L`impact de l`économie numérique
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L`impact de l`économie numérique
ENTREPRISE L’impact de l’économie numérique PhiliPPe leMoine Président du comité économie numérique du Medef, benoît lavigne Direction recherche innovation et nouvelles technologies (Medef), Michal Zajac Direction des études (Medef) La croissance de demain repose sur le développement de l’économie numérique.Tout le monde est d’accord avec cette assertion, mais celle-ci mérite un diagnostic plus précis pour ouvrir de nouvelles perspectives aux entreprises. L es pouvoirs publics ont érigé l’économie numérique en priorité nationale. Mais pourquoi l’ont-ils fait ? Lorsqu’on lit l’exposé des motifs des différents plans d’action gouvernementaux qui se sont succédé sur ce sujet depuis quelques années, se trouve en bonne place un argumentaire sur le poids du numérique dans les gains de productivité de tous les secteurs économiques et sur son rôle majeur dans la croissance. Il est ainsi souvent indiqué que le numérique contribuerait en France au quart de la croissance du PIB et que plus de la moitié de l’écart de croissance entre la France et les États-Unis dans la décennie 1995-2005 proviendrait d’un écart d’investissement dans les technologies d’information et de communication. 1 er trimestre 2011 • 107 entrePrise Ce constat, le Medef le connaît bien puisqu’il a contribué à le faire connaître, à travers ses publications. Mais, outre le fait que ces estimations macroéconomiques sont aujourd’hui datées, il faut aller plus loin dans la connaissance des chiffres pour identifier les conclusions pour l’action que les pouvoirs publics doivent tirer de ce constat. Sinon, il se produit systématiquement le même tour de passe-passe, qu’il s’agisse des publications administratives françaises ou européennes. En effet, après avoir argumenté sur les phénomènes économiques de productivité et de croissance, les programmes d’action publics se concentrent sur des sujets d’action qui n’ont rien à voir : en général, les plans visant l’équipement du grand public en ordinateurs et en liaisons à très haut débit ainsi qu’un certain nombre d’enjeux applicatifs dans le domaine de l’éducation, de la santé et Le numérique de la culture. Il s’y ajoute parfois des mesures sur les contribuerait jeux électroniques, sur les transports ou sur l’environneau quart de ment. À la rigueur, quelques moyens sont consacrés à la croissance l’évangélisation informatique de l’artisanat et des très du PIB en France. Mais rien petites entreprises. Mais sur l’enjeu de l’entreprise inforn’est dit sur matisée, il n’y a généralement rien ou presque rien. l’enjeu de l’entreprise informatisée. Cette rupture de logique entre un argumentaire général fondé sur la productivité et des catalogues d’action qui s’intéressent peu à l’entreprise provient en grande partie d’un défaut de connaissance. Comme beaucoup d’innovations technologiques dont on parle concernant le grand public, il y a un tropisme facile à comprendre qui est de s’intéresser à cette partie apparente de l’iceberg. Pourtant, un moment de transformation important accompagne l’informatisation des entreprises et de l’économie : c’est le fait de piloter en mouvement qui devrait être une priorité nationale. Si nous voulons diffuser les technologies de l’information dans l’économie, nous devons au préalable disposer d’une vision objective de la situation du numérique, à commencer par son périmètre. Ce diagnostic est primordial pour cibler, mesurer, évaluer les politiques publiques dans ce domaine. Or, s’il existe une profusion de données sur les technologies de l’information et de la communication (TIC), il est difficile d’en extraire les éléments permettant d’apprécier leur impact réel. 108 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique