introduction générale
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INTRODUCTION GÉNÉRALE «Le bac garanti ou remboursé». Cette offre commerciale récente de la principale entreprise de soutien scolaire française a suscité de nombreux commentaires, car elle considère, de manière ouverte, l’éducation comme un bien marchand, et ainsi s’oppose à l’acception traditionnelle selon laquelle l’éducation est d’abord un bien public, une liberté publique, un service public dont essentiellement l’État aurait la charge. Par ailleurs, cette offre s’inscrit dans un contexte particulier, puisque le thème de la marchandisation de l’école est devenu récurrent dans les tribunes publiques ces dernières années. Interrogé sur cette démarche commerciale le président directeur général de cette entreprise déclare que «l’Éducation nationale est en train de glisser vers l’offre de service, avec ses stages de soutien et de remise à niveau hors du temps scolaire. Elle se pose en concurrente du soutien privé. Du coup, on va se positionner sur l’efficacité, sur le résultat … ce que l’école ne promet pas» 1. L’historien de l’éducation, Claude Lelièvre, rappelle que ce type d’offre commerciale n’est pas inédit dans l’histoire éducative française 2. Le baccalauréat est devenu, dès sa création en 1808, un enjeu social important, puisqu’il était exigé pour entrer dans les grandes écoles et dans l’Administration. Se sont donc très rapidement développées, non seulement une industrie de la fraude, mais aussi à partir des années 1830, une industrie du bachotage 3 qui déjà proposait le contrat « reçu ou remboursé». Claude Lelièvre souligne les parallèles qui peuvent être dressés entre cette époque où les libéraux viennent de prendre le pouvoir et le contexte actuel, citant le célèbre article paru, en 1831, dans le « Journal de l’instruction élémentaire» 4 qui constituait, à l’époque, l’organe officieux du ministère de l’instruction publique dirigé par Guizot et les propos de Jules Ferry, cinquante ans plus tard, devant le Sénat 5. Cet article de journal de 1831 précisait que l’école pouvait être organisée soit selon un « principe commercial », soit selon un « principe patriotique ». Le «principe commercial tend à tout individualiser dans l’État, à arracher chaque jour au pouvoir central, qui est regardé comme en dehors du peuple, quelque 1 2 3 4 5 «Acadomia et son bac ‘Satisfait ou remboursé’», L’Express, 17 septembre 2009, p. 53. LELIEVRE (C.), «Reçu ou remboursé», 23 septembre 2009, http://www.mediapart.fr/club/blog/claudelelievre/230909/recu-ou-rembourse-0. Appelés «fours à bachot» ou «préparateurs». Journal de l’instruction élémentaire, n° 13, novembre 1831, pp. 9 et s. Discours de Jules Ferry du 31 mars 1881 devant le Sénat. LARCIER 10 INTRODUCTION GÉNÉRALE partie de son action»; le «principe patriotique», en revanche, doit «tendre à construire le pouvoir central lui-même sur une base vraiment populaire». Cet article considère, par ailleurs, que le «principe commercial» convient mieux lorsque le pouvoir central est mauvais, mais, dès lors que ce dernier agit dans l’intérêt du peuple, il convient de retenir «le principe patriotique». Cinquante ans plus tard, Jules Ferry, devant le Sénat, se félicitait de la particularité de la perception française de l’enseignement : « Nous avons sur l’Angleterre et sur les États-Unis cette supériorité de considérer que l’enseignement n’est point matière d’industrie, mais matière d’État, et que les intérêts intellectuels de l’enfance sont sous le contrôle et la surveillance de l’État». Plus d’un siècle plus tard, cette problématique s’avère être toujours d’actualité. Elle est cependant enrichie par des enjeux économiques et juridiques inconnus à cette époque. Deux éléments, en effet, viennent perturber ce débat purement national : la mondialisation économique et l’existence d’un cadre juridique européen visant la mise en place d’un marché intérieur. Ces deux éléments soulèvent des questionnements tant économiques que juridiques inconnus à l’époque de Ferry ou de Guizot, même si le cœur de la problématique reste identique. Au-delà d’une question de gestion des deniers publics, un marché international des services de l’éducation se développe, en effet, de manière a priori concurrente aux services publics nationaux d’éducation. Ce phénomène est lié principalement à trois éléments. Tout d’abord, les théories économiques placent le capital humain au cœur du développement économique, le considérant comme source de croissance et, dans cette perspective, l’éducation revêt une importance fondamentale. Ensuite, le secteur des services, notamment transnationaux, est également considéré comme un axe fort du développement économique, en raison de la prégnance de la société de l’information. Enfin, ces services transfrontaliers répondent aux attentes éducatives des pays émergents et en voie de développement qui souhaitent s’inscrire dans une économie mondiale à moindre coût. Ce phénomène économique est actuellement au cœur des discussions et analyses internationales, d’une part, en raison du potentiel de croissance qu’il induit; d’autre part, en raison de l’incomplétude politique et juridique qu’il révèle, puisque l’accès à l’éducation et sa régulation n’ont, jusqu’à maintenant, été envisagés que sous un angle national et public. Le caractère transfrontalier et économique de ce phénomène pose désormais la question d’une régulation transversale et transnationale dans un contexte d’enjeux économiques importants 6. 6 À cet égard, des travaux de recherche ont été récemment menés sur le droit à l’enseignement supérieur et la libéralisation internationale du commerce des services (GROSBON (S.), Le droit à l’enseignement LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 11 Du point de vue du droit de l’Union européenne, un élément central particularise cette problématique, puisqu’à la différence du droit international, le service économique est au cœur de la construction du marché intérieur et l’objet d’un ordonnancement juridique plus intégré. Et c’est dans cette mesure que la libéralisation internationale des services d’éducation, qui s’étend au-delà de l’enseignement supérieur, constitue un enjeu économique majeur, et par voie de conséquence juridique, pour l’Union européenne et ses États membres. C’est dans cette perspective que la réunion du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 a posé l’objectif de faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde 7. À cette occasion, le lien conceptuel entre éducation et économie a été politiquement affirmé (même si ce n’est que par le biais de l’économie de la connaissance) et il relève désormais d’une stratégie économique et politique : la Stratégie de Lisbonne. Les services de l’éducation, en effet, font partie de l’économie de l’immatériel et sont ainsi au cœur de la mise en place d’une économie de la connaissance européenne (I). Cette perception met à mal non seulement la répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres, mais aussi l’acception juridique traditionnelle des services de l’éducation (II). Section 1. – La Stratégie de Lisbonne, une acception économique de l’éducation L’économie de la connaissance est une économie de l’immatériel qui place au cœur de son développement les services de l’éducation. Son déploiement au sein de l’Union européenne est effectif depuis la tenue du Conseil européen de Lisbonne. 