Télécharger - Fromont Briens
Transcription
Télécharger - Fromont Briens
Cour d’appel UNITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIALE Les critères de reconnaissance de l’UES 371-13 Géraldine Boeuf Avocat CA Lyon, 22 mai 2014, n° 13/07540 CA Lyon, 5 juin 2014, n° 13/08115 Fromont Briens Par deux arrêts rendus les 22 mai et 5 juin 2014, la Cour d’appel de Lyon livre une nouvelle illustration de l’application des principes dégagés par la Cour de cassation en matière de reconnaissance de l’unité économique et sociale. Les faits Dans ces deux espèces, l’objectif affiché des demandeurs tendait à contraindre l’employeur à organiser les élections des représentants du personnel au niveau de l’unité économique et sociale. Ainsi, dans la première affaire (CA Lyon, 22 mai 2014), le syndicat Sud commerces et services Rhône Alpes sollicitait la reconnaissance d’une unité économique et sociale entre les deux sociétés Haagen-Dazs café Terreaux et SF & Cie, en faisant valoir l’identité des activités déployées par chacune d’entre elles, le fait que le gérant de l’une était également cogérant de l’autre et que les salariés étaient soumis à un même statut collectif, ainsi qu’à une clause contractuelle de mobilité, mettant en évidence, selon le syndicat, une permutabilité du personnel entre les deux sociétés. Le Tribunal d’instance de Lyon avait suivi le syndicat dans son argumentation et constaté l’existence de l’unité économique et sociale. Dans la seconde affaire (CA Lyon, 5 juin 2014), une salariée avait saisi le Tribunal d’instance de Lyon en reconnaissance de l’unité économique et sociale entre les trois sociétés Infitel, Excel Invest et Groupe Confiance, postérieurement à une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Le tribunal d’instance avait également accueilli cette demande. Les sociétés concernées ont alors interjeté appel de ces décisions. Les décisions, leur analyse et leur portée Dans les deux affaires, la Cour d’appel de Lyon a dû au préalable se prononcer sur l’intérêt à agir des demandeurs à la reconnaissance de l’unité économique et sociale, avant de se livrer à une Nº 371 8 SEPTEMBRE 2014 analyse précise des éléments de faits versés aux débats par les parties, pour décider de l’existence ou non d’une unité économique et sociale. • Sur l’intérêt à agir en reconnaissance de l’unité économique et social Vanessa Delattre Avocat Fromont Briens Dans la première affaire, les sociétés contestaient l’intérêt à agir du syndicat Sud commerces et services Rhône Alpes, en faisant valoir que ce dernier n’était pas représentatif dans les entreprises concernées. L’on sait que la Cour de cassation reconnaît cet intérêt à agir à l’égard d’un syndicat représentatif (Cass. soc., 26 nov. 2003, n° 02-60.732). Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, tous les syndicats qui satisfont aux critères du respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constitués depuis au moins deux ans dans le champ professionnel et géographique de l’entreprise, doivent être invités à négocier le protocole d’accord préélectoral et à présenter leurs candidats. Par conséquent, pour la Cour d’appel de Lyon, le syndicat demandeur, bien que non représentatif, disposait nécessairement d’un intérêt à solliciter la reconnaissance de l’unité économique et sociale. Dans la seconde affaire, les sociétés appelantes contestaient l’intérêt à agir de la salariée, dans la mesure où elle avait introduit une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes avant la requête devant le tribunal d’instance. Selon les sociétés appelantes, la salariée ne faisait ainsi montre que d’un intérêt purement personnel lié à la procédure pendante devant la juridiction prud’homale. Jurisprudence Sociale Lamy 27 Cour d’appel La cour d’appel rejette cet argument, rappelant que la seule qualité de salarié suffit à caractériser l’intérêt à agir, peu important le fait que la demanderesse tire des avantages pour elle-même de faire consacrer l’existence de cette unité économique et sociale. En l’espèce, les Magistrats relèvent que son licenciement n’était pas acquis à la date de la saisine de la juridiction prud’homale, l’objet de cette procédure étant précisément de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Cette position est conforme à celle de la Cour de cassation qui considère qu’un salarié dont le licenciement pour motif économique a été notifié avant la saisine du tribunal d’instance est irrecevable dans son action, n’étant plus salarié de l’entreprise (Cass. soc., 16 nov. 2010, n° 09-40.555). • Sur les critères de reconnaissance de l’unité économique et sociale Pour rappel, la reconnaissance d’une unité économique et sociale suppose la caractérisation cumulative par le demandeur d’une unité économique