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SQUAT EN SEINE : CONDITIONS DE SECURITE ACTUELLES ET IMPACT DE L’APPROFONDISSEMENT 1 par A. Gallicher Lavanne et P. Tournier 2 Le Port de Rouen a pour projet d’approfondir son chenal d’accès. Dans ce cadre, une étude a été réalisée pour vérifier les conditions de navigation actuelles notamment liées aux tirants d’eau. Une campagne de mesures menée en 2008 a permis d’estimer, d’une part, la variation de tirant d’eau lors du transit due au phénomène de squat et d’autre part, par comparaison avec les formules issues de la littérature, d’estimer l’impact du projet sur ce phénomène. Les résultats de ces mesures et de leur exploitation valident les conditions actuelles de navigation ainsi que le bon dimensionnement du projet. 1. CONTEXTE ET OBJET DE L’ETUDE La présente étude a été réalisée dans le cadre du projet d’amélioration des accès maritimes du Grand Port Maritime de Rouen qui permettra d’augmenter la capacité nautique du chenal de navigation de 1 mètre en faisant passer les tirants d’eau maximaux de 10,30 m à la descente et 10.70 à la montée à Rouen à respectivement 11,30 m et 11.70. Les mesures présentées dans ce document ont pour objectif de valider l’adéquation des pratiques de navigation au gabarit du chenal actuel en évaluant en particulier le surenfoncement dynamique des navires et leur clair sous-quille effectif lors des transits dans le chenal d’accès à Rouen. Cette évaluation a permis de mettre en évidence les formules théoriques d’évaluation du surenfoncement dynamique les plus pertinentes pour le chenal de Rouen et d’en déduire les valeurs probables de surenfoncement des plus gros navires appelés à transiter dans le chenal approfondi. Ainsi, les profondeurs du chenal théorique défini dans le programme d’amélioration des accès nautiques du port de Rouen ont pu être validées en termes de clair sous quille disponible dans chaque section du transit. Pour le chenal d’accès à Rouen, ce sont les pilotes de Seine qui fixent au jour le jour les tirants d’eau maximaux de montée et de descente, en fonction des conditions bathymétriques et météorologiques du jour ainsi que du type de navire. Ces tirants d’eau intègrent un « pied de pilote » permettant de prendre en compte les variations dues à la houle (tangage, roulis, pilonnement) ainsi que l’incertitude sur la connaissance des fonds (sondage et variations naturelles). Le tirant d’eau d’un navire se déplaçant varie en fonction de nombreux facteurs dont, notamment: son clair sous quille, la largeur du chenal, sa vitesse, et les courants rencontrés. Cette variation est appelée « squat », venant de l’anglais to squat, « s’accroupir ». Ce terme désigne le surenfoncement dynamique d’un navire par rapport à son tirant d’eau statique, mesuré à l’arrêt. Les mesures présentées dans la suite de ce document ont été réalisées dans des conditions réelles d’exploitation sur des navires transitant avec de forts tirants d’eau en Seine. La démarche du Port de Rouen est constituée de cinq étapes : Réalisation d’une campagne de mesures sur des navires ciblés, Exploitation des résultats issus de l’analyse des données collectées, Comparaison des résultats avec les formules issues de la littérature, Synthèse et conclusions pour les conditions actuelles de navigation en Seine, Extrapolation des résultats aux conditions futures de navigation dans le chenal approfondi. 1 Ingénieur d’étude, Grand Port Maritime de Rouen, France, [email protected] Chef du service du chenal et des aides à la navigation, Grand Port Maritime de Rouen, France, [email protected] 2 1 / 18 La campagne de mesures ciblée sur des navires approchant le tirant d’eau maximum admissible a été réalisée lors de différents coefficients de marée (marée moyenne, mortes eaux, vives eaux), à bord de navires montant et descendant ainsi que sur différents types de bateaux et donc différentes formes de carène (porte-conteneurs, vraquiers, pétroliers, Ro-Ro). 