d’un examen particulier dans l’évaluation
des effets pro-concurrentiels potentiels considérés, par lequel sont appréhendés les
divers avantages qu’il pourrait en retirer. Afin qu’une telle étude soit facilitée, la
Commission européenne a établi des documents cadres, sortes de guides, qui n’ont pas
valeur législative et sans réelle force contraignante, mais auxquelles les entités
concurrentielles sont tout de même attachées. Une illustration représentative de leur
prise en compte du consommateur relève du schéma induit par les lignes directrices
relatives à l’applicabilité de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne aux accords de coopération horizontale64. Le raisonnement qui en est issu
est identique pour chaque type de pratique envisagée ; il s’agit en effet d’en apprécier
les gains d’efficacité probables, ainsi que leur répercussion sur le consommateur,
l’analyse imposant de mettre en balance à leur égard les effets positifs et négatifs.
L’objectif est ici de déterminer in concreto si les restrictions à la concurrence pourront
60
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010.
Version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, C-83/47, 30 mars 2010,
article 101, paragraphe 3.
62
Article L. 420-4 du code de commerce :
63
Article 101, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
64
Comm. eur., Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101
du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, (2011/C
11/01), 14 janv. 2011.
61
34
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
être compensées suffisamment, et si cela ne s’avérait pas être le cas, la pratique serait
déclarée interdite.
Sans vouloir prétendre à une exhaustivité, de nombreuses dispositions prévoient des
systèmes similaires eu égard à d’autres types d’infractions anticoncurrentielles comme
en matière de contrôle des concentrations par exemple, où se combinent un règlement65
du Conseil de l’Union européenne ainsi que des lignes directrices de la Commission
européenne 66 et de l’Autorité de la concurrence française 67 . Dans ce contexte qui
pourrait être qualifié de mouvement de modernisation du droit de la concurrence, mérite
encore d’être citée une Communication 68 de la Commission européenne relative à
l’application de l’actuel article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne 69 au travers de laquelle l’institution a semble-t-il voulu intégrer une
évaluation plus économique de la question, tout en donnant plus de poids au
consommateur en son sein, et ce sur le même schéma qui vient d’être exposé.
66. -
Il y apparaît que l’intérêt du consommateur constitue l’une des mesures de
l’appréciation et de l’étude menée70 en général, ceci afin de déterminer la teneur de
l’innocuité pour la concurrence. Ce type d’analyse représente une part majeure du
processus concurrentiel et qui aura tendance à s’accroître, ceci en fonction de
l’évolution de l’économie elle-même. Elle traduit la préoccupation plus nette pour la
situation du consommateur qui pourrait bénéficier des résultats d’une infraction
anticoncurrentielle de façon équitable, pourvu que celle-ci n’ait pas une incidence trop
considérable sur le marché, une restriction de la concurrence trop importante lui étant
considérée comme nécessairement préjudiciable in fine.
65
Cons. de l’Union eur., Règlement (CE) N° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises, 20 janv. 2004, JOCE 29 janv. 2004, n° L 24/1.
66
Comm. eur., Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du
règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, (2004/C 31/03), 05 févr.
2004, JOCE 05 févr. 2004, n° C 031.
67
Aut. de la conc., Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des
concentrations, 10 juil. 2013.
68
Comm. eur., Communication de la Commission, Orientations sur les priorités retenues par la
Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des
entreprises dominantes, (2009/C 45/02), JOCE 24 févr. 2009, n° C 045.
69
Article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
70
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010.
35
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
67. -
Il est ainsi possible de reconnaître qu’il dispose d’une place de choix au sein du
processus concurrentiel, bien que cela n’ait pas été ancré de prime abord au sein du
processus législatif. Cette même constatation peut être réitérée à propos de la prise en
compte du consommateur dans l’utilisation de certains outils par les entités en charge de
la mise en œuvre de la législation.
Section 2 - Un repère de l’analyse concurrentielle et économique
68. -
A titre liminaire, il convient de préciser que le consommateur est avant tout
considéré comme le moteur de la compétition71 dont il serait un arbitre de premier rang,
capable par ses choix, d’identifier l’entreprise la plus méritante sur le marché. Aux fins
de qualité d’un tel arbitrage, sa démarche devrait être guidée par la rationnalité et
protégée par la règle de droit72, en s’exerçant sur une assise transparente et fonction des
éléments casuistiques qui lui sont à disposition.
69. -
Le droit de la concurrence participe de cette approche ; il s’accompagne d’une
multitude d’analyses destinées à le mettre en pratique au mieux et conformément à
l’esprit général qui le domine. Celles-ci se manifestent notamment par l’emploi de tests
très divers dont certains auront pour point d’orgue la personne même du consommateur,
ses appréciations ainsi que ses intérêts. Il en est ainsi au regard de la notion de marché
pertinent, notion primordiale à plusieurs échelons du processus concurrentiel
(Paragraphe 1), tout comme au regard de l’évaluation de l’impact des comportements
d’entreprises (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – La prise en compte du consommateur dans la détermination du
marché pertinent
70. -
L’un des théâtres emblématiques de la prise en considération du consommateur
est sans conteste celui de la délimitation du marché pertinent, élément incontournable de
71
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F., 2002,
p. 113.
72
C. PRIETO, Pouvoir de marché et liberté des entreprises, les fondements de la politique de
concurrence, D. 2006, p. 1603.
36
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
la concurrence. Celui-ci étant défini comme le lieu où se rencontrent l’offre et la
demande de produits substituables entre eux, il était essentiel de s’accorder sur le
déterminant qui allait permettre de mesurer un tel degré d’interchangeabilité. Le choix
s’est naturellement porté sur le consommateur, celui-ci étant le destinataire final de
l’activité des opérateurs économiques et le mieux à même de fournir l’information
recherchée. Au travers de l’une de ses communications73, la Commission européenne a
pu en attester et rappelle cette fonction du consommateur ainsi que les critères
nécessaires à retenir74.
71. -
Ce dernier sera sollicité à de nombreuses reprises et sous de multiples formes.
Par une méthode prospective tout d’abord, son opinion sur la question pourra
notamment être abordée au travers de l’examen de sondages, enquêtes ou études
marketing. Il pourra également être interrogé de manière plus directe par les autorités de
la concurrence quant aux caractéristiques des produits en cause qui lui semblent
comparables, à leurs usages ou leurs fonctions, par exemple. Leur seule description ne
saurait être la plus judicieuse, ladite substituabilité est en effet, fondée en partie sur des
critères subjectifs « tenant compte des habitudes, de la psychologie, de l’importance
attachée aujourd’hui à la marque pour les demandeurs du produit ou services »75.
72. -
Elle pourra également se définir par rapport aux prix moyens des produits,
s’évaluant en particulier par le biais d’un test qualifié de « test de l’élasticité croisée de
la demande ». Il s’agira ici de saisir le comportement du consommateur, face à une
augmentation du prix d’un produit, sur la demande d’un autre qui pourrait en constituer
une alternative. Si le changement entraîne un report significatif de sa part sur le second
produit envisagé, cela constitue un signal fort de leur interchangeabilité et donc de leur
présence sur un même marché.
73
Comm. eur., Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit
communautaire de la concurrence, (97/C 372/03), JOCE 09 déc. 1997, n° C 372, p. 0005 – 0013.
74
Ibid., pt. 7 : « Un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le
consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques,
de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés. »
75
M. MALAURIE-VIGNAL, L’abus de position dominante, coll. Systèmes Droit, LGDJ, 2002, p. 24.
37
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
73. -
L’immixtion de ce personnage au sein de cette expertise est un indice significatif
de la position qu’il occupe. Celui-ci ne peut qu’être corroboré par une prise en compte
en tant que critère d’évaluation de l’impact des comportements d’entreprise.
Paragraphe 2 – La prise en compte du consommateur dans l’évaluation de
l’impact des comportements d’entreprises
74. -
Le crédit apporté à ce personnage particulier peut être vérifié dans le choix de la
méthode la plus pertinente afin d’évaluer un tel impact. A celles basées sur des tests
qualifiés de « test du sacrifice » ou « test du concurrent aussi efficace », le test dit « test
du préjudice au consommateur » semblerait préférable76. En matière d’abus de position
dominante, le « test du sacrifice » permettrait de déceler l’abus lorsque « le
comportement de l’entreprise dominante réduirait ses profits s’il ne réduisait pas la
concurrence » 77 , tandis que le « test du concurrent aussi efficace » le constaterait
« lorsque le comportement de l’entreprise dominante conduirait à l’éviction d’un
concurrent aussi efficace qu’elle ».78
Un auteur79 va mettre en balance leurs utilités et défauts par rapport au consommateur.
Il en retient que les deux premiers ne sont pas les plus judicieux et pourraient conduire à
des solutions qui n’établiraient pas de liens directs avec ses intérêts ou qui lui seraient
désavantageuses80. Il explique que le « test du préjudice au consommateur » conduirait,
quant à lui, à un droit moins interventionniste et permettant d’opérer une distinction
entre protection de la concurrence et protection des concurrents, tout en prenant en
compte le consommateur de manière plus substantielle. Ce procédé aura vocation à
jouer en matière de stratégies d’éviction notamment. Elle nécessitera non seulement
76
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 158 : selon les propos de Patrick Rey.
77
Ibid., p. 156.
78
Ibid.
79
Monsieur Patrick Rey, Professeur d’économie.
80
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, pp. 156 - 157 : selon les propos de Patrick Rey.
38
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
d’établir cette dernière tout en démontrant que le consommateur en sera globalement
perdant et ce même s’il ne s’agit que d’un préjudice potentiel81.
75. -
De manière plus globale également, les instances du droit de la concurrence ont
fait parfois appel à la notion dite de « surplus du consommateur »82 afin de déterminer
l’illicéité d’une pratique pour autant que cette dernière en entraîne sa diminution. Elle
consiste à exprimer le montant des gains qu’un consommateur retire de ses achats en
faisant la différence entre le prix effectivement payé et le prix qu’il aurait été prêt à
payer. En matière de contrôle des concentrations, la promotion de ce surplus en
constituerait désormais la finalité83 selon le Règlement n° 139/200484.
76. -
Le processus concurrentiel désigne le consommateur à maintes reprises pour des
appréciations qui interviendront à divers degrés. C’est à la lumière de ce dernier, de ses
choix et parfois de ses intérêts que le droit de la concurrence est mis en œuvre. Il
constitue ainsi une sorte de référent sur lequel les différentes entités compétentes
peuvent se reporter et s’appuyer. Cette constatation amènerait à lui reconnaître un rôle
de premier plan, sorte de pièce maîtresse irriguant ce corps de règles spécifiques et qui
aurait tendance à prendre une large part dans les nombreuses analyses qui le soustendent. La place du consommateur reste toutefois à relativiser en la matière, dans la
mesure où il ne s’y immisce que de manière indirecte. Il en constitue certes un élément
notable, tout en faisant preuve de passivité.
81
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 158 : selon les propos de Patrick Rey.
82
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence,
coll. Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 312 : selon les propos de Frédéric Jenny.
83
Ibid. pp. 633 - 634 : selon les propos de David Spector.
84
Cons. de l’Union eur., Règlement (CE) N° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises, 20 janv. 2004, JOCE 29 janv. 2004, n° L 24/1.
39
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Chapitre 2 – Le consommateur en tant qu’élément passif du processus
concurrentiel
77. -
Il est singulier de relever la réflexion de certains auteurs85, qui voient en la
personne du consommateur, « l’alpha et l’oméga de la concurrence »86, ceci laissant
présager une place d’acteur à part entière du processus concurrentiel. Cette conception
ne saurait être retenue et constituerait même un raisonnement trop écimé. S’il est
incontestable que le consommateur sert d’aiguillon dans un certain nombre d’analyses
substantielles et joue ainsi un rôle dans la mise en œuvre du droit de la concurrence,
celui-ci ne saurait pour autant être surestimé.
78. -
Il apparaît que quoique consulté dans certains domaines, il ne transparaît
toutefois pas à chaque occasion, ceci amenant une part de relativité à la place qui
voudrait lui être attribuée (Section 1). A ceci, s’ajoute le constat selon lequel, dans les
faits, le consommateur n’est pas destiné à interagir de manière directe et en vertu
d’actes positifs. Son rôle se cantonne en effet, à une passivité certaine (Section 2).
Section 1 - Un rôle relatif dans la mise en œuvre du droit de la concurrence
79. -
Il relève du paradoxe de constater que la figure du consommateur est prise en
compte lors d’appréciations et d’analyses importantes de la mise en œuvre du droit de la
concurrence, alors qu’elle peut en être parfois amoindrie en quelque sorte, voire évincée
pour des éléments qui s’avèrent tout aussi fondamentaux. Il s’avère nécessaire de
relativiser la place du consommateur au sein de la qualification des infractions
anticoncurrentielles (Paragraphe 1) et surtout de remarquer qu’il n’a pas vocation à
prendre part à l’étape importante de la sanction par l’Autorité de la concurrence
(Paragraphe 2).
85
Notamment Messieurs C. Lucas de Leyssac et G. Parleani.
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F., 2002,
p. 86.
86
40
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Paragraphe 1 – Une place à relativiser au sein de la qualification des infractions
anticoncurrentielles
80. -
Ainsi qu’il l’a été évoqué précédemment87, le droit de la concurrence ne tient
compte que très rarement du consommateur dans la qualification des infractions
anticoncurrentielles et lorsque cela est le cas, cette attention qui lui est portée n’est
guère convaincante. Au sein du processus législatif, le consommateur et son bien-être
ne constituent donc pas véritablement des éléments pertinents, résolument nécessaires à
leur définition. Quoique les nombreux documents cadre ou autres guides établis par les
autorités de concurrence et les instances légitimes à intervenir, pallient cette carence en
apportant plus de poids à la prise en compte du consommateur et donc à sa place dans le
processus, ils ne sauraient oublier l’esprit initial de cette législation et l’attache portée
au marché. Si le consommateur est amené à être davantage considéré en la matière, cela
n’en affectera toutefois pas l’ordre des préoccupations du droit et donc la primauté de la
protection du marché ainsi que des entreprises et concurrents. Sa prise en compte sera
plus effective, mais d’autres déterminants viendront encore l’accompagner et
éventuellement prendre le pas sur celle-ci.
81. -
S’ajoute à cela un autre point qui fait figure de singularité et qui mérite d’être
cité quoiqu’il ne concerne pas à proprement parler le droit des pratiques
anticoncurrentielles. Le droit interne français de la concurrence s’attache, en sus de la
protection du libre jeu de la concurrence sur les marchés, à préserver la loyauté des
transactions et relations commerciales qui s’y établissent, par le contrôle de certaines
pratiques n’ayant pas leur équivalent en droit de l’Union européenne. Par la lecture de
l’intitulé d’une des lois phares intervenue en matière de pratiques restrictives de
concurrence
« pour
le
développement
de
la
concurrence
au
service
du
consommateur »88, il serait tentant de l’interpréter comme une sorte d’évolution vers
une protection plus accrue de ce dernier. Il ne faut toutefois pas se laisser guider par les
apparences et il apparaît que cette législation spécifique est avant tout et dans les faits
tournées vers les concurrents et leur protection.
87
Supra, 63.
Loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des
consommateurs, dite « Loi Chatel ».
88
41
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
82. -
Dès l’initiation du processus concurrentiel, le consommateur est susceptible de
se trouver quelque peu « ignoré » des textes et il en sera vraisemblablement ainsi
également à sa fin, notamment au stade de la détermination d’éventuelles sanctions à
l’égard des opérateurs économiques envisagés.
Paragraphe 2 – Une place omise au sein de l’évaluation de la sanction des
infractions anticoncurrentielles
83. -
L’Autorité de la concurrence française dispose du pouvoir d’infliger des
sanctions pécuniaires dont il est précisé qu’elles sont « proportionnées à la gravité des
faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de
l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient
et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées »89 par le titre VI du livre IV du code
de commerce. Un point particulier mérite d’être relevé à ce titre. Il n’est ici fait aucune
mention du consommateur, ni d’un indice permettant de supposer qu’il sera tenu compte
de sa situation au regard des infractions anticoncurrentielles et du préjudice
éventuellement subi de ce fait. Il ne semble donc pas constituer un élément sérieux
participant de l’évaluation de la sanction ; l’atteinte à ses intérêts et à son bien-être ne
figurent pas en tant que critère d’évaluation ou d’aggravation de cette dernière90 et celleci ne saurait se limiter à la seule atteinte au surplus économique des consommateurs.
Seul le « dommage causé à l’économie » est expressément évoqué, dont il n’est pas
toujours aisé de déterminer les tenants et aboutissants, quoiqu’il devrait porter sur la
perte de surplus subie par l’ensemble des opérateurs économiques et repose sur un
faisceau d’indices.
89
Article L. 464-2, I), al. 3 du code de commerce.
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
90
42
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Il pourrait être rétorqué ici que l’atteinte occasionnée au consommateur serait
potentiellement de faible importance et relativement diffuse, à l’origine en partie de
cette prise en compte obérée. Elle serait de surcroît, difficile à évaluer tant
quantitativement que qualitativement, la définition des intérêts du consommateur
n’étant pas arrêtée de manière définitive. Certaines entreprises ont également pu faire
valoir que le dommage causé à l’économie intègrerait en lui-même parfaitement cette
atteinte, de sorte qu’une référence supplémentaire et particulière à son égard n’aurait
plus lieu d’être. L’argumentation n’est pas pleinement satisfaisante et il s’avère que
cette notion n’est pas du meilleur apanage pour le consommateur. Une attention à son
égard mériterait d’exister, celui-ci étant un acteur économique de premier plan et
impacté par une pratique anticoncurrentielle, d’autant plus qu’il n’est de cesse d’être
répété qu’une atteinte à la concurrence lui est désavantageuse in fine.
