L`impact de l`économie numérique

Transcription

L`impact de l`économie numérique
ENTREPRISE
L’impact de
l’économie numérique
PhiliPPe leMoine
Président du comité économie numérique du Medef,
benoît lavigne
Direction recherche innovation et nouvelles technologies (Medef),
Michal Zajac
Direction des études (Medef)
La croissance de demain repose sur le développement de l’économie numérique.Tout
le monde est d’accord avec cette assertion, mais celle-ci mérite un diagnostic plus
précis pour ouvrir de nouvelles perspectives aux entreprises.
L
es pouvoirs publics ont érigé l’économie numérique en priorité nationale.
Mais pourquoi l’ont-ils fait ? Lorsqu’on lit l’exposé des motifs des différents
plans d’action gouvernementaux qui se sont succédé sur ce sujet depuis
quelques années, se trouve en bonne place un argumentaire sur le poids
du numérique dans les gains de productivité de tous les secteurs économiques et
sur son rôle majeur dans la croissance. Il est ainsi souvent indiqué que le numérique
contribuerait en France au quart de la croissance du PIB et que plus de la moitié de
l’écart de croissance entre la France et les États-Unis dans la décennie 1995-2005
proviendrait d’un écart d’investissement dans les technologies d’information et de
communication.
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er
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• 107
entrePrise
Ce constat, le Medef le connaît bien puisqu’il a contribué à le faire connaître, à travers ses publications. Mais, outre le fait que ces estimations macroéconomiques sont
aujourd’hui datées, il faut aller plus loin dans la connaissance des chiffres pour identifier les conclusions pour l’action que les pouvoirs publics doivent tirer de ce constat.
Sinon, il se produit systématiquement le même tour de passe-passe, qu’il s’agisse des
publications administratives françaises ou européennes. En effet, après avoir argumenté sur les phénomènes économiques de productivité et de croissance, les programmes d’action publics se concentrent sur des sujets d’action qui n’ont rien à voir :
en général, les plans visant l’équipement du grand public en ordinateurs et en liaisons
à très haut débit ainsi qu’un certain nombre d’enjeux
applicatifs dans le domaine de l’éducation, de la santé et
Le numérique
de la culture. Il s’y ajoute parfois des mesures sur les
contribuerait
jeux électroniques, sur les transports ou sur l’environneau quart de
ment.
À la rigueur, quelques moyens sont consacrés à
la croissance
l’évangélisation informatique de l’artisanat et des très
du PIB en France.
Mais rien
petites entreprises. Mais sur l’enjeu de l’entreprise inforn’est dit sur
matisée, il n’y a généralement rien ou presque rien.
l’enjeu
de l’entreprise
informatisée.
Cette rupture de logique entre un argumentaire général
fondé sur la productivité et des catalogues d’action qui
s’intéressent peu à l’entreprise provient en grande partie
d’un défaut de connaissance. Comme beaucoup d’innovations technologiques dont
on parle concernant le grand public, il y a un tropisme facile à comprendre qui est
de s’intéresser à cette partie apparente de l’iceberg. Pourtant, un moment de transformation important accompagne l’informatisation des entreprises et de l’économie :
c’est le fait de piloter en mouvement qui devrait être une priorité nationale.
Si nous voulons diffuser les technologies de l’information dans l’économie, nous
devons au préalable disposer d’une vision objective de la situation du numérique,
à commencer par son périmètre. Ce diagnostic est primordial pour cibler, mesurer,
évaluer les politiques publiques dans ce domaine.
Or, s’il existe une profusion de données sur les technologies de l’information et de
la communication (TIC), il est difficile d’en extraire les éléments permettant d’apprécier leur impact réel.
108 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
Usage des TIC, augmentation de la productivité
et opportunités de marchés pour les entreprises
Les contours de l’économie numérique sont flous pour la plupart des gens. Cette
expression couvre des réalités très différentes. D’autant que cette dénomination a
évolué selon les années : technologies de l’information et de la communication, nouvelles technologies, NTIC, économie électronique, nouvelle économie…
Dans le cadre de la statistique publique, on constate un premier raccourci : l’économie numérique est assimilée aux TIC, et en particulier aux secteurs producteurs. Le
secteur des TIC regroupe, selon l’OCDE et l’Insee, les entreprises qui produisent
des biens et services supportant le processus de numérisation de l’économie, c’est-àdire la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques. (Informatique, télécommunications, électronique.)