2. PRESENTATION DU DISPOSITIF DE MESURE 2.1 Principe de la mesure Pour effectuer avec une précision suffisante la mesure de squat, deux stations de mesures GPS différentiels ont été utilisées, l’une étant placée à l’avant du navire et l’autre à l’arrière afin de mesurer les variations des différents tirants d’eau ainsi que de l’assiette. La photo ci donnée en Figure 1 montre le dispositif de mesure. Figure 1 : Photographie de l'installation du dispositif de mesures Les mesures sont prises par pas de temps de 10 secondes. Cet intervalle entre deux mesures est issu d’un compromis entre la nécessité d’avoir une densité de points la plus importante pour s’assurer d’obtenir une bonne représentativité du phénomène squat et la contrainte matériel. Le trajet de Rouen à la mer étant long, près de 130 km et 7 h, le nombre de données enregistrées devient rapidement très important avec la fréquence d’acquisition. De plus, la fréquence de mesure influe directement sur l’autonomie de la batterie. Le matériel utilisé est le récepteur GPS Trimble 5700, couplé avec un carnet de terrain. Le système GPS permet d’obtenir avec l’intégration des corrections dues aux perturbations atmosphériques une incertitude de ± 5 cm. Ces corrections sont mesurées en permanence par le port aux quatre stations de référence situées le long de la Seine et permettent de couvrir l’ensemble du chenal d’accès, de Rouen à l’Engainement. Ces corrections sont transmises directement aux récepteurs GPS par signal radio et intégrées à la mesure automatiquement. 2.1.1 Variation du plan d’eau due à la marée Le Port dispose d’un réseau de 22 marégraphes répartis régulièrement le long de la Seine. Cette connaissance de la marée en Seine permet de calculer une marée « locale » en chaque point de mesure par interpolation géographique et chronologique des mesures de hauteur d’eau fournies par pas de 5 minutes. 2 / 18 2.1.2 Variation du tirant d’eau due à la salinité La salinité varie pendant la montée en Seine, depuis l’engainement où l’eau est salée en permanence jusqu’à Aizier (PK 324), limite extrême de remontée du front de salinité. Cette variation entraîne un changement de densité de l’eau et, par conséquent, du tirant d’eau moyen du navire. Ce changement de densité s’accompagne souvent d’une modification de l’assiette du navire, cette modification variant en fonction de la forme de la carène et de son chargement. Le dispositif de mesure utilisé ne permet pas de dissocier dans la partie aval, le déjaugeage dû à un changement de densité de l’eau de la modification de l’assiette du navire et du squat. Aussi, dans la suite de l’étude, le terme « squat » comprendra la variation du tirant d’eau due à ces trois phénomènes concomitants et correspondra donc à la variation instantanée de tirant d’eau constaté lors du transit. 2.2 Navires étudiés Les navires ont été choisis en fonction de leur tirant d’eau proche des capacités du chenal et de leur forme de carène. Plusieurs types de navires ont pu être étudiés : Porte-conteneurs, Rouliers, Vraquier (Céréaliers, Pétroliers et Minéralier). Ce choix a fait l’objet d’une concertation avec les Pilotes qui ont aidé à cibler au mieux les navires présentant un fort potentiel de squat. Les conditions de navigation (vitesse) et hydrodynamiques (hauteur d’eau et courant) rencontrées en Seine étant différentes pour les navires montant et descendant à Rouen, ces deux types de parcours ont été étudiés. Le Tableau 1 synthétise les caractéristiques des navires étudiés, le sens montant ou descendant et le coefficient de marée. Nom Type Longueur Largeur Trajet Coefficient Marée Virana Delmas Ro-Ro 182.51 32.26 Montée 77 Lucie Delmas Ro-Ro 196.5 32.29 Montée 62 Bro Juno Pétrolier 119.92 20.99 Montée PJ 74 Maersk Rosyth Pétrolier 171.2 27.43 Montée PJ 52 Stones Minéralier 166.3 24.75 Montée 46 Richard Maersk Pétrolier 