84. -
Il apparaît tout autant contradictoire d’émettre le postulat selon lequel le droit de
la concurrence aurait pour point cardinal la protection du consommateur, alors qu’il n’a
même pas vocation à être pris en considération à un stade fondamental du processus
concurrentiel qui en constitue tout l’enjeu. Cette question est toutefois potentiellement
sujette à évolution, l’œuvre de la loi dite « Loi Hamon »91 permettant la reconnaissance
du préjudice concurrentiel92 au bénéfice du consommateur ainsi que l’établissement
d’un nouvel arsenal d’intervention, dont il sera fait un plus ample développement par la
suite 93 . Quoique cela ait typiquement vocation à retentir au niveau du « private
enforcement » uniquement, il est à considérer que le consommateur pourra peut-être
avoir une plus grande influence vis-à-vis du « public enforcement ». L’Autorité de la
concurrence pourrait éventuellement, en effet, refléter à son niveau ces améliorations.
85. -
Certains textes font mention du consommateur en tant que tel, d’autres
l’ignorent 94 . Ainsi, si ce dernier dispose nécessairement d’une place au sein du
91
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF n° 0065, 18 mars 2014, p. 5400,
dite « Loi Hamon ».
92
Article L. 423-1, al. 2, 2° du code de la consommation.
93
Infra, 118 et s.
94
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
43
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
processus concurrentiel dans la mesure où il sert d’élément de référence à plusieurs
égards dans le cadre de diverses analyses, celle-ci est toutefois plus relative qu’il n’y
paraît. Cette perception s’accentue par le fait que le consommateur ne dispose pas d’une
réelle mainmise sur la mise en œuvre du droit de la concurrence, lui conférant dès lors
un rôle plus passif que véritablement actif.
Section 2 - Un rôle passif dans la mise en œuvre du droit de la concurrence
86. -
Le consommateur opère des choix sur les marchés, entre les produits qui lui sont
présentés et donc entre les différents offreurs. Il est un acteur de l’économie de marché
et c’est là son premier rôle en la matière. Les problématiques de concurrence ayant trait
au marché, il serait naturel d’entrevoir ce personnage en tant qu’acteur effectif du
processus concurrentiel ; il apparaîtrait légitime de lui conférer un certain pouvoir
d’action afin qu’il puisse prendre part à sa mise en œuvre pour sa propre protection,
mais également pour faire valoir ses droits et défendre ses intérêts. La préservation du
libre jeu de la concurrence lui étant considérée comme bénéfique in fine, il devrait
pouvoir y participer également, à l’échelle de ses moyens, ceci afin de conférer au droit
de la concurrence une pleine efficacité. Ainsi que le rappelle un auteur95, « le caractère
effectif de la concurrence dépend en grande partie de l’accessibilité du droit de la
concurrence, c’est-à-dire en pratique de la capacité et de la facilité de le mettre en
œuvre »96.
87. -
Il serait possible à un tel titre de s’attendre à ce que le consommateur puisse
interagir de manière directe et efficace avec les entités compétentes en la matière, dont
notamment l’Autorité de la concurrence. En tant que personne physique, ce dernier ne
dispose toutefois pas de la possibilité de la saisir au contentieux. Tout au plus peut-il
communiquer les informations dont il aurait éventuellement connaissance au regard de
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
95
Dominique Brault
96
D. BRAULT, Politique et pratique du droit de la concurrence en France, coll. Droit des affaires,
LGDJ, 2004, p. 602.
44
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
certains systèmes auxquels il serait confronté ou d’une situation qu’il estimerait
dommageable, en particulier également auprès de la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Cette faculté lui est
offerte également auprès de la Commission européenne par la transmission
d’ « informations utiles tant à une meilleure compréhension des marchés qu’à la
détection d’éventuels dysfonctionnements du marché »97.
88. -
Ce sont les associations de consommateurs agréées qui auront plus ouvertement
la tâche de représenter ses intérêts, par la possibilité de saisir l’Autorité pour lui
demander son avis sur toute question de concurrence98 ou encore de « participer » à
certaines procédures. En matière de concentrations entre entreprises par exemple, le
Règlement n° 139/200499 permet à certains intéressés ou tiers d’être auditionnés et de
formuler des observations auprès de la Commission européenne100, ceci incluant les
associations de consommateurs « lorsque le projet de concentration concerne des
produits ou services utilisés par les consommateurs finals »101.
89. -
Le consommateur dispose en outre d’un droit de poursuite individuelle aux fins
de réparation du préjudice subi du fait d’une pratique anticoncurrentielle. Ce moyen
d’agir s’avèrerait essentiel tant pour assurer sa protection que pour s’assurer d’une
législation de concurrence qui se veut efficace. Dans les faits toutefois, cette action n’est
guère effective, le consommateur se trouvant face à des difficultés d’ordre technique et
psychologique et n’y étant pas incité outre mesure. Cette même remarque peut être faite
en ce qui concerne les procédés offerts aux associations de consommateurs agréées, qui
se voient délaissés en raison de contraintes procédurales notamment. L’introduction de
l’action de groupe couplée à la reconnaissance du préjudice concurrentiel par la « Loi
97
Comm. CE, Rapport sur la politique de concurrence 2008, 23 juil. 2009, COM(2009) 374 final, pt.
109.
98
Article L. 462-1, al. 2 du code de commerce.
99
Cons. de l’Union eur., Règlement (CE) N° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre
entreprises, 20 janv. 2004, JOCE 29 janv. 2004, n° L 24/1.
100
Ibid. article 18.
101
Comm. eur., Règlement (CE) N° 802/2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n°
139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO 30 avr. 2004, n° L 133,
article 11, c).
45
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Hamon »102 précitée, pourra très certainement changer la donne, ce qui fera l’objet d’un
point plus précis dans la suite de ce développement103. Le consommateur pourrait ainsi
être plus enclin à revendiquer ses droits par un tel biais et ainsi s’immiscer un peu plus
dans les affaires de concurrence.
90. -
De par ces constatations, il convient de noter que les seules possibilités d’action
offertes au consommateur au sein du processus concurrentiel sont quelque peu
restreintes. Dans la mesure où il ne dispose pas d’autres moyens d’agir notamment plus
interventionnistes voire plus coercitifs, pour la mise en œuvre du droit de la
concurrence, il ne saurait être véritablement considéré comme un acteur de cette
législation, en tant que tel. A cela il est légitime de rétorquer que ce n’est pas sa
fonction première, d’autant plus qu’il ne constitue pas une entité du droit de la
concurrence et qu’il ne saurait avoir les connaissances et le bagage technique nécessaire
pour intervenir plus amplement dans cette matière.
Le consommateur constitue alors un élément de référence nécessaire à certaines
analyses relevant du processus concurrentiel, tout en restant un sujet passif de celui-ci.
Il n’y prend réellement part, dans les faits, que d’une manière indirecte par l’observation
de son comportement, l’étude de ses opinions et par une appréciation générale de ce qui
pourrait ou non dévaloriser ses intérêts. Le rôle qui lui est conféré est reconnu, non
dérisoire, mais tout de même plus étroit qu’il n’y paraît. Il lui est attribué une place
centrale dans la mesure où il en est tenu compte, cela étant tout de même à relativiser de
par les raisons qui viennent d’être développée et du fait de la reconnaissance de la
prééminence du marché en la matière. C’est dans une telle acception, qu’il est possible
d’évoquer le consommateur comme le sujet « fantomatique du droit de la
concurrence »104.
102
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF n° 0065, 18 mars 2014, p. 5400.
Infra, 118 et s.
104
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point
de vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3, p. 397.
103
46
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
CONCLUSION PREMIERE PARTIE
91. -
La prise en compte du consommateur en reste fluctuante non seulement quant
aux domaines dans lesquels elle sera perceptible, mais également quant à ses contours et
à sa teneur. Il est une figure centrale en filigrane au sein du processus concurrentiel.
92. -
Le droit de la concurrence peut être considéré comme une législation plutôt
jeune, qui tout comme bon nombre d’autres, n’a pas vocation à rester ancrée au sein
d’un carcan. Empreinte de pragmatisme, elle est sujette à des mouvements perpétuels105,
tout comme peuvent l’être les différentes conceptions qui l’animent. Des évolutions
seront nécessairement amenées à survenir, d’autant que les facteurs d’impulsion
pourront s’avérer nombreux. Des considérations émanant des autorités publiques, tout
comme les revendications des divers opérateurs économiques, voire auteurs et praticiens
attachés à la matière, viendront mettre en avant les nécessités de potentielles
transformations.
93. -
Il apparaît ainsi que le droit de la concurrence soit en quête d’une modernité
constante. Le consommateur, qui constitue un élément du processus concurrentiel, sera
susceptible à bien des égards de faire l’objet de modifications, suivant celles opérées par
la législation. Des développements sont ainsi perceptibles quant à la place qui lui est
conférée en son sein. Un autre versant de ce propos consiste également à déterminer
dans quelle mesure le consommateur serait à même de constituer un vecteur de cette
modernité. Cette volonté d’insuffler une nouvelle dynamique ne saurait pourtant être
restreinte au seul domaine concurrentiel. Elle nécessairement amenée à s’expandre pour
toucher une sphère plus vaste, celle de l’économie dans sa dimension pleine et entière.
Quoiqu’il en soit, il semble certain que le consommateur devienne l’une des figures au
cœur des enjeux de la modernisation du processus concurrentiel.
105
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence, coll.
Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 2.
47
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
SECONDE PARTIE
LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE AU CŒUR DE
LA MODERNISATION DU PROCESSUS CONCURRENTIEL
94. -
Le droit de la concurrence, ainsi que le processus qui l’accompagne, constituent
une sphère sujette à mutation. Influences étrangères, conceptions diverses et
préoccupations ponctuelles, parmi tant d’autres, seront à même de pénétrer cette
législation, dont l’application sera « manœuvrée » pour y répondre au mieux. Depuis
environ trois décennies, il est question d’une certaine modernisation du droit de la
concurrence en lien avec les acceptions de l’Ecole de Chicago notamment, ayant eu un
réel impact outre-Atlantique. Elle s’est manifestée au sein de la législation européenne
et interne par l’intégration des argumentations d’efficience économique106, en sus des
exigences propres à la structure saine des marchés.
95. -
Le consommateur, en tant qu’élément indissociable du processus concurrentiel,
a pu voir sa condition évoluer, en lien avec ces nouvelles visées. Une lecture plus
économique des situations permet en effet, de tenir compte, dans l’analyse, d’autres
considérations dont celles ayant trait à ce personnage et aux problématiques qui le
touchent107. Cette sorte de renouvellement du droit de la concurrence s’est traduite à son
égard par la place parfois plus importante qui a pu lui être conférée, quoique celle-ci
connaisse toujours des variations et ne soit pas précisément établie. Cette démarche
n’est semble-t-il pas achevée et le consommateur constitue l’un des vecteurs central de
son développement. Il a ainsi à sa portée de nouvelles opportunités qui prendront cours
au sein du processus concurrentiel (Titre I). Les aspirations à une prise en compte plus
accrue de ses intérêts et à une place plus impliquée en la matière amèneraient peut-être à
faire de ce personnage particulier le sujet même d’un nouvel élan de modernité du droit
de la concurrence. Ce mouvement pourrait ainsi s’intégrer dans le cadre d’un
renouvellement de la législation pour l’établissement d’un théâtre normatif inédit, axé
106
D. BRAULT, Politique et pratique du droit de la concurrence en France, coll. Droit des affaires,
LGDJ, 2004, p. 741.
107
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence,
coll. Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 623 : selon les propos de David Spector.
48
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
sur les problématiques économiques et incorporant, parmi d’autres questions
essentielles, toutes les données relatives au consommateur. Ce dernier se trouverait dès
lors, face à l’émergence d’un cadre normatif dépassant le seul processus concurrentiel,
tout en consacrant les enjeux qui l’irriguent (Titre II).
49
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TITRE I
Le consommateur face à l’émergence de nouvelles opportunités au sein
du processus concurrentiel
96. -
Au sein de l’Union européenne, comme en France, le consommateur fait l’objet
de multiples attentions qui se traduisent diversement dans le droit de la concurrence.
Les pouvoirs publics ainsi que les autorités compétentes sont sensibles à sa condition et
aux intérêts qu’il peut présenter. Ils en font très largement part, sans qu’il s’avère
toutefois irréfutable que cela entraîne des effets réellement pertinents.
Le consommateur est ainsi fréquemment envisagé en tant que « cheval de bataille » du
droit de la concurrence (Chapitre 1). Cette perception s’est accrue récemment encore, si
bien qu’il serait possible d’entrevoir le consommateur en tant que nouvel acteur à part
entière de ce droit (Chapitre 2).
Chapitre 1 – Le consommateur comme « cheval de bataille » du droit de la
concurrence
97. -
« Cheville ouvrière de la concurrence » 108 et figure centrale en filigrane du
processus qui lui est attaché, le consommateur en constitue une donnée constante
(Section 1) dont il sera tenu compte lorsqu’il s’agira pour les entités compétentes de
définir le cadre de sa mise en œuvre. Le consommateur ne représente pas uniquement
une donnée capable de venir impacter les contours de celui-ci, il peut en outre former un
facteur au service de la législation elle-même (Section 2).
108
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 114.
50
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Section 1 – Le consommateur en tant que donnée constante de la législation
98. -
« Les autorités communautaires répètent à satiété que l’objectif de la
concurrence est la satisfaction du consommateur »109, sous-entendant ainsi une politique
de la concurrence tournée vers sa protection (Paragraphe 1). Depuis quelques années, et
spécifiquement depuis l’année 2005, elle est orientée en outre, vers une meilleure prise
en compte de ses intérêts par le biais notamment, d’une volonté de renforcement et
d’effectivité des actions civiles en réparation du préjudice subi du fait d’infractions
anticoncurrentielles (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Une politique de la concurrence orientée vers la protection du
consommateur
99. -
Les représentants des autorités de concurrence expriment régulièrement, par le
biais de déclarations diverses, la reconnaissance apportée au consommateur, ainsi que
leur attachement à œuvrer au mieux pour ce dernier110. Cette volonté affichée a pu se
traduire, tel qu’il l’a été développé précédemment111, de manière plus concrète au
travers de l’édiction de documents cadre destinés à expliciter la politique de
concurrence définie et les enjeux qu’il serait souhaitable de favoriser. L’exemple le plus
représentatif concerne la question des gains d’efficience de certaines infractions
anticoncurrentielles ; les institutions européennes ont ainsi souhaité qu’en soient
reconnus les potentiels effets positifs au bénéfice du consommateur. Elles invitent à se
pencher sur ces derniers afin d’en tenir compte, alors que cela ne participait pas de la
philosophie initialement établie, notamment en matière d’abus de position dominante ou
de contrôle des concentrations. A cet égard, un auteur a considéré que cette progression
s’inscrivait dans un mouvement plus général conduisant l’ensemble de la politique de la
concurrence vers une approche plus centrée sur le consommateur112.
109
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 5e éd., coll. Sirey Université,
Dalloz, 2011, p. 16.
110
Voir notamment la préface de Mario Monti, ancien Commissaire chargé de la concurrence, dans une
documentation spéciale des Communautés européennes, La politique de concurrence en Europe et le
citoyen, 2000.
111
Supra, 65.
112
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence, coll.
Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 624 : selon les propos de David Spector.
51
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
100. - Une autre expression de l’attention qui lui est portée se vérifierait113 également
au sein d’un rapport sur la politique de concurrence 2008114 dans lequel la Commission
européenne a relevé expressément « pour la première fois, un chapitre traitant d’un
sujet considéré comme particulièrement important dans le domaine de la politique de
concurrence : ‘les ententes et les consommateurs’ » 115 . Celui-ci démontre que
l’institution comprend ces enjeux et souhaite les intégrer de manière plus explicite.
101. - Cette préoccupation qui semble s’accroître davantage constitue peut-être les
prémices d’une reconnaissance, ancrée plus formellement encore, de la protection du
consommateur en tant qu’objectif primordial, ce qui s’avèrerait nécessaire selon certains
spécialistes. A tout le moins, des auteurs s’attachent à attirer l’attention sur cette
évolution qui se veut de plus en plus palpable. Ainsi, Marie-Stéphane Payet estimait que
la modernisation du droit de la concurrence survenue avec les influences de l’Ecole de
Chicago et son objectif d’efficacité tendrait à être supplantée par une mise en avant plus
vigoureuse de la protection des intérêts du consommateur. Marie Malaurie-Vignal,
quant à elle, évoque l’expression de « consumer welfare » pour extérioriser l’idée selon
laquelle le droit de la concurrence serait au service de son bien-être et de sa
maximisation, quoiqu’elle ne nie pas la mission de protection des concurrents
performants116.
102. - Ce mouvement axé sur le consommateur s’est par ailleurs, amplifié au travers de
la question dite du « private enforcement », l’une des nouvelles priorités des autorités de
l’Union117. La Commission européenne s’est en effet, donnée pour mission la promotion
des actions civiles en réparation du préjudice subi du fait de pratiques
113
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010.
