BDDC bio re-releases OK

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BDDC bio re-releases OK
Bernard Fèvre n'est pas une légende du passé : c'est un pionnier de la
musique de demain. Pour la toute première fois, ré-édition des albums
cultes Suspense (Bernard Fèvre, 1975), Cosmos 2043 (Bernard Fèvre,
1977), Disco Club (Black Devil, 1978), et re-mastering des bandes
masters d'époque par Bernard Fèvre lui-même.
AVANT-PROPOS
L’idée de ressortir ces disques, et pour la première fois dans leur format
d'origine, est très chère à mes yeux. J'aime bien le mot origine, car c'est
important de savoir d'où viennent les choses et les gens. J'espère qu'on
verra que j'ai plus inspiré les autres que copié. L’important dans ces
rééditions, c'est le plaisir que cela va apporter aux fans qui les réclament
depuis longtemps. J'ai cru comprendre que ça allait rendre des gens heureux.
J'ai voulu faire moi-même le re-mastering de mes vieilles pistes parce que je
ne voulais pas avoir un filtre moderne qui aurait enlevé le charme de mon
travail ancien, et de nouveaux détails vont même apparaître avec ce
travail. Au final il faut que les années soixante-dix puissent s’entendre : c'est
important pour la magie de l'écoute. Les auditeurs vont avoir le son exact du
studio que j’utilisais à l’époque, à peine égalisé par moi à partir des bandes
Revox d'origine. Ce sera pour eux un voyage à mes côtés dans un univers
que j’étais le seul à connaitre jusqu'à présent. J'ai eu la chance de travailler à
partir des bandes magnétiques analogiques masters d'époque, qui n'ont pas
fait beaucoup de chemin depuis mon studio / chambre de bonne de 1975 et la
banlieue parisienne où elles étaient archivées depuis : « l’objet vieillit moins
vite que son créateur ».
Je pense d’ailleurs que je fais naturellement une musique assez intemporelle,
et la preuve c’est qu’elle continue de convaincre encore aujourd'hui des
jeunes gens du monde entier, jusque dans des pays où je n’irai sans douter
jamais. Et ces personnes pourraient être mes petits-enfants ! D’ailleurs, le titre
The Kid In Me, sur mon dernier album, représente l'enfant que j’ai en moi, et
qui pense sa musique hors du temps et imperméable à l'horloge du temps.
Le plus excitant aujourd’hui, c’est que pour la première fois je vais être édité
et distribué dans énormément de pays, 40 ans après avoir été considéré
comme un piteux ou un médiocre, sauf par quelque rares illuminés. Et puis ça
veut dire que je continue mon métier, ce qui est très excitant. La musique,
mon âme musicienne, c'est ma vie."
NOTES SUR LA PRODUCTION
Cosmos 2043 et Suspense ont été réalisés l’un à la suite de l’autre courant
1975. L'écriture et la production ont duré deux mois pour le premier et quatre
mois pour l'autre. J'ai choisi de tout faire tout seul, car je ne faisais pas
confiance aux techniciens et aux autres musiciens : je trouvais qu’ils étaient
très en retard sur notre époque. D’ailleurs, j'ai toujours trouvé que les gens
autour de moi étaient très peu attentifs à la musique, et me semblaient vieux,
ringards et très peu fraternels. Pourtant, ça reste incroyable de célébrer les 40
ans de la sortie de Suspense (et les 38 ans de Cosmos 2043, sorti seulement
en 1977) car je ne me suis jamais considéré ni précurseur ni révolutionnaire.
Pour l’enregistrement de ces albums, j’ai utilisé un clavier Solina, un clavinet
que Hohner France m’avait offert, un Moog monodique et un Korg Poly qu’on
m’avait prêtés, et bien évidemment le Mini Korg 700 dont je me sers encore
aujourd’hui. J’avais aussi un magnétophone Teac 4 pistes, des effets Power
(une marque française depuis disparue) et une console 12-pistes Allen &
Heath. Un véritable home-studio avant l'heure, en 1975 !