171.2 27.4 Descente 70 Kotor Céréalier 175.01 26.04 Descente 48 Patent Céréalier 176.86 29.4 Descente 55 30.2 Descente 100 Fort Saint Louis Porte conteneurs 197.2 Tableau 1 : Liste des navires étudiés et leurs caractéristiques 2.3 Principaux facteurs influençant le squat 2.3.1 Vitesse surface du navire La principale cause du squat est la vitesse du navire par rapport à la surface. Le squat croit très vite avec la vitesse, les deux étant liés par une loi en puissance de deux ou plus. Il faut également noter que même un navire à quai squatte dès lors qu’il est soumis à un courant de marée par exemple. Par contre, dès lors qu’il transite, le phénomène apparaît quelles que soient les conditions, en canal ou en pleine mer. La Figure 2, issue de nos mesures, illustre bien cette dépendance. 3 / 18 Figure 2 : Influence de la vitesse surface sur le squat 2.3.2 Clair sous quille Pour un navire à vitesse donnée, le paramètre essentiel faisant varier le squat est le clair sous quille. En effet, plus la hauteur d’eau disponible est faible, plus le squat augmente. Lorsque la profondeur est faible, l’écoulement sous le navire se trouve accéléré sur toute la hauteur d’eau disponible sous la quille, ce qui entraîne une dépression amplifiée et donc un squat plus important. Parmi de nos mesures, le Patent nous permet d’apprécier clairement cette influence sur la partie aval de l’estuaire. Cette influence est représentée par la relation entre le squat et le rapport H/T, hauteur d’eau sur tirant d’eau. Les résultats sont présentés en Figure 3. Figure 3 : Influence du clair sous quille sur le squat 4 / 18 3. PRESENTATION DES RESULTATS 3.1 Résultats présentés Les résultats issus des mesures et de leur traitement font apparaître plusieurs paramètres. Ces paramètres sont : le squat déterminant de chaque navire, la vitesse surface du navire au cours de son trajet et le clair sous quille. Ces paramètres sont présentés dans cette partie avant de voir les résultats proprement dits. 3.1.1 Choix du squat déterminant Pour chaque navire, les squats avant et arrière ont été mesurés. Parmi ces deux mesures, le squat déterminant est celui qui influe directement sur le tirant d’eau maximum. Il dépend des tirants d’eau avant et arrière ainsi que de leurs variations respectives. Le Tableau 2 présente les tirants d’eau observés ou mesurés en eau douce (à Rouen essentiellement ou à Port Jérôme) et le squat pris en compte pour la variation du tirant d’eau maximum. Navire TE avant TE arrière Squat déterminant Virana Delmas 7.4 8.26 Arrière Lucie Delmas 8.15 10 Arrière Bro Juno 9.75 9.49 Avant Maersk Rosyth 9.5 9.5 Avant Stones 10.40 10.55 Avant Richard Maersk 10.3 10.3 Avant Kotor 9.95 9.95 Avant Patent 9.73 9.82 Avant Fort St Louis 7.8 9.5 Arrière Tableau 2 : Tirant d’eau des navires et squat déterminant Remarque : Les mesures sont conformes à ce que prévoit la littérature : le squat déterminant dépend du type de navire, arrière pour les rouliers et porte-conteneurs (navires fins) et avant pour les vraquiers (navires pleins de formes). Il dépend également de l’assiette statique des navires mais, du fait que les rouliers et porteconteneurs ne sont chargés que partiellement cette influence peut être négligée. 3.1.2 Vitesse surface Le squat dépendant fortement de la vitesse, les résultats font également apparaître la « vitesse surface » du navire le long de son trajet. La « vitesse surface » se définit comme la vitesse du navire par rapport à l’eau. C’est cette vitesse qui est importante pour appréhender le squat. Pour l’obtenir à partir de nos mesures GPS donnant la vitesse sur le fond, nous avons utilisé un modèle hydrodynamique TELEMAC 2D, co-développé par le GPMR et le bureau d’étude SOGREAH. Ce modèle nous permet d’obtenir en tout lieu et pour tout coefficient de marée la vitesse du courant rencontré par le navire. 