Comm. CE, Rapport sur la politique de concurrence 2008, 23 juil. 2009, COM(2009) 374 final.
115
Ibid., pt. 1.
116
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 5e éd., coll. Sirey Université,
Dalloz, 2011, p. 17.
117
C. PRIETO, Actions de groupe et pratiques anticoncurrentielles : perspectives d’évolution… au
Royaume-Uni, Recueil Dalloz 2008, p. 232.
114
52
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
anticoncurrentielles118, ceci afin d’en garantir une meilleure effectivité et efficacité en
faveur du consommateur notamment.
Paragraphe 2 – Une politique de la concurrence orientée vers le « private
enforcement » au service du consommateur
103. - En complément de ce qui peut être qualifié de « public enforcement »,
correspondant typiquement à la répression des violations des lois antitrust par le Réseau
Européen de concurrence, existent également les possibilités issues du « private
enforcement » dont le ressort relève des juridictions nationales de droit commun119. Les
victimes d’infractions anticoncurrentielles, dont les consommateurs font partie,
disposent en effet d’un droit d’agir afin de voir réparer le préjudice qu’elles auront
éventuellement subi de ce fait. Cette faculté a été affirmée fermement par l’actuelle
Cour de justice de l’Union européenne au travers d’une affaire dite « Courage et
Crehan »120 dans laquelle elle en dévoile notamment les caractéristiques et vertus.
104. - Quoique reconnu formellement, les actions en découlant ont suscité et suscitent
encore peu d’enthousiasme121. Afin d’y remédier, la Commission européenne a lancé
une consultation sur la question, à la suite notamment de l’émission d’un Livre vert122.
L’un des enjeux considérés était alors d’identifier les différents obstacles et étudier les
moyens les plus à même d’assurer une meilleure défense des intérêts des
consommateurs par ce biais. S’en est suivi l’établissement d’un Livre blanc 123
118
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et communautaire, 4e éd., coll. Sirey
Université, Dalloz, 2008, p. 287.
119
L. IDOT, Avant-propos, Revue Concurrences n° 2-2009 – Colloque – Livre blanc sur les actions en
dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position
dominante – Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences, www.concurrences.com - 2009.
120
CJCE, 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Rec. 2001 I-06297, pt. 24 : « tout
particulier est en droit de se prévaloir en justice de la violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité,
même lorsqu’il est partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence,
au sens de cette disposition ».
121
Voir notamment un Rapport du cabinet Ashurst réalisé pour la Direction Générale de la concurrence,
Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, 31 août
2004.
122
Comm. CE, Livre vert, Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires
sur les ententes et les abus de position dominante, 19 déc. 2005, COM(2005) 672 final.
123
Comm. CE, Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avr. 2008, COM(2008) 165 final.
53
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
préconisant un objet principal de compensation et d’indemnisation124, ainsi que plus
récemment, d’un « paquet législatif private enforcement » 125 composé d’un nombre
certain de documents dont une proposition de directive sur les actions en dommages et
intérêts pour infraction au droit de la concurrence126, adoptée par le Parlement européen
le 17 avril 2014. Suivant son fil conducteur, l’autorité de la concurrence de l’Union
européenne y vante la nécessité d’une « réparation effective intégrale du dommage
concurrentiel »127. Au travers d’un communiqué de presse128, cette dernière a pu se
féliciter « du vote du Parlement visant à faciliter les actions en dommages et intérêts
par les victimes de pratiques anticoncurrentielles ».
Des mesures phares ont été prévues. Ainsi, dans le cadre d’une demande en réparation,
la juridiction nationale pourra enjoindre aux entreprises de divulguer des éléments de
preuve, tout en veillant à ce que cela soit proportionné et à ce que les informations
devant demeurer confidentielles soient protégées129. De plus, une décision finale d’une
autorité de concurrence « constatant une infraction constituera automatiquement la
preuve »130 de l’existence de cette dernière, devant la juridiction de droit commun. Un
volet est également consacré à la « résolution consensuelle des litiges » entre les
entreprises et leurs victimes pour que celle-ci soit plus rapide et moins coûteuse131. Ces
nouvelles améliorations devraient permettre de renforcer les droits des victimes, et donc
124
R. BECKER, Présentation du Livre blanc, Revue Concurrences n° 2-2009 – Colloque – Livre blanc
sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les
abus de position dominante – Paris, 13 juin 2008, site Internet de la revue Concurrences,
www.concurrences.com - 2009.
125
Paquet législatif private enforcement proposé par la Commission européenne, 11 juin 2003.
126
Comm. eur., Proposition de directive du Parlement européen et du conseil relative à certaines règles
régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du
droit de la concurrence des Etats membres et de l’Union européenne, 11 juin 2006, COM(2013) 404
final.
127
J. VOGEL et L. VOGEL, Private enforcement - Le paquet législatif prévu par la Commission pour
renforcer les droits des victimes de pratiques anticoncurrentielles est-il suffisant et cohérent ?, 28 juin
2013, site Internet du blog Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/le-paquet-legislatif-prevupar-la-commission-pour-renforcer-les-droits-des-victimes-de-pratique.
128
Comm. eur., Communiqué de presse, Ententes et abus de position dominante : la Commission se
félicite du vote du Parlement visant à faciliter les actions en dommages et intérêts par les victimes de
pratiques anticoncurrentielles, 1er avril 2014, IP/14/455.
129
Ibid.
130
Ibid.
131
Ibid.
54
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
du consommateur en la matière, ainsi que de pallier aux incommodités et barrières qui
peuvent préexister.
105. - L’enthousiasme des pouvoirs publics pour un renforcement de ce droit d’agir
atteste de l’orientation de la politique de concurrence vers le consommateur et ses
intérêts. Un auteur résume parfaitement le propos en estimant que « les sanctions civiles
telles que les conçoit la Commission européenne consacrent la promotion de la victime,
et notamment du consommateur, dans un domaine n’ayant traditionnellement pas pour
finalité première la protection de celui-ci »132 . A ce titre, il est même évoqué un
mouvement de « socialisation » du droit de la concurrence133 qui aurait vocation à
s’accroître davantage.
106. - Quoique l’accent soit placé sur une politique et une législation au service du
consommateur au travers de la question du « private enforcement », la préservation de
ses intérêts n’est toutefois pas la seule visée de la Commission européenne. Cette
dernière entrevoit également de promouvoir l’efficacité du processus concurrentiel en
intégrant, parmi d’autres, ce personnage en tant que donnée au service de la législation.
Section 2 – Le consommateur en tant que donnée au service de la législation
107. - Le droit de la concurrence ne saurait se détacher d’un système de sanctions
propres à en garantir la réalité des objectifs. C’est là toutes les aspirations d’un
renforcement des actions privées, soutenant l’intervention des autorités de concurrence
ainsi que des juridictions compétentes en la matière. L’arsenal législatif ainsi mis en
avant aurait pour figure de proue le consommateur (Paragraphe 1), qui deviendrait en
outre, une partie intégrante de la lutte contre les infractions anticoncurrentielles
(Paragraphe 2).
132
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
133
Ibid.
55
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Paragraphe 1 – Le consommateur en tant que nouvelle figure de lutte
108. - La volonté de la Commission européenne d’insister plus amplement sur les
actions privées est en quelques sortes liée à celle de poursuivre et de se concentrer sur
les pratiques anticoncurrentielles considérées comme les plus néfastes et dangereuses.
S’étant attardée davantage sur les restrictions verticales dès le début de son action, elle
se consacre désormais plus fermement aux cartels. L’établissement d’un règlement
portant sur les exemptions applicables à certaines catégories d’accords verticaux et de
pratiques concertées 134 constituait semble-t-il l’une des étapes vers ce changement
d’orientation. Ce dernier serait également « une suite logique de la décentralisation
consacrée et amplifiée par le règlement n° 1/2003 et les textes qui l’accompagnent »135.
Les actions en réparation, sans omettre le « public enforcement », représenteraient ainsi
l’un des moyens de veiller à ce que certaines de ces infractions n’échappent pas en
quelque sorte au droit de la concurrence et à une répression, malgré ce détachement de
l’institution européenne. Les victimes, et donc le consommateur a fortiori, seraient ainsi
de nouvelles figures de l’effectivité et de l’efficacité de la législation, dont ils seraient
eux-aussi les garants.
109. - Ce propos est accentué par les effets de ce qui est appelé le « passing on
defence » ou règle de la transitivité du dommage136. Afin d’agir en justice aux fins de
réparation, il est nécessaire de pouvoir démontrer l’existence d’un préjudice. Or, il est
fréquent
qu’un
opérateur
économique,
victime
directe
d’une
pratique
anticoncurrentielle, ait l’opportunité de répercuter le surcoût engendré par cette dernière
sur ses propres clients, de sorte qu’il ne subisse en réalité aucun dommage137. L’auteur
134
Comm. eur., Règlement (UE) n° 2790/1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du
traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, 22 déc. 1999, JOCE 29 déc. 1999,
n° L 336.
135
D. FASQUELLE et R. MESA, Livre vert de la Commission sur les actions en dommages et intérêts
pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, Revue
Concurrences, n° 1-2006, p. 33, paragraphe 1er – Doctrines – site Internet de la revue Concurrences,
www.concurrences.com.
136
C. PRIETO, Actions de groupe et pratiques anticoncurrentielles : perspectives d’évolution… au
Royaume-Uni, Recueil Dalloz 2008, p. 232.
137
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 211.
56
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
fautif pourrait dès lors exciper de ce moyen de défense afin d’échapper à une sanction.
Il semble qu’à défaut pour ledit opérateur de prouver qu’il n’ait pas procédé ainsi, ce
qui lui sera difficile, seul le consommateur final, victime souvent indirecte, serait
vraiment apte à intenter une action fructueuse. Celui-ci étant le dernier maillon de la
chaîne de l’économie, il n’est pas en mesure de transférer cette charge en aval et la
supporte entièrement, de sorte qu’il puisse valablement arguer d’un préjudice138. Le
« private enforcement »
reposerait
donc
véritablement
sur
la
personne
du
consommateur, dès lors qu’il réunit toutes les conditions nécessaires pour agir,
contribuant ainsi à lui conférer une place grandissante au sein du processus
concurrentiel.
110. - Quoique le renforcement des actions civiles soit susceptible de présenter des
atouts considérables en faveur d’une meilleure garantie des droits du consommateur et
l’érige en nouvelle figure de lutte contre les violations, un autre intérêt majeur est
décelable. Selon la Commission européenne notamment, il serait un élément
indispensable de la crédibilité et de l’efficience du droit de la concurrence dans la
réalisation de ses objectifs, conférant au consommateur par la même occasion, un statut
d’élément intégré dans cette lutte.
Paragraphe 2 – Le consommateur en tant que nouvel élément intégré dans la lutte
111. - Les entités compétentes en matière de concurrence ont reconnu de longue date
l’utilité attachée à la mise en œuvre de la législation par la sphère privée. Dès la
décision « Courage et Crehan » 139 précitée, l’actuelle Cour de justice de l’Union
européenne avait pu estimer que le droit de demander réparation du dommage renforce
« le caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de nature
à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre
ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans cette perspective, les actions en
dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont susceptibles de contribuer
138
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 211.
139
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Rec. 2001 I-06297.
57
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
substantiellement au maintien d’une concurrence effective dans la Communauté »140. La
Commission européenne acquiesce à cette perception en relevant que grâce à la
« possibilité d’introduire effectivement une demande d’indemnisation, chaque citoyen
européen, que ce soit une entreprise ou un consommateur, deviendra plus proche des
règles de concurrence et pourra participer plus activement à leur application »141.
112. - Couplé aux actions publiques, le « private enforcement » contribuerait à part
entière à un mécanisme de dissuasion complémentaire et aboutirait, sinon à
l’élimination, du moins à la réduction des comportements répréhensibles 142 . Les
perspectives d’une intervention des autorités de concurrence, combinées à une sanction
pécuniaire supplémentaire à hauteur du préjudice subi et censée rétablir le statu quo
ante sur le marché 143 , empêcheraient les velléités de contrevenir aux règles de
concurrence. Ce système déjouerait le calcul des opérateurs économiques144 qui ne
percevraient plus les retombées illicites de leurs agissements et ne seraient ainsi plus
incités à l’infraction. Le « private enforcement » n’est donc pas seulement un outil au
service de la protection du consommateur, mais également à celle de la concurrence
elle-même145. Il s’agit ici de renforcer l’ordre public concurrentiel et d’optimiser son
efficacité.
113. - Si tant est que le « private enforcement » repose principalement sur la figure du
consommateur, en ce qu’il serait le garant de la mise en œuvre optimale de la
législation, il mettrait ainsi à contribution ce personnage au sein du processus
concurrentiel. A ce titre, un auteur évoque l’idée d’une « concurrence citoyenne » ainsi
140
CJCE, 20 sept. 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Rec. 2001 I-06297, pt. 27.
Comm. CE, Livre vert, Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires
sur les ententes et les abus de position dominante, 19 déc. 2005, COM(2005) 672 final, pt. 1.1,
paragraphe 4.
142
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
143
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence, coll.
Droit des affaires, LGDJ, 2008, p.375.
144
C. PRIETO, Actions de groupe et pratiques anticoncurrentielles : perspectives d’évolution… au
Royaume-Uni, Recueil Dalloz 2008, p. 232.
145
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
141
58
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
que d’une « démocratisation du droit » 146 . Le consommateur ne serait ainsi plus
seulement
érigé
comme
simple
figure
de
la
lutte
contre
les
pratiques
anticoncurrentielles, il en deviendrait même un élément intégré et y participant
pleinement.
114. - Il semble légitime de se demander s’il ne serait pas possible d’aller plus loin
encore, en estimant que cela tendrait à devenir un véritable pouvoir d’agir, voire un
devoir pour ce dernier, dès lors que les conditions le lui permettent, ceci afin de
concourir âprement au respect de l’ordre public concurrentiel, à l’image d’une sorte de
« police concurrentielle ». La question ne connaît encore aucune réponse, celle-ci étant
fonction des futures évolutions et résultats de cette orientation récente de la politique de
concurrence. Si ses aspirations semblent aller en ce sens, il est fort peu probable qu’une
telle métamorphose soit viable. Il s’agit plus ici d’une image symbolique donnée au
consommateur, afin de faire transparaître son importance en la matière.
115. - Quoiqu’il en soit, la Commission européenne aspire à un développement de ces
actions privées, qui tendent à conférer au consommateur une meilleure protection ainsi
qu’un rôle plus notoire au sein du processus concurrentiel. Après l’avoir élevé au rang
d’impulsion de sa politique, elle semble vouloir conforter sa nécessaire place au sein du
processus concurrentiel. De par cette sollicitation à l’action, il ne serait plus considéré
comme un simple élément de référence, cantonné à une passivité certaine, et pourrait
être perçu en tant que nouvel acteur du droit.
Chapitre 2 – Le consommateur comme nouvel acteur du droit de la concurrence
116. - « La politique de concurrence de la Commission ne se limite pas à protéger les
consommateurs des risques qu’ils encourent. Elle cherche aussi à préserver et à
stimuler leur capacité à agir sur le marché comme acteurs de la concurrence de
manière à ce qu’ils contribuent au processus concurrentiel. Garantir que le
consommateur est apte à faire des choix qui peuvent peser sur le comportement des
146
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
59
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
entreprises c’est aussi garantir un fonctionnement concurrentiel des marchés. En
conclusion, la Commission européenne et ses services chargés de la concurrence ont
beaucoup à attendre des consommateurs et de leurs organisations »147. Dès les débuts
de ce questionnement au regard du potentiel du consommateur, la Commission
européenne a pu identifier les enjeux majeurs qui s’en dégageaient. A travers cette
réflexion énoncée par Mario Monti 148 , elle attire l’attention sur les capacités du
consommateur qu’elle saurait mettre en exergue.
117. - En outre, par le biais de sa promotion, elle ne se contente pas d’exprimer les
bienfaits du « private enforcement », elle énonce également les procédés permettant de
parvenir à sa réalisation pleine et entière. Elle détermine ainsi les moyens susceptibles
d’être renforcés, repensés ou à mettre en place pour que cette nouvelle orientation porte
ses fruits. Parmi eux, figure notamment le déploiement de recours collectifs, sorte de
voie procédurale inspirée des « class-actions » américaines et purgées des vices que ces
dernières présentes outre-Atlantique. Ceux-ci constituent un nouvel arsenal législatif au
profit du consommateur notamment et en faveur de son action (Section 1). Malgré les
bénéfices allégués, il convient de reconnaître que cette technique présente toutefois des
perspectives versatiles (Section 2).
Section 1 – Un nouvel arsenal législatif en faveur de l’action du consommateur
118. - Le droit d’agir des victimes de pratiques anticoncurrentielles est reconnu de
longue date149. Il apparaît pourtant qu’il soit rarement mis en œuvre notamment par le
consommateur, ceci pour diverses raisons tenant notamment aux faiblesses du régime
des systèmes qui lui sont mis à disposition. Les actions collectives qui viennent d’être
évoquées constitueraient un moyen plus attractif et surtout plus efficace ; le droit interne
français en ayant pris acte. Si l’opportunité d’introduire un tel procédé de regroupement
147
Voir notamment la préface de Mario Monti, dans une documentation spéciale des Communautés
européennes, La politique de concurrence en Europe et le citoyen, 2000.