Cette assimilation n’est pas sans incidence sur la mesure de l’impact du numérique
sur la croissance. Car l’économie numérique ne se limite pas à un secteur d’activité
en particulier. On devrait plutôt parler de « numérique
dans l’économie » pour qualifier l’ensemble des secteurs
L’économie
numérique
qui s’appuient sur les TIC, producteurs et utilisateurs.
recouvre les
Technologies de
De plus, certains secteurs ne recouvrent pas simplel’information
ment des activités qui utilisent les nouvelles technoloet de la
communication
gies dans le seul but d’accroître leur productivité. Ainsi,
(TIC), les secteurs
dans l’inconscient collectif, le commerce électronique,
qui les utilisent
les services en ligne sont des acteurs centraux de l’écoet ceux qui ne
pourraient pas
nomie numérique. Et pourtant ces acteurs (Google par
exister sans ces
exemple) ne sont pas systématiquement comptabilisés
technologies.
dans les secteurs TIC.
Pour prendre en compte cette réalité multiple, nous proposons de distinguer trois
catégories d’acteurs :
• Le secteur TIC au sens de l’OCDE (matériel et composants électroniques,
télécommunications, services informatiques et logiciels…).
• Les secteurs utilisateurs de TIC, qui utilisent ces technologies et gagnent en
productivité grâce à elles mais dont l’activité préexiste à l’émergence des TIC
(banques, tourisme, automobile…).
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entrePrise
• Les activités dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services en ligne,
jeux vidéo, E-commerce…).
Ce schéma n’a qu’une vocation pédagogique. Son objectif est de mettre en lumière
certaines interrogations sur le périmètre de l’économie numérique. Par exemple,
dans quelle catégorie se situent des acteurs impliqués dans plusieurs activités comme
Google ou Microsoft ?
Secteurs Utilisateurs des TIC
Pas de croissance sans numérique
Contenu numérique
Pas d’existence sans numérique
Secteurs Producteurs (délimitation OCDE, INSEE)
Pas de numérique sans infrastructure
Agriculture
Transport
E-commerce
Automobile
Matériel, composants
Services
en ligne
Logiciels et services
informatiques
Distribution
Jeux vidéos
Télécommunications
Banque
Musique en ligne
Tourisme
110 • Sociétal n°71
Santé
L’impact de l’économie numérique
Les méthodes classiques de mesure
de la contribution du numérique à la croissance
Depuis le milieu des années 1990, les États-Unis ont vu le rythme de leurs gains de
productivité doubler, alors même que la croissance de la productivité en Europe a été
amputée de moitié, en particulier dans les pays d’Europe continentale (France,
Allemagne, Italie et Espagne). La plupart des analystes s’accordent pour expliquer
cette divergence entre les deux continents par un relatif surinvestissement des pays
européens dans les secteurs traditionnels, au détriment de ceux à forte productivité.
Il ne fait maintenant plus de doute que les nouvelles
technologies ont joué un rôle majeur dans ce différenDepuis le milieu
tiel de croissance (Bart van Ark and Robert Inklaar,
des années 90,
2005).
les nouvelles
technologies
ont
joué un rôle
La contribution globale des TIC à la croissance est
majeur dans le
issue de la méthode de la décomposition comptable
différentiel de
de la croissance. C’est cette méthode qui a notamment
croissance entre
les Etats-Unis
permis de comparer les différentiels de croissance entre
et l’Europe.
l’Europe et les États-Unis et d’en imputer une large
part aux TIC.
La difficulté réside dans la mesure précise de la contribution de l’économie numérique. Selon la méthode de la décomposition comptable, les TIC améliorent la productivité à travers trois mécanismes :
• M1 – La contribution des secteurs producteurs de TIC : les secteurs producteurs de TIC connaissent des gains rapides de productivité globale des facteurs
(PGF), grâce au progrès technique rapide dans la production de biens et de
services TIC.