7 supérieur et la libéralisation internationale du commerce des services, Thèse de droit public sous la direction du Président LEGRAND (A.), Université de Nanterre, 2008, 617 p.). Ces travaux doctoraux, soutenus en décembre 2008, n’ont pas fait l’objet, pour l’heure, d’une publication. Il ne nous a, de ce fait, malheureusement pas été possible d’y accéder alors même qu’ils semblent, au regard du résumé de la problématique, constituer une approche non seulement intéressante, mais aussi connexe à nos propres travaux de recherche, puisqu’ils traitent de la libéralisation des services de l’enseignement supérieur sous l’angle du droit international. Ils semblent cependant s’en distinguer sur deux éléments. Tout d’abord, notre analyse porte sur l’ensemble des cycles d’enseignement; ensuite, la perspective internationale de développement des services économiques de l’éducation est envisagée comme un élément moteur de l’évolution du cadre juridique européen. Nous regrettons néanmoins vivement de n’avoir pu éclairer nos propres développements de cette thèse. Bull. UE, 3-2000. LARCIER 12 INTRODUCTION GÉNÉRALE 1. – LES SERVICES DE L’ÉDUCATION ET L’ÉCONOMIE DE L’IMMATÉRIEL Basée sur des théories économiques américaines qui ont vu le jour dans les années 1970 8, l’économie de l’immatériel (par ailleurs qualifiée d’économie de la connaissance) a progressivement supplanté l’économie industrielle dans les pays développés. L’objectif de la réunion du Conseil européen de Lisbonne de faire de l’Union européenne une économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde pose l’objectif politique de faire de l’économie européenne une économie de l’immatériel, s’inscrivant ainsi dans l’évolution économique des pays développés depuis les années 1980. L’économie de la connaissance regroupe un très large ensemble d’activités englobant l’économie de l’éducation. La dynamique de croissance et la création de valeurs économiques sont ainsi envisagées comme constituées de tous les éléments de l’immatériel, au nombre desquels on peut mentionner : les savoirs, les connaissances, les services, les modalités d’organisation … Le capital physique cède ainsi la place au capital immatériel comme vecteur de croissance, dans une logique d’innovation et non plus de production. L’innovation, telle qu’envisagée au début du XXème siècle, constituait une activité périphérique du modèle de croissance économique ; elle en est désormais devenue l’élément central. Ainsi, les travaux de recherche et de développement ne constituent plus qu’un aspect de l’innovation. Désormais, l’ensemble des actifs immatériels contribuent à la croissance. À ce titre, sont concernées les dépenses de formation des salariés (formation professionnelle), mais aussi la qualité du système éducatif qui détermine la capacité d’innovation, puisqu’il favorise le développement du capital humain. Le développement de l’économie de l’immatériel est, par ailleurs, accru par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC). On assiste alors à une émulation des TIC et de l’économie de l’immatériel : cette dernière se développe grâce à ces technologies dont l’essor est lui-même alimenté par la diffusion de cette économie. Les TIC facilitent la transformation des éléments immatériels (recherche et développement, capital humain) en innovation, donc en croissance. Les TIC constituent ainsi un moyen d’accès à la connaissance, à l’information. C’est en cela que la notion de société de l’information ou d’économie de l’information se distingue de l’économie de la connaissance, puisqu’elle n’en est qu’un des éléments constitutifs. La révolution numérique qui a vu le jour ces dernières décennies par le biais d’Internet n’est qu’un vecteur de l’économie de la connaissance, même si elle obéit à sa propre problématique économique et juridique notamment relative aux conséquences 8 Cf. infra, titre I, chap. I. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 13 organisationnelles des entreprises, aux droits d’auteurs des savoirs qu’elle véhicule, à la régulation publique des savoirs qu’elle engendre, ou à la fracture numérique qu’elle entend par ailleurs combler. L’économie de l’information est bien évidemment en lien avec l’éducation, dans la mesure où les systèmes éducatifs doivent faire en sorte de permettre et de diffuser la maîtrise individuelle de cet instrument numérique. Elle ne s’intéresse cependant pas aux contenus véhiculés, mais à la duplication mécanique des données. Comme le précise Manuel Castells, l’expression de «société informationnelle» serait plus adaptée, car «elle caractérise une forme particulière d’organisation sociale, dans laquelle la création, le traitement et la transmission de l’information deviennent les sources premières de la productivité et du pouvoir, en raison des nouvelles conditions technologiques apparaissant dans cette période historique-ci» 9. L’augmentation régulière des services au sein de l’économie participe, par ailleurs, à sa dématérialisation. Elle est impulsée par une explosion des demandes de services notamment culturels et d’information. Selon le rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel installée le 27 mars 2006 par le ministre français de l’économie, des finances et de l’industrie, «En 2003, la valeur ajoutée de ce secteur a dépassé 11 milliards d’euros, soit autant que celle de l’industrie aéronautique, navale et ferroviaire, et environ 1,2% de la production totale» 10. Cette expansion de l’économie de l’immatériel doit, de surcroît, être resituée dans un environnement de mondialisation et de financiarisation de l’économie qui conforte le développement des activités immatérielles au sein de cette dernière. Comme le soulignent les rédacteurs de ce rapport, cette économie de l’immatériel ne peut pas être une économie sans État, bien au contraire. Cependant, elle constitue un défi particulièrement important pour les pouvoirs publics dont les modalités d’intervention doivent évoluer «vers des modalités d’action plus créatives et plus partenariales, tout en étant confrontés à la mobilité croissante des actifs immatériels, favorisant leur délocalisation ou leur nonlocalisation» 11. Une autre difficulté liée à la dimension immatérielle de cette économie est d’en mesurer les effets sur la croissance : les indicateurs tant publics que privés, nationaux qu’internationaux s’avèrent inadaptés; un effort particulier est mené pour en accroître la pertinence et, ainsi, connaître les implications exactes du capital immatériel sur l’économie. 9 10 11 CASTELLS (M.), La société en réseau, t. I, L’ère de l’information, Paris, Fayard, 1998, p. 40. LÉVY (M.) et JOUYET (J.-P.), «L’économie de l’immatériel : la croissance de demain», Rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel, Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, décembre 2006, p. 16. Ibid., p. 12. LARCIER 14 INTRODUCTION GÉNÉRALE Dans ce contexte, l’Union européenne a décidé son déploiement en Europe. 