148
Mario Monti, ancien Commissaire chargé de la concurrence.
149
CJCE, 13 juill. 2006, aff. C-295/04 à C-298/04, Manfredi, Rec. 2006 I-06619, pt. 63 : « l’article 81
CE doit être interprété en ce sens que toute personne est en droit de faire valoir la nullité d’une entente
ou d’une pratique interdite par cet article et, lorsqu’il existe un lien de causalité entre celle-ci et le
préjudice subi, de demander réparation dudit préjudice ».
60
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
des victimes a été soutenue plusieurs fois, cela n’avait pu véritablement aboutir, ou de
manière très insatisfaisante. La récente loi dite « Loi Hamon »150 a semble-t-il changé la
donne en instituant un nouvel arsenal juridique. Il s’agira dès lors, dans le cadre de ce
propos, d’étudier les tenants du « private enforcement » au travers de l’exemple français
de l’action de groupe, également reconnue en matière concurrentielle. Celle-ci
constituerait tant un vecteur de nouveauté pour le consommateur (Paragraphe 1) que le
vecteur d’une redéfinition de son rôle au sein du processus concurrentiel (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – L’action de groupe en matière concurrentielle, vecteur de
nouveauté pour le consommateur
119. - Dans son Livre vert151, la Commission européenne a pu reconnaître le sousdéveloppement patent des systèmes encadrant les demandes d’indemnisation. En
France, comme dans les autres Etats membres, le consommateur ne peut donc profiter
d’un traitement efficace, ce à quoi il contribue par ailleurs, de par une manifestation
timide en la matière (I). Afin d’inverser cette tendance, la mise en place de l’action de
groupe prête à un développement des réactions du consommateur (II).
I – Une manifestation jusque là timide du consommateur :
120. - La détermination du consommateur à faire valoir ses droits ainsi que de s’assurer
de leurs respects face à un professionnel ne relève pas, dans les faits, de l’évidence et
cela se vérifie dans de nombreux domaines. Il est en effet, confronté à des barrières tant
psychologiques qu’économiques 152 qui l’empêchent d’estimer avec raison tous les
enjeux que cela représente pour lui. Il convient tout d’abord de relever que la matière
juridique ainsi que la justice en elle-même ne sont pas forcément son apanage. Il n’est
pas toujours le mieux armé face aux litiges, notamment ceux ayant trait à la sphère dans
laquelle il a vocation à exercer son influence, la consommation de biens et de services.
150
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF n° 0065, 18 mars 2014, p. 5400.
Comm. CE, Livre vert, Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires
sur les ententes et les abus de position dominante, 19 déc. 2005, COM(2005) 672 final.
152
J. CALAIS-AULOY et H. TEMPLE, Droit de la consommation, 8e éd., coll. Précis Droit privé,
Dalloz, 2010.
151
61
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
A plus forte raison, le sera-t-il encore moins dans le cadre du droit de la concurrence,
domaine caractérisé par sa technicité et ses conceptions parfois pointilleuses. Il est en
outre, face à des difficultés d’ordre pécuniaire, une action pouvant engendrer des frais
supérieurs au profit éventuellement retiré, ce qui n’est guère propice à l’incitation. Cet
effet participe par la même occasion aux faiblesses du « private enforcement » et donc
de la dissuasion des opérateurs des entreprises dans la pratique de restrictions de
concurrence. Un dernier point, et non des moindres, tient au fait que la matière
concurrentielle est spécifique, les consommateurs ne percevant pas toujours leur
préjudice ou la teneur de ce dernier. C’est la raison pour laquelle il est qualifié de
dommage diffus, de petite ampleur certes, mais qui combinés engendrent une rente
confortable pour l’auteur de la violation du droit. A cela s’ajoute encore la difficulté
ayant trait à sa détermination. Celle-ci peut s’avérer délicate dans la mesure où ses
intérêts n’ont pas été définis expressément, et qu’une atteinte pourra se traduire sous
diverses formes.
121. - Il est manifeste par ailleurs, que les actions mises en place ne sont guère
efficaces. Les semblants de recours « groupés » qui prévalaient jusque là se sont révélés
inadaptés et inusités dans le cadre des litiges relevant du droit de la concurrence. Les
actions engagées dans l’intérêt collectif des consommateurs par les associations de
consommateurs ne sauraient être perçues comme tels. Et l’action en représentation
conjointe153, quant à elle, sorte de recours « collectif » non abouti, est un véritable échec.
Son mécanisme est encore trop complexe pour être vraiment engageant et optimal. Sa
mise en œuvre semble malaisée concernant les infractions anticoncurrentielles, les
victimes étant généralement en grand nombre, pour un préjudice diffus, et pour laquelle
l’exigence d’un mandat de chaque consommateur est un standard bien trop élevé. La
gestion de celui-ci est bien trop lourde dans la mesure où cela suppose une information
préalable du consommateur et que les conditions de publicité sont fort restreintes. S’y
153
Article L. 422-1 du code de la consommation : « Lorsque plusieurs consommateurs, personnes
physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d’un même
professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le
plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux
des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs.
Le mandat ne peut être sollicité par voie d’appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie
d’affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur ».
62
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
ajoute également, en quelque sorte, l’absence de concours des juridictions nationales sur
ce point. Preuve en a été le « naufrage » de l’action intentée par une association suite
aux affres de trois grands opérateurs téléphoniques sur le marché et à leur condamnation
par l’ancien Conseil de la concurrence pour entente illicite154. Une chambre civile de la
Cour de cassation155 avait ainsi approuvé une cour d’appel qui avait constaté que ladite
association « était, en réalité, l’initiatrice de la procédure », qu’elle « savait ne pouvoir
agir en introduisant l’instance » et qu’elle s’était « efforcée d’organiser et d’orchestrer
l’assignation et les interventions volontaires des abonnés au mépris des interdictions de
démarchage et d’appel au public qui y faisaient obstacle ». Elle a ainsi jugé que la
juridiction de second degré avait « exactement retenu [ que l’association ] n’avait pas
respecté les dispositions de l’article L. 422-1 du code de la consommation lequel, [ … ]
prohibe notamment tout appel public par moyen de communication de masse ou par
lettre personnalisée »156.
122. - La situation propre du consommateur, additionnée aux carences des moyens
d’agir, explique le peu d’engouement constaté. Ces raisons ont fait apparaître nécessaire
une amélioration sur ce terrain, qui semble être intervenue avec l’action de groupe,
censée sensibiliser le consommateur et favoriser son implication.
II – Une manifestation espérée du consommateur :
123. - L’action de groupe introduite à l’article L. 423-1 du code de la consommation157
constitue une grande innovation, porteuse de débouchés pour le consommateur. Le
schéma propose l’intervention d’une association de consommateur agréée, représentant
les intérêts individuels des victimes de professionnels à l’occasion de la vente de biens
ou de la fourniture de services notamment, le tout reposant sur un mécanisme dit
154
Cons. conc., Déc. n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, relative à des pratiques constatées dans le
secteur de la téléphonie mobile.
155
Civ. 1ère, 26 mai 2011, n° 10-15676, Bull. civ. I.
156
Ibid.
157
Article L. 423-1 du code de la consommation, alinéa 1er : « Une association de défense des
consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L.411-1 peut agir
devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des
consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un
manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles ».
63
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
d’« opt-in ». Le système a été pensé pour pallier aux insuffisances régnant auparavant
en la matière. Ainsi, il est présumé que le consommateur ne se sentira plus seul à agir
face à l’adversité de la justice et que les coûts imputables seront partagés, donc
moindres, pour un profit et une réparation jugées plus importantes et intéressantes que
par avant. De plus, l’association pourra engager une action par elle-même, sans qu’il ne
soit besoin d’un quelconque mandat préalable des victimes souhaitant agir, ceci
présentant un avantage considérable au regard des violations faite au droit de la
concurrence. Ce nouveau recours serait donc parfaitement à même de fédérer l’action
des consommateurs.
124. - Ceci ne constitue pas le seul atout de la « Loi Hamon », qui a également le
mérite de reconnaître expressément l’existence d’un préjudice concurrentiel. L’article
L. 423-1 du code de la consommation couvre les manquements de professionnels à leurs
obligations légales ou contractuelles « à l’occasion de la vente de biens ou de la
fourniture de services »
158
ainsi que les préjudices résultant « de pratiques
anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles
101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » 159 . Le
consommateur pourra dès lors, manœuvrer avec les notions d’ententes entre entreprises,
d’abus de position dominante et d’abus de dépendance économique, les préjudices issus
du fait d’une concentration d’entreprises ou d’une aide d’Etat n’étant a priori pas
concernés160.
125. - Il s’agit ici d’un véritable bouleversement. Cette reconnaissance permet tout
d’abord d’admettre sans détour que le consommateur puisse être une véritable victime
directe de ces violations au droit de la concurrence, déjouant ainsi l’argument contraire
qui aurait pu être émis par les entreprises contrevenantes notamment. Elle permet de
surcroît, de concéder que la notion de « dommage causé à l’économie » n’intègrerait pas
d’emblée l’atteinte portée aux intérêts du consommateur. Ce dernier est donc en mesure
de faire valoir le préjudice subi, en toute autonomie, sans qu’il puisse être argué que
158
Article L. 423-1, al. 1er, 1° du code de la consommation.
Article L. 423-1, al. 1er , 2° du code de la consommation.
160
M. DEPINCE et D. MAINGUY, L’introduction de l’action de groupe en droit français, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires, n° 12, LexisNexis, 20 mars 2014, 1144.
159
64
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
l’Autorité de la concurrence le prendrait déjà en compte lors de l’évaluation de la
sanction potentiellement infligée. A ce titre, si certains dénoncent une double peine,
d’autres reconnaissent que la sanction civile ne saurait s’ajouter à la répression, les
chefs de condamnation étant distincts161. Si un tel argument pouvait prospérer, cela
signifierait en quelque sorte que le consommateur serait indemnisé du fait de la
cessation de la pratique litigieuse, sans pour autant percevoir une réparation directe162.
126. - Quoique le droit d’agir en matière de concurrence était déjà reconnu, affirmer de
manière franche l’existence d’un préjudice concurrentiel et favoriser ce nouvel outil de
défense dans ce domaine revêt en quelque sorte un caractère symbolique et précieux
quant à la place du consommateur au sein du processus concurrentiel.
127. - Tout semble avoir été prévu afin de faire en sorte que le consommateur soit
réellement dans la capacité de faire valoir ses droits et d’assurer sa protection. Cela lui
permettrait également de participer au rendement du « private enforcement » et ainsi de
l’efficacité du droit de la concurrence et du respect de l’ordre public concurrentiel, tel
que l’envisageait la Commission européenne. L’action de groupe n’est pas uniquement
un apport de nouvelles opportunités pour le consommateur, elle amènerait également à
redéfinir de manière effective son rôle au sein du processus concurrentiel ; celui-ci étant
dans la possibilité de devenir un acteur légitime163 de la mise en œuvre de la législation.
Paragraphe 2 – L’action de groupe en matière concurrentielle, vecteur d’une
redéfinition du rôle du consommateur
128. - La volonté de la Commission, qui a servi d’assise supplémentaire à l’intégration
de l’action de groupe en droit interne, a été de faire en sorte que le consommateur ait
plus de poids et puisse devenir acteur de la protection du libre jeu de la concurrence, de
la protection des marchés et ainsi de sa propre protection et de son bien-être in fine.
161
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
162
M. DEPINCE et D. MAINGUY, Pour l’action de groupe en droit français, La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 20, LexisNexis, 16 mai 2013, act. 355.
163
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
65
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Cette capacité de pouvoir œuvrer de la sorte a été reconnue à maintes reprises tant par
les autorités de la concurrence que par les autres organes compétents à intervenir, tel
qu’il l’a déjà été évoqué précédemment. A ce titre, l’ancien Conseil de la concurrence
avait pu relever que « les actions privées en général et les mécanismes d’action de
groupe en particulier peuvent contribuer à renforcer l’efficacité de la régulation
concurrentielle en faisant de la victime et particulièrement du consommateur un
véritable acteur et un allié des autorités publiques dans la lutte contre les pratiques
anticoncurrentielles »164. Il est allégué que le consommateur se retrouverait ainsi apte à
faire sanctionner plus amplement les entreprises contrevenantes, tout en participant à les
dissuader d’adopter des comportements en violation de la loi. Plus incités à agir, plus
nombreux et regroupés, les perspectives de « rentes supra-compétitives » 165 seront
moins certaines et probablement annihilées, si tant est que l’action collective soit
effectivement mise en œuvre et utilisée à bon escient.
129. - Dans la forme, la « Loi Hamon » a souhaité que le rôle du consommateur soit
conforté, à l’image des acceptions de la Commission européenne notamment. Celui-ci,
qui était certes un élément irriguant le droit de la concurrence du fait de son évocation
fréquente de-ci, de-là et qui disposait de menus moyens d’interagir en la matière,
pourrait voir sa place redéfinie et nécessairement s’élever au rang d’acteur du droit. Il
disposerait d’un nouveau pouvoir pour lui-même tout d’abord, mais également au
service de la législation, en supplément des poursuites de l’Autorité de la concurrence,
pour une capacité d’action contre les infractions qui serait décuplée, concourant ainsi à
l’ordre public concurrentiel.
130. - A ce sujet, certains auteurs166 ont été interloqués et ont relevé un point particulier
en lien avec l’une des répercussions du « private enforcement » dans le droit antitrust
américain. Aux différents moments où l’introduction d’une action collective a été
envisagée et discutée, ils se sont montrés dubitatifs quant à la portée qui aurait pu lui
164
Cons. conc., Avis du 21 septembre 2006, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de
pratiques anticoncurrentielles, 21 septembre 2006, p. 9, pt. 29.
165
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence,
coll. Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 375 : selon les propos d’Antoine Winckler.
166
Voir notamment Jérôme Philippe, Aude Guyon, Ivan Gurov ou encore Marie Malaurie-Vignal.
66
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
être conférée en France. Il apparaît en effet, et particulièrement aux Etats-Unis, que
chaque victime d’une pratique anticoncurrentielle puisse devenir un « private attorney
general »167, sorte de procureur de la République tel qu’il est connu en droit interne
français, mais relevant de la sphère strictement privée. Si ceci semble partir d’une bonne
volonté, notamment au regard du consommateur, afin d’axer sa démarche vers un cadre
plus intimidant, voire coercitif pour le bien de la concurrence, cela ne relèverait
toutefois pas de son ressort. Il est envisageable et souhaité que le consommateur
s’intéresse de façon plus approfondie à cette législation spécifique et participe à la
réalisation de ses objectifs, ceci lui étant jugé profitable in fine. Ce glissement de sa
position serait toutefois fort extrême, et cela ne serait pas son rôle168. Il est intéressant ici
de s’interroger sur la possibilité et l’opportunité de voir se reproduire un tel schéma par
le biais de l’action de groupe récemment instituée. Les autorités de l’Union européenne
semblent aspirer en quelque sorte à cette vision, sans pour autant que le degré
d’implication du consommateur voulu par ces dernières soit précisément déterminable.
Quoiqu’il en soit, cette interrogation présente aujourd’hui une importance plus relative
dans la mesure où le régime du recours collectif tel qu’institué en France n’est pas
parfaitement analogue à celui prévalant au sein du droit américain. Par ailleurs, l’action
de groupe sera organisée par des associations de consommateurs agréées et non de
manière directe par le consommateur victime, si bien qu’il semble quelque peu malaisé
d’établir un parallèle avec la notion de « procureur ».
131. - S’il est ardemment escompté que le consommateur devienne une figure active
légitime et incontournable du processus concurrentiel par le biais de la mise en œuvre
de l’action de groupe, il convient toutefois de ne pas prétendre à des affirmations trop
hâtives. Ce nouveau moyen n’en est qu’à ses toutes premières heures ; ses résultats ne
peuvent être qu’espérés sans pour autant être vérifiés d’emblée. Par devant, ses effets
seront sans doute versatiles non seulement du fait de leur méconnaissance, mais
également du fait de quelques détails qui se doivent d’être relevés.
167
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 210.
168
M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 5e éd., coll. Sirey Université,
Dalloz, 2011, p. 290.
67
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Section 2 – Un nouvel arsenal législatif aux effets versatiles
132. - Le recours collectif tel qu’établi par la « Loi Hamon » présente inévitablement
des avantages pour le consommateur et demeure pleins de promesses. Par certains
aspects toutefois, relevant de la configuration de ce dispositif ainsi que du contexte dans
lequel il s’insère, notamment en matière concurrentielle, il est permis d’émettre
certaines réserves. Les velléités de faire de ce personnage un acteur, exerçant une réelle
influence et participant effectivement au respect de l’ordre public concurrentiel, par le
biais de l’action de groupe, peuvent être relativisées.
133. - Il ne saurait être oublié en effet, que le consommateur reste un « élément »
foncièrement en dehors de la matière législative, voire de la matière juridique en
général. Il est nécessairement restreint par ses propres limites (Paragraphe 1). Quoique
l’action de groupe constitue une innovation, le régime dont elle relève ne semble pas
sans failles, de sorte que le consommateur se trouve confronté aux barrières de la
législation elle-même (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Le consommateur confronté à ses propres limites
134. - Le consommateur est avant tout un personnage particulier (I), dont la mission est
d’être la boussole de l’économie, de par sa fonction première de consommation de biens
et de services sur les marchés. A ce titre, il ne dispose guère de moyens étoffés et
originaux afin de prendre part au processus concurrentiel notamment (II).