• M2 – L’utilisation des TIC par tous les secteurs :
M2a – Les investissements en TIC dans l’ensemble des secteurs, qui entraînent
une augmentation de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire le stock de capital
par heure travaillée.
M2b – Les gains d’efficacité (PGF) réalisés par l’ensemble de l’économie grâce
aux TIC.
Aujourd’hui, la mesure du rôle des TIC se limite souvent aux deux premiers éléments : les gains de productivité du secteur TIC et l’investissement en TIC des
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• 111
entrePrise
autres secteurs. En revanche, cette méthode ne permet pas de mesurer la contribution des TIC à l’amélioration de l’efficacité dans les secteurs utilisateurs (i.e. la PGF).
En effet, il n’est pas possible de mesurer dans la PGF ce qui relève des TIC parmi les
autres facteurs de productivité (management, flexibilité du marché, innovation…).
L’analyse macroéconomique a donc tendance à sous-estimer l’impact des TIC.
En d’autres termes, cette méthode ne permet pas de distinguer entre deux entreprises qui investissent autant dans leur parc informatique, mais dont l’une utilise son
matériel pour améliorer sa compétitivité et l’autre laisse ses ordinateurs éteints dans
un hangar !
DÉCOMPOSITION COMPTABLE DE LA CROISSANCE :
LA LOGIQUE GÉNÉRALE
CROISSANCE
PRODUCTIVITE
DU TRAVAIL
P
HEURES
TRAVAILLEES
H
INTENSITE
CAPITALISTIQUE
K
PGF
PGF= P-K
M1
PGF dans les
secteurs TIC
PGF dans les
autres secteurs
0.4
0.4
M2b
M2a
Intensité K en
capital TIC
Intensité K en
capital non TIC
0.6
0.4
PRODUCTIVITE DUE AUX TIC
Lecture : Entre 1995 et 2000, la croissance de la productivité du travail dans l ’UE a été de 1,8 % par an (dont 0,4
au titre de la PGF dans les secteurs TIC, 0,4 pour la PGF dans les autres secteurs, 0,6 d ’investissements en TIC et
0,4 d ’investissements non TIC).
112 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
LE SECTEUR TIC SOUS ESTIMÉ
CROISSANCE
PRODUCTIVITE DU TRAVAIL
HEURES TRAVAILLEES
P
H
PGF
INTENSITE CAPITALISTIQUE
PGF= P-K
K
PGF dans les
secteurs TIC
PGF dans les
autres secteurs
Intensité K en
capital TIC
Intensité K en
capital non TIC
0.4
0.4
0.6
0.4
La contribution du
secteur TIC ne se
limite pas à la PGF
dans ce secteur.
Pour mesurer la
contribution exacte
du secteur TIC, il
faut ajouter la
contribution de ce
secteur en intensité
capitalistique et en
heures travaillées
PRODUCTIVITE DUE AUX TIC
L’IMPACT DES TIC SUR LA PGF DES SECTEURS UTILISATEURS
N’EST PAS PRIS EN COMPTE
CROISSANCE
PRODUCTIVITE DU TRAVAIL
HEURES TRAVAILLEES
P
H
PGF
INTENSITE CAPITALISTIQUE
PGF= P-K
K
PGF dans les
secteurs TIC
PGF dans les
autres secteurs
Intensité K en
capital TIC
Intensité K en
capital non TIC
0.4
0.4
0.6
0.4
On peut
raisonnablement
penser qu'une part
de la PGF des
secteurs
utilisateurs est due
aux gains
d’ efficacité
apporté s par les
TIC dans les
entreprises.
PRODUCTIVITE DUE AUX TIC
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entrePrise
Si la démonstration de la contribution des TIC à la croissance n’est plus à faire, il
subsiste de nombreuses interrogations sur le poids de l’économie numérique et sur
les politiques publiques capables de développer son potentiel. Deux éléments en
particulier sont à préciser : l’impact réel du secteur TIC, la mesure de la création de
valeur ajoutée due au TIC dans les autres secteurs, et ce, à l’échelle nationale et à
l’échelle de l’entreprise.