2. – L’ÉCONOMIE DE LA CONNAISSANCE DANS L’UNION EUROPÉENNE L’Union européenne a impulsé une politique favorisant le développement d’une économie européenne de la connaissance. Dans cette perspective, elle multiplie les programmes d’action dans l’ensemble des domaines participant à ce développement (recherche et développement, droits d’auteurs, économie, emploi, TIC …). Un foisonnement de programmes d’action a été mis en place qui se caractérisent par une approche transversale des domaines d’intervention. Pour embrasser l’ensemble des actions européennes liées à l’économie de la connaissance, il s’avère nécessaire d’adopter une analyse duale : d’une part, envisager la multiplicité des domaines concernés; d’autre part, et de manière concomitante, examiner les actions en direction des acteurs économiques et des acteurs institutionnels. À cela s’ajoute la nécessité de s’intéresser non seulement au droit communautaire positif qui en découle, mais aussi (et peut-être surtout) aux actions d’impulsion et de coordination en direction des États membres (au premier titre desquels se situe la méthode ouverte de coordination (MOC) qui modifient et harmonisent, certes de manière indirecte, les droits nationaux. Cette méthode est dorénavant envisagée comme l’outil principal de mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Elle vise à «organiser un processus consistant à tirer les enseignements de l’expérience acquise afin de faire face, de manière coordonnée, mais en respectant les diversités nationales, aux défis communs que pose l’économie globale» 12. Plus largement, la Stratégie de Lisbonne s’articule autour de trois piliers : la mise en place d’une économie compétitive fondée sur la connaissance, et dans cette perspective, il s’agit de favoriser l’adaptation aux évolutions de la société de l’information et de soutenir financièrement la recherche et le développement; la modernisation du modèle social européen en investissant dans les ressources humaines et en luttant contre les exclusions (les États membres sont appelés à investir davantage dans l’éducation et la formation et à mener une politique active de l’emploi afin de faciliter le passage à l’économie de la connaissance); une attention particulière environnementale pour que la 12 Note de la présidence portugaise, «Suivi de Conseil européen de Lisbonne; La méthode ouverte de coordination : un processus en cours», 14 juin 2000, p. 4. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 15 croissance économique ne puisse se faire au détriment des ressources naturelles. Plus récemment, lors du Conseil européen de Bruxelles du 8 et 9 mars 2007 13, l’éducation a été placée explicitement au sein d’un « triangle de la connaissance», par ailleurs, constitué de la recherche et de l’innovation afin de mettre la connaissance au service du dynamisme économique et du progrès social et environnemental. Plus expressément encore, le Conseil européen des 13 et 14 mars 2008 a appelé à un investissement dans le capital humain, et précisé qu’il « conviendrait de renforcer le pôle ‘éducation’ du triangle de la connaissance formé par la recherche, l’innovation et l’éducation. À l’ère de la mondialisation, il est capital pour la réussite de l’Europe de dispenser un enseignement de grande qualité et d’investir davantage et plus efficacement dans le capital humain et dans la créativité tout au long de la vie. Agir dans ce sens peut faciliter la progression vers l’économie de la connaissance et combler l’écart qui nous en sépare, créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité et contribuer à maintenir des situations budgétaires saines» 14. La multiplicité des objectifs définis par cette Stratégie, leur caractère transversal ainsi que le trop grand nombre d’indicateurs retenus dans le cadre de la méthode ouverte de coordination n’ont pas permis une hiérarchisation des objectifs annoncés, et les résultats atteints se sont avérés insatisfaisants comme l’a constaté le rapport Kok dont l’objet était de dresser le bilan à mi-parcours de la Stratégie de Lisbonne 15. En conséquence, la Conseil européen de Bruxelles des 22 et 23 mars 2005 a posé le principe de simplification de la mise en œuvre de cette stratégie en axant la démarche européenne autour de trois objectifs généraux : faciliter l’identification des priorités, améliorer leur mise en œuvre et rationaliser la procédure de suivi de l’application nationale de cette stratégie 16. D’un point de vue juridique, la particularité de la mise en place d’une économie de la connaissance réside dans le fait que cette approche transversale ne répond pas à la répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres. La légitimité juridique réelle de l’Union européenne dans la mise en place du marché intérieur est cependant inexistante en termes d’harmonisation des politiques publiques liées à la connaissance. Nous assistons alors à un phénomène juridique quasi schizophrénique pour les États 13 14 15 16 Conseil européen de Bruxelles des 8 et 9 mars 2007, Bull. UE, 3-2007. Conseil européen de Bruxelles des 13 et 14 mars 2008, Bull. UE, 3-2008, pt 13. KOK (W.), «Relever le défi de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi», Rapport à la Commission européenne, du groupe de haut niveau, novembre 2004, http://ec.europa.eu/growthandjobs/pdf/2004-1866-FR-complet.pdf. Bull. UE, 3-2005. LARCIER 16 INTRODUCTION GÉNÉRALE membres : d’une part, ils ont la volonté de bénéficier des fruits économiques de cette mise en place et participent activement aux procédés de soft law 17 (et notamment à la méthode ouverte de coordination) et modifient progressivement leur droit national; d’autre part, ils refusent de conférer à l’Union européenne les moyens juridiques positifs pour mettre efficacement en place cette économie. À cet égard, l’évolution des comportements politiques nationaux au regard de cette méthode en matière de services de l’éducation est très significative. Cette dernière après avoir été progressivement, quoique subrepticement, introduite dans le domaine de l’éducation (et non sans quelques tensions entre États membres et Commission européenne), a récemment été officiellement reconnue comme la méthode de mise en place du cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation, dénommé «Éducation et formation 2020» 18. Section 2. – La Stratégie de Lisbonne : une opportunité politique et économique d’accroître les compétences communautaires en matière de service public de l’éducation Même si le service public de l’éducation continue à relever de la compétence exclusive des États membres et constitue ainsi l’expression de la garantie nationale du droit à l’éducation, l’évolution sémantique initiée par la Cour de justice des Communautés européennes, tend à assimiler de plus en plus largement les cycles éducatifs à la formation professionnelle, et ainsi, à étendre la compétence de l’Union européenne sur le domaine éducatif. 1. – LE SERVICE PUBLIC DE L’ÉDUCATION DANS L’UNION EUROPÉENNE : UN CADRE JURIDIQUE CONSTITUTIONNELLEMENT ET CONVENTIONNELLEMENT GARANTI Outre la perspective économique désormais conférée au service de l’éducation au sein de l’Union européenne se développe parallèlement une évolution sémantique de la notion d’éducation. Celle-ci participe à accroître la compétence communautaire en matière d’éducation qui est assimilée de plus en plus 17 18 Expression anglaise désignant des règles dont la valeur normative serait limitée soit parce que les instruments qui la contiennent sont dépourvus de portée obligatoire, soit parce que leur contenu est dépourvu d’obligations réellement contraignantes. La notion de soft law est initialement apparue en droit international et se diffuse de plus en plus en raison de la promotion, sur la scène internationale, du concept de nouvelle gouvernance. Concl. du Conseil du 12 mai 2009 concernant un cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation (Éducation et formation 2020), J.O.U.E., n° C 119 du 28 mai 2009, pp. 2-10. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 17 largement à la formation professionnelle par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Cette évolution ne s’effectue pas au détriment du droit à l’éducation qui est garanti dans l’ensemble des États membres. 1.1. Le droit à l’éducation dans l’Union européenne Jusqu’à présent, l’éducation a principalement été envisagée, en Europe, comme une liberté publique reconnue et garantie tant par les constitutions nationales que par les conventions internationales. Tant la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 19 que le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils, économiques, sociaux et culturels 20, 19 20 La Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies (Résol. 217 A (III)). L’art. 26 de cette déclaration précise : «1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants». Il est à préciser que cette déclaration n’a aucune portée juridique en droit français, faute d’être un traité ou accord international au sens de l’art. 55 de la Constitution. Voir en ce sens, not., C.E. fr., Ass., 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques, Rec., p. 368. L’Assemblée générale des Nations Unies adopta le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels le 16 décembre 1966, Résol. n° 2200 A (XXI). Ce texte, à valeur contraignante, est entré en vigueur le 3 janvier 1976. Le droit à l’éducation est reconnu dans l’art. 13. Il précise : « 1. Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 2. Les États parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein exercice de ce droit : a) L’enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous; b) L’enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité; c) L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité; d) L’éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou qui ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme; e) Il faut poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant. 3. Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, LARCIER 18 INTRODUCTION GÉNÉRALE le protocole additionnel n° 11 à la Convention européenne des droits de l’homme et libertés fondamentales 21 , la Convention relative aux droits de l’enfant 22 et la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne 23 reconnaissent le droit à l’éducation. Même si ces conventions internationales n’imposent nullement aux États l’obligation d’organiser un service public de l’éducation (ou de l’instruction 24), la totalité des États membres de l’Union européenne l’ont organisé afin de garantir ce droit ; certains d’entre eux le 21 22 23 24 mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’État en matière d’éducation, et de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions. 4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient observés et que l’éducation donnée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l’État». Protocole additionnel n° 11 du 20 mars 1952 amendant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Son art. 2 relatif au droit à l’instruction précise : «Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques». Résol. 44/25, Ass. gén. de l’ONU, du 20 novembre 1989, Convention relative aux droits de l’enfant. L’art. 14 de cette Convention prévoit : «Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit mentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques et les droits fondamentaux d’autrui». Le texte de la Charte des droits fondamentaux a été publié le 14 décembre 2007 au Journal officiel de l’Union européenne (J.O.U.E., n° C 303 du 14 décembre 2007, pp. 1-16). Le traité de Lisbonne lui donne une valeur juridique contraignante. L’art. 14 relatif au droit de l’éducation précise : «1. Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue. 2. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire. 3. La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice». Référence est, par ailleurs, faite à l’exercice de ce droit dans l’art. 32 relatif à l’interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail : «Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l’exploitation économique ou contre tout travail susceptible de […] ou de compromettre leur éducation». La distinction terminologique entre «éducation» et «instruction» renvoie, d’une part, à une distinction entre sphère privée et sphère publique (l’éducation relevant de la responsabilité des parents, l’instruction relevant du devoir de l’État); d’autre part, le terme d’instruction constitue aussi dans certains cas un héritage sémantique des périodes où l’Église avait en charge l’instruction qui était, par ailleurs, religieuse. Enfin, le terme éducation est parfois utilisé pour rompre avec cet héritage sémantique. Cette distinction concernant la France sera analysée plus précisément infra. Nous retiendrons dans nos développements le terme générique d’éducation. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 19 considérant même comme exclusif de toute autre forme d’organisation privée pour certains niveaux d’enseignement 25. Le droit à l’éducation est reconnu dans chaque État membre : certains l’ont fait en application des conventions internationales auxquelles ils sont partie et sans mentionner expressément ce droit dans leur constitution (République fédérale d’Allemagne, République d’Autriche, Royaume des Pays-Bas, République de Slovénie) ou en l’absence de constitution écrite (Royaume-Uni) ; d’autres, et de manière cumulative, parce qu’il est formellement reconnu par leur Constitution 26. S’agissant du droit de l’éducation français, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel le préambule de la Constitution de 1958 fait référence 27 et qui fait partie du bloc de constitutionnalité, reconnaît le droit à l’éducation, mais exige aussi la mise en œuvre d’un service public et laïc à tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire, supérieur) : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture … l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État». Néanmoins, comme le souligne André Legrand 28, il convient de distinguer deux natures de dispositions concernant les grands principes applicables à l’Éducation nationale dans le Préambule de la Constitution de 1946 : des dispositions explicites relatives à l’égalité d’accès à l’instruction, à la neutralité, la laïcité et la gratuité de l’enseignement consacrés par l’alinéa 13 et des dispositions plus « subreptices » comme le principe de liberté d’enseignement. Ce 25 26 27 28 Tel est le cas de la République hellénique. L’art. 16 de la Constitution grecque du 9 juin 1975 prévoit, notamment dans ses al. 5 et 8, que l’enseignement supérieur est uniquement assuré par des personnes morales de droit public sous la tutelle de l’État. La création d’un établissement d’enseignement supérieur par des particuliers est interdite. Const. Royaume de Belgique du 17 février 1994, art. 24, §3; Const. Rép. de Chypre du 6 août 1960, art. 20; Const. Rép. de Bulgarie du 13 juillet 