I – Le consommateur en tant que personnage particulier
135. - Les autorités de l’Union européenne tout comme les autorités nationales ont
pour volonté de faire du consommateur un allié tangible dans la dissuasion et la
poursuite des pratiques anticoncurrentielles. A ce titre, il est légitime de s’interroger sur
le caractère véritablement réalisable de cette acception. Il n’est pas fondamentalement
intéressé et intégré de manière particulière dans le domaine des pratiques
68
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
anticoncurrentielles et dans le contexte de leurs répressions. En somme, se rendrait-il
compte du potentiel qui semble vouloir lui être assigné et de l’œuvre à laquelle il
contribuerait en la matière par sa démarche via l’action de groupe ? Une telle attente du
consommateur n’est guère innée. Il ne s’agit pas ici de dire que celui-ci n’aurait pas les
capacités de comprendre ces enjeux, mais cela ne relève certainement pas de l’évidence.
L’affirmation sans détours de ce que le consommateur deviendrait par lui-même et en
toute connaissance de cause l’un des acteurs majeurs du processus concurrentiel est une
conception quelque peu extrapolée.
136. - Si ce nouvel arsenal législatif donne de nouvelles opportunités au consommateur
et une nouvelle impulsion en faveur de son bien-être, il faut toutefois noter qu’il reste
une action en justice. Les considérations qui ont été évoquées précédemment169, quant
aux difficultés connues par le consommateur face à la matière judiciaire en elle-même,
pourraient éventuellement être réitérées ici. L’intervention des associations de
consommateurs, combinée au procédé propre mis en place, est indéniablement un
meilleur moyen que ceux connus auparavant pour fédérer l’action des consommateurs.
Sachant qu’ils ne seront probablement pas les seuls à agir face à un ou des
professionnels contribue peut-être à les rassurer, mais est-ce que cela sera suffisant pour
que l’effet escompté puisse être vérifié dans les faits ? Le consommateur n’en sera pas
forcément plus déterminé à se manifester ou du moins pas à la hauteur prétendument
espérée, les obstacles économiques cédant ici plus facilement que les barrières
psychologiques sous l’effet de l’action de groupe.
137. - Cela est d’autant plus vraisemblable, il est nécessaire de le rappeler, que la
matière concurrentielle est spécifique et pétrie de notions qu’il n’est pas toujours aisé de
saisir. Son action au sein du processus est donc nécessairement bornée par une
complexité certaine du contexte. Il serait paradoxal de le considérer comme une figure
active de premier plan, voire comme une sorte de procureur privé en référence à ce qui a
pu être suggéré auparavant170, dans la mesure où il ne dispose pas du bagage nécessaire
pour en apprécier les fondements. Certes, il n’a jamais été demandé au consommateur
169
170
Supra, 120.
Supra, 130.
69
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
de devenir un « incollable » du droit de la concurrence, mais il semble toutefois malaisé
de pouvoir lui attribuer cette mission dans une telle configuration. Cela se vérifie
d’autant plus qu’il est constamment confronté à des moyens restreints.
II – Le consommateur en tant que personnage aux moyens restreints
138. - Il convient de se demander si l’action de groupe est le moyen le plus adapté
permettant d’attacher une telle fonction au consommateur. Selon le dispositif mis en
place, il est vrai qu’il pourra en quelque sorte « donner l’alerte » en informant une
association de consommateur de faits, problèmes ou dysfonctionnements de marché
qu’il pourrait percevoir, à la condition toutefois qu’il puisse en avoir la connaissance
préalable. En ce sens, il pourrait se montrer comme un allié du « public enforcement »,
dans une mesure relative il faut le concéder, mais éventuellement supérieure à
auparavant.
139. - Par ailleurs, après que le juge ait statué sur la responsabilité du professionnel en
cause, donné les modalités de constitution du groupe et renseigné sur les mesures de
publicité adéquates à opérer, le consommateur, en se manifestant pour une réparation
effective de son préjudice, participera à la répression aux côtés du « public
enforcement ». Il y prendra part certes, mais de façon plus ou moins timide en ce sens
qu’il n’exercera pas véritablement un agissement direct sur celle-ci. Il est envisageable
que le consommateur soit perçu comme un acteur du processus concurrentiel, mais il ne
faut pas s’y méprendre quant aux contours de la définition à donner à ce terme. Il peut
être acteur sans pour autant être sur le devant de la scène ; il y a fort à parier que celui-ci
sera bien plus en retrait qu’il ne l’était imaginé initialement.
140. - En ce qui concerne sa protection en revanche, il semble plus raisonnable de
pouvoir prévoir que l’action de groupe portera ses fruits dans la mesure escomptée. Il
reste néanmoins un point qui permettrait de contrebalancer quelque peu ce propos. Afin
d’espérer une action couronnée de succès, la victime devra au préalable apporter la
preuve de son préjudice, ce qui pourra s’avérer délicat pour sa part. Il faut ici concéder
que le consommateur, en tant que particulier notamment, ne dispose pas nécessairement
70
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
des outils lui permettant d’établir forcément le préjudice résultant d’une pratique
anticoncurrentielle. Cela requiert également des moyens sur lesquels il n’aura pas
nécessairement la mainmise. Les associations de consommateurs, même si
potentiellement mieux organisées et ayant accès à d’autres instruments, n’en sont pas
forcément mieux armées. Quant à l’évaluation du préjudice par le juge, préjudice
individuel de surcroît, la tâche ne s’avèrera pas aisée dans bons nombres de situations.
D’autant plus que l’appréhension des intérêts du consommateur en la matière n’est pas
clairement définie, quoique le régime de l’action de groupe ne prévoit une réparation
possible que pour les préjudices patrimoniaux résultant de dommages matériels. Il aurait
pu être prévu que les autorités de concurrence apportent une appréciation sur ce point,
afin de faciliter ladite évaluation, quoique la logique propre du « public enforcement »
ne porte pas sur des préoccupations indemnitaires171.
141. - Par son comportement à l’égard de l’action de groupe et sa volonté de s’assurer
du respect de ses droits à l’encontre d’un professionnel qui aura pu y porter atteinte, le
consommateur pourra en sus, participer aux objectifs du « public enforcement », en ce
qu’il contribuera à assigner une peine pécuniaire supplémentaire aux entreprises
transgressantes. C’est dans cette acception qu’il est possible de l’évoquer en tant qu’un
« acteur » du processus concurrentiel. Il y bénéficiera certes d’une position plus ancrée,
plus solide qu’antérieurement, sans pour autant qu’il faille aller trop loin dans cette
perspective. En outre, il faudra encore examiner si les propos tenus dans les textes et les
vœux exprimés à cet égard se vérifieront dans les faits.
A ces réflexions fondées sur les inconvénients liés à la personne du consommateur
s’ajoute également une introspection attachée aux barrières posées par la législation
elle-même.
171
M. DEPINCE et D. MAINGUY, L’introduction de l’action de groupe en droit français, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires, n° 12, LexisNexis, 20 mars 2014, 1144.
71
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Paragraphe 2 – Le consommateur confronté aux barrières de la législation
142. - Quoiqu’il s’agisse d’un énième rappel, les autorités nationales et de l’Union
européenne ont fait valoir le poids considérable qu’aurait le consommateur dans la
croisade contre les pratiques anticoncurrentielles, par le jeu de son action. Il est légitime
de se demander si l’action civile des victimes est un instrument approprié de cette
lutte172, notamment celle instituée par la « Loi Hamon » en droit interne. Si l’effort porte
sur la détermination de faire du consommateur un véritable acteur du processus
concurrentiel pour un effet de dissuasion des comportements malhonnêtes de
professionnels et ainsi pour garantir l’efficacité du droit, il serait essentiel de lui
conférer des moyens adaptés à sa condition et qui contiendrait le moins de failles
possibles. Il semble que ce soit uniquement dans ces circonstances que la volonté des
autorités pourrait se réaliser et que le consommateur pourrait devenir un acteur,
réellement gardien et partie intégrante du respect de l’ordre public concurrentiel. Or, il
apparaît que le régime propre à l’action de groupe, tout comme celui attaché aux recours
prévalant jusque là, fasse état de quelques faiblesses sur ce point. L’aspect dissuasif
voulu ne semble pas avoir été envisagé de manière optimale (I), tandis que l’interaction
avec le « public enforcement » pourrait ne pas être totalement aboutie (II).
I – Un aspect dissuasif amputé
143. - « La première des vertus de l’action de groupe ‘à la française’ devrait d’ailleurs
être son effet dissuasif : enfreindre la loi sera plus coûteux que de la respecter »173.
Concernant cet aspect, concentré au final sur le consommateur, un point du dispositif de
l’action de groupe est parfaitement singulier. Afin de développer ce propos, une
comparaison avec le régime des actions civiles en responsabilité établi aux Etats-Unis
semble pertinent. L’aspect décourageant de ces dernières pour les opérateurs
contrevenant est réellement assuré par la possibilité d’infliger des « treble damages »,
172
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
173
B. HAMON, Benoît HAMON : Un droit de la consommation plus efficace pour une économie plus
compétitive, Revue Concurrences n° 2-2013, pp. 7-11 – Interview – site Internet de la revue
Concurrences, www.concurrences.com - 2013.
72
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
encore qualifié de « dommages et intérêts triples »174, en sus d’une réparation intégrale
du préjudice subi par les victimes. L’optique d’une poursuite par le droit antitrust,
conjuguée avec un recours permettant une compensation du dommage ainsi qu’une
sanction pécuniaire supplémentaire, qui peut correspondre jusqu’à trois fois le montant
des dommages actuels subis, est semble-t-il à même de décourager les violations de ce
dernier. L’efficacité de la législation est donc plus grande, ce qui par la même occasion
confère aux victimes un rôle présentant un enjeu plus important dans la balance
répressive.
Cette faculté n’a pas été introduite au sein de l’action de groupe en France ; seule une
réparation intégrale du préjudice individuel 175 subi ayant été prévue. Ce fait est
notamment lié à l’appréciation donnée par la Commission européenne, du mécanisme le
plus approprié pour les recours collectifs. Dans sa promotion du « private
enforcement », elle a souhaité proscrire de tels dommages et intérêts, cela partant
notamment d’une volonté d’imposer un garde-fou176 à leur mise en œuvre. L’image
perceptible aux Etats-Unis des dérives des « class-actions » a semble-t-il eu raison de la
mise en place de ce schéma, et la « Loi Hamon » a pu en prendre acte également.
144. - Son absence peut être déplorée pour une action qui se voudrait véritablement
dissuasive. En adoptant un comportement répréhensible, une entreprise pourra se
ménager une situation de surprofit considérable 177 , au détriment notamment du
consommateur. Quoique l’action de groupe permette une réparation intégrale du
préjudice subi, il n’est guère irréfutable que le gain illicite soit totalement annihilé par
cette dernière. Il n’est pas certain, en effet, que toutes les victimes se manifesteront.
Quand bien même cela serait le cas, leur préjudice est potentiellement de faible valeur
174
G. CANIVET (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, coll. Droit et économie, LGDJ,
2006, p. 208.
175
M. DEPINCE et D. MAINGUY, L’introduction de l’action de groupe en droit français, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires, n° 12, LexisNexis, 20 mars 2014, 1144.
176
J. VOGEL et L. VOGEL, Private enforcement - Le paquet législatif prévu par la Commission pour
renforcer les droits des victimes de pratiques anticoncurrentielles est-il suffisant et cohérent ?, 28 juin
2013, site Internet du blog Vogel & Vogel, http://www.vogel-vogel.com/blog/le-paquet-legislatif-prevupar-la-commission-pour-renforcer-les-droits-des-victimes-de-pratique.
177
M. DEPINCE et D. MAINGUY, L’introduction de l’action de groupe en droit français, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires, n° 12, LexisNexis, 20 mars 2014, 1144.
73
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
de sorte que la rente perçue par l’entreprise pourrait tout autant demeurer supérieure
pour un effet décourageant moindre. L’imposition de dommages et intérêts punitifs,
comme celle d’un « reliquat visant à confisquer le surprofit réalisé » 178, aurait pu
constituer une mesure de sûreté appréciable et permettre de conférer au consommateur
un moyen d’intervention à hauteur du rôle que souhaiterait lui attribuer les autorités. Par
ce biais, l’action exercée aurait pu être entrevue comme une « action en sanction d’un
comportement illégal »179, et ainsi comme une véritable « action de citoyen »180.
145. - La question de la dissuasion n’est pas nouvelle et il s’agissait déjà d’une
difficulté que l’on concevait par avant. Il aurait toutefois pu en être attendu un peu plus
de la « Loi Hamon » sur ce point. A ce sujet, un autre élément mérite d’être relevé,
concernant la complétude entre le « public » et le « private enforcement », et entre leurs
entités compétentes respectives.
II – Un aspect interactif perplexe avec le « public enforcement »
146. - En vertu du régime prévu par l’action de groupe, « lorsque les manquements
reprochés au professionnel portent sur le respect des règles définies au titre II du livre
IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne, la responsabilité du professionnel ne peut être prononcée dans le
cadre de l’action mentionnée à l’article L. 423-1 que sur le fondement d’une décision
prononcée à l’encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou
de l’Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n’est plus
susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des manquements »181.
Le procédé dit de l’action en « follow on » ou « action de suivi » semble avoir été
privilégié ici. Il est en outre ajouté que « dans ces cas, les manquements du
professionnel sont réputés établis de manière irréfragable »182.
178
M. DEPINCE et D. MAINGUY, L’introduction de l’action de groupe en droit français, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires, n° 12, LexisNexis, 20 mars 2014, 1144.
179
M. DEPINCE et D. MAINGUY, Pour l’action de groupe en droit français, La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 20, LexisNexis, 16 mai 2013, act. 355.
180
Ibid.
181
Article L. 423-17, al. 1er du code de la consommation.
182
Article L. 423-17, al. 2nd du code de la consommation.
74
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
147. - Cette possibilité présente un réel avantage pour le consommateur dans le cadre
de cette action, le manquement suffisant « à constituer la faute constitutive du fait
générateur de responsabilité » 183 . La preuve de l’existence d’un comportement
répréhensible n’en est que facilitée, allégeant ainsi les difficultés qui auraient été
rencontrées par les associations et les consommateurs, ainsi que par le juge de droit
commun. Les deux premiers ne détiennent pas en effet, ou en faible proportion, le
bagage juridique suffisant à cette fin, ni les moyens adaptés, de nature plus pénale.
148. - Ce système particulièrement avantageux présente tout de même un inconvénient.
Il paraît ici impossible d’obtenir une réparation lorsque les autorités de concurrence
n’auront pas constaté la violation d’une règle, notamment si quoiqu’une pratique existe,
elle soit d’une importance mineure pour que puisse être établie une véritable restriction
à la concurrence. Celle-ci aura tout de même pu causer une atteinte à l’intérêt du
consommateur, de sorte qu’une réparation devrait être envisageable. Il pourrait toutefois
être rétorqué ici qu’il serait fort difficile pour les victimes de prouver tant le
comportement répréhensible, que la réalité et la teneur du préjudice invoqué et ce pour
les raisons qui viennent d’être évoquées auparavant.
149. - Un autre point suscitant la perplexité mérite d’être évoqué, quoiqu’il ne soit pas
nécessairement propre à l’action de groupe « à la française ». Ce propos renvoie
particulièrement à la problématique des moyens alternatifs de lutte contre les violations
faites au droit de la concurrence et à leur conciliation avec le « private enforcement ».
Aucune disposition ne semble avoir été prévue expressément en la matière, notamment
concernant la procédure de clémence, procédure permettant à une ou plusieurs
entreprises parties à une entente de la dénoncer en vue d’obtenir une exonération totale
ou partielle de sanction. Quant à l’action de groupe, les manquements auront pu être
établis dans un tel cadre, de sorte qu’elle aurait tout à fait vocation à entrer en jeu de
manière fructueuse.
183
A.-S. CHONE-GRIMALDI, Avant-projet de loi « Hamon » : Les apports en droit de la concurrence,
La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 15, 11 avril 2013, act. 265.
75
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
150. - Si cela ne s’avérait pas être le cas, l’une des controverses majeures en la matière,
qui se ressent au sein de la majorité des législations, se porte sur le refus patent
d’imposer une communication des documents, pièces et preuves dont les autorités de
concurrence auront pris connaissance à ce titre. Cela ne contribue guère à ménager
l’établissement de la preuve par les victimes et ne favorise pas une véritable interaction
entre les tenants de la sphère publique et ceux de la sphère privée. La carence ici
évoquée, si elle apparaît incongrue au regard des velléités d’une meilleure protection et
action des victimes, est toutefois compréhensible dans le cadre de ces systèmes annexes,
dont l’apparition fut la bienvenue pour une détection et une cessation plus accrue des
pratiques anticoncurrentielles. Les renseignements détenus par les autorités présentent
un caractère confidentiel qui se doit d’être maintenu, dans le but de préserver leur
efficacité. Les écrits et éléments auto-incriminant ne devraient pas être divulgués184, au
risque de rendre le recours à la procédure de clémence moins attractif. Les entreprises
qui bénéficieraient d’une immunité ou d’une réduction de sanction à ce titre, pourraient
alors se voir condamnées à verser des dommages et intérêts, ce qui ne saurait guère les
encourager.
