Les conventions collectives soustraites au (...) ( PDF - 185.8

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Les conventions collectives soustraites au (...) ( PDF - 185.8
CONTRAT DE TRAVAIL –
Transfert d’entreprise – Effets – Conventions et accords collectifs –
Mise en cause (L. 132-8 al. 7) – Maintien des avantages collectifs aux seuls salariés transférés – Salaires –
Egalité de traitement – Atteinte (non) – Justification de la différence de traitement.
Vu le principe “à travail égal, salaire égal“ et l’article L. 132-8,
alinéa 7, du Code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 7 novembre 2001,
l’Assedic des Bouches-du-Rhône a absorbé l’Assedic Val de
Durance pour former l’Assedic Alpes-Provence ; qu’un accord
du 30 avril 2002 conclu au sein du nouvel organisme a prévu
l’uniformisation des titres restaurant et le maintien, au profit
des salariés de l’entreprise absorbée qui en bénéficiaient
antérieurement, d’une prime trimestrielle de restauration ; que
quatre salariés issus de l’entreprise absorbante ont demandé à
bénéficier de cette prime par application du principe “à travail
égal, salaire égal“ ;
Attendu que pour faire droit aux demandes des salariés,
l’arrêt retient que l’accord de substitution viole le principe “à
travail égal, salaire égal“ ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le maintien d’un avantage
acquis en cas de mise en cause de l’application d’un accord
collectif dans les conditions prévues à l’article L. 132-8, alinéa 7,
du Code du travail ne méconnaît pas le principe “à travail égal,
salaire égal“, que ce maintien résulte d’une absence d’accord
de substitution ou d’un tel accord, la Cour d’appel a violé le
principe et le texte susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le
1er juin 2006, entre les parties, par la Cour d’appel d’Aix-en-
Le Droit Ouvrier • OCTOBRE 2008
COUR DE CASSATION (Ch. Soc.) 4 décembre 2007
Assedic Alpes-Provence contre G. et a. (pourvoi n° 06-44.041)
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Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans
l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Nîmes.
(Mme Collomp, prés. - M. Béraud, rapp. - M. Duplat, av. gén. Me Spinosi, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.)
Note.
L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 décembre 2007 (PB) entretient les
incertitudes quant à la portée du principe « à travail égal salaire égal » lorsqu’une différence de rémunération
découle d’une convention collective. Dans cette affaire, un accord de substitution, conclu à la suite de
l’absorption d’une Assedic par une autre, prévoyait le maintien au seul profit des salariés de l’institution
absorbée d’une prime trimestrielle de restauration. Certains salariés de la structure d’accueil, et non pas un
syndicat, ont donc saisi la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de cette prime sur le
fondement du principe « à travail égal, salaire égal ». Pour casser l’arrêt d’appel qui avait donné gain de cause
aux demandeurs, la Cour de cassation énonce, dans des termes assez laconiques, que « le maintien d’un
avantage acquis en cas de mise en cause de l’application d’un accord collectif dans les conditions prévues par
l’article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail ne méconnaît pas le principe « à travail égal, salaire égal », que ce
maintien résulte d’une absence d’accord de substitution ou d’un tel accord ».
Le Droit Ouvrier • OCTOBRE 2008
Cette solution tranche avec la volonté de la Haute juridiction de renforcer par ailleurs l’exigence d’égalité de
traitement à l’égard des normes, mesures et actes émanant de l’employeur (1). En effet, la jurisprudence a
progressivement imposé le respect de l’exigence d’égalité de traitement dès lors que le pouvoir de direction de
l’employeur est en cause (2), quelle que soit la source de l’avantage et sa nature. Ainsi, le salaire au sens strict
n’est pas seul affecté par l’exigence d’égalité de traitement. Il en va de tous les avantages (3) dont l’attribution
est désormais assujettie au respect de critères objectifs et pertinents. En outre, la Cour de cassation a été
récemment conduite à clarifier la compréhension de la règle d’égalité de traitement (4). Elle a considéré que le
critère de distinction invoqué par l’employeur pour établir des différences entre les salariés doit être en rapport
avec l’objet ou la finalité de la norme ou de la mesure litigieuse.