Usage des TIC, augmentation de la productivité et opportunités de marchés pour les entreprises Les contours de l’économie numérique sont flous pour la plupart des gens. Cette expression couvre des réalités très différentes. D’autant que cette dénomination a évolué selon les années : technologies de l’information et de la communication, nouvelles technologies, NTIC, économie électronique, nouvelle économie… Dans le cadre de la statistique publique, on constate un premier raccourci : l’économie numérique est assimilée aux TIC, et en particulier aux secteurs producteurs. Le secteur des TIC regroupe, selon l’OCDE et l’Insee, les entreprises qui produisent des biens et services supportant le processus de numérisation de l’économie, c’est-àdire la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques. (Informatique, télécommunications, électronique.) Cette assimilation n’est pas sans incidence sur la mesure de l’impact du numérique sur la croissance. Car l’économie numérique ne se limite pas à un secteur d’activité en particulier. On devrait plutôt parler de « numérique dans l’économie » pour qualifier l’ensemble des secteurs L’économie numérique qui s’appuient sur les TIC, producteurs et utilisateurs. recouvre les Technologies de De plus, certains secteurs ne recouvrent pas simplel’information ment des activités qui utilisent les nouvelles technoloet de la communication gies dans le seul but d’accroître leur productivité. Ainsi, (TIC), les secteurs dans l’inconscient collectif, le commerce électronique, qui les utilisent les services en ligne sont des acteurs centraux de l’écoet ceux qui ne pourraient pas nomie numérique. Et pourtant ces acteurs (Google par exister sans ces exemple) ne sont pas systématiquement comptabilisés technologies. dans les secteurs TIC. Pour prendre en compte cette réalité multiple, nous proposons de distinguer trois catégories d’acteurs : • Le secteur TIC au sens de l’OCDE (matériel et composants électroniques, télécommunications, services informatiques et logiciels…). • Les secteurs utilisateurs de TIC, qui utilisent ces technologies et gagnent en productivité grâce à elles mais dont l’activité préexiste à l’émergence des TIC (banques, tourisme, automobile…). 1 er trimestre 2011 • 109 entrePrise • Les activités dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services en ligne, jeux vidéo, E-commerce…). Ce schéma n’a qu’une vocation pédagogique. Son objectif est de mettre en lumière certaines interrogations sur le périmètre de l’économie numérique. Par exemple, dans quelle catégorie se situent des acteurs impliqués dans plusieurs activités comme Google ou Microsoft ? Secteurs Utilisateurs des TIC Pas de croissance sans numérique Contenu numérique Pas d’existence sans numérique Secteurs Producteurs (délimitation OCDE, INSEE) Pas de numérique sans infrastructure Agriculture Transport E-commerce Automobile Matériel, composants Services en ligne Logiciels et services informatiques Distribution Jeux vidéos Télécommunications Banque Musique en ligne Tourisme 110 • Sociétal n°71 Santé L’impact de l’économie numérique Les méthodes classiques de mesure de la contribution du numérique à la croissance Depuis le milieu des années 1990, les États-Unis ont vu le rythme de leurs gains de productivité doubler, alors même que la croissance de la productivité en Europe a été amputée de moitié, en particulier dans les pays d’Europe continentale (France, Allemagne, Italie et Espagne). La plupart des analystes s’accordent pour expliquer cette divergence entre les deux continents par un relatif surinvestissement des pays européens dans les secteurs traditionnels, au détriment de ceux à forte productivité. Il ne fait maintenant plus de doute que les nouvelles technologies ont joué un rôle majeur dans ce différenDepuis le milieu