1 CONSEILD ` ETAT Section de l`intérieur

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1 CONSEILD ` ETAT Section de l`intérieur
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CONSEIL D'ETAT
Section de l'intérieur
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N° 371.741
M. LAMY,
Rapporteur
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
DE L’ASSEMBLEE GENERALE
Séance du jeudi 8 septembre 2005
AVIS
Le Conseil d’Etat, saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis sur la
question de savoir si la proposition de décision-cadre créant un mandat européen d’obtention
de preuves tendant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur
utilisation dans le cadre de procédures pénales devrait être complétée pour prévoir, parmi les
motifs de refus d’exécution, celui fondé sur le caractère politique de l’infraction ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 92-1017 du 24 septembre 1992 autorisant la ratification du traité sur
l’Union européenne, ensemble le décret n° 94-80 du 18 janvier 1994 portant publication de ce
traité, notamment ses articles 6, 31 et 34 ;
Vu la décision-cadre du 22 juillet 2003, n° 2003/577/JAI relative à l’exécution
dans l’Union européenne des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la proposition de décision-cadre créant un mandat européen d’obtention de
preuves tendant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation
dans le cadre de procédures pénales (version du 19 juillet 2005) ;
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EST D’AVIS DE REPONDRE A LA QUESTION POSEE
DANS LE SENS DES OBSERVATIONS SUIVANTES :
I. - La proposition de décision-cadre a pour objet de créer un mandat européen
d’obtention de preuves tendant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de
leur utilisation dans le cadre de procédures pénales. Le mandat sera une décision émise par
une autorité judiciaire dans un Etat membre directement reconnue par les autorités
destinataires d’un autre Etat membre et devant être exécutée par elles. Son champ
d’application sera limité aux preuves qui existent déjà et sont directement disponibles sous la
forme de documents, objets et données. Plusieurs garanties sont prévues, notamment
l’existence d’une voie de recours contre les mesures coercitives, l’interdiction des
perquisitions pendant la nuit, sauf circonstances particulières précisément définies, ou encore
l’impossibilité de contraindre une personne à apporter des preuves conduisant à sa propre
incrimination.
Les autorités saisies pourront refuser d’exécuter un mandat de preuve en
application du principe « non bis in idem » et, dans les cas pour lesquels elle est prévue, en
application de la règle de la double incrimination, ainsi qu’au motif de l’existence d’une
immunité ou d’un privilège ou de l’atteinte à des intérêts essentiels de la nation.
Toutefois, la proposition de décision-cadre ne prévoit pas de motif de refus
d’exécution fondé sur le caractère politique de l’infraction.
II. - Le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel
l’Etat doit se réserver de refuser l’extradition pour les infractions qu’il considère comme des
infractions politiques, rappelé par le Conseil d’Etat dans ses avis des 9 novembre 1995 et
26 septembre 2002, ne s’étend pas aux autres mesures d’entraide judiciaire en matière pénale,
telles par exemple les demandes de communication de preuves, eu égard notamment à la
différence entre les effets respectifs de l’extradition et des autres mesures d’entraide sur la
situation et les droits des personnes.
La possibilité, pour les autorités saisies, de refuser l’exécution d’une mesure
d’entraide judiciaire au motif que l’infraction a un caractère politique a pu se déduire, avant
1946, de certaines conventions internationales ainsi que de l’article 30 de la loi du
10 mars 1927 relatif aux commissions rogatoires émanant d’autorités étrangères, qui disposait
qu’il ne s’appliquait qu’en cas de « poursuites répressives non politiques », sans pour autant
qu’elle puisse être regardée comme une règle générale et constante.
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Ainsi, la règle selon laquelle les autorités saisies doivent pouvoir refuser de donner
suite aux demandes d’entraide judiciaire se rapportant à une infraction ayant un caractère
politique ne peut être considérée comme un principe fondamental reconnu par les lois de la
République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution
de 1946.
Elle ne trouve pas davantage de fondement dans les droits et libertés du citoyen
tels qu’ils ont été proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et
par le Préambule de 1946.
Au demeurant, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions
de la criminalité a abrogé la loi du 10 mars 1927 sans reprendre ce motif de refus d’exécution
des demandes d’entraide judiciaire dans les articles 694 à 694-4 du code de procédure pénale,
tout en prévoyant, dans l’article 696-4, que l’extradition est refusée lorsque le crime ou le
délit a un caractère politique, conformément au principe fondamental reconnu par les lois de
la République rappelé par le Conseil d’Etat dans son avis du 9 novembre 1995.
De même, l’article 695-9-17 du code de procédure pénale, issu de la loi du
4 juillet 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la justice, n’a pas non plus prévu parmi les motifs de refus d’exécution d’une
décision de gel des biens prise dans un autre Etat membre celui tiré de la nature politique de
l’infraction qui la fonde.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’absence, dans la
proposition de décision-cadre, de disposition permettant aux autorités saisies de refuser
l’exécution d’un mandat européen d’obtention de preuves au motif que l’infraction a un
caractère politique ne met en cause aucun principe à valeur constitutionnelle.
Le Conseil d’Etat souligne enfin l’intérêt qui s’attache à ce que les dispositions de
transposition de la future décision-cadre puissent prévoir, comme motif de refus, le cas où le
mandat serait émis dans le but de poursuivre une personne en raison de ses opinions
politiques, à l’instar de l’article 695-9-17 du code de procédure pénale pour les décisions de
gel de biens, ce qui suppose, comme pour la décision-cadre du 22 juillet 2003 relative à
l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel, que les motifs de la décision-cadre
se réfèrent aux principes et droits fondamentaux reconnus par l’article 6 du traité sur l’Union
européenne.
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Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d'Etat dans sa séance
du jeudi 8 septembre 2005.
Le Vice-Président du Conseil d'Etat,
Signé : R. DENOIX DE SAINT MARC
Le Conseiller d'Etat,
Rapporteur,
Signé : F. LAMY
Le Secrétaire Général du Conseil d'Etat,
Signé : P. FRYDMAN
CERTIFIE CONFORME :
Le Secrétaire Général du Conseil d'Etat,
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