et d’une unité sociale. En la matière, on rappellera que l’unité économique se caractérise par une concentration des pouvoirs de direction (Cass. soc., 27 juin 1990, n° 89-60.033), ainsi qu’une identité ou une complémentarité des activités déployées par les différentes entités (Cass. soc., 24 mars 1988, n° 87-60.403). Quant à l’unité sociale, celle-ci repose sur l’existence d’une communauté de travailleurs liés par les mêmes intérêts, résultant d’un statut social et de conditions de travail similaires (Cass. soc., 17 mai 1994, n° 93-60.394), étant précisé que la permutabilité des salariés reste le principal critère mis en avant par les juridictions pour conclure à l’existence d’une communauté de travailleurs (Cass. soc., 3 févr. 1993, n° 92-60.298). Les critères dégagés par la Cour de cassation sont nombreux mais n’ont pas à être tous réunis pour caractériser l’unité économique et sociale : les juges du fond doivent se fonder sur un faisceau d’indices tendant à démontrer la réalité de l’unité économique et de l’unité sociale. Dans les deux espèces commentées, la cour d’appel fait une stricte application de ces principes. Toutefois, si, dans les deux cas, l’existence d’une unité économique entre les différentes sociétés apparaissait évidente pour la cour d’appel, tel n’a pas été le cas de l’unité sociale. En effet, dans les deux affaires, la cour d’appel a considéré que l’unité économique était établie, en retenant les éléments suivants : • une identité d’activité des sociétés considérées (vente et dégustation de crèmes glacées), dans la première espèce, et une complémentarité d’activité entre les sociétés (structure commerciale et structure de télémarketing) dans la seconde ; • la concentration des pouvoirs de direction sur une même personne, des liens capitalistiques étroits entre les différentes 28 sociétés concernées, voire, dans la seconde espèce, une présentation de ces sociétés sur leur site internet renforçant, à l’égard du public, ce lien entre elles. Plus délicate en revanche a été la question de l’unité sociale. La cour d’appel, après avoir rappelé que la communauté de travailleurs présente deux caractères principaux : « l’existence d’éléments du statut collectif identiques » et « l’existence de permutations des salariés à l’intérieur de l’unité économique et sociale », va alors comparer les situations d’emploi des salariés des différentes entreprises. La cour d’appel s’est ainsi livrée à une analyse précise des éléments de faits portés à sa connaissance pour décider, sur la base d’un faisceau d’indices, de l’existence ou non d’une unité sociale au regard principalement du critère de permutabilité des salariés. C’est dans ces conditions que l’unité sociale a été reconnue entre les deux sociétés Haagen-Dazs café Terreaux et SF & Cie, la cour retenant l’existence d’une permutabilité des salariés caractérisée par l’insertion dans les contrats de travail d’une clause de mobilité permettant à l’employeur de muter les salariés « dans un autre magasin (HD CAFE TERREAUX ...) » et par le fait que les salariés des deux sociétés étaient soumis, au regard de leurs plannings, à une rythme horaire quasi identique. À l’inverse, dans la seconde affaire, la Cour écarte l’existence d’une unité sociale entre les sociétés Infitel, Excel Invest et Groupe Confiance. En effet, bien que la gestion de la paie ait été assurée par un service du personnel commun aux trois sociétés, la Cour considère que cet élément ne suffit pas, à lui seul, à caractériser une communauté de travailleurs. Appréciant les conditions concrètes de travail des salariés, la cour d’appel relève que les métiers des deux principales sociétés sont différents, exécutés dans des conditions différentes, les uns étant sédentaires au sein d’un plateau de téléprospection, les autres étant principalement itinérants et répartis sur l’ensemble du territoire. De même, la cour d’appel relève que les niveaux de formation et de compétences ne sont pas comparables, que les conventions collectives appliquées et les politiques de rémunération sont différentes, mais également que les régimes de protection sociale complémentaire souscrits auprès d’organismes assureurs sont distincts. Enfin, la cour stigmatise la rareté des mutations de salariés entre ces trois structures et surtout le fait que, lorsqu’une telle mutation est intervenue, les salariés concernés ont été amenés à exercer un tout autre métiers dans l’entreprise d’accueil, sans rapport avec leur ancien poste. Autant d’éléments démontrant l’absence de permutabilité des salariés entre les trois sociétés concernées. Faute de pouvoir caractériser l’unité sociale, l’unité économique et sociale a donc été écartée par la cour d’appel. Jurisprudence Sociale Lamy Nº 371 8 SEPTEMBRE 2014