tiel de croissance (Bart van Ark and Robert Inklaar, des années 90, 2005). les nouvelles technologies ont joué un rôle La contribution globale des TIC à la croissance est majeur dans le issue de la méthode de la décomposition comptable différentiel de de la croissance. C’est cette méthode qui a notamment croissance entre les Etats-Unis permis de comparer les différentiels de croissance entre et l’Europe. l’Europe et les États-Unis et d’en imputer une large part aux TIC. La difficulté réside dans la mesure précise de la contribution de l’économie numérique. Selon la méthode de la décomposition comptable, les TIC améliorent la productivité à travers trois mécanismes : • M1 – La contribution des secteurs producteurs de TIC : les secteurs producteurs de TIC connaissent des gains rapides de productivité globale des facteurs (PGF), grâce au progrès technique rapide dans la production de biens et de services TIC. • M2 – L’utilisation des TIC par tous les secteurs : M2a – Les investissements en TIC dans l’ensemble des secteurs, qui entraînent une augmentation de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire le stock de capital par heure travaillée. M2b – Les gains d’efficacité (PGF) réalisés par l’ensemble de l’économie grâce aux TIC. Aujourd’hui, la mesure du rôle des TIC se limite souvent aux deux premiers éléments : les gains de productivité du secteur TIC et l’investissement en TIC des 1 er trimestre 2011 • 111 entrePrise autres secteurs. En revanche, cette méthode ne permet pas de mesurer la contribution des TIC à l’amélioration de l’efficacité dans les secteurs utilisateurs (i.e. la PGF). En effet, il n’est pas possible de mesurer dans la PGF ce qui relève des TIC parmi les autres facteurs de productivité (management, flexibilité du marché, innovation…). L’analyse macroéconomique a donc tendance à sous-estimer l’impact des TIC. En d’autres termes, cette méthode ne permet pas de distinguer entre deux entreprises qui investissent autant dans leur parc informatique, mais dont l’une utilise son matériel pour améliorer sa compétitivité et l’autre laisse ses ordinateurs éteints dans un hangar ! DÉCOMPOSITION COMPTABLE DE LA CROISSANCE : LA LOGIQUE GÉNÉRALE CROISSANCE PRODUCTIVITE DU TRAVAIL P HEURES TRAVAILLEES H INTENSITE CAPITALISTIQUE K PGF PGF= P-K M1 PGF dans les secteurs TIC PGF dans les autres secteurs 0.4 0.4 M2b M2a Intensité K en capital TIC Intensité K en capital non TIC 0.6 0.4 PRODUCTIVITE DUE AUX TIC Lecture : Entre 1995 et 2000, la croissance de la productivité du travail dans l ’UE a été de 1,8 % par an (dont 0,4 au titre de la PGF dans les secteurs TIC, 0,4 pour la PGF dans les autres secteurs, 0,6 d ’investissements en TIC et 0,4 d ’investissements non TIC). 112 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique LE SECTEUR TIC SOUS ESTIMÉ CROISSANCE PRODUCTIVITE DU TRAVAIL HEURES TRAVAILLEES P H PGF INTENSITE CAPITALISTIQUE PGF= P-K K PGF dans les secteurs TIC PGF dans les autres secteurs Intensité K en capital TIC Intensité K en capital non TIC 0.4 0.4 0.6 0.4 La contribution du secteur TIC ne se limite pas à la PGF dans ce secteur. Pour mesurer la contribution exacte du secteur TIC, il faut ajouter la contribution de ce secteur en intensité capitalistique et en heures travaillées PRODUCTIVITE DUE AUX TIC L’IMPACT DES TIC SUR LA PGF DES SECTEURS UTILISATEURS N’EST PAS PRIS EN COMPTE CROISSANCE PRODUCTIVITE DU TRAVAIL HEURES TRAVAILLEES P H PGF INTENSITE CAPITALISTIQUE PGF= P-K K PGF dans les secteurs TIC PGF dans les autres secteurs Intensité K en capital TIC Intensité K en capital non TIC 0.4 0.4 0.6 0.4 On peut raisonnablement penser qu'une part de la PGF des secteurs utilisateurs est due aux gains d’ efficacité apporté s par les TIC dans les entreprises. PRODUCTIVITE DUE AUX TIC 1 er trimestre 2011 • 113 entrePrise