Que reste-t-il du 21 avril 2002 trois ans après ?

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Que reste-t-il du 21 avril 2002 trois ans après ?
Que reste-t-il du 21 avril 2002 trois ans après ?
21 avril 2005 – David-Alexandre Angella.
Séisme, choc, catastrophe politique, stupeur démocratique… tout les superlatifs se sont
bousculés dans la bouche des journalistes, des politiques et de bons nombres de citoyens quand
ce dimanche 21 avril 2002, à 20h, le portrait des deux candidats à l’élection présidentielle que les
Français ont souhaité voir au second tour apparaissent sur les écrans de télévision. Jacques Chirac
est bien là, en tête devant son rival. Est-ce Lionel Jospin ce rival ? Ce sera Jean-Marie Le Pen,
Président du Front National qui dépasse le premier ministre socialiste de près d’un point.
Les unes des journaux locaux, nationaux et même internationaux se font l’écho de cette décision
des Français. La une de Libération du lendemain est claire, en imprimant le visage fermé du patron
du FN sur un fond noir, avec indiqué simplement par dessus un énorme « NON ! ». Les
manifestations regroupèrent plusieurs millions de personnes dans toute la France pour montrer la
détermination de beaucoup à s’opposer à la montée continue du Front National qui inquiète ; les
reportages télévisés, quant à eux, se succédaient pour tenter de trouver une explication à ce choix
démocratique du peuple souverain que peu avait pu imaginer.
Pourquoi ce vote ?
Les scores du FN sont en croissantes progression depuis 20 ans. Jean-Marie Le Pen a fait
d’un mouvement anonyme de la fin des années 70, une formidable machine à propagande,
présente à toutes les élections des cantonales aux européennes. Et le discours, lui, n’a pas changé
d’un pouce. L’avantage que possède le FN sur les autres partis politiques, et qu’il est un parti
uniquement d’opposition, quel que soit la majorité au pouvoir. Même sous des gouvernements de
droite, le FN se retrouve en dehors du jeu du pouvoirs. Cette position, qui serait un fardeau pour
certains mouvements et courants de pensée, et pour le parti de Le Pen la possibilité de ne pas
avoir à se heurter aux contraintes des gouvernants : compromis, négociations, décisions politiques
délicates, réformes. Ainsi, le FN peut se vanter d’avoir la même ligne politique depuis tant d’année.
Fort de cette solidité d’apparence, il est alors très facile de dire que les problèmes d’insécurité,
d’immigration, d’impôts et j’en passe, auraient été réglés depuis longtemps si les thèses racistes,
xénophobes et populistes que défend le parti avaient été mises en œuvre.
A cela, ajoutez une période de cohabitation (1997-2002) mêlant président de droite et
gouvernement de gauche (ce qui a pu provoquer une perte de repères), et vous obtenez la formule
miracle pour que 16,86 % des suffrages exprimés se portent sur Jean-Marie Le Pen. Ajoutez un
soupçon de Bruno Mégret (M.N.R.) et le score cumulé de l’extrême droite atteint 19,2 % :
quasiment autant que Chirac (19,88).
Cette explication serait incomplète si on ne parlait pas des médias télévisés qui, je pense, ont joué
un rôle dans le sentiment de peur de certains de nos concitoyens. Dans les jours qui ont précédé le
scrutin, les reportages sur des personnes âgés agressées ou des mères de famille empêchés de
rentrer chez elle à cause de « l’occupation » de leur hall d’immeuble, ont fini de convaincre certains
de la nécessité de changement radical de politique.
L’après scrutin.
Le sursaut démocratique a eu lieu : Le Pen est battu à plat de couture. Des électeurs de
droite, certains de gauche et même d’extrême droite du premier tour offrent 82,21 % des voix au
président sortant, faute de mieux. Le président Chirac est alors un président, non pas de
consensus, loin de là, mais de compromis. Une solution entre un régime démocratique et un régime
autocratique que Jean-Marie Le Pen aurait instigué. Les électeurs de gauche attendaient un signe
vers une politique sociale et solidaire plus forte, une sorte de recentrage de la chose publique au vu
de leurs soutiens à Chirac au second tour.
La réponse de Chirac sera Raffarin 1, puis Raffarin 2, et enfin Raffarin 3. Autant, dire, aucune
réponse à la détresse sociale que traverse le pays. Depuis, le chômage est repassé au-dessus des
10 % de la population active, les déficits publics sont abyssaux, le lundi de pentecôte est supprimé,
le manque de réactivité du gouvernement durant la canicule de 2003 fera 15.000 victimes, la
suppression de la TIPP (taxe sur l’essence) flottante plombe le budget des ménages, les demandes
de RMI ne cessent d’exploser.
Quelle solution pour nous après la gauche et la droite traditionnelles seraient amené à penser
certains ? Les Français en ont « ras le bol », ils s’inquiètent de leur avenir et l’approche du
référendum sur la constitution européenne n’arrange rien. Une nouvelle fois, le Front National va à
contre-courant des mouvements politiques traditionnels et prônant un « non » ferme et définitif à ce
projet. Quelque en soit l’issu, la campagne référendaire est le tuyau par lequel le FN fera passé son
message, en recentrant le débat sur des sujets franco-français et ainsi, se positionnera comme
l’idéal d’alternance pour les présidentielles de 2007.
Les quatre années qui nous sépare du 21 avril 2003 n’ont, pour moi, rien changés au moral
des Français, peut-être sommes-nous d’ailleurs plus maussades qu’alors. L’espace dans lequel les
personnalités politiques, de droite comme de gauche, auraient dû s’engouffrer après le 21 avril est
resté désespéramment vide d’idées et d’actions pour combattre les idées de la bande à Le Pen. Le
Front National est prêt à la bataille, la nouvelle tête de file est connue (ce sera Marine Le Pen si le
patriarche passe la main entre-temps) et l’arsenal est sur le pont. Je ne suis pas convaincu que
nous ne nous apprêtions pas à vivre un nouveau 21 avril en 2007, et que certains Français ne
soient pas charmés par le chant des fausses sirènes de l’extrême droite. Cette perspective
m’inquiète déjà.
« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds.
Agissez au lieu de bavarder.
Voila ce qui pour un peu aurait gouverné le monde !
Les peuples ont eu raison, mais il ne nous faut pas chanter victoire, il est encore trop tôt :
Le ventre est encore fécond, d'ou a surgi la bête immonde ».
B BRESCHT, 1941, la résistible ascension d'Arturio Ui

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