1991, art. 53, al. 1; Const. Royaume de Danemark du 5 juin 1953, art. 76, al. 1; Const. Royaume d’Espagne du 27 décembre 1978, art. 27, al. 1; Const. Rép. d’Estonie du 28 juin 1992, art. 37, al. 1; Const. Rép. française du 4 octobre 1958, Préambule de la Const. du 27 octobre 1946, al. 13; Const. Rép. de Finlande du 1er mars 2000, art. 16, al. 1; Const. Rép. hellénique du 9 juin 1975, art. 16, al. 4 ; Const. Rép. de Hongrie du 20 août 1949, art. 70 F, al. 1 ; Const. Rép. d’Irlande du 1er juillet 1937, art. 42, al. 3, 4 et 5; Const. Rép. italienne du 27 décembre 1947, art. 34, al. 1; Const. Rép. de Lettonie du 15 février 1922, art. 112, al. 1; Const. Rép. de Lituanie du 25 octobre 1992, art. 41; Const. Grand-Duché du Luxembourg du 17 octobre 1868, art. 23; Const. Rép. de Malte du 21 septembre 1964, art. 10 et 11; Const. Rép. de Pologne du 2 avril 1997, art. 70, al. 1; Const. Rép. du Portugal du 2 avril 1976, art. 73, al. 1, et art. 74, al. 1; Charte des droits et libertés fondamentales de la Rép. tchèque et slovaque (adoptée avant la Const. de la Rép. tchèque du 16 décembre 1992, mais ayant toujours valeur constitutionnelle dans l’ordonnancement juridique tchèque), art. 33, al. 1; Const. Rép. de Roumanie du 8 décembre 1991, art. 32; Const. Rép. slovaque du 3 septembre 1992, art. 42, al. 1; Const. Rép. slovène du 23 décembre 1991. La valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 71-44 du 16 juillet 1971, J.O.R.F., 18 juillet 1971, p. 7114. LEGRAND (A), L’école dans son droit, coll. Les sens du droit, Paris, M. Houdiard, 2006, 183 p. LARCIER 20 INTRODUCTION GÉNÉRALE caractère «subreptice» ne sera pas, comme nous le verrons dans le dernier chapitre, sans conséquence sur les effets que l’évolution du traitement juridique communautaire des services d’éducation pourrait avoir sur le régime juridique de l’enseignement privé français du second degré. L’objectif stratégique de devenir «l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde» place ainsi les enjeux de l’Éducation et de la formation dans une logique économique qui semble, a priori, contredire l’acception traditionnelle du service de l’éducation et, par là-même, l’actuelle répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres. 1.2. La répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres dans le domaine de l’éducation La mise en place d’objectifs politiques européens liés à l’éducation, dans une perspective de croissance économique, soulève la question du cadre juridique dans lequel cette démarche s’inscrit. Au regard du traité CE, l’organisation des systèmes d’éducation et la détermination de leur contenu relèvent, en effet, de la compétence étatique et non communautaire. A la différence de la formation professionnelle pour laquelle l’article 150 du traité CE reconnaît à la Communauté européenne la compétence de mettre en œuvre une politique de formation professionnelle, l’article 149 du traité CE ne lui en reconnaît aucune, que ce soit politique ou juridique, dans le domaine de l’éducation. Son alinéa 1 stipule que la Communauté européenne contribue au développement d’une éducation de qualité, en encourageant la coopération entre les États membres, et si nécessaire, en appuyant et complétant leur action tout en respectant pleinement leur responsabilité pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle. Son alinéa 2 prévoit que l’action de la Communauté, dans ce domaine, vise six objectifs : développer la dimension européenne de l’éducation, notamment par l’apprentissage et la diffusion des langues des États membres; favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’étude; promouvoir la coopération des établissements d’enseignement; développer l’échange d’informations et d’expériences sur les questions communes aux systèmes d’éducation des États membres; favoriser le développement des échanges de jeunes et d’animateurs socioéducatifs; encourager le développement de l’enseignement à distance. Son alinéa 4 précise, cependant, que pour contribuer à la réalisation des objectifs précités, le Conseil adopte des actions d’encouragement (à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 21 membres) par le biais de la procédure de codécision avec le Parlement européen après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions; il statue à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission européenne pour adopter des recommandations. La clarté de ces dispositions ne soulève aucune difficulté d’interprétation pour connaître la répartition précise de compétences en matière d’éducation entre l’Union européenne et les États membres. Néanmoins, c’est en tirant profit de la flexibilité de la notion d’éducation que la Cour de justice des Communautés européennes va étendre la compétence communautaire en assimilant certains cycles éducatifs à la formation professionnelle. 2. – LE SERVICE PUBLIC DE L’ÉDUCATION DANS L’UNION EUROPÉENNE : UNE ÉVOLUTION SÉMANTIQUE DE LA NOTION D’ÉDUCATION FAVORABLE AU DROIT COMMUNAUTAIRE La répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres semble explicite à la lecture de l’article 149 du traité CE. Cependant, l’évolution sémantique de la notion d’éducation impulsée par la Cour de justice des Communautés européennes rend plus confuse cette répartition. L’éducation est une notion, par nature, ou plus exactement en raison des enjeux politiques qu’elle induit à une époque donnée, évolutive. La preuve en est de l’évolution historique de cette notion en France et de celle initiée par l’Union européenne dans la perspective de réduire la frontière entre formation professionnelle et éducation et ainsi étendre sa compétence en matière éducative. 2.1. L’éducation, une notion à géométrie variable : l’exemple de l’évolution sémantique française Il est intéressant de rappeler l’évolution tant historique que terminologique que la France a elle-même connue en matière d’enseignement pour mieux mettre en lumière les enjeux liés à l’évolution sémantique de la notion d’éducation impulsée par l’Union européenne, notamment par le biais de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Il faut attendre l’Ordonnance d’Orléans de 1560 pour que l’enseignement soit inclus dans les droits de la Couronne. Au préalable, seule l’Église catholique et ses clercs enseignaient, ce qui constituait un moyen supplémentaire pour diffuser la religion. Cette Ordonnance ne confère pas à la Couronne la compétence pour dispenser des enseignements, ni pour les administrer. Elle constitue cependant une première étape de reconnaissance du caractère «national» de LARCIER 22 INTRODUCTION GÉNÉRALE l’enseignement, puisque relève désormais de la compétence de la Couronne la faculté de contraindre l’Église catholique à créer des écoles et d’en contrôler les créations. Aucune administration centrale n’est constituée pour gérer ce nouveau droit de la Couronne. En conséquence, l’Église maintient sa prégnance sur l’enseignement, et dans les faits, ce dernier reste principalement une affaire de religion durant l’Ancien Régime. L’évolution qui caractérise la période de la Révolution et de l’Empire tient principalement aux enjeux politiques liés à l’instruction. Ainsi, durant cette période, vont se développer deux idées principales : les révolutionnaires considèrent que l’instruction constitue le vecteur de l’émancipation individuelle permettant