La contribution du secteur producteur de TIC :
prendre en compte la multiplicité des canaux
Le secteur des TIC comprend les entreprises de l’industrie, des services et du commerce de gros exerçant leur activité dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. C’est un secteur totalisant en France près de
800 000 emplois, dégageant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros en 2005 et
réalisant 6,2 % de la valeur ajoutée marchande.
Pour mesurer
la contribution
des TIC à la
croissance, il faut
prendre en compte
les multiples
domaines qu’elles
remodèlent.
114 • Sociétal n°71
Mais ces indicateurs, aussi impressionnants soient-ils,
se limitent à un constat statique, au poids direct du
secteur TIC, et ne reflètent pas l’interaction de ce dernier avec le reste de l’économie. Or, si l’on considère par
exemple la part du secteur TIC dans la R&D nationale,
on comprend son rôle moteur dans la compétitivité des
pays développés.
L’impact de l’économie numérique
PART DU SECTEUR TIC DANS LA R&D
Irlande
70,2
Finlande
64,3
55,1
Corée
Canada
38,5
36,3
Pays-Bas
Etats-Unis
35,5
Japon
34,4
32,8
Suède
31,5
Danemark
30,6
France
28,3
Norvège
Australie
26,8
Royaume-Uni
24,2
Italie
22,5
Belgique
22,4
Espagne
21,8
21,7
Allemagne
Dépense R&D dans l'industrie TIC
14,4
République Tchèque
Dépense R&D dasn les secteurs TIC
12,1
Pologne
0
10
20
30
40
50
60
70
80 %
Source OCDE
Le graphique ci-aprés, consacré au pourcentage des
citations liées aux TIC dans les brevets est encore
plus frappant : l’innovation numérique alimente la
dynamique d’innovation dans tous les autres secteurs. On voit là le potentiel formidable que recèlent
les TIC, en particulier pour les pays proches de la
frontière technologique, qui misent justement sur la
recherche et l’innovation pour doper leur croissance.
L’innovation
numérique
alimente
l’innovation dans
tous les autres
secteurs.
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entrePrise
POURCENTAGE DES CITATIONS LIÉES AUX TIC
DANS LES BREVETS
50 %
45 %
40 %
35 %
30 %
1985-89
2000-05
Luxembourg
Slovaquie
Turquie
Portugal
République tchèque
Pologne
Italie
Mexique
Union européenne
Grèce
Espagne
Autriche
Belgique
Suisse
Allemagne
Nouvelle-Zelande
Danemark
Hongrie
France
Norvège
Australie
OCDE
Canada
Islande
Suède
Etats-Unis
Irlande
Japon
Pays-Bas
Corée
Finlande
25 %
20 %
15 %
10 %
5%
0%
Part des citations liées aux TIC dans toutes les citations
enregistrées à l'Office Européen des Brevets (en%)
Source : Spiezia (2008)
La contribution des TIC dans
le reste de l’économie : l’importance
des actifs immatériels complémentaires
Dans les années 1990, la France investissait, proportionnellement à son PIB, deux
fois moins dans le matériel informatique que les États-Unis, en partie en raison d’un
probable surinvestissement outre-Atlantique, et n’a toujours pas rattrapé son retard,
comme la plupart de ses homologues européens.
Dans la seconde moitié des années 1990, les TIC constituaient l’élément principal
de la différence de croissance entre les États-Unis et l’Europe. Mais, entre 2000
et 2004, les causes du différentiel se sont déplacées vers la PGF. En effet, celle-ci
explique 50 % de la croissance de la productivité aux États-Unis sur la période, alors
qu’en Europe sa contribution a été quasiment nulle.