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En dépit de l’essor d’une règle d’égalité de traitement dans l’attribution des avantages aux salariés, force est de
constater qu’elle peine à s’imposer avec la même intensité lorsque la mesure litigieuse a sa source dans une
convention collective (5), voire dans le système de négociation collective en vigueur dans l’entreprise (6). La
présente affaire fournit un nouvel exemple de la réticence de la Chambre sociale à faire preuve à l’égard des
conventions collectives de la rigueur dont elle fait preuve à l’égard des actes unilatéraux de l’employeur. Tout se
passe comme si la règle conventionnelle en soi justifiait la différence entre les salariés dans l’attribution d’un
avantage, en l’occurrence l’octroi de titres restaurant aux seuls salariés de l’entreprise transférée. Ce primat
accordé à la norme collective est problématique à plus d’un titre. D’abord, l’invocation par la Cour de cassation
du mécanisme des avantages individuels pour justifier l’entorse au principe « à travail égal, salaire égal » ne
saurait emporter la conviction. En effet, il convient de rappeler que ce mécanisme légal a été institué pour
tempérer les effets de la dénonciation ou de la mise en cause d’une convention collective lorsque celle-ci n’a
pas été remplacée dans le délai d’un an. Dès lors qu’un accord de substitution a été conclu, comme c’était le
cas en l’espèce, la différence dans l’octroi d’un avantage se trouve dépourvue de toute justification rationnelle.
Ensuite, rien n’autorise les signataires d’une convention collective à s’affranchir des exigences inhérentes à
l’ordre public salarial dont l’égalité de traitement constitue une composante substantielle (7). Enfin, si la
convention collective a indéniablement acquis une place cardinale parmi les sources de la réglementation des
relations de travail, faut-il le rappeler qu’elle demeure une règle juridique privée. La bienveillance dont jouit la
négociation collective dans la jurisprudence de la Cour de cassation se justifie d’autant moins que les réformes
ayant progressivement affecté son architecture générale, loin de contribuer à la transformer en « contre-pouvoir
fort et authentique et donc vecteur d’une confrontation entre les intérêts divergents qui sont en présence » (8), ont
renforcé sa dimension d’instrument de gestion à la disposition des entreprises. Par-delà les reproches que l’on
(1) V. en particulier les deux arrêts en date du 20 février 2008,
C. Radé, « De l’effectivité du principe "à travail, salaire égal" »,
Dr. soc. 2008, p. 530. L’un de ces arrêts est reproduit en p. 525
du présent numéro, le commentaire ne portant toutefois, par
choix de l’auteur, que sur le moyen de droit relatif à la
protection de l’action en justice.
(5) Cass. soc. 3 mai 2006, n° 03-42.920.
(2) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands
arrêts du droit du travail, 4eme édition, Dalloz 2008, 71-73.
(8) M.-A. Souriac et G. Borenfreund, « La négociation collective
entre désillusion et illusions », in Droit syndical et droits de
l’homme à l’aube du XXIe siècle, Mélanges en l’honneur de
Jean-Maurice Verdier, Dalloz 2001, p. 181.
(3) Cass. soc. 18 janvier 2000, Dr. soc. 2000, p. 436, obs. C. Radé.
(4) Cass. soc. 20 février 2008, n° 05-45.601.
(6) Cass. soc. 18 janvier 2006, Dr. Ouv. 2006, p. 491, note A. de
Senga.
(7) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis,
23eme édition, Dalloz 2006, p. 1181 et s.
peut adresser au juge sur le sens et l’étendue de son contrôle des normes conventionnelles à l’aune du principe
« à travail égal, salaire égal », il convient de souligner la responsabilité des syndicats qui, par leur « signature »,
avalisent de telles dispositions. Dans ces conditions, il faut souhaiter que la réforme des conditions
d’acquisition de la représentativité syndicale qui affecte sensiblement les conditions de validité des accords
collectifs et dont l’audience électorale constitue l’épicentre (9), incitera les organisations syndicales à
davantage de prudence.
Isabelle Meyrat
sur la position commune. A propos du devenir (incertain ?) des
syndicats dans l’entreprise », RDT, juillet 2008, p. 431.
Le Droit Ouvrier • OCTOBRE 2008
(9) G. Borenfreund, « Regards sur la position commune du 9 avril
2008. Syndicats : le défi de l’audience », RDT juin 2008,
p. 360. V. également M. Grévy, E. Peskine, S. Nadal, « Regards
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