Si la démonstration de la contribution des TIC à la croissance n’est plus à faire, il subsiste de nombreuses interrogations sur le poids de l’économie numérique et sur les politiques publiques capables de développer son potentiel. Deux éléments en particulier sont à préciser : l’impact réel du secteur TIC, la mesure de la création de valeur ajoutée due au TIC dans les autres secteurs, et ce, à l’échelle nationale et à l’échelle de l’entreprise. La contribution du secteur producteur de TIC : prendre en compte la multiplicité des canaux Le secteur des TIC comprend les entreprises de l’industrie, des services et du commerce de gros exerçant leur activité dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. C’est un secteur totalisant en France près de 800 000 emplois, dégageant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros en 2005 et réalisant 6,2 % de la valeur ajoutée marchande. Pour mesurer la contribution des TIC à la croissance, il faut prendre en compte les multiples domaines qu’elles remodèlent. 114 • Sociétal n°71 Mais ces indicateurs, aussi impressionnants soient-ils, se limitent à un constat statique, au poids direct du secteur TIC, et ne reflètent pas l’interaction de ce dernier avec le reste de l’économie. Or, si l’on considère par exemple la part du secteur TIC dans la R&D nationale, on comprend son rôle moteur dans la compétitivité des pays développés. L’impact de l’économie numérique PART DU SECTEUR TIC DANS LA R&D Irlande 70,2 Finlande 64,3 55,1 Corée Canada 38,5 36,3 Pays-Bas Etats-Unis 35,5 Japon 34,4 32,8 Suède 31,5 Danemark 30,6 France 28,3 Norvège Australie 26,8 Royaume-Uni 24,2 Italie 22,5 Belgique 22,4 Espagne 21,8 21,7 Allemagne Dépense R&D dans l'industrie TIC 14,4 République Tchèque Dépense R&D dasn les secteurs TIC 12,1 Pologne 0 10 20 30 40 50 60 70 80 % Source OCDE Le graphique ci-aprés, consacré au pourcentage des citations liées aux TIC dans les brevets est encore plus frappant : l’innovation numérique alimente la dynamique d’innovation dans tous les autres secteurs. On voit là le potentiel formidable que recèlent les TIC, en particulier pour les pays proches de la frontière technologique, qui misent justement sur la recherche et l’innovation pour doper leur croissance. L’innovation numérique alimente l’innovation dans tous les autres secteurs. 1 er trimestre 2011 • 115 entrePrise POURCENTAGE DES CITATIONS LIÉES AUX TIC DANS LES BREVETS 50 % 45 % 40 % 35 % 30 % 1985-89 2000-05 Luxembourg Slovaquie Turquie Portugal République tchèque Pologne Italie Mexique Union européenne Grèce Espagne Autriche Belgique Suisse Allemagne Nouvelle-Zelande Danemark Hongrie France Norvège Australie OCDE Canada Islande Suède Etats-Unis Irlande Japon Pays-Bas Corée Finlande 25 % 20 % 15 % 10 % 5% 0% Part des citations liées aux TIC dans toutes les citations enregistrées à l'Office Européen des Brevets (en%) Source : Spiezia (2008) La contribution des TIC dans le reste de l’économie : l’importance des actifs immatériels complémentaires Dans les années 1990, la France investissait, proportionnellement à son PIB, deux fois moins dans le matériel informatique que les États-Unis, en partie en raison d’un probable surinvestissement outre-Atlantique, et n’a toujours pas rattrapé son retard, comme la plupart de ses homologues européens. Dans la seconde moitié des années 1990, les TIC constituaient l’élément principal de la différence de croissance entre les États-Unis et l’Europe. Mais, entre 2000 et 2004, les causes du différentiel se sont déplacées vers la PGF. En effet, celle-ci explique 50 % de la croissance de la productivité aux États-Unis sur la période, alors qu’en Europe sa contribution a été quasiment nulle. 