116 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
2.5
2
1.5
Croissance de la productivité du travail
1995-2000 (en %),
PGF du reste de l'Economie
2.3
0.4
1.8
Investissement en TIC
0.2
0.7
1
0.4
0.5
0.6
3
PGF du secteur producteur TIC
0.4
0.4
0
Investissement non TIC
Effet des TIC
Comptabilisé
UE à 15
Effet des TIC
Comptabilisé
1
USA
Croissance de la productivité du travail
2000-2004 (en%),
PGF du reste de l'Economie
2.8
Investissement non TIC
PGF du secteur producteur TIC
Investissement en TIC
2.5
1.4
2
1.5
1
0.5
0
1
0.5
0.5
0.3
0.2
0.3
UE à 15
Effet des TIC
Comptabilisé
0.6
Effet des TIC
Comptabilisé
USA
Une analyse approfondie montre qu’une part importante de ces gains de PGF peut
être imputée à l’investissement massif des États-Unis dans les TIC à la fin des
années 1990. En effet, avant l’éclatement de la bulle Internet, en dehors du secteur
TIC lui-même, les secteurs qui contribuaient le plus à la croissance étaient également les principaux utilisateurs de nouvelles technologies : distribution, banques,
services…
Le constat d’un lien fort mais encore mal établi entre les TIC et les gains de productivité dans les secteurs utilisateurs a conduit ces dernières années les principaux
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• 117
entrePrise
instituts de statistique à mieux étudier l’interaction entre les TIC et la PGF. Des
études, menées notamment par l’OCDE, ont mis en évidence l’importance de l’investissement immatériel dans cette relation cruciale
pour la croissance.
L’investissement
massif des
Les travaux en question partent du principe qu’on ne
États-Unis dans
peut séparer les TIC du processus d’innovation qui les
les TIC explique
accompagne. De ce point de vue, les analyses macroéles formidables
gains de
conomiques rejoignent les enseignements des travaux
productivité
menés à l’échelle de l’entreprise : les nouvelles techdes entreprises
nologies ne sont que des outils. Elles ne produisent
américaines
dans les années
pleinement leurs effets que si elles s’accompagnent
2000.
d’investissements dans des actifs immatériels complémentaires.
L’IMMATÉRIEL DANS L’ENTREPRISE
Type d’investissement
immatériel
Comprend :
Traitement dans le cadre de
la comptabilité nationale
Information numérisée
Logiciels
Bases de Données
Inclus dans l’investissement
(depuis peu)
Actifs Innovants
1 R&D
2 Recherche de minerai
3 Droits d’auteur et licences
4 Développement de produits
financiers nouveaux
5 Plans d’architectes et d’ingénieurs
6 Recherche en sciences humaines
Seulement 2 et 3 sont inclus
dans l’investissement
Compétences économiques
La marque
Capital humain spécifique à la firme
Organisation
Non pris en compte
Source : OCDE, Marrano, Haskel et Wallis d ’après Corrado, Hulten et Sichel
Mais le constat de l’importance de l’immatériel pour la croissance ne suffit pas
à en généraliser la mesure, en raison d’une couverture statistique insuffisante des
éléments qui le composent : la marque, le capital humain spécifique à la firme, l’organisation, etc. Faute d’être explicitement pris en compte, ces facteurs immatériels
bien que cruciaux se retrouvent de façon indifférenciée dans le chiffre de la PGF, un
résidu qui regroupe tout ce que la statistique ne sait pas mesurer.
118 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
Par exemple, pendant longtemps, les logiciels n’étaient
pas considérés comme des investissements mais comme
des consommations intermédiaires, ce qui revenait à les
exclure mécaniquement des mesures des contributions à
la croissance. Aujourd’hui, cette insuffisance a été corrigée et les logiciels sont intégrés aux investissements.
Mais ce n’est toujours pas le cas pour la quasi-totalité
des autres investissements immatériels.
Les TIC ne
produisent
leurs effets que
si elles
s’inscrivent dans
un processus
global
d’innovation.
Selon la méthode exposée par Corrado, Hulten et Sichel, les investissements immatériels peuvent être répartis en trois catégories (voir le tableau) :
• Information numérisée (logiciels, bases de données).
• Innovation (R&D, brevets, licences, design…).
• Compétences économiques (marque, capital humain spécifique, structure organisationnelle).
Pour le moment, l’hétérogénéité des sources et la nature de certaines activités rendent délicates les comparaisons internationales. Mais certains pays ont déjà engagé
des études dans ce sens (Finlande, États-Unis, Royaume-Uni, Japon). Aujourd’hui
les investissements immatériels représentent une part très importante du PIB dans
les pays industriels.