151. - Dans ces hypothèses, il est évident qu’il pourra y avoir atteinte aux intérêts du
consommateur notamment et l’absence de concertation pourra constituer une entrave
sur le chemin de sa réparation. La meilleure protection de son bien-être prônée par les
tenants des recours collectifs en serait un peu égratignée. Les intérêts des professionnels
sont ici privilégiés et la suprématie de la protection des marchés semble retrouver tout
son empire. La procédure de clémence doit voir son attractivité et son efficacité
entretenues et sauvegardées, car elle va permettre d’éradiquer les pratiques
anticoncurrentielles les plus dommageables. Le marché sera ainsi purgé de ces vices et
le libre jeu de la concurrence pourra reprendre son cours, pour un effet présumé
bénéfique au consommateur in fine. Ce mécanisme est jugé plus bienfaisant à son égard
que les seuls effets du « private enforcement »185 et d’une compensation effective de son
préjudice. Sa réparation interviendrait du fait de l’arrêt de la pratique en cause, ce qui, il
faut l’avouer, se révèle quelque peu chimérique.
184
F. BRUNET (dir.) et G. CANIVET (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence,
coll. Droit des affaires, LGDJ, 2008, p. 429 : selon les propos d’Antoine Winckler.
185
Ibid., p. 403 : selon les propos d’Antoine Winckler.
76
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
152. - En ce qui concerne d’autres procédés de règlements amiables, il convient de se
demander si cela viendra impacter les résultats espérés de l’action de groupe. Il s’agit,
par exemple, de l’acceptation par l’Autorité de la concurrence, de la prise
d’engagements par les entreprises, leur permettant de bénéficier d’une certaine
indulgence. Si un tel système permet aux opérateurs concernés d’échapper aux
amendes, cela ne devrait pas pour autant correspondre à une immunité pour les
sanctions civiles186, quoique la prise d’engagements soit de nature à mettre un terme à
des préoccupations de concurrence. La problématique de la mise en balance de ces deux
enjeux, pour un combat le mieux mené contre les pratiques prohibées, refait ici surface.
153. - Si de telles solutions étaient envisagées dans le cadre de l’action de groupe à la
française, il apparaîtrait paradoxal de relever que le « private enforcement » ait été
pensé comme un complément entier du « public enforcement » au regard de la
protection du consommateur. L’interaction entre l’intervention de cette dernière et celle
des juges de droit commun ainsi que celle des victimes ne serait pas totalement aboutie,
quoique tout de même bien développée.
154. - Le consommateur, quoique très largement évoqué eu égard à la concurrence et à
la sphère qui l’entoure, a vu sa prise en compte accentuée de par une politique
concurrentielle se voulant toujours plus sociale, ainsi que par la mise en place de
nouveaux moyens à sa portée. Les prétentions mises en avant amènent de manière
constante auteurs et praticiens à émettre le désir, voire l’éventualité d’un renouveau du
cadre normatif en tant que tel et dont la question de la condition du consommateur en
serait le fil conducteur. Les diverses propositions sont d’une teneur différente, débutant
par une simple modification des législations déjà en vigueur, jusqu’à aboutir à une
véritable création juridique. Chacun de ces renouvellements présente des vertus non
négligeables, le point culminant se portant sur une intégration véritable du
consommateur au sein des problématiques économiques même.
186
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
77
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TITRE II
Le consommateur face à l’émergence d’un nouveau cadre normatif
155. - La place du consommateur au sein du processus concurrentiel constitue une
véritable énigme, conférant parfois à la controverse. Il est indubitable qu’il ait vocation
à y concourir, quoique selon un degré indéterminé et semble-t-il indéterminable
actuellement. Ces incertitudes conduisent à solliciter une prise de position plus ferme
quant à cette question. Pour se faire, il apparaîtrait, sinon judicieux, à tout le moins
concevable de procéder par le biais d’une transformation de plus grande ampleur,
touchant au cadre normatif lui-même.
156. - Le consommateur serait susceptible de constituer en quelque sorte l’impulsion
d’une évolution législative dont l’objet se concentrerait sur ce dernier (Chapitre 1). Un
autre schéma pourrait encore être promu, celui de l’avènement d’un véritable droit du
marché 187 , intégrant les problématiques d’ordre économique dans leur globalité et
ménageant un espace nécessaire quant aux enjeux présentés par la situation du
consommateur (Chapitre 2).
Chapitre 1 – La place du consommateur comme impulsion d’une évolution
législative
157. - Les aspirations à une prise en compte plus accrue du consommateur, tant au
niveau de ses intérêts que de ses interventions, amènent fréquemment à s’interroger sur
une reconnaissance explicite de son statut au sein du processus concurrentiel. Le nœud
de ce questionnement se situe notamment quant à sa protection, en tant qu’élément
fondamental en matière de concurrence. Ceci sous entendrait alors une intégration
spécifique et formelle de cette préservation au sein même des textes formant le droit de
la concurrence. Il ferait ainsi l’objet d’un certain renouvellement (Section 1). L’aspect
envisagé amène inévitablement à établir certains parallèles avec d’autres corps de
187
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002.
78
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
règles, spécifiquement dévoués au consommateur. Au delà d’un simple avenant apporté
au droit de la concurrence sur ce point, un rapprochement des législations pourrait ainsi
s’opérer, pour une cohérence sans doute plus enviable (Section 2).
Section 1 – De l’opportunité d’un renouvellement du droit de la concurrence
158. - L’attention portée au consommateur peut être perçue comme une manière
« d’humaniser le droit de la concurrence, en intégrant des préoccupations sociales »188
(Paragraphe 1). Si des manifestations tendant à la satisfaction de cette demande
s’avèrent constantes, il peut paraître raisonnable de penser que le droit de la
concurrence ne constitue pas forcément le véhicule le plus adapté pour y parvenir
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Des aspirations en faveur d’une socialisation du droit de la
concurrence
159. - La reconnaissance expresse de la protection du consommateur, témoignant ainsi
de son rang élevé sur l’échelle des objectifs primordiaux du droit de la concurrence,
participerait d’une logique certaine. Le consommateur est partie prenante de l’économie
de marché et en constitue un élément indispensable. Il contribue à assurer, par les choix
qu’il opère sur sa consommation de biens et de services, une dynamique de marché.
L’influence qu’il y exerce conduirait d’ailleurs à le qualifier de « consomm’acteur »189.
Le droit de la concurrence quant à lui, poursuit une mission analogue ; celle de garantir
le libre jeu de la concurrence, sur une structure saine du terrain marchand, le tout pour
un fonctionnement de marché optimal et une économie viable. Dans une telle
configuration, il apparaîtrait légitime que la législation tienne compte de manière directe
188
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
189
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 107.
79
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
et soigneuse de ce personnage dont l’activité converge vers les mêmes finalités. Sa
préservation ne serait qu’un gage supplémentaire de leurs réalisations.
160. - Il serait possible d’aller plus loin encore, en estimant que ses desseins ne
sauraient être atteints sans une prise en compte du consommateur190, de sorte que le
droit de la concurrence entraînerait automatiquement et inévitablement son bien-être
dans son sillage. Il se devrait de le placer dans les meilleures conditions possibles, afin
qu’il soit à même d’agir au mieux, pour une meilleure allocation des ressources.
161. - Il convient également de rappeler que l’exercice d’une concurrence régulée est
considérée comme profitable au consommateur in fine. Ce postulat est parfois si ancré,
qu’il serait possible de le concevoir comme le titulaire d’un droit191 en tant que tel, droit
qui assurerait cette concurrence si bénéfique. A ce titre, certains auteurs ont fait
remarquer que cette présomption qui se voudrait irréfragable ne saurait être le corollaire
de l’assurance d’une protection réelle du consommateur192. Dans une telle mesure, le
droit de la concurrence aurait vocation à contenir en son sein des dispositions veillant à
ce que cela soit véritablement effectif193. Il constituerait ainsi un droit aux multiples
facettes certes, mais dont les liens seraient si étroits qu’il en deviendrait ainsi un corps
de règles complet, regroupant tous les éléments nécessaires à son efficacité.
162. - Le droit de la concurrence, n’écartant jamais ce personnage particulier qu’est le
consommateur, n’en clarifie toutefois pas le statut et la place exacte au sein du
processus qui le sous-tend. Si son bien-être semble être prôné de manière redondante et
s’inscrirait parfaitement dans la sphère de la législation, il convient néanmoins de
s’interroger sur l’opportunité d’une reconnaissance expresse de sa protection au sein
même des textes qui le composent. En vertu d’un tel procédé, elle tendrait à être érigée
en un principe, qui pourrait prendre le pas sur d’autres considérations primordiales à ce
190
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point
de vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3.
191
V. LASSERRE-KIESOW, La promotion des sanctions civiles en droit des pratiques
anticoncurrentielles, Recueil Dalloz 2007, p. 2116.
192
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 115.
193
Ibid.
80
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
droit. Une telle acception n’est toutefois pas en total accord avec les fondements
initiaux de ce dernier, qui se portent sur un autre protagoniste spécifique, et dont
l’orientation de la mise en œuvre aurait la primeur. S’il apparaîtrait trivial d’opérer
quelques modifications de la législation elle-même pour y intégrer plus amplement
encore le consommateur, il ne saurait être oublié que d’autres facteurs entrent en jeu.
Opérer de la sorte ne s’avèrerait sans doute pas du meilleur acabit et ne représenterait
pas nécessairement l’option la plus adaptée.
Paragraphe 2 – Des aspirations malaisées pour le droit de la concurrence
163. - La perspective d’intégrer au sein même de ce corps de règles des considérations
supplémentaires, qui n’en sont toutefois pas inédites, semble particulièrement tentante.
Il ne faudrait toutefois pas s’aventurer dans cette voie, sans prendre garde à plusieurs
détails, ni explorer les autres pistes exploitables.
164. - L’un des premiers faits à ne pas omettre est que l’intégration textuelle de la
protection du consommateur présente certes la volonté d’étoffer le volet plus social du
droit de la concurrence, mais il ne faudrait tout de même pas aller trop loin en la
matière. Un juste équilibre se doit d’être trouvé afin de ne pas conférer à la
disproportion. Si cet impératif venait à bénéficier d’une primauté sans gardes fous ou si
des normes trop protectrices du consommateur venaient à être mises en place, l’effet
escompté pourrait prendre une toute autre tournure. Ce n’est plus une efficacité pleine et
entière qui serait perçue à ce titre, mais fort probablement un effet contre-productif pour
le processus concurrentiel et donc pour la concurrence194. Intégrer des considérations
propres au consommateur s’avèrerait bénéfique, mais uniquement dans une certaine
mesure et en présence d’un lien avec la mission de la législation elle-même. Il serait
peut-être plus judicieux dans ce cas, de laisser au droit de la concurrence son esprit
194
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
81
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
initial et entrevoir la reconnaissance expresse du bien-être du consommateur en tant
qu’élément notoire, au travers d’un autre moyen.
165. - Il ne saurait être oublié en effet, le socle du droit de la concurrence, dont les
bases ont été scellées au regard des diverses situations ayant cours sur les marchés
économiques. Dès son édification, ce sont des considérations propres à ces derniers qui
en ont constitué l’apanage. Sur une stricte interprétation téléologique, sa mise en œuvre
devrait en être constamment irriguée. Tel qu’il l’a été évoqué précédemment195, le droit
de la concurrence est résolument un droit du marché, tourné vers sa préservation et son
bon fonctionnement, par la garantie du libre jeu de la concurrence. Dès lors,
l’incorporation d’autres enjeux serait susceptible en quelque sorte d’altérer son essence
même, dans la mesure où la vocation première qui le caractérise pourrait être reléguée à
un second plan. Ce propos pourrait paraître un peu excessif, dans la mesure où les
intérêts tenant au marché et au consommateur ne sauraient s’exclure les uns les autres.
Sur le plan de la réflexion toutefois, ce point méritait d’être relevé.
166. - Eu égard à ces constatations, il apparaîtrait plus envisageable de procéder, non
pas au travers du droit de la concurrence lui-même, mais par le biais de normes
extrinsèques, plus spécifique à cette question, ce qui aura pu être qualifié de « normes
correctrices »196. Ces dernières viseraient à pallier le manque de clarté concernant le
statut et la place du consommateur au sein du processus concurrentiel et poseraient
formellement le principe de sa prise en compte ainsi que sa teneur. Quoiqu’il en soit,
l’évocation de mesures plus autonomes, centrées sur ces problématiques liées au
consommateur amène nécessairement à aborder le droit de la consommation. Celui-ci
est une législation qui lui est toute consacrée et œuvrant dans un but de protection et de
défense notamment contre les comportements qui viendraient lui porter atteinte. A ce
titre, il ne saurait être contesté que le consommateur bénéficie déjà d’une protection
d’une certaine ampleur, quoiqu’elle ne concerne pas uniquement la sphère
concurrentielle et touche des domaines diversifiés. Il faut ainsi se rappeler que si le
195
Supra, 30 et s.
G. HERTIG, Le rôle du consommateur dans le droit de la concurrence en Suisse, aux Etats-Unis et
dans la CEE, coll. Collection juridique romande, Payot Lausanne, 1984 – Thèse soutenue en juin 1983,
p. 249.
196
82
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
consommateur ne dispose pas d’un positionnement parfaitement clair au sein du droit de
la concurrence, il n’est de loin pas démuni. Cela est d’autant plus vérifiable qu’en droit
interne français, le standard de protection est particulièrement élevé, quoique cela
s’amenuise quelque peu sous l’impact du droit de l’Union européenne et de ses
perspectives d’harmonisation totale en la matière.
167. - Le droit de la consommation s’avèrerait être à même de venir combler les
lacunes du droit de la concurrence197. Si toutefois ce système se révélait efficace, il
pourrait prétendre à une moindre cohérence de l’ensemble. Une autre hypothèse serait
dès lors, exploitable ; celle d’un rapprochement des législations, du droit de la
concurrence et du droit de la consommation.
Section 2 – De l’opportunité d’un rapprochement du droit de la concurrence et de la
consommation
168. - Droit de la concurrence comme droit de la consommation ont des intitulés
évocateurs qui reflètent leurs orientations respectives. Au premier abord, ils paraissent
se repousser, leurs objectifs immédiats s’appréciant différemment (Paragraphe 1).
Malgré cela, les frontières qui semblent les séparer n’en sont pas moins perméables,
leurs finalités pouvant se rejoindre (Paragraphe 2). Ceci permettrait alors d’offrir de
nouvelles perspectives à l’édification d’un statut du consommateur au sein du processus
concurrentiel.
Paragraphe 1 – Des objectifs immédiats a priori distincts
169. - L’idée d’un rapprochement de deux corps de règles ayant chacun leur propre
dogme pourrait apparaître incongrue, comme cela peut encore être invoqué aujourd’hui.
A priori, ces deux droits s’ignorent 198. Le droit de la concurrence s’attache à un
processus relevant typiquement du marché, tandis que le droit de la consommation est
197
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point
de vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3.
198
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010,
p. 24.
83
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
centré sur le consommateur et sur les solutions permettant d’assurer sa préservation et
sa défense199. Leurs caractères sont également différenciés, le premier apparaissant
comme un droit plus régulateur200 et interventionniste sur le terrain marchand. Il serait
« le droit de l’amont du processus économique »201, le droit de la compétition. Le
second, comme en atteste sa mission, est un droit de nature plus protecteur, cherchant à
déterminer les moyens de pallier les difficultés rencontrées par son sujet principal. Il est
ainsi considéré comme le droit de l’aval, du « stade final du processus économique »202.
Il serait même fait état de ce que le droit de la consommation en viendrait parfois à
s’opposer à la liberté de la concurrence, car à vouloir garantir une protection certaine, il
serait amené à brider la liberté des entreprises203.
170. - De tels arguments font état de leurs logiques respectives, qui paraissent devoir
les opposer. En vertu d’une telle approche, nombreux sont ceux qui pourraient, à tort,
être amenés à considérer que les problématiques consacrées à la protection du
consommateur n’auraient pas lieu d’être au sein du droit de la concurrence et ne devrait
pas trop s’en approcher. Celles-ci resteraient cantonnées au champ d’application du
droit de la consommation, qui ne pourrait que venir corriger certains manquements, à
son échelle seulement, et sans pouvoir tisser de liens trop directs avec le droit de la
concurrence.
171. - A s’en tenir uniquement à cette conception, un recoupement de ces législations
aux fins de pouvoir relier une protection du consommateur en tant que telle, dans le
domaine particulier du droit de la concurrence, serait impossible. Il faudrait dès lors,
envisager une autre tactique. Il s’agirait plutôt, par exemple, de reconnaître des droits
fondamentaux substantiels, tant au sein du droit de la concurrence qu’au sein du droit de
199
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010,
p. 24.
200
Ibid.
201
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 108.
202
Ibid., p. 109.
203
Ibid., p. 111.
84
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
la consommation204. Ceux-ci seraient analogues, sans pour autant pouvoir être regroupés
en un seul et même cadre. L’inverse pourrait pourtant se révéler plus propice à une
cohérence globale et à une meilleure sécurité du consommateur quant à son
positionnement au sein du processus concurrentiel notamment.