116 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique 2.5 2 1.5 Croissance de la productivité du travail 1995-2000 (en %), PGF du reste de l'Economie 2.3 0.4 1.8 Investissement en TIC 0.2 0.7 1 0.4 0.5 0.6 3 PGF du secteur producteur TIC 0.4 0.4 0 Investissement non TIC Effet des TIC Comptabilisé UE à 15 Effet des TIC Comptabilisé 1 USA Croissance de la productivité du travail 2000-2004 (en%), PGF du reste de l'Economie 2.8 Investissement non TIC PGF du secteur producteur TIC Investissement en TIC 2.5 1.4 2 1.5 1 0.5 0 1 0.5 0.5 0.3 0.2 0.3 UE à 15 Effet des TIC Comptabilisé 0.6 Effet des TIC Comptabilisé USA Une analyse approfondie montre qu’une part importante de ces gains de PGF peut être imputée à l’investissement massif des États-Unis dans les TIC à la fin des années 1990. En effet, avant l’éclatement de la bulle Internet, en dehors du secteur TIC lui-même, les secteurs qui contribuaient le plus à la croissance étaient également les principaux utilisateurs de nouvelles technologies : distribution, banques, services… Le constat d’un lien fort mais encore mal établi entre les TIC et les gains de productivité dans les secteurs utilisateurs a conduit ces dernières années les principaux 1 er trimestre 2011 • 117 entrePrise instituts de statistique à mieux étudier l’interaction entre les TIC et la PGF. Des études, menées notamment par l’OCDE, ont mis en évidence l’importance de l’investissement immatériel dans cette relation cruciale pour la croissance. L’investissement massif des Les travaux en question partent du principe qu’on ne États-Unis dans peut séparer les TIC du processus d’innovation qui les les TIC explique accompagne. De ce point de vue, les analyses macroéles formidables gains de conomiques rejoignent les enseignements des travaux productivité menés à l’échelle de l’entreprise : les nouvelles techdes entreprises nologies ne sont que des outils. Elles ne produisent américaines dans les années pleinement leurs effets que si elles s’accompagnent 2000. d’investissements dans des actifs immatériels complémentaires. L’IMMATÉRIEL DANS L’ENTREPRISE Type d’investissement immatériel Comprend : Traitement dans le cadre de la comptabilité nationale Information numérisée Logiciels Bases de Données Inclus dans l’investissement (depuis peu) Actifs Innovants 1 R&D 2 Recherche de minerai 3 Droits d’auteur et licences 4 Développement de produits financiers nouveaux 5 Plans d’architectes et d’ingénieurs 6 Recherche en sciences humaines Seulement 2 et 3 sont inclus dans l’investissement Compétences économiques La marque Capital humain spécifique à la firme Organisation Non pris en compte Source : OCDE, Marrano, Haskel et Wallis d ’après Corrado, Hulten et Sichel Mais le constat de l’importance de l’immatériel pour la croissance ne suffit pas à en généraliser la mesure, en raison d’une couverture statistique insuffisante des éléments qui le composent : la marque, le capital humain spécifique à la firme, l’organisation, etc. Faute d’être explicitement pris en compte, ces facteurs immatériels bien que cruciaux se retrouvent de façon indifférenciée dans le chiffre de la PGF, un résidu qui regroupe tout ce que la statistique ne sait pas mesurer. 118 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique Par exemple, pendant longtemps, les logiciels n’étaient pas considérés comme des investissements mais comme des consommations intermédiaires, ce qui revenait à les exclure mécaniquement des mesures des contributions à la croissance. Aujourd’hui, cette insuffisance a été corrigée et les logiciels sont intégrés aux investissements. Mais ce n’est toujours pas le cas pour la quasi-totalité des autres investissements immatériels. Les TIC ne produisent leurs effets que si elles s’inscrivent dans un processus global d’innovation. Selon la méthode exposée par Corrado, Hulten et Sichel, les investissements immatériels peuvent être répartis en trois catégories (voir le