INVESTISSEMENTS IMMATÉRIELS EN FRANCE 1991-2004
1600
Investissement
immatériel
Investissement en milliards de $ US, 2004
1400
Investissement
matériel
1200
1000
800
600
400
200
Finlande
Pays-Bas
Espagne
Italie
Allemagne
France
RU
USA
0
Source : Hao, Manole (2008), Conference Board
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• 119
entrePrise
Compléter la mesure des équipements TIC
par des indicateurs d’usage des technologies
Pour résumer, il ne suffit pas d’investir massivement dans du matériel et du logiciel,
si en parallèle on n’investit pas dans les actifs immatériels (formation, organisation
du travail) qui permettent un usage efficient du numérique. Or, jusqu’à présent, les principaux indicateurs du
Il ne sert à rien
d’investir dans
numérique correspondaient à l’investissement matériel,
du matériel
comme l’équipement des entreprises en ordinateurs, et
sans démarche
non à leur usage.
d’organisation
visant à l’usage
efficace du
Certes, on peut considérer le taux de connexion à
numérique.
Internet comme un indicateur d’usage, mais à l’heure
actuelle même l’accès au haut débit n’est plus pertinent
pour différencier le degré de diffusion des nouvelles technologies. En effet, dans les
pays proches de la frontière technologique, l’équipement et l’accès à internet sont largement déployés dans les entreprises de plus de dix salariés. Mais ces indicateurs ne
permettent pas de connaître l’usage réel de ces équipements au sein des entreprises.
CONNEXION DES ENTREPRISES À L’INTERNET
HAUT DÉBIT EN 2008, PAR PAYS (EN %)
France
92
Finlande
92
Espagne
92
Suède
89
86
UE 15
Pays-Bas
86
Allemagne
84
Italie
81
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Source : tableau de bord des TIC et du commerce électronique – DGCIS 2009-Eurostat 2008
Plusieurs organismes proposent de compléter cette lacune en élaborant des indicateurs synthétiques visant à comparer le développement des nouvelles technologies
selon les pays. Dans ceux consacrés au e-business, il n’est pas surprenant de retrouver
120 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
en tête du palmarès les pays du nord de l’Europe. Mais, pour séduisant que soient
ces agrégats, ils comportent certaines limites. Notamment, au-delà des grandes tendances (Nord/Sud), les différences de niveau sont assez faibles entre chaque pays, si
bien que certains progressent parfois de manière spectaculaire d’une année à l’autre.
DE L’ADOPTION DES TECHNOLOGIES À L’USAGE EFFICIENT
PAR LES ENTREPRISES
Panorama des indicateurs synthétiques
Classement
Pénétration
haut
débit
ICT
opportunity
index
e-business
readiness :
adoption
Networked
readiness :
business
readiness
e-business
readiness :
use
Networked
readiness :
business
usage
Business
competitivenes
index
Source
OCDE
ITU
EC
WEF and
INSEAD
EC
WEF and
INSEAD
WEF and
Porter
2007
2007
2007
2007
2006-2007
2007
2006-2007
2007-2008
1
DK
SE
FI
CH
DK
JP
US
2
NL
LU
SE
FI
NL
SE
DE
3
CH
HK
DK
DE
EI
DE
FI
4
KO
NL
NL
US
DE
CH
SE
5
NO
DK
BE
JP
FI
IS
DK
6
IS
CH
DE
EI
AT
FI
CH
7
FI
SG
FR
DK
SE
DK
NL
8
SE
UK
UK
BE
FR
IS
AT
9
CA
IS
AT
AT
BE
NL
SG
10
BE
NO
EI
NL
UK
UK
JP
11
UK
CA
ES
SE
IT
KO
UK
12
AU
BE
IT
IL
ES
NO
HK
13
FR
US
ES
HK
AT
SG
NO
14
LU
AU
EI
UK
PO
US
CA
15
US
AT
EE
SG
UK
AT
BE
Il ne s’agit pas des dernières données disponibles mais d’une photographie comparative à un instant t.