Cosmos 2043 (sorti en 1977) est connu pour le titre Earth Message qui a été
samplé dans Got Glint des Chemical Brothers. La pochette est un dessin
assez naïf, que j’aurais pu moi-même dessiner, car je n’ai aucun talent làdedans. J’ai toujours pensé que si cette pochette évoquait ma musique, alors
je pourrais me pendre - mais heureusement je ne suis pas suicidaire. Sans
rire, j’aime l’idée de l’abstrait dans mon travail : Skeeze et Weekee Way sont
des mots qui n’ont aucune signification propre, comme la musique en
général ; mais si tu as un cerveau qui fonctionne, et que tu n'es pas encore
devenu un robot, elle va indiquer une direction, suggérer une image, éveiller
une pensée, évoquer une sensation, te faire rire. L’art permet de toucher
l'esprit, le corps, le coeur, voire même les pieds ! Pour le titre j’ai choisi la date
2043 un peu au hasard ; il fallait que ça indique un temps lointain, très
lointain. Maintenant, j'imagine qu'en 2043 la vie sera plus dure et les
températures plus chaudes qu’aujourd’hui, et intellectuellement je ne sais
pas... À moins qu'une fée passe par là… Et puis surtout j'aurai 97 ans…
Pour le 3e album, Disco Club (1978), j'ai travaillé avec un batteur dont on a
recalé les boucles, ce qui donne au disque ce groove si particulier, très
hypnotique. Au final, je trouve ce disque très artisanal, car bien qu’on ait tout
fait dans un studio d'enregistrement (en banlieue de Paris), on a utilisé du
matériel que l’on qualifierait aujourd’hui de « home-studio ». Mon producteur,
Jacky Giordano, et moi avions choisi de nous faire créditer sous des
pseudos : il serait « Joachim Sherylee » et je serais « Junior Claristidge ». On
voulait passer pour de gros requins de studios américains, sorte de pied-denez au business de l’époque, qui répandait l’idée que la bonne musique ne
pouvait être faite que par des anglo-saxons. Et en masquant nos vrais noms,
on évitait d’être pris pour des joueurs de bourrée ou de gigue de nos belles
provinces françaises. Sherylee ça faisait quand même assez escroc, non?
Quant à Black Devil, c’était le résultat final de cette mutation :
une extension de moi, et un nouveau personnage.
UNE BANDE (TRÈS) ORIGINALE
Mes influences viennent de la musique classique (que j'ai survolée étant
jeune), du rock'n'roll, du rhythm’n’blues et des chansonnettes de la radio -
même les plus kitch ! Mon plaisir a toujours été à la fois de respecter quelques
conventions musicales, tout en rejetant les théories musicales
fumeuses. J’imagine que cela rejoint le travail de mes héros : Louis de Funès,
Maurice Chevalier, Edith Piaf, Woody Wood Pecker, La Famille Addams, Gary
Cooper, Grace de Monaco, Buster Keaton, Little Eva, Mickey Mouse… Les
images qui me troublent sont celles de mes rêves ou de mes cauchemars,
tellement plus imaginatives que celles qu'on nous impose sous le dénominatif
"fiction".
Ma musique est plutôt phantasmo-psychédélique, comme la bande originale
d'un film imaginaire - peu de films utilisaient ce genre de musique à l’époque.
Elle aurait pu illustrer Barbarella, ou Interstellar à la place de ce synthé très
artificiel qu’on entend tout au long du film. Je l’imaginerais aussi dans un film
avec Gary Cooper, à la place des musiques de western habituelles, ou
dans La Guerre des Etoiles, plutôt que cette musique symphonique
redondante, voire dans Alphaville, dans Soleil Vert, dans Alien ou dans Mars
Attacks pour le fun… J’aime les films qui ne m’infligent pas des stéréotypes,
ou le scénario banal d’un quotidien ponctué de musiques qui ne vont pas plus
loin que Richard Wagner ou le dancefloor du coin.
LE SON (NON RÉVOLU) D’UNE ÉPOQUE (RÉVOLUE)
Dans la deuxième moitié des années 70, Paris était "libre penseur", assis
entre un passé « titi » et un avenir incertain mais « branché ». L'économie
était en bonne santé, la baguette de pain coûtait 1 Franc (0.15 €), les sorties
étaient fraternelles, les filles bonnes « copines » et les mecs bons « amis ».
J’étais pote avec la plupart des vestiaires des clubs où j'allais danser, et je
n'avais pas besoin de payer l'entrée. J'avais aussi trouvé un bon truc pour
boire gratos : je m'asseyais à une table de vieux et je les provoquais sur
« leurs idées nulles et leur politique médiocre ». Ça les énervait pas mal, et ils
m'invitaient alors à prendre un verre pour me convaincre de mes erreurs ! En
réalité, j’ai toujours pensé que l'avenir serait plutôt plouc, et je pense qu’il l'est
aujourd’hui. J'entends les mêmes phrases depuis soixante ans, dans la
bouche des énarques ou celle des « sans dents »; la technologie n'a pas
rendu le monde plus heureux, mais juste plus dépendant et plus crédule. Et
l’homme crédule est l'aliment préféré du rapace.
Pour autant, les années 2000 ont été une vraie aubaine pour moi : j’ai pu
montrer au public que j'existais vraiment, et que mon talent n'était pas mort
avec le temps. J'ai continué à produire de la musique parce que je pense qu’à
moins d’être un merdeux, un artiste doit aller au bout de son chemin. Et puis
je tenais à prouver que mon travail n'était pas celui de producteurs mais bel et
bien le mien. Toute ma vie j'ai survécu de la musique par compromission avec
des marchands véreux. J'espérais mieux à 60 ans, mais je dois remercier les
artistes qui m'ont aidés.
Aujourd’hui je me sens vraiment Black Devil Disco Club, plutôt que Bernard
Fèvre, parce que Fèvre est né en 1946, et l'autre en 1978. Je suis un jeune
de 37 ans !
Bernard Fèvre, Paris, décembre 2014