3.1.3 Choix de la sonde Afin de connaître le plus précisément possible le clair sous quille de chaque navire, la trajectoire issue des mesures a été étudiée et les sondes correspondantes extraites des levés bathymétriques du GPMR. De cette manière, il a été possible d’appréhender au mieux la pratique du chenal par les pilotes qui optimisent leur navigation en fonction des sondes contraignantes du chenal. 5 / 18 La sonde relevée correspond à la sonde maximale présente sous le navire. Elle diffère de la sonde moyenne sous la quille qui représente le fond perçu par le navire. 3.1.4 Clair sous quille Afin d’évaluer la marge de sécurité sur les profondeurs effectivement disponible pour chacun des transits étudiés, le clair sous quille est également tracé. Le clair sous quille, noté UKC (pour « UnderKeel Clearance ») est calculé comme suit : 3.2 UKC = hauteur d’eau – (tirant d’eau + squat) Avec la hauteur d’eau calculée par la relation : h = hmarée – sonde Résultats par navire Les Figures 4 à 12 présentées infra synthétisent les résultats obtenus après traitement des mesures faites à bord. Les résultats sont présentés sous forme de profil en long du chenal de Seine. Les distances sont matérialisées classiquement par des PK (points kilométriques). Les principaux lieux sont donnés dans le Tableau 3 : Lieu PK Rouen 245 La Bouille (extrémité aval du port) 259 Duclair 278 Le Trait 300 Caudebec (station de relève des Pilotes) 310 Aizier (limite extrême de salinité) 325 Port Jérôme 330 Pont de Tancarville 338 Honfleur 355 Engainement 372 Tableau 3 : Localisation des principaux lieux Figure 4 : Résultats pour le Virana Delmas 6 / 18 Figure 5 : Résultats du Lucie Delmas Figure 6 : Résultats du Bro Juno Figure 7 : Résultats du Maersk Rosyth 7 / 18 Figure 8 : Résultats du Stones Figure 9 : Résultats du Richard Maersk Figure 10 : Résultats du Kotor 8 / 18 Figure 11 : Résultats du Patent Figure 12 : Résultats du Fort St Louis 9 / 18 3.3 Synthèse des résultats Le Tableau 4 synthétise les principaux paramètres représentés dans les graphiques. Navire Squat (m) Vitesse surface (nds) Clair sous quille (m) Moyenne Max Moyenne Max Moyenne Min Virana Delmas 0.44 0.77 10.26 13.26 6.23 3.59 Lucie Delmas 0.37 0.92 9.71 13.24 4.15 1.78 Bro Juno 0.41 0.79 10.73 12.98 4.64 1.77 Maersk Rosyth 0.41 1.02 9.62 12.27 3.80 1.42 Stones 0.35 0.79 9.24 11.30 3.19 1.13 Richard Maersk 0.66 1.13 9.21 12.13 2.18 0.17 Kotor 0.50 0.91 8.84 10.93 2.36 0.37 Patent 0.47 0.78 8.78 11.04 2.58 0.63 Fort St Louis 0.32 0.74 9.49 14.61 3.40 0.80 TOUS 0.44 1.13 9.43 14.61 3.49 0.17 Tableau 4 : Synthèse des résultats 3.4 Principales observations 3.4.1 Vitesse des navires Les navires effectuent le trajet Engainement – Rouen avec une vitesse proche de 10 nœuds avec des variations dues à des passages au droit d’appontements (ex : Port Jérôme), de croisement de navires, passages de courbes ou relève des pilotes. Il faut noter également une différence importante entre les navires montant et descendant : les montant gardent une vitesse quasi constante proche de 10 nds tout le long du trajet alors que les descendant ont une vitesse faible de l’ordre de 8-9 nds sur la partie amont (avant Aizier) et plus importante proche de 11 nds ensuite. Cela s’explique par le principe même de la navigation en Seine : les navires descendant naviguent en jusant jusqu’à Vatteville où ils rencontrent la basse mer à l’endroit le plus profond de la Seine puis doivent faire face au courant de flot pour sortir de l’estuaire, les navires montant transitent avec la marée de sorte à être en tout point de la Seine proches de la marée haute locale. 