172. - Cette conception qui n’est guère du meilleur emploi, présente aujourd’hui une
tendance à devenir obsolète. Il est reconnu que le droit de la consommation a pour
fonction de rendre le consommateur moins vulnérable pour lui permettre de mieux
consommer et de tirer le meilleur parti de l’allocation de ses ressources personnelles205.
« Il apparaît que le droit de la consommation est à l’intérêt particulier ce que le droit
de la concurrence est à l’intérêt général : l’un et l’autre contribuent à la meilleure
allocation des ressources »206. Dès lors, ces deux législations en apparence disjointes,
concourent en réalité au même but final. Définir et ancrer la place du consommateur au
sein du processus concurrentiel serait ainsi tout à fait accessible par le biais d’un
rapprochement de ces deux corps de règles.
Paragraphe 2 – Des objectifs convergents à long terme
173. - Le droit de la consommation aborde les intérêts du consommateur de manière
différente du droit de la concurrence207. Dans la mesure où ils l’envisagent tout de même
chacun, certes à une échelle différente et non déterminée parfois, ils peuvent toutefois
être perçus comme complémentaires. Ils constituent de ce fait, deux instruments qui
vont pouvoir être utilisés concomitamment, et non de façon séparée et alternative. Il est
204
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
205
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 86.
206
Ibid.
207
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point
de vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3.
85
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
ainsi reconnu l’existence d’une convergence entre les politiques de concurrence et de
consommation208.
174. - Outre l’argument de leur finalité commune, cette proximité se vérifie encore au
regard d’autres constats. Les problématiques relevant de la concurrence ainsi que du
consommateur et, plus globalement, de la consommation, sont traitées par la même
administration de tutelle 209 qu’est la Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes. Ceci constitue sans doute l’un des indices
majeurs de leurs liens étroits et de la pertinence de les traiter les unes au regard des
autres. La communication entre ces deux droits est encore perçue au travers des divers
emprunts réciproques qu’ils sont amenés à opérer. Le droit de la consommation intègre
des règles qui relèveraient tout autant du droit de la concurrence. Dans le cadre de
certaines pratiques comme celle de l’offre ou vente liée, leur caractérisation et leur
qualification pourront être appréhendées selon les mêmes éléments, tant par le droit de
la consommation que par le droit de la concurrence210. En matière de preuve également,
certaines méthodes adoptées par l’un pourront fournir des indications au juge chargé
d’appliquer les règles du second211. Le paroxysme de cette liaison réside dans leurs
appréciations concrètes des divers faits qui se présentent, en fonction d’une situation de
marchée donnée.212
175. - Cette analyse démontrerait sans aucun doute les possibilités de clarifier le statut
du consommateur au sein du processus concurrentiel. La question de sa protection pour
une garantie de son bien-être et l’assurance de son intervention la plus utile à l’efficacité
du droit de la concurrence, peut parfaitement être abordée dans le cadre d’une évolution
législative placée sous le signe d’un rapprochement de ces deux corps de règles.
208
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
209
D. MAINGUY, J.-L RESPAUD, M. DEPINCE, Droit de la concurrence, coll. Manuel, Litec, 2010.
210
M. CHAGNY, De l’assouplissement du régime des offres liées à l’avènement d’un droit du marché ?,
D. 2009, p. 2561.
211
Ibid.
212
Ibid.
86
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Ceux-ci opérant déjà sous divers aspects, selon un système de vase communiquant, une
telle démarche ne devrait pas présenter de difficultés insurmontables.
176. - Ce phénomène pourrait encore s’élever à un stade supérieur par l’aboutissement
d’une réelle fusion des législations. Un auteur relève que la concurrence et la
consommation ne sont que « les deux faces d’une même réalité »213 qui s’intitule « le
marché ». Ces deux matières cumulées constitueraient ainsi un véritable droit du
marché qui les transcenderait. La question du statut du consommateur au sein du
processus concurrentiel y trouverait nécessairement toute sa place et pourrait constituer
l’un des moteurs essentiels de son avènement.
Chapitre 2 – La place du consommateur comme impulsion de l’avènement d’un
droit du marché
177. - « L’économie de marché d’aujourd’hui fait place aux impératifs humains et
sociaux que l’économie de concurrence d’hier négligeait »214. Evoquant la réalité d’une
économie de marché, l’idée d’une législation qui s’y juxtaposerait et l’accompagnerait
dans sa concrétisation en rejaillit aussitôt. Un véritable droit économique, droit du
marché dans toute sa dimension, prendrait alors corps. A entrevoir de surcroît, une
« pensée économique actuelle [ s’orientant ] vers l’humanisme »215, la norme qui en
résulterait serait légitime à intégrer pleinement le consommateur et les enjeux qui lui
sont liés (Section 1). Sur un plan purement théorique, cette idée présente des qualités
qui semblent indéniables. Il faut toutefois se rendre compte du projet de grande
envergure qu’il représente, et dont la réalisation se montrera subtile, tant les facteurs
alentours sont nombreux à considérer (Section 2).
213
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 101.
214
Ibid., p. 5.
215
Ibid., p. 5.
87
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Section 1 – Un droit du marché intégrant pleinement le consommateur et ses enjeux
178. - L’impact du droit de la concurrence sur la mission qui lui est assignée serait
amputé sans un régime prenant en compte les intérêts du consommateur. Rassembler
ces deux éléments au sein d’un cadre intégré, fusionné serait à même de certifier qu’ils
ne soient pas déliés et puissent coexister véritablement. L’assurance d’une « qualité de
la décision de consommation individuelle » 216 additionnée à l’œuvre du processus
concurrentiel vont rendre ce droit du marché opérationnel, ce qui ne pourra que
contribuer au bon fonctionnement du marché en lui-même. Pour une efficacité plus
intense encore, ce nouveau cadre normatif engloberait par ailleurs, toutes les règles qui
présenteraient une attache à ce protagoniste spécifique, de sorte que cette évolution soit
pleinement aboutie. L’unification est ici présumée bien plus salutaire qu’une simple
« collection de droits spécialisés et distincts »217.
179. - Un exemple a pu être relevé par un auteur218, de ce qu’une telle législation est
concevable et ne relèverait pas uniquement d’une utopie certaine. Il fait état ainsi, d’une
loi fédérale australienne dite « Trade Practices Act » en date de 1974, qui réserve parmi
tant d’autres normes touchant au domaine marchand, une partie dédiée à la protection
du consommateur219 ainsi qu’une autre abritant un droit de la concurrence. Quoiqu’il
apparaisse que chacun des volets soient dévolus à leur domaine propre, leur réunion
assure leur mise en œuvre harmonieuse, sans que des conflits ne surviennent quant à
une éventuelle primauté à conférer à l’un ou l’autre des intérêts en jeu. Une simple
juxtaposition, par laquelle ils ne s’enquerraient pas forcément l’un de l’autre, créerait
plus de barrières qu’elle n’en déferait. Un droit du marché unique, qui incorporerait et
mêlerait tous les enjeux ayant cours en la matière, rendrait sa finalité bien plus
intelligible et dissiperait les ambiguïtés220, dont celles liées au statut à conférer à chacun
des opérateurs y prenant part.
216
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 86.
217
A. BIENAYME, L’intérêt du consommateur dans l’application du droit de la concurrence : un point
de vue d’économiste, Revue Internationale de Droit Economique, 1995, N° 1995/3, p. 387.
218
Ibid, p. 388.
219
Ibid.
220
Ibid.
88
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
180. - Les convergences qui ont pu être identifiées auparavant 221 entre droit de la
concurrence et droit de la consommation, s’exerceraient au sein d’un ensemble unitaire
de règles complémentaires, les législations qui les sous-tendent ayant vocation à être
décloisonnées et à se fondre dans un même corps222. Au surplus de cette approche
philosophique, il convient d’examiner l’aspect plus pragmatique de cette démarche. Au
niveau institutionnel tout d’abord, elle s’exprimerait éventuellement par une fusion des
entités respectivement compétentes223, en une seule et même instance. A l’image en
quelque sorte de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes, pourquoi ne pas fonder une nouvelle autorité chargée d’émettre
des propositions ou documents cadre, d’examiner la bonne mise en œuvre des règles et
également de gérer le volet contentieux de la matière ? Il pourrait s’agir d’un reflet de
l’Autorité de la concurrence actuelle, tournée dans le cadre d’une structure plus étendue
et aménagée pour la cause.
Au niveau de la pratique, ce droit du marché offrirait de nouvelles perspectives au
consommateur notamment, qui aurait dès lors la possibilité d’invoquer toutes les règles
en relevant224 et de les faire valoir de manière plus spontanée. Ses moyens seront
beaucoup plus étendus que les possibilités uniques du droit de la consommation,
quoiqu’elles soient déjà très substantielles.
181. - L’idée est ici, véritablement, d’établir « un droit du marché à vocation générale,
qui engloberait toutes ces questions pour la mise en place d’un système efficace qui
221
Supra, 173 et s.
M. CHAGNY, De l’assouplissement du régime des offres liées à l’avènement d’un droit du marché ?,
D. 2009, p. 2561.
223
M. MALAURIE-VIGNAL, Le bien-être du consommateur, une rencontre possible entre juriste et
économiste ?, Le concurrentialiste – Chroniques de droit économique, 31 mai 2013, paragraphe 11 –
Colloque en ligne – Le droit de la concurrence et l’analyse économique, site Internet du Le
concurrentialiste,
http://leconcurrentialiste.com/2013/05/31/colloque-le-bien-etre-du-consommateur-entre-juriste-eteconomiste/ - 16 oct. 2013.
224
M. CHAGNY, De l’assouplissement du régime des offres liées à l’avènement d’un droit du marché ?,
D. 2009, p. 2561.
222
89
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
envisagerait la problématique du consommateur dans son ensemble »225. Il s’agirait de
combiner, par le biais d’un seul et même procédé, les utilités de chacune des
composantes, ceci afin qu’elles s’intègrent les unes avec les autres pour mieux interagir.
L’atout serait de concevoir un droit économique non seulement fonctionnel, mais
également au sein duquel la place du consommateur serait clairement définie, ceci au
regard de toutes les considérations annexes qui pourraient interférer. Les ressources
ainsi regroupées consacreraient en outre un régime propre à sanctionner efficacement
les droits qui en ressortiraient.
182. - L’idée d’un droit du marché n’est guère récente, et nombreux sont ceux qui ont
pu appeler à une réflexion en la matière, ceci avec plus ou moins de vigueur selon les
circonstances. Si cette éventualité semble présenter de formidables opportunités, il
convient toutefois de s’attarder sur son caractère réalisable dans le contexte qui est le
nôtre. Ce système intégré semble d’une grande simplicité, tant il apparaîtrait logique d’y
parvenir. Il ne s’agit néanmoins pas d’un processus sommaire. Celui-ci demande une
introspection toute particulière et son accomplissement pourra s’avérer délicat.
Section 2 – Un droit du marché à la réalisation subtile
183. - L’avènement d’un droit du marché complet constitue un procédé tout à fait
novateur qui mérite une pleine attention, quoiqu’il suscite de nombreuses interrogations.
La première se porte majoritairement sur sa confection. Il est en effet, aisé de prôner
l’opportunité de celui-ci sans pour autant avoir la conscience des difficultés qui
l’entourent. S’il s’agit d’une optique de rassemblement de diverses législations
spécifiques, il s’agit également d’une véritable restructuration du droit, perçu dans sa
globalité. Les intérêts des diverses composantes étant nombreux et variés, quoique
présentant un certain point commun in fine, leur mise en balance risque d’être subtile.
La tâche n’en sera pas limpide et les acteurs à qui elle reviendra devront se montrer
minutieux et s’assurer de la prise en compte de tous les facteurs environnant. Aux fins
d’établissement d’un droit économique qui se voudrait réellement opérationnel, il serait
225
G. HERTIG, Le rôle du consommateur dans le droit de la concurrence en Suisse, aux Etats-Unis et
dans la CEE, coll. Collection juridique romande, Payot Lausanne, 1984 – Thèse soutenue en juin 1983.
90
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
dommageable d’omettre certaines considérations ou, du moins, ne pas appréhender
toutes leurs potentialités.
184. - Le processus législatif pourrait également s’avérer complexe. En amont, il
s’agira tout d’abord de convaincre des bienfaits d’un tel droit du marché et de l’utilité
d’enclencher une réflexion sur la question. Si les avantages paraissent « couler de
source », les avis seront nécessairement divergents, notamment au regard des opérateurs
économiques qui pourraient percevoir des contrariétés à ce cheminement. Il faudra
également s’armer de patience, les débats parlementaires se promettant éventuellement
houleux, voire n’aboutissant pas dès la première proposition d’une telle « réforme ». Il
s’agira encore de penser la façon de concevoir ce nouveau corps de règles. Devrait-il
reposer sur des bases totalement inédites, créées à cette fin, ou serait-il plus judicieux de
prendre pour point de départ l’une des législations établies et de l’aménager en
conséquence ? En somme, participerait-il d’une refonte d’un système existant au
préalable ou participerait-il d’une véritable genèse ? En aval, il sera question de
s’enquérir de sa mise en œuvre et des moyens de sanction qui garantiront son respect et
son efficience. L’œuvre de cette création juridique demandera sans doute un travail
colossal en termes d’expertise et d’analyse et nécessitera un laps de temps certain avant
une réelle mise en place. Celle-ci résultera fort probablement d’une progression par
pallier, une édification en un seul bloc paraissant difficilement concevable.
185. - Quant au processus législatif également, il est encore possible d’entrevoir une
barrière de forte envergure. Le droit de l’Union européenne, outre le droit de la
concurrence, s’est aussi emparé du droit de la consommation. Il intervient de plus en
plus en la matière et souhaite le régir de manière plus exacerbée. Sa volonté est
d’aboutir à une harmonisation tangible des législations nationales des divers Etats
membres. Envisager dès lors un renouveau, par l’établissement d’un droit du marché en
France, s’avèrerait périlleux dans une telle configuration, voire impossible. Il faudrait
non seulement tenir compte de tous les intérêts en présence, mais également de la
législation européenne afin de nécessairement s’y conformer. Cet exercice nécessiterait
peut-être d’intégrer l’Union européenne elle-même dans ce processus, pour
l’établissement d’un droit économique qui transcenderait les droits en vigueur. Cette
91
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
idée paraît toutefois, fort invraisemblable, la préoccupation première de l’Union
européenne portant déjà sur la pérennité du marché unique. Un enjeu supplémentaire,
d’une telle proportion de surcroît, ne serait pas réalisable à cette échelle.
186. - Un énième obstacle serait d’ordre plus psychologique, notamment au regard du
consommateur. Avant toute chose, il conviendrait de faire toute la lumière quant aux
tenants et aboutissants du droit du marché tel qu’envisagé. Il faudra dès lors lui
expliquer les avantages et inconvénients qu’il pourrait en tirer, ceci revenant
inévitablement à la question de sa place au sein de ce nouveau cadre législatif. Un
élément particulièrement évocateur pourrait être mis en avant à ce titre. Par l’appellation
de « droit du marché », le consommateur pourrait s’attendre de prime abord à une mise
en avant d’intérêts économiques et mercantiles, à son détriment. Le terme de
« marché » souffre ici d’une connotation péjorative, par laquelle serait plus entrevue des
notions de profits sans limite et d’écrasement des opérateurs les plus faibles, plutôt
qu’une idée d’un droit qui le considérerait à sa juste valeur et l’intègrerait de manière
mesurée à tous les développements qui se présenteraient.
187. - Il n’est pas sans rappeler par ailleurs, que le consommateur dispose d’un droit
qui lui est consacré et qui lui apporte une protection de grande ampleur. Les tenants du
droit de la consommation pourraient avoir à craindre qu’en le fondant dans une masse,
celui-ci s’en trouverait quelque peu perdu dans les méandres des autres intérêts à
prendre en compte, et avec lui son sujet principal. A ce titre, un auteur concède
volontiers qu’en « incluant le droit de la consommation dans le droit du marché, on lui
donne un fondement nouveau et donc on assigne des limites à la protection qu’il
institue »226, celle-ci étant placée sur un autre terrain. Alors que son statut aurait dû être
pleinement défini à l’occasion de l’établissement de ce droit du marché, celui-ci pourrait
être atteint de l’effet inverse et sa question rester contrainte à l’immobilisme. Ils
pourraient ainsi redouter que la protection qui était offerte via le droit de la
consommation, n’en soit que déstabilisée, voire amoindrie, dans un cadre normatif
intégré, plutôt que s’il était resté l’objet d’un cadre plus spécifique.
226
C. LUCAS DE LEYSSAC et G. PARLEANI, Droit du marché, coll. Thémis Droit privé, P.U.F.,
2002, p. 87.
92
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
CONCLUSION DEUXIEME PARTIE
188. - Le consommateur fait l’objet d’attentions constantes. Au vu des évolutions qui
ont eu cours, particulièrement récemment, il est entrevu comme pouvant avoir plus
d’influence au sein du processus concurrentiel. Il s’agit ici de nombreuses volontés qui
ont été exprimées, dont certaines ont pu se réaliser au niveau législatif. Il reste encore à
observer le résultat dans les faits et de voir si les prétentions émises se réaliseront. Le
processus concurrentiel serait ainsi à même de conférer une plus grande emprise au
consommateur.