tableau) : • Information numérisée (logiciels, bases de données). • Innovation (R&D, brevets, licences, design…). • Compétences économiques (marque, capital humain spécifique, structure organisationnelle). Pour le moment, l’hétérogénéité des sources et la nature de certaines activités rendent délicates les comparaisons internationales. Mais certains pays ont déjà engagé des études dans ce sens (Finlande, États-Unis, Royaume-Uni, Japon). Aujourd’hui les investissements immatériels représentent une part très importante du PIB dans les pays industriels. INVESTISSEMENTS IMMATÉRIELS EN FRANCE 1991-2004 1600 Investissement immatériel Investissement en milliards de $ US, 2004 1400 Investissement matériel 1200 1000 800 600 400 200 Finlande Pays-Bas Espagne Italie Allemagne France RU USA 0 Source : Hao, Manole (2008), Conference Board 1 er trimestre 2011 • 119 entrePrise Compléter la mesure des équipements TIC par des indicateurs d’usage des technologies Pour résumer, il ne suffit pas d’investir massivement dans du matériel et du logiciel, si en parallèle on n’investit pas dans les actifs immatériels (formation, organisation du travail) qui permettent un usage efficient du numérique. Or, jusqu’à présent, les principaux indicateurs du Il ne sert à rien d’investir dans numérique correspondaient à l’investissement matériel, du matériel comme l’équipement des entreprises en ordinateurs, et sans démarche non à leur usage. d’organisation visant à l’usage efficace du Certes, on peut considérer le taux de connexion à numérique. Internet comme un indicateur d’usage, mais à l’heure actuelle même l’accès au haut débit n’est plus pertinent pour différencier le degré de diffusion des nouvelles technologies. En effet, dans les pays proches de la frontière technologique, l’équipement et l’accès à internet sont largement déployés dans les entreprises de plus de dix salariés. Mais ces indicateurs ne permettent pas de connaître l’usage réel de ces équipements au sein des entreprises. CONNEXION DES ENTREPRISES À L’INTERNET HAUT DÉBIT EN 2008, PAR PAYS (EN %) France 92 Finlande 92 Espagne 92 Suède 89 86 UE 15 Pays-Bas 86 Allemagne 84 Italie 81 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Source : tableau de bord des TIC et du commerce électronique – DGCIS 2009-Eurostat 2008 Plusieurs organismes proposent de compléter cette lacune en élaborant des indicateurs synthétiques visant à comparer le développement des nouvelles technologies selon les pays. Dans ceux consacrés au e-business, il n’est pas surprenant de retrouver 120 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique en tête du palmarès les pays du nord de l’Europe. Mais, pour séduisant que soient ces agrégats, ils comportent certaines limites. Notamment, au-delà des grandes tendances (Nord/Sud), les différences de niveau sont assez faibles entre chaque pays, si bien que certains progressent parfois de manière spectaculaire d’une année à l’autre. DE L’ADOPTION DES TECHNOLOGIES À L’USAGE EFFICIENT PAR LES ENTREPRISES Panorama des indicateurs synthétiques Classement Pénétration haut débit ICT opportunity index e-business readiness : adoption Networked readiness : business readiness e-business readiness : use Networked readiness : business usage Business competitivenes index Source OCDE ITU EC WEF and INSEAD EC WEF and INSEAD WEF and Porter 2007 2007 2007 2007 2006-2007 2007 2006-2007 2007-2008 1 DK SE FI CH DK JP US 2 NL LU SE FI NL SE DE 3 CH HK DK DE EI DE FI 4 KO NL NL US DE CH SE 5 NO DK BE JP FI IS DK 6 IS CH DE EI AT FI CH 7 FI SG FR DK SE DK NL 8 SE UK UK BE FR IS AT 9 CA IS AT AT BE NL SG 10 BE NO EI NL UK UK JP 11 UK CA ES SE IT KO UK 12 AU BE IT IL ES NO HK 13 FR US ES HK AT SG NO 14 LU AU EI UK PO US CA 15 US AT EE SG UK AT BE Il ne s’agit pas des dernières données disponibles mais d’une photographie