3.4.2 Squat On note que pour plus la moitié des navires suivis, le squat maximum enregistré est inférieure à 80 cm. Deux navires présentent des squats dépassant le mètre : le Richard Maersk et le Maersk Rosyth, deux navires pleins de forme avec des forts tirants d’eau. La moyenne des squats mesurés pour l’ensemble des transits en Seine est proche de 45 cm. Les valeurs du squat sont fortement dépendantes de la vitesse. Vu les contraintes de navigation, il existe de nombreuses zones où le navire doit réduire sa vitesse : au niveau des appontements de Honfleur (PK 355 environ) ou Port Jérôme Radicatel (PK 330- 336) et au moment de la relève des pilotes. De ce fait, le squat mesuré dans ces zones est toujours faible, inférieur à 45 cm. 10 / 18 Ailleurs, les pics locaux pour tout navire atteignent 70 cm avec des maximums pouvant dépasser 1 mètre sur 3 secteurs bien identifiés : à la rencontre du front de marée à Vatteville pour les navires descendant où la montée rapide du plan d’eau doit avoir une influence importante sur le squat en dépit de vitesses faibles, dans la zone comprise entre les ponts de Tancarville et de Normandie, zone où les fonds sont généralement contraignants pour la navigation, à l’aval d’Honfleur, où la vitesse enregistrée est élevée et les fonds profonds. A Vatteville, pour les navires descendant, il s’agit également d’une zone où les navires montant avec un tirant d’eau faible croisent les forts tirants d’eau descendant. Il est connu que le croisement est un facteur aggravant le squat. Cela provient du fait que la section au droit du navire est brutalement réduite. De plus, cela peut introduire du tangage (oscillation du navire d’avant en arrière) qui accentue la perception du squat. Cela est très net dans le cas du Richard Maersk. Le graphique donné en Figure 13 montre les résultats obtenus dans cette zone après un croisement. Figure 13 : Illustration du tangage d’un navire En moyenne, c’est sur la partie aval que le squat est plus important. Cela est dû à deux facteurs prépondérants : la vitesse et la proximité du fond. A l’aval, que le navire monte ou descende, sa vitesse est supérieure à 10 nds, plutôt proche de 11 nds en moyenne et à l’estuaire, en aval de Tancarville, il existe des points hauts qui amplifient le squat. Sur la partie amont, il n’y a pas concordance de ces deux facteurs : les montant ont une certaine vitesse mais ont de l’eau sous la quille et les descendant naviguent plus près du fond (c’est la partie limitante d’un point de vue des tirants d’eau) mais avec une vitesse plus faible du fait qu’ils accompagnent le jusant. 3.4.3 Clair sous quille Les résultats concernant le clair sous quille font apparaître qu’en moyenne les navires transitent avec près de 3,50 mètres d’eau sous la quille. Les fonds du chenal d’accès au port sont irréguliers avec une alternance de fosses de points hauts. Les points hauts contraignants pour la navigation sont bien connus. Ce sont principalement : L’engainement (PK 365 – 370) et la zone située entre les deux ponts (PK 346 – 355) : ces lieux sont contraignants pour les navires à la montée et à la descente et sont navigués uniquement à pleine mer, La zone de Vatteville (PK 321 – 325) : les descendant rencontrent la basse mer peu avant et leur transit est calculé pour arriver sur zone en début de flot. Ils passent dans cette zone au plus tôt à vitesse faible et donc avec un clair sous quille réduit. Au minimum, le clair sous quille après déduction du squat est supérieur à 1mètre pour les navires montant et reste supérieur à 30 cm pour tous les descendant exceptés pour le Richard Maersk. Ce navire présente un clair sous quille réduit à la prise de flot vers Vatteville du fait d’un squat important dans cette zone, probablement lié au croisement de plusieurs navires. 11 / 18 Ces résultats montrent : Que le chenal d’accès au port de Rouen est bien dimensionné en termes de gabarit, Que la connaissance de la Seine et des conditions complexes de navigation dans le chenal d’accès à Rouen (hauteurs d’eau et profondeurs variables dans un chenal long et sinueux) ainsi que l’expérience des pilotes permettent d’optimiser les capacités du chenal sans affecter la sécurité de la navigation. 