189. - Un enjeu supplémentaire semble également se profiler. Celui-ci porterait sur la
véritable place à conférer au consommateur, non plus seulement au sein de l’unique
processus concurrentiel, mais au sein du droit du marché tout entier, envisagé dans sa
pure dimension économique et dans le cadre de ses fonctions de stabilisation et
d’accroissement de l’économie de marché. Afin que cet enjeu soit traité de la manière la
plus adéquate et soit fructueux, l’étape de sa clarification et de sa définition s’avèrerait
fondamentale. Une omission sur ce point, voire une simple négligence, ne permettrait
pas à l’édification du droit du marché de remplir toute ses promesses quant au
consommateur. S’il faut envisager cet aspect particulier de la problématique, il s’agit de
renouveler la législation en gardant un œil rivé sur cet objectif.
190. - Ces affirmations ne sont en réalité pertinentes qu’à la condition de ne considérer
ici que les seuls intérêts du consommateur. Cela reviendrait toutefois à constituer une
sorte de carcan où le droit du marché ne serait qu’envisagé au regard de ce personnage
particulier, ce qui ne saurait correspondre à la réalité. Si le bien-être du consommateur
s’avère nécessaire, il ne doit et ne saurait être le socle unique et inégalable de
l’économie de marché. Si la question de son sort n’est pas négligeable, c’est toutefois
celle de la mise en balance des divers intérêts placés sur le marché qui est au fond
véritablement déterminante, ceci afin d’aboutir à une économie viable, sans quoi
l’établissement d’un droit du marché paraîtrait d’un intérêt plus accessoire.
93
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
CONCLUSION
191. - Le consommateur est un protagoniste permanent de l’économie de marché. Au
sein du droit de la concurrence plus spécifiquement, sa présence se ressent à divers
échelon et sous des degrés variés. Son ombre plane tout le long du processus
concurrentiel, son influence étant variable à chaque étape identifiable. Il n’est pas
possible de réellement déterminer un statut qui lui soit propre et sur lequel il serait aisé
de se référer à tout instant, ceci afin de mettre en balance de façon optimale tous les
intérêts en jeu sur le marché.
192. - La question de la place du consommateur semble fatalement devoir être hissée
au rang de mystère. Celle-ci est fréquemment remise en cause et semble constituer une
préoccupation revenant de manière régulière sur le fil de l’actualité juridique. Il n’est
pourtant pas de réponses précises et prédominantes à apporter. Des indices permettant
d’apporter des appréciations sont perceptibles, sans que cela ne permette toutefois d’être
fixé de manière certaine sur le sujet.
193. - Le consommateur est pris en compte par le processus concurrentiel en ce qu’il
fait figure d’acteur sur le marché. Sa condition est sujette à évolution et la tendance
s’oriente vers son amélioration par l’attribution de nouvelles perspectives. Malgré tout,
cela ne signifie pas pour autant qu’il constitue une donnée suprême, tant les enjeux
alentours sont multiples. La question de sa place regorge ainsi de subtilités, d’autant
plus qu’elle ne semble pas pouvoir être restreinte au seul champ d’application des
problématiques concurrentielles. Elle va nécessairement plus loin et dépasse cette
frontière pour s’ancrer véritablement sur un terrain bien plus vaste. La véritable
interrogation paraît ici reposer sur la condition du consommateur dans la sphère
économique toute entière. Les propositions d’établir un véritable droit du marché où
tous les intérêts y seraient combinés confirment cette nécessaire expansion.
194. - Quoique les pouvoirs publics et tous les acteurs légitimes aiment à exprimer leur
attachement au consommateur pour une amélioration constante de sa condition au sein
94
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
d’un droit économique où il ferait figure de personnage vulnérable, il ne faudrait tout de
même pas omettre qu’il bénéficie déjà d’une protection et d’un rôle certain. Il est loin
d’être le « laissé pour compte » dans ces domaines, si bien que les revendications pour
une reconnaissance expresse de sa préservation paraissent quelque peu poussées.
195. - Le consommateur a toute sa place au sein de l’économie de marché et de la
législation qui le sous-tend. Il ne peut toutefois pas être attendu une constance parfaite
de sa situation, celle-ci sera variable tant les facteurs externes, le contexte et les intérêts
en jeu sont multiples. Cette approche ne pourra que s’accroître et se confirmer, dans une
économie toujours plus orientée vers la mondialisation et l’internationalisation. Les
enjeux sont tels qu’il est fort complexe, voire impossible de fixer un curseur
d’appréciation en la matière.
196. - Si une économie viable et croissante est désirée, seule une mise en balance de
toutes les considérations en vigueur sera du meilleur acabit, quoique nécessairement
délicate à mettre en œuvre. La place du consommateur s’y intègre, mais ne saurait être
la problématique unique à prendre en compte, ni même le coefficient majeur dans
l’immense bassin que constitue l’économie de marché.
95
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
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Codes
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101
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Trade Practices Act 1974 No. 51, 1974.
VII - TABLE CHRONOLOGIQUE DES DECISIONS, ARRETS,
JUGEMENTS ET AVIS
A - Juridictions et autorités de l’Union européenne
1 - Juridictions de l’Union européenne
a - Cour de justice de l’Union européenne
CJCE, 21 février 1973, aff. 6-72, Europemballage Corporation et Continental Can
Company Inc. c/ Commission des Communautés européennes, Rec. 1973 p. 00215.
102
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
CJCE, 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage et Crehan, Rec. 2001 I-06297.
CJCE, 13 juillet 2006, aff. C-295/04 à C-298/04, Manfredi, Rec. 2006 I-06619.
CJCE, 23 novembre 2006, aff. C-238/05, Asnef-Equifax et Administracion del Estado,
Rec. 2006 I-11125.
CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04, British Airways plc c/ Commission des
Communautés européennes, Rec. 2007 I-02331.
CJCE,
6
octobre
2009,
aff.
C-501/06,
C-513/06,
C-515/06
et
C-519/06,
GlaxoSmithKline Services Unlimited c/ Commission des Communautés européennes,
Rec. 2009 I-09291.
b - Tribunal de première instance de l’Union européenne
TPICE, 17 décembre 2003, aff. T-219/99, British Airways plc c/ Commission des
Communautés européennes, Rec. 2003 II-05917.
TPICE, 27 septembre 2006, aff. T-168/01, GlaxoSmithKline Services Unlimited c/
Commission des Communautés européennes, Rec. 2006 II-02969.
TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-201/04, Microsoft Corp. c/ Commission des
Communautés européennes, Rec. 2007 II-03601.
103
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
2 - Autorités de l’Union européenne
Comm. CE., Déc. 2000/12/CE, 20 juill. 1999, aff. n°IV/36-888, Coupe du monde de
football 1998, relative à une procédure d’application de l’article 82 du Traité CE et de
l’article 54 de l’accord EEE, JOCE 08 janv. 2000, n° L 005, p. 0055 – 0074.
B - Juridictions et autorités internes
1 - Juridictions internes
Cour de cassation
Civ. 1ère, 26 mai 2011, n° 10-15676, Bull. civ. I.
2 - Autorités internes
Cons. conc., Déc. n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, relative à des pratiques constatées
dans le secteur de la téléphonie mobile.
C - Juridictions étrangères
United States Court of Appeal for the District of Columbia Circuit, June 28, 2001,
United States v. Microsoft, 253 F. 3d 34, 85, D.C. Cir. 2001.
104
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107
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
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X - RAPPORTS ANNEXES
Rapport du cabinet Ashurst réalisé pour la Direction Générale de la concurrence, Study
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108
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
GLOSSAIRE
Action en « follow on » : Il s’agit d’une action qui prend la suite d’une décision rendue
par une autorité ou une juridiction.
Class-action : Dans le cadre du droit antitrust américain notamment, il s’agit d’une
procédure permettant à un groupe de victimes de pratiques anticoncurrentielles, ayant
un intérêt commun de se regrouper aux fins de faire valoir leurs droits ou d’obtenir une
réparation du préjudice subi, au sein d’une action commune.
Consumer welfare : Dans le cadre d’une opération qu’il aura réalisé sur un marché,
cette expression désigne l’intérêt pécuniaire que le consommateur pourra en retirer.
Opt-in : Dans le cadre de l’action de groupe « à la française », le mécanisme de
l’ « opt-in » désigne le mécanisme par lequel chaque consommateur devra donner son
accord exprès pour y être partie.
Passing on defence : L’expression fait référence à un moyen de défense portant sur la
répercussion des surcoûts. La Commission européenne le définit comme le « traitement
juridique du fait qu’une entreprise qui effectue un achat auprès d’un fournisseur dont le
comportement est contraire au droit de la concurrence a la possibilité d’atténuer sa
perte économique en répercutant le surcoût subi sur ses propres clients. Le dommage
causé par un comportement anticoncurrentiel peut ainsi être répercuté en aval sur la
chaîne de distribution, voire être subi intégralement par le dernier acheteur, c’est-àdire le consommateur final ».
Private attorney general : Aux Etats-Unis, le terme « attorney general » désigne plus
communément le procureur général, rattaché au Ministère de la justice. L’expression
« private attorney general » fait référence à la victime d’une infraction qui, dans le
cadre d’une action privée, exercerait une mission analogue à celle du procureur général.
109
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Private enforcement : L’expression désigne l’action privée visant à la réparation du
préjudice causé aux victimes par les violations faites aux règles du droit de la
concurrence. Au sein du droit interne français, le ressort de cette action revient aux
juridictions nationales de droit commun.
Public enforcement : L’expression désigne la poursuite et la répression des violations
faites aux règles du droit de la concurrence, par les autorités de la concurrence. Elle
correspond à l’action menée à l’initiative de la sphère publique.
Treble damages : Il s’agit de dommages et intérêts qui peuvent correspondre jusqu’à
trois fois le montant des dommages actuels subis par une victime. Ces derniers peuvent
être octroyés dans le cadre du système en vigueur aux Etats-Unis.
110
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TABLE ALPHABETIQUE
A
G
Abus de position dominante : 39, 63,
Gains d’efficacité : 45, 65.
64, 74, 99, 124.
Accord : 33, 40, 64.
M
Action de groupe : 89, 122 et s., 127 et
Marché unique : 27 et s., 48.
s., 130 et s., 136 et s., 141 et s.
P
C
Préjudice concurrentiel : 84, 124.
Concentration d’entreprise : 65, 88,
Private enforcement : 84, 102 et s.,
99.
106, 109, 112, 117 et s., 127, 130, 143,
145, 149 et s.
D
Public enforcement : 84, 103, 108, 138
Dommage causé à l’économie : 83 et
et s., 153.
s., 125.
Droit antitrust : 21, 27, 35.
R
Restriction de concurrence : 33, 40,
E
66.
Ecole de Chicago : 55, 94, 101.
Ecole de Harvard : 21, 24, 55.
V
Entente : 33, 134.
Ventes liées : 40, 174.
111
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ..................................................................................................... 1
LISTE DES ABREVIATIONS ..................................................................................... 2
SOMMAIRE ................................................................................................................... 4
INTRODUCTION ......................................................................................................... 6
PREMIERE PARTIE – LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE EN
FILIGRANCE AU SEIN DU PROCESSUS CONCURRENTIEL ......................... 11
TITRE I – Le consommateur face à l’hégémonie du marché au sein du processus
concurrentiel ............................................................................................................. 12
Chapitre 1 – La place du consommateur liée aux origines et fondements
traditionnels du droit de la concurrence ................................................................. 12
Section 1 – Le droit de la concurrence originellement fondé au regard d’un
marché................................................................................................................. 13
Paragraphe 1 – Le droit antitrust américain et l’Ecole structuraliste de
Harvard ......................................................................................................... 13
Paragraphe 2 – Le droit européen de la concurrence comme instrument de la
réalisation d’un marché intérieur unique ..................................................... 15
Section 2 – Le droit de la concurrence résolument au service du marché ......... 17
Chapitre 2 – La place du consommateur liée à la délicate appréciation de ses
enjeux ..................................................................................................................... 20
112
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Section 1 – Une fluctuation dans la mise en œuvre des règles du droit de la
concurrence ......................................................................................................... 20
Paragraphe 1 – Le consommateur face à l’ambivalence de la conception de
la concurrence................................................................................................ 21
Paragraphe 2 – Le consommateur face à la difficile appréhension de ses
intérêts ............................................................................................................ 23
Section 2 – Une fluctuation de l’appréciation des enjeux liés au
consommateur ..................................................................................................... 26
Paragraphe 1 – Le consommateur face à l’absence de consensus quant à sa
situation .......................................................................................................... 26
Paragraphe 2 – Le consommateur face à l’influence d’une politique
concurrentielle certaine ................................................................................. 29
TITRE II – Le consommateur en tant que déterminant central du processus
concurrentiel ............................................................................................................. 32
Chapitre 1 – Le consommateur en tant qu’élément cadre de référence au sein du
processus concurrentiel .......................................................................................... 32
Section 1 – Un repère dans l’appréciation des infractions anticoncurrentielles . 33
Section 2 – Un repère de l’analyse concurrentielle et économique ................... 36
Paragraphe 1 – La prise en compte du consommateur dans la détermination
du marché pertinent ....................................................................................... 36
Paragraphe 2 – La prise en compte du consommateur dans l’évaluation de
l’impact des comportements d’entreprise ...................................................... 38
Chapitre 2 – Le consommateur en tant qu’élément passif du processus
concurrentiel .......................................................................................................... 40
113
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Section 1 – Un rôle relatif dans la mise en œuvre du droit de la concurrence ... 40
Paragraphe 1 – Une place à relativiser au sein de la qualification des
infractions anticoncurrentielles ..................................................................... 41
Paragraphe 2 – Une place omise au sein de l’évaluation de la sanction des
infractions anticoncurrentielles ..................................................................... 42
Section 2 – Un rôle passif dans la mise en œuvre du droit de la concurrence.... 44
CONCLUSION PREMIERE PARTIE ...................................................................... 47
SECONDE PARTIE – LE CONSOMMATEUR, UNE FIGURE CENTRALE AU
CŒUR DE LA MODERNISATION DU PROCESSUS CONCURRENTIEL ...... 48
TITRE I – Le consommateur face à l’émergence de nouvelles opportunités au
sein du processus concurrentiel ............................................................................... 50
Chapitre 1 – Le consommateur comme « cheval de bataille » du droit de la
concurrence ................................................................................................................................................. 50 Section 1 – Le consommateur en tant que donnée constante de la législation ... 51
Paragraphe 1 – Une politique de la concurrence orientée vers la protection
du consommateur ........................................................................................... 51
Paragraphe 2 – Une politique de la concurrence orientée vers le « private
enforcement » au service du consommateur .................................................. 53
Section 2 – Le consommateur en tant que donnée au service de la législation .. 55
Paragraphe 1 – Le consommateur en tant que nouvelle figure de lutte ........ 56
Paragraphe 2 – Le consommateur en tant que nouvel élément intégré dans la
lutte................................................................................................................. 57
114
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Chapitre 2 – Le consommateur comme nouvel acteur du droit de la
concurrence ................................................................................................................................................. 59 Section 1 – Un nouvel arsenal législatif en faveur de l’action du
consommateur ..................................................................................................... 60
Paragraphe 1 – L’action de groupe en matière concurrentielle, vecteur de
nouveauté pour le consommateur .................................................................. 61
I – Une manifestation jusque là timide du consommateur ........................ 61
II – Une manifestation espérée du consommateur .................................... 63
Paragraphe 2 – L’action de groupe en matière concurrentielle, vecteur d’une
redéfinition du rôle du consommateur ........................................................... 65
Section 2 – Un nouvel arsenal législatif aux effets versatiles ............................ 68
Paragraphe 1 – Le consommateur confronté à ses propres limites .............. 68
I – Le consommateur en tant que personnage particulier ........................ 68
II – Le consommateur en tant que personnage aux moyens restreints ..... 70
Paragraphe 2 – Le consommateur confronté aux barrières de la
législation ....................................................................................................... 72
I – Un aspect dissuasif amputé .................................................................. 72
II – Un aspect interactif perplexe avec le « public enforcement » ............ 74
TITRE II – Le consommateur face à l’émergence d’un nouveau cadre
normatif ..................................................................................................................... 78
Chapitre 1 – La place du consommateur comme impulsion d’une évolution
législative ..................................................................................................................................................... 78 Section 1 – De l’opportunité d’un renouvellement du droit de la concurrence .. 79
115
La place du consommateur dans le droit de la concurrence
Paragraphe 1 – Des aspirations en faveur d’une socialisation du droit de la
concurrence .................................................................................................... 79
Paragraphe 2 – Des aspirations malaisées pour le droit de la
concurrence .................................................................................................... 81
Section 2 – De l’opportunité d’un rapprochement du droit de la concurrence et
de la consommation ............................................................................................ 83
Paragraphe 1 – Des objectifs immédiats a priori distincts ........................... 83
Paragraphe 2 – Des objectifs convergents à long terme ............................... 85
Chapitre 2 – La place du consommateur comme impulsion de l’avènement d’un
droit du marché .......................................................................................................................................... 87 Section 1 – Un droit du marché intégrant pleinement le consommateur et ses
enjeux .................................................................................................................. 88
Section 2 – Un droit du marché à la réalisation subtile ...................................... 90
CONCLUSION DEUXIEME PARTIE ...................................................................... 93
CONCLUSION ............................................................................................................ 94
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... 96
GLOSSAIRE .............................................................................................................. 109
TABLE ALPHABETIQUE ...................................................................................... 111
TABLE DES MATIERES ......................................................................................... 112
116