de mettre fin au servage et de rendre ainsi l’individu libre et responsable; l’Empire, quant à lui, met l’accent sur le renforcement de l’unité nationale grâce à l’uniformisation des enseignements et, par voie de conséquence, l’unification linguistique. C’est dans une perspective d’unification nationale que la loi du 10 mai 1806 instaure l’Université impériale napoléonienne rattachée directement à l’Empereur et dirigée par un Grand-Maître dont les pouvoirs sont partagés avec le Conseil de l’Université, constitué de membres du «corps enseignant». L’objectif motivant la création de cette université est de constituer une élite au sein de l’armée et de l’Administration. Pour ce faire, une situation de monopole d’enseignement est mise en place en faveur de l’université napoléonienne. Le décret impérial portant organisation de l’Université impériale du 17 mars 1808 29 prévoit, en effet, que l’enseignement public, dans tout l’empire, est confié exclusivement à l’Université, qu’aucune école, aucun établissement quelconque d’instruction, ne peut être formé hors de l’Université impériale, et sans l’autorisation de son chef 30. Il précise, par ailleurs, que nul ne peut ouvrir d’école, ni enseigner publiquement, sans être membre de l’Université impériale, et gradué par l’une de ses facultés. Néanmoins, l’instruction dans les séminaires dépend des archevêques et évêques, chacun dans son diocèse. Ils en nomment et révoquent les directeurs et professeurs. Ils sont tenus seulement de se conformer aux règlements pour les séminaires, approuvés par l’empereur 31. Toutefois, à cette époque, l’enseignement primaire est laissé, dans les faits, entre les mains des religieux, tant dans son contenu que pour son personnel enseignant ; l’Administration napoléonienne n’ayant pas les moyens de s’en charger. Néanmoins, l’organisation administrative de cette université impériale 29 30 31 Recueil des lois et règlements concernant l’instruction publique, depuis l’édit de Henri IV en 1598 jusqu’à ce jour, t. IV, Paris, 1814, pp. 1-30. Art. 1 et 2, Décr. du 17 mars 1808. Art. 3, Décr. du 17 mars 1808. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 23 constitue la base organisationnelle administrative du service public de l’enseignement français actuelle. Le premier ministère de l’instruction publique est instauré en 1828, succédant ainsi à la Commission de l’Instruction publique placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur, mise en place par la Restauration en 1815, au Conseil royal de l’instruction publique en 1820, et au ministère des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique, en juin 1822. Le terme d’instruction publique cède la place à ceux d’éducation nationale en 1932 avec le gouvernement d’Edouard Herriot. Ce changement sémantique renvoie à une prise en charge par l’État des affaires liées à l’enseignement. Comme le souligne Claude Durand-Prinborgne, les termes d’instruction et d’éducation s’opposent. Instruire signifie faire acquérir des savoirs, des savoirfaire, des savoirs être. Or, dès lors que l’instruction religieuse est remplacée par l’instruction civique et morale, cette définition de l’instruction est dépassée. La terminologie «éducation nationale» apparue en 1932 implique une appropriation plus explicite de l’éducation par l’État 32 qui, selon le premier ministre de l’éducation nationale de l’époque, vise l’égalité scolaire et le développement de la gratuité 33. S’agissant de l’éducation, sa définition renvoie à la sphère privée dans la mesure où elle incombe, au XIXème siècle au chef de famille, au XXème siècle aux parents selon le Code civil 34. Ce principe est rappelé par la loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation 35 qui, outre le fait qu’elle mentionne le droit 32 33 34 35 DURAND-PRINBORGNE (C.), L’éducation nationale. Une culture, un service, un système, 3e éd., Paris, Nathan, 1997, p. 7. Le principe de gratuité de l’enseignement a été posé par la loi du 16 juin 1881, mais se limite aux écoles primaires publiques et aux salles d’asile publiques (ancienne dénomination des écoles maternelles). Elle sera ensuite progressivement étendue à l’enseignement secondaire public par une série de lois du début des années 1930, pour être ensuite confirmée par la loi dite «Loi Haby» du 11 juillet 1975 qui rappelle, dans son art. 1er, la gratuité de l’enseignement durant la période de scolarité obligatoire. Ces dispositions législatives figurent aux art. L. 132-1 et L. 132-2 du Code de l’éducation. Ce principe de gratuité est, par ailleurs, posé par l’al. 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui précise «la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’État». Pour une étude détaillée de l’évolution de ce principe, voir le rapport de TOULEMONDE (B.), «La gratuité de l’enseignement – Passé, présent, avenir», Ministère de l’Éducation nationale, Inspection générale de l’éducation nationale, 1er trimestre 2002. Art. 213 et 371-1, C. civ., notamment. Art. 213 : «Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir»; art. 371-1 : «L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne …». Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, J.O.R.F., 14 juillet 1989, p. 8860. Disposition reprise par l’art. L. 111-2 du Code de l’éducation : «Tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation. La formation scolaire favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle et à LARCIER 24 INTRODUCTION GÉNÉRALE à l’éducation de l’enfant, établit une distinction entre le rôle éducateur de la famille et la formation scolaire qui en constitue le complément. Nous sommes passés là aussi à l’amorce d’une évolution sémantique, puisque le terme de formation scolaire remplace celui d’éducation, sans, pour autant, que la dénomination du ministère ait changé. Ainsi, l’intervention publique dans l’éducation de l’enfant soustrait ce dernier à l’autorité familiale, et c’est cette tension permanente entre ces deux pôles de légitimité dans l’éducation de l’enfant qui constitue le socle les oppositions traditionnelles entre partisans de l’enseignement public et de l’enseignement privé. 2.2. L’évolution sémantique européenne de l’éducation : entre formation professionnelle et formation tout au long de la vie Cette évolution de la notion d’éducation, initiée par la Cour de justice des Communautés européennes, est antérieure à la Stratégie de Lisbonne, mais elle en préfigure déjà la philosophie, selon laquelle l’éducation, quel que soit le niveau d’enseignement, doit être considérée comme relevant de la formation professionnelle, puisqu’elle prépare à une qualification. Plus précisément, dans son arrêt Gravier 36, la Cour considère que toute forme d’enseignement qui prépare à une qualification pour une profession, un métier, ou un emploi spécifique, ou qui confère l’aptitude particulière à exercer telle profession, métier ou emploi, relève de l’enseignement professionnel, quel que soit l’âge et le niveau de formation des élèves et étudiants, et ceci même si le programme d’enseignement inclut une partie d’enseignement général. Dans l’arrêt Blaizot contre Université de Liège et autres 37, elle estime que les études universitaires de médecine vétérinaire relèvent de la formation professionnelle et précise, par ailleurs, qu’aucune disposition du traité CEE, ni aucun objectif communautaire ne donne une acception restrictive de la notion de formation professionnelle. De surcroît, elle motive son interprétation par l’existence d’une multiplicité d’appréciations nationales quant à l’appartenance de 36 37 l’exercice de ses responsabilités d’homme et de citoyen. Elle constitue la base de l’éducation permanente. Les familles sont associées à l’accomplissement de ces missions. Pour favoriser l’égalité des chances, des dispositions appropriées rendent possible l’accès de chacun, en fonction de ses aptitudes, aux différents types ou niveaux de formation scolaire. L’État garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles». C.J.C.E., 13 février 1985, Françoise Gravier c. Ville de Liège, aff. C-293/83, Rec. C.J.C.E., 1985, p. 593, concl. Sir SLYNN (G.); HESSE (H.), Formation professionnelle, 1985, nº 19, p. 1, 1988, pp. 317-351; MISSON (L.), Formation professionnelle, 1985, nº 19, pp. 6-9. C.J.C.E., 2 février 1988, Vincent Blaizot c. Université de Liège et autres, aff. C-24/86, Rec. C.J.C.E., 1988, p. 379, concl. Sir SLYNN (G.); BOUTARD-LABARDE (M.