4. DETERMINATION DES CONDITIONS DE NAVIGATION EN SEINE Le professeur C. Barrass est un éminent spécialiste du phénomène. A ce titre, il a effectué des expertises sur de nombreux accidents maritimes et a formulé diverses formules selon les conditions de navigation. Nous avons comparé spécifiquement les résultats avec les formules d’évaluation du squat qu’il a établies car ce sont les plus utilisées dans le monde maritime, et notamment par les armateurs et les équipages. Cela s’explique par le fait que leur utilisation est simple et que les valeurs calculées majorent généralement le surenfoncement, ce qui garanti la sécurité de leur utilisation. Ces formules font intervenir peu de facteurs et peuvent être facilement calculées par les équipages. Ces facteurs sont : la vitesse surface du navire, le coefficient de bloc issu des tables hydrostatiques, et les caractéristiques du chenal, largeur du chenal et hauteur d’eau. 4.1 Hypothèses et notations 4.1.1 Coefficient de bloc Cb Le coefficient de bloc d’un navire est un critère de forme de carène. Plus un navire est fin et profilé, plus son coefficient de bloc est faible : c’est le cas des navires rapides type ferry ou porte-conteneurs. A l’inverse, les vraquiers sont des navires aux formes pleines avec des coefficients de blocs pouvant aller jusqu’à 0.9 pour les supertankers type ULCC (Ultra Large Crude Carrier). Ce coefficient se calcule à partir des tables hydrostatiques du navire en fonction du tirant d’eau. Il est défini par le rapport entre le volume immergé du navire et celui du parallélépipède rectangle dans lequel il s’inscrit. Le Tableau 5 ci dessous, issu de l’AIPCN, montre les Cb typiques des principales catégories de navires. Coefficient de bloc typique (Cb) AIPCN Tankers 0.85 Bulk Carriers 0.72 – 0.85 Container Ships 0.60 – 0. 80 General Cargo 0.72 – 0..85 Ro-Ro Vessels 0.70 – 0.80 Ferry 0.55 – 0.65 Tableau 5 : Coefficients de bloc par type de navire (source : AIPCN) 4.1.2 Notations Sont ici présentées les principales notations utilisées : V : vitesse surface du navire en nœuds Cb : coefficient de bloc du navire 12 / 18 S : coefficient de blocage du navire, rapport entre les sections du navire et d’écoulement, S= AS 1 = B H AC × b T B : largeur du chenal au fond b : largeur du navire H : hauteur d’eau T : tirant d’eau statique du navire 4.2 Comparaison des résultats avec les formules de Barrass 4.2.1 Présentation des formules S Formule globale (1981) : e = C b × 1− S 2/3 V 2.08 × 30 Formules simplifiées (les plus utilisées notamment par les armements) : e = Cb × V2 en mer ouverte 100 e = Cb × V2 en eau restreinte 50 4.2.2 Notions de mer ouverte et eau restreinte Le squat d’un navire dépend des conditions d’écoulement de l’eau autour de sa coque et la dépression créée par son passage. Ainsi, il est clair que, pour une profondeur donnée, plus les parois latérales sont proches, plus la vitesse de l’écoulement au droit du navire sera rapide et donc plus l’enfoncement sera important. Inversement, en mer ouverte, il n’y a pas d’influence de parois ou de restriction de section, l’accélération des filets d’eau est donc atténuée par le volume disponible. Cela étant dit, Barrass propose la notion de largeur d’influence : cette largeur dépend du Cb du navire via la relation : Où CW = [ ] Weff = 7.7 + 4.5 × (1 − CW ) × B 2 1 2 + × Cb 3 3 Cette largeur d’influence correspond à la section maximale influencée par le passage du navire. Le Tableau 6 donne des exemples de largeur d’influence pour différents types de navires. Type de navire Coefficient de bloc Cb Largeur d’influence Navire virtuel ayant la forme d’un parallélépipède rectangle 1 7.7 x b Pétroliers 0.9 7.9 x b Cargo 0.7 9.5 x b Paquebots 0.625 10.51 x b Porte conteneurs 0.555 11.75 x b Remorqueur 0.5 12.81 x b Tableau 6 : Largeur d’influence par type de navire 13 / 18 Dans le cas d’un calcul de squat en mer ouverte, le coefficient de blocage S est calculé avec cette largeur d’influence : S= 1 Weff