comparative à un instant t. Si les indicateurs d’équipement et les indicateurs synthétiques peinent à mesurer le degré de diffusion des TIC dans les pays industriels, la statistique européenne a largement progressé dans la prise en compte des usages des TIC : 1 er trimestre 2011 • 121 entrePrise En 2008, sur les 27 pays de l’Union européenne, la France figurait dans le trio de tête pour l’accès à Internet haut débit. Mais elle est très largement en retard dans l’usage : • 19e rang pour les entreprises ayant créé un site web. • 18e rang pour les entreprises utilisant l’Internet dans leur relation avec l’administration. • 18e rang pour les entreprises effectuant des achats par Internet. • 17e rang pour les entreprises ayant organisé des formations pour développer les compétences en TIC de leur personnel. Les entreprises françaises restent notoirement en retard en termes d’utilisation d’Internet dans leur politique d’achats ou de formation comme dans leurs relations avec l’administration. ENTREPRISES AYANT ORGANISÉ DES FORMATIONS POUR DÉVELOPPER/AMÉLIORER LES COMPÉTENCES EN TIC DE LEUR PERSONNEL (EN %) 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 Italie Pologne Espagne Grèce France Portugal Slovaquie UE (15) Pays-Bas Rép. tchèque Allemagne Belgique Slovénie Irlande Suède Autriche Royaume-Uni Finlande Danemark Norvège 0 Source : enquête Eurostat 2008 Les entreprises françaises forment deux fois moins leurs employés aux TIC qu’en Norvège ou au Danemark. 122 • Sociétal n°71 L’impact de l’économie numérique Reste à renforcer, pérenniser, développer ces indicateurs sur le long terme. Cela passe notamment par une plus forte mobilisation de notre appareil statistique au service de l’économie numérique, levier de croissance majeur pour notre économie. Il est grand temps de doter l’économie numérique d’un véritable outil statistique. En France, la force d’une industrie se mesure aussi par les ressources administratives qui lui sont consacrées. Certaines filières traditionnelles, eu égard à leur poids historique dans notre économie, font ainsi l’objet d’une attention toute particulière de l’administration et disposent de véritables services statistiques, dont certains regroupent plusieurs centaines de collaborateurs. Il est grand temps de doter l’économie numérique d’un outil statistique qui à la fois reflète son importance et contribue à sa diffusion. SERVICES STATISTIQUES MINISTÉRIELS (EFFECTIFS) Ensemble des services statistiques des ministères (SSM) Total dont Insee Agriculture 461 140 Collectivités locales 13 6 Culture 20 4 Défense 9 4 Développement durable 387 113 Douanes 247 6 Éducation, recherche 336 69 Fonction publique 15 7 Immigration, intégration 14 4 Jeunesse, sports 7 5 Justice 78 24 Pêche maritime, aquaculture 6 4 Santé, solidarité 311 81 Travail, emploi 338 83 Total SSM 2 242 550 Source : site Insee 1 er trimestre 2011 • 123 entrePrise Bibliographie Indicative • Janet Hao, Vlad Manole et Bart van Ark, Intangible Capital and Growth – an International Comparison, 2008. Article rédigé pour la 30ème conference générale de l’Association internationale pour la recherche sur les revenus et la richesse (International Association for Research in Income and Wealth). • Bart van Ark et Inklaar Robert, Catching Up or Getting Stuck ? Europe’s Problems to Exploit ICT’s Productivity Potential, EU Klems, Working Paper n°7, 2005. • Carol Corrado, Charles Hulten, Daniel Sichel, Intangible Capital and Economic Growth, National Bureau of Economic Research, Working Paper n° 11948, 2006. • Vincenzo Spiezia, Using Patent Citations to Measure the Contribution of ICT Inventions to Inventive Activities In Manufacturing : an Exploration, OCDE, groupe de travail sur les indicateurs pour la société de l’information, DSTI/ICCP/ IIS(2008)4, 2008. 124 • Sociétal n°71