Si les indicateurs d’équipement et les indicateurs synthétiques peinent à mesurer
le degré de diffusion des TIC dans les pays industriels, la statistique européenne a
largement progressé dans la prise en compte des usages des TIC :
1
er
trimestre
2011
• 121
entrePrise
En 2008, sur les 27 pays de l’Union européenne, la
France figurait dans le trio de tête pour l’accès à Internet
haut débit. Mais elle est très largement en retard dans
l’usage :
• 19e rang pour les entreprises ayant créé un site
web.
• 18e rang pour les entreprises utilisant l’Internet
dans leur relation avec l’administration.
• 18e rang pour les entreprises effectuant des achats
par Internet.
• 17e rang pour les entreprises ayant organisé des
formations pour développer les compétences en
TIC de leur personnel.
Les entreprises
françaises
restent
notoirement
en retard
en termes
d’utilisation
d’Internet dans
leur politique
d’achats ou
de formation
comme dans leurs
relations avec
l’administration.
ENTREPRISES AYANT ORGANISÉ
DES FORMATIONS POUR DÉVELOPPER/AMÉLIORER
LES COMPÉTENCES EN TIC
DE LEUR PERSONNEL (EN %)
50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
Italie
Pologne
Espagne
Grèce
France
Portugal
Slovaquie
UE (15)
Pays-Bas
Rép. tchèque
Allemagne
Belgique
Slovénie
Irlande
Suède
Autriche
Royaume-Uni
Finlande
Danemark
Norvège
0
Source : enquête Eurostat 2008
Les entreprises françaises forment deux fois moins leurs employés aux TIC qu’en
Norvège ou au Danemark.
122 • Sociétal n°71
L’impact de l’économie numérique
Reste à renforcer, pérenniser, développer ces indicateurs sur le long terme. Cela passe notamment par une
plus forte mobilisation de notre appareil statistique au
service de l’économie numérique, levier de croissance
majeur pour notre économie.
Il est grand
temps de doter
l’économie
numérique d’un
véritable outil
statistique.
En France, la force d’une industrie se mesure aussi par
les ressources administratives qui lui sont consacrées.
Certaines filières traditionnelles, eu égard à leur poids historique dans notre économie, font ainsi l’objet d’une attention toute particulière de l’administration et
disposent de véritables services statistiques, dont certains regroupent plusieurs centaines de collaborateurs. Il est grand temps de doter l’économie numérique d’un outil
statistique qui à la fois reflète son importance et contribue à sa diffusion.
SERVICES STATISTIQUES MINISTÉRIELS (EFFECTIFS)
Ensemble des services statistiques des ministères (SSM)
Total
dont Insee
Agriculture
461
140
Collectivités locales
13
6
Culture
20
4
Défense
9
4
Développement durable
387
113
Douanes
247
6
Éducation, recherche
336
69
Fonction publique
15
7
Immigration, intégration
14
4
Jeunesse, sports
7
5
Justice
78
24
Pêche maritime, aquaculture
6
4
Santé, solidarité
311
81
Travail, emploi
338
83
Total SSM
2 242
550
Source : site Insee
1
er
trimestre
2011
• 123
entrePrise
Bibliographie Indicative
• Janet
Hao, Vlad Manole et Bart van Ark, Intangible Capital and Growth –
an International Comparison, 2008. Article rédigé pour la 30ème conference
générale de l’Association internationale pour la recherche sur les revenus et la
richesse (International Association for Research in Income and Wealth).
• Bart
van Ark et Inklaar Robert, Catching Up or Getting Stuck ? Europe’s
Problems to Exploit ICT’s Productivity Potential, EU Klems, Working Paper
n°7, 2005.
• Carol Corrado, Charles Hulten, Daniel Sichel, Intangible Capital and Economic
Growth, National Bureau of Economic Research, Working Paper n° 11948, 2006.
• Vincenzo Spiezia, Using Patent Citations to Measure the Contribution of ICT
Inventions to Inventive Activities In Manufacturing : an Exploration, OCDE,
groupe de travail sur les indicateurs pour la société de l’information, DSTI/ICCP/
IIS(2008)4, 2008.
124 • Sociétal n°71