H × b T De prime abord, on peut donc considérer que les conditions de navigation sont de type « mer ouverte » si la largeur du chenal est supérieure à la largeur d’influence. Remarque : le chenal d’accès au port de Rouen a une largeur de 120 m sur sa partie amont, jusqu’au PK 338, puis 200 m jusqu’au PK 365 avant de s’élargir considérablement dans sa partie la plus aval. (Voir Figure 14 ci après) Selon ce critère, la partie amont répond à la définition de condition en eau restreinte pour tous les types de navires et la partie l’aval, à celle de mer ouverte pour les navires les moins larges (b < 25 m). Figure 14 : largeur théorique du chenal NB : cette largeur est théorique, la largeur réelle du chenal dépend de la bathymétrie et de l’évolution des fonds. Elle peut être réduite comme à l’estuaire où actuellement des abandons sont admis. 4.2.3 Comparaison des résultats avec les diverses formules de Barrass Les mesures présentées ici ne concernent que la partie amont de Tancarville (PK 338). Cette partie, communément appelée « rivière » en opposition à « l’estuaire », est la plus étroite. Le chenal a une largeur théorique de 120 mètres, exceptée autour du PK 330 où il fait 300 m. Exemple du Kotor Pour rappel, le Kotor est un navire céréalier de dimensions 175 m x 26 m. Il a effectué la descente depuis Rouen avec un tirant d’eau avant de 9.95 m. Son coefficient de bloc a été fixé à 0.85. La Figure 15 représente le squat calculé par les deux formules de Barrass, simplifiée et générale, pour les deux conditions d’écoulement, eau ouverte ou eau restreinte, en fonction du squat mesuré. 14 / 18 Figure 15 : Kotor : Comparaison des mesures avec les formules de Barrass pour le choix des conditions d’écoulement Ce graphique montre bien que l’hypothèse de conditions d’écoulement en eau restreinte conduit à une surestimation forte du squat : + 49% avec la formule générale et même + 126 % avec la formule simplifiée utilisée par les bords. Avec l’hypothèse de mer ouverte, les deux formules présentent dans ce cas une bonne estimation du phénomène avec une surestimation de 13 % avec la formule simplifiée et une sous estimation de 12 % avec la formule générale. Exemple du Stones Le Stones est un navire minéralier de dimensions 166.3 m x 24.75 m. Il est monté à Rouen avec un tirant d’eau de 10.50 m. Le coefficient de bloc, relevé à bord, est de 0.815. Les courbes de comparaison des mesures avec les valeurs issues des formules de Barrass sont présentées en Figure 16. 15 / 18 Figure 16 : Stones : Comparaison des mesures avec les formules de Barrass pour le choix des conditions d’écoulement Comme précédemment, les formules avec l’hypothèse d’eau restreinte conduit à une surestimation des valeurs de squat : + 52 % avec la formule générale et + 153 % avec la formule simplifiée alors qu’en condition de mer ouverte, les deux formules présentent une bonne estimation du phénomène avec une sous-estimation de 5 % avec la formule générale et une surestimation de 27 % avec la formule simplifiée. 4.3 Conclusion Les formules en eau restreinte surestiment largement voire très largement les valeurs observées alors qu’avec l’hypothèse d’eau ouverte, les prédictions sont proches de la mesure. Ainsi, pour la partie amont du chenal en Seine et donc a fortiori pour la partie aval de celui-ci (pour laquelle les largeurs sont plus importantes) les formules d’évaluation du squat les mieux adaptées sont les formules de type mer ouverte. 5. ESTIMATION DE L’IMPACT DE L’APPROFONDISSEMENT 5.1 Hypothèses et choix des navires testés Pour estimer l’impact de l’approfondissement en termes de squat, la formule de Barrass est utilisée. Elle donne des résultats proches des mesures en nature. Compte tenu du fait que les conditions de navigation dans le chenal d’accès à Rouen sont considérées comme des conditions de type mer ouverte, la valeur de squat maximum calculée est indépendante de la taille du navire. Elle est fonction uniquement du coefficient de bloc. On considère donc un navire vraquier navigant avec le tirant d’eau maximum admissible soit 10.3 m en conditions actuelles et 11.3 après approfondissement. 