-C.), J.D.I., 1988, pp. 514-516; BOUTARDLABARDE (M.-C.), J.C.P., 1988, II, n° 21137 ; SIMON (D.), J.D.I., 1989, pp. 398-401; TRAVERSA (E.), R.T.D.E., 1989, pp. 45-69. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 25 certaines études à l’enseignement universitaire. En conséquence, la prise en compte d’une interprétation nationale non seulement limiterait la notion de formation professionnelle, mais aussi créerait une inégalité dans l’application des traités. Dans l’arrêt Humbel 38, enfin, elle précise qu’un enseignement dispensé dans un établissement du second degré, dès lors que les différentes années d’étude appartenant à une filière d’enseignement constituent une unité d’enseignement préparant à une qualification pour une profession un métier ou emploi, relève de la formation professionnelle. Par ailleurs, les différentes années d’une filière d’enseignement ne sauraient être qualifiées isolément, mais considérées dans le cadre du cursus et de sa finalité, sous réserve que cette filière constitue un ensemble possédant une unité et qu’il ne soit pas possible de distinguer une partie d’enseignement relevant de la formation professionnelle, et une autre n’en relevant pas. La Cour, en l’espèce, ne suit pas les conclusions de son avocat général Sir Gordon Slynn 39 qui était défavorable à ce que la Cour de justice des Communautés européennes qualifie elle-même de formation professionnelle une année d’étude dans un établissement secondaire public belge, proposant de laisser le soin aux juridictions nationales d’apprécier avec précision les modalités de ces études, et ainsi, de dire si elles satisfaisaient à la définition de la formation professionnelle donnée par les arrêts Gravier et Blaizot. Cette évolution sémantique jurisprudentielle, qui n’est pas, notamment, en adéquation avec l’approche française, est, par ailleurs, à resituer dans l’évolution terminologique et donc conceptuelle à laquelle nous assistons depuis une décennie s’agissant de l’éducation et de la formation professionnelle au sein de l’Union européenne. Il est remarquable, en effet, de constater qu’une nouvelle notion a vu le jour dans les programmes d’action communautaire. Il s’agit de la formation tout au long de la vie 40. Cette dernière se caractérise par le fait non seulement d’opérer une synthèse de la multiplicité des appréciations nationales de l’éducation et de la formation professionnelle, mais surtout de réduire la frontière entre ces deux notions. Bien que son apparition ait été motivée par l’objectif de favoriser une adaptation permanente de l’individu à l’emploi, elle dépasse ce seul objectif, puisqu’elle vise l’adaptation et la contribution de chacun à l’économie de la connaissance. Par ailleurs, tout en étant employée de manière complémentaire au terme «éducation», il n’en demeure pas moins que l’introduction de cette notion a pour conséquence de rompre l’approche concep38 39 40 C.J.C.E., 27 septembre 1988, État belge c. René Humbel et Marie-Thérèse Edel, aff. 263/86, Rec. C.J.C.E., 1988, p. 5365. C.J.C.E., 15 mars 1988, aff. 263/86, Rec. C.J.C.E., 1988, p. 5365, concl. de l’avocat général. Déc. n° 1720/2006/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 novembre 2006 établissant un programme d’action dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, J.O.U.E., n° L 327 du 24 novembre 2006, pp. 45-68. LARCIER 26 INTRODUCTION GÉNÉRALE tuelle classique qui opérait une distinction entre éducation et formation professionnelle. Cette frontière conceptuelle, dorénavant mise à mal, interroge sur les finalités avouées de son apparition. Ainsi, l’éducation (que nous entendrons dans notre propos comme recouvrant l’enseignement scolaire du premier et du second degré ainsi que l’enseignement universitaire) fait l’objet d’un traitement européen politique et juridique tout à fait novateur à multiples titres. Tout d’abord, il rompt le cloisonnement traditionnel clairement défini entre service public de l’éducation et service économique de l’éducation. Ainsi, le service de l’éducation en Europe ne peut plus être appréhendé intellectuellement de manière cloisonnée, mais doit dorénavant l’être de façon transversale. Ce constat implique plusieurs conséquences. D’un point de vue académique, l’analyse de ces services nécessite une démarche transdisciplinaire. Le droit du marché intérieur vient, en effet, ébranler le droit de l’éducation comme le droit administratif et constitutionnel, puisque non seulement il introduit une analyse économique de ces services, mais aussi une approche territoriale différente puisque son cadre est, par essence, transnational et ainsi met à mal une perception juridique purement nationale de ces services. Il en résulte, à l’heure actuelle, une carence de sources académiques concernant ce sujet : même si les études relatives aux conséquences juridiques du droit communautaire sur les services publics nationaux (administratifs ou économiques et commerciaux) sont nombreuses, elles ne s’intéressent pas précisément au service de l’éducation. Les recherches relatives aux services d’éducation dans une perspective européenne se spécialisent, quant à elles, soit sur les programmes d’échanges universitaires (et prennent ainsi, certes, le caractère transnational de ce service, mais le limitent à une approche publiciste ne concernant qu’un seul niveau d’enseignement), soit sur l’analyse comparée des différents systèmes éducatifs nationaux. Aussi, les sources juridiques à l’origine de notre étude sont principalement des sources institutionnelles relatives à l’émergence juridique des services économiques de l’éducation et à l’évolution de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres en matière de systèmes éducatifs nationaux. Celles-ci sont, par ailleurs, de deux catégories : des sources positives (droit primaire et dérivé communautaire; jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes) et des sources non contraignantes, mais néanmoins participant à la construction de ce cadre juridique, sources qualifiées de soft Law. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 27 Le procédé de mise place du cadre juridique communautaire des services de l’éducation se caractérise, en effet, par sa dualité : il utilise le droit positif du marché intérieur pour reconnaître juridiquement l’existence de services économiques de l’éducation, et ainsi contraindre les États membres à adapter leur politique éducative en application du principe de non-discrimination ; il contourne le principe de compétence exclusive des États membres en matière de service public d’éducation par l’utilisation de mécanisme de soft law, telle la méthode ouverte de coordination, pour mener à une harmonisation des systèmes éducatifs nationaux. Cette évolution juridique par le biais de procédés feutrés s’explique par l’impossibilité politique d’entreprendre une révision des traités communautaires pour modifier la répartition de compétences entre l’Union européenne et les États membres en matière d’éducation, mais surtout par une rivalité originelle et permanente entre l’Union européenne et les États membres en termes de compétence en matière éducative. En effet, il est remarquable de constater que l’introduction de l’article 149 CE 41 par le Traité de Maastricht 42, a été motivée par la volonté des États membres de formaliser leur compétence exclusive en matière d’éducation et d’interdire toute harmonisation de leur système éducatif, et ainsi de contraindre, notamment la Commission européenne, à ne plus s’arroger, de fait, de compétences dans ce domaine. Cette rivalité qui, d’un point de vue formel, semblait réglée, a néanmoins perduré, et semble, depuis que l’objectif stratégique défini par le Conseil européen de Lisbonne a été proclamé, évoluer en faveur de l’Union européenne. L’économie est, par ailleurs, au coeur de cette évolution juridique. Tout d’abord, ce sont les circonstances de récession économique qui ont suscité l’émergence de théories, et notamment celle du capital humain, plaçant l’éducation au cœur de la croissance économique. Ensuite, l’existence d’un marché mondial des services de l’éducation, mais aussi les déficits publics ont contraint non seulement l’Union européenne mais également les États membres à adopter cette perspective économique de l’éducation. C’est pourquoi, afin de bien percevoir la réalité de ce marché et l’influence de certaines organisations internationales (au premier rang desquelles se place l’OCDE 43), l’analyse, ainsi 41 42 43 À l’époque, art. 126 CE. Traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l’Union européenne, J.O.C.E., n° C 191 du 29 juillet 1992, pp. 1-110. L’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.) a vu le jour le 30 septembre 1961, date d’entrée en vigueur de la convention du 14 décembre 1960. Elle succède ainsi à l’Organisation européenne de coopération économique (O.E.C.E.), qui avait été créée pour administrer l’aide américaine et canadienne dans le cadre du plan Marshall. L’art. 1er de la convention de 1960 précise que l’objectif de l’O.C.D.E. est de promouvoir des politiques visant : «à réaliser la plus forte expansion possible de l’économie et de l’emploi et une progression du niveau de vie dans les pays membres, tout en maintenant la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement de l’économie mondiale; à contribuer à une saine expansion économique dans les pays membres ainsi que non LARCIER 28 INTRODUCTION GÉNÉRALE que la diffusion de cette acception doivent être précisément analysées pour percevoir comment l’Union européenne et les États membres se sont appropriés ces théories économiques et adaptent progressivement leur droit en conséquence. Enfin, il ne faut pas perdre de vue, que c’est par l’existence du droit du marché commun, qui est, par essence, économique, que cette évolution juridique a été rendue possible, là où préalablement les tentatives de règlement institutionnel ont échoué. Ainsi, pour mieux appréhender et comprendre cette évolution, il est nécessaire de consacrer une très large partie de nos développements à cette perspective économique et aux sources afférentes à cette évolution singulièrement novatrice du régime juridique des services de l’éducation au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, dans un souci d’exhaustivité, notre étude ne pouvait se limiter au service de l’éducation dans l’enseignement supérieur, car cette évolution a également des implications sur le régime juridique des niveaux primaires et secondaires. À cet égard, il nous a donc semblé utile de mettre en perspective, à titre d’illustration, les conséquences de la reconnaissance de ces services économiques de l’éducation par le droit communautaire sur le système éducatif français et plus particulièrement sur le régime juridique de l’enseignement privé en France, et notamment des établissements d’enseignement privé du second degré. Envisager le service de l’éducation sous l’angle économique semble constituer, quant au fond, une démarche provocatrice, puisqu’il semble communément admis que l’analyse économique du service d’éducation est antagoniste à l’approche publiciste. Cette approche explique partiellement l’absence d’étude scientifique relative au développement des services économiques de l’éducation dans l’Union européenne. Un autre motif est susceptible d’éclairer plus avant ce constat : une étude exhaustive de la problématique liée au développement des services économiques de l’éducation dans l’Union européenne nécessite une analyse disciplinaire transversale de cette problématique. En effet, celle-ci fait appel certes, en premier lieu, à diverses disciplines juridiques (droit communautaire, droit de l’éducation, droit des libertés publiques, droit constitutionnel et finances publiques), mais aussi à certaines études économiques et politistes, puisque la reconnaissance juridique des services économiques par le droit communautaire ne saurait s’expliquer sans en resituer les fondements dans un contexte politique et économique plus large qui ont largement contribué à sa reconnaissance jurisprudentielle. Cette visée économique membres, en voie de développement économique; à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire, conformément aux obligations internationales ». L’O.C.D.E. regroupe actuellement trente pays. LARCIER INTRODUCTION GÉNÉRALE 29 ne saurait, pour autant, occulter les objectifs politiques et juridiques sousjacents de l’Union européenne en matière d’éducation. Les éléments de la problématique ainsi dégagée conduisent à analyser les services de l’éducation au sein de l’Union européenne en deux temps. Dans une première partie, on s’attachera à montrer comment la théorie du capital humain, qui est placée au cœur de la stratégie de Lisbonne et qui justifie le développement des services transnationaux de l’éducation, est issue des débats et des analyses économiques internationales et quelles sont les tentatives conceptuelles avancées pour légitimer une acception économique et internationale de l’éducation en s’interrogeant sur les carences de régulation de ce service (1ère partie). Dans un second temps, on montrera comment la Stratégie de Lisbonne favorise la mise en place d’une politique européenne de l’éducation par le biais de la méthode ouverte de coordination et comment se construit progressivement un cadre juridique européen du service de l’éducation, notamment grâce à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, et quelle influence peut revêtir cette évolution sur le système éducatif français, notamment sur le régime juridique de l’enseignement privé (2e partie). LARCIER