16 / 18 Le coefficient de bloc de ce navire varie avec son tirant d’eau. Il vaut 0.75 pour un tirant d’eau de 10.3 m et 0.78 pour un tirant d’eau de 11.3 m. Pour matérialiser l’amélioration des accès nautiques, le paramètre relatif à la hauteur d’eau, H, est augmenté d’un mètre. Le calcul est fait avec une hauteur d’eau initiale de 11.5 m, soit 10.3 m à laquelle s’ajoutent 70 cm de squat et 50 cm de clair sous quille. Cela correspond à des conditions défavorables pour le calcul du squat maximum. La vitesse de référence des calculs est de 10 nœuds correspondant à la vitesse moyenne d’un transit en Seine. 5.2 Résultats La formule générale de Barrass est utilisée : S e = Cb × 1− S 2/3 × V 2.08 30 Le Tableau 7 présente les résultats obtenus pour les différentes conditions de navigations. Hauteur d’eau Tirant d’eau Coefficient de bloc Squat maximum Conditions actuelles 11.5 m 10.3 m 0.75 0.69 Après approfondissement 12.5 m 10.3 m 0.75 0.65 Après approfondissement 12.5 m 11.3 m 0.78 0.73 Tableau 7 : Impact de l’approfondissement du chenal 5.3 Conclusion Par application de la formule de Barrass, l’impact de l’approfondissement peut être estimé : A une amélioration des conditions de navigation de 4 cm pour le même navire dans un chenal plus profond, A une augmentation du squat de 4 cm, pour un navire montant avec un tirant d’eau maximum. L’impact est donc faible au regard des valeurs actuelles et des hauteurs d’eau. Le squat attendu après approfondissement sera du même ordre de grandeur qu’actuellement. L’approfondissement du chenal d’accès au Port de Rouen n’est pas de nature à remettre en cause les conditions de sécurité et les pratiques actuelles. Cet impact sera également quantifié par une campagne de mesures similaires pour valider les résultats. 6. SYNTHESE ET CONCLUSION Dans le cadre de son programme d’approfondissement, le Port de Rouen a mené une étude afin de vérifier les conditions de navigation en Seine et notamment en termes de variation de tirant d’eau. Le phénomène de squat a ainsi été quantifié pour des navires à fort tirant d’eau transitant vers et depuis Rouen. Ces mesures ont permis après exploitation des données de vérifier le bon dimensionnement des accès et l’utilisation pertinente faite par les pilotes de la marée pour optimiser en toute sécurité le gabarit du chenal. Une comparaison avec les formules empiriques de prévision de squat montre une bonne corrélation avec les mesures et permet ainsi une estimation de l’impact de l’approfondissement sur le squat. La variation de squat liée aux changements de conditions de navigation est inférieure à 5 cm, ce qui est faible au regard des hauteurs d’eau concernées. Cet impact est pris en compte via le pied de pilote intégrant les incertitudes liées au tirant d’eau, à la connaissance exacte des fonds ou à l’hydrodynamique (houle). Cette estimation de l’impact valide le dimensionnement du projet tel qu’il est envisagé : amélioration des tirants d’eau admissible d’un mètre par un approfondissement du chenal d’un mètre également. 17 / 18 RÉFÉRENCES rd Barrass C. B. (2009), Trim and Squat, Proceedings 3 Squat Workshop, Elsfleth, Germany. Briggs, M.J. 2006. Ship Squat Predictions for Ship/Tow Simulator, Coastal and Hydraulics Engineering Technical Note CHETN-I-72, U.S. Army Engineer Research and Development Center, Vicksburg, MS. Dunker S., Gollenstede A., Härting A. et Reinking J. (2002), Analysis and Comparison of SHIPS Derived Squat, Proceedings Hydro 2002, Kiel. Härting A. et Reinking J. (2002), SHIPS : A new Method for Efficient Full-scale Ship Squat Determination, Proceedingd PIANC congress, pp 1805-1813, Sydney, 2002. 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