Un défi à relever - Bourgogne Aujourd`hui

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Un défi à relever - Bourgogne Aujourd`hui
Appellation
Appellations régionales
Un défi à relever
Petites productions, qualité élevée, commerce
relativement facile… Il faudrait souvent des
millésimes comme 2003 en appellations régionales.
Ce n’est malheureusement pas le cas et l’avenir
des “régionales” de Bourgogne passe par un défi à
relever : celui de la qualité.
D
errière la façade dorée des
grandes appellations connues
des amateurs de vins du
monde entier existe une
Bourgogne bien différente,
mais ô combien essentielle : la Bourgogne
des appellations régionales. Ces “petits”
vins d’entrée de gamme, produits aux
quatre coins de la région, vendus en
moyenne entre 4 et 8 euros la bouteille, qui
représentent aujourd’hui des centaines
d’entreprises et 52% de la production
totale bourguignonne : plus de 100 000 000
de bouteilles. Un chiffre faible si on le
compare aux fleuves de vins produits à
Bordeaux, dans le sud de la France, sans
parler des vignobles étrangers, mais
100 000 000 de bouteilles que les Bourguignons ont depuis quelques années bien de
la peine à vendre. C’est que ces AOC
régionales cumulent les problèmes : terroirs souvent de qualité moyenne,
contraintes et coûts de production proches
de ceux des crus pour des prix de vente
bien plus faibles et pour couronner le tout,
concurrence nationale et internationale
acharnées. Comment dans ces conditions
s’en sortir ? Bourgogne Aujourd’hui vous
propose d’aller à la rencontre de cinq producteurs d’appellations régionales. Cinq
réalités différentes qui reflètent une diversité toute bourguignonne.
Un long coteau raide, caillouteux ; les
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vignes semblent grimper vers l’horizon.
On pourrait se croire dans les grands crus
de Chablis, et nous sommes dans les bourgognes de la commune de Venoy. Chablis
n’est qu’à quelques kilomètres sur la carte,
à des années-lumières en notoriété. Denis
Gabrielle (domaine éponyme) et Laurent
Ternynck (domaine de Mauperthuis) se
sont installés là il y a un peu plus d’une
dizaine d’années profitant du travail mené
par François Choné (domaine de Montpierreux) pour redonner vie à un vignoble
abandonné après le phylloxera. Tous deux
ont eu la chance d’obtenir des droits de
plantation au début des années 90 et ils se
sont lancés dans l’aventure, avec un projet
clair : “Nous sommes partis de zéro, sans a
priori, avec le seul objectif de faire des vins
de qualité destinés à être mis en bouteilles.
C’était la seule façon de vivre de notre passion.” François Choné, vigneron depuis
1989, leur a mis le pied à l’étrier en louant
des terres et en faisant des travaux à façon
et les premières centaines de bouteilles
sont sorties au milieu des années 90.
Comme ils partaient de zéro, Denis et Laurent ont demandé l’aide technique de la
Chambre d’agriculture, en viticulture et en
vinification. “Dès le départ nous nous
sommes donnés les moyens de bien faire à
tous les niveaux “, lance L. Ternynck.
D. Gabrielle exploite aujourd’hui 7 hectares
et L. Ternynck 7,60. Si côté qualité (le 96
Vins rouges, vins blancs. Pinot noir,
chardonnay, mais aussi gamay et aligoté :
les AOC régionales représentent plus de la
moitié de la production totale bourguignonne.
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Appellation
Il faut aider le consommateur à se repérer
dans le dédale des AOC régionales
blanc du domaine de Mauperthuis était
tout simplement incroyable !), le résultat
est déjà spectaculaire, côté commerce les
choses se mettent en place. “Il faut bouger,
espérer un jour être repéré et ce n’est qu’en
travaillant la qualité que l’on y arrivera”,
lancent en chœur les deux compères.
Cent cinquante kilomètres au sud, ciel orageux et température tropicale, Jean-Yves
Devevey nous attend devant la porte de
son domaine. Aucun signe ostentatoire de
richesse, ni d’ailleurs de terroirs viticoles à
l’horizon ; nous sommes à Demigny, dans
la zone des bourgognes de la plaine de
Beaune. Jean-Yves Devevey a hérité de
2 hectares de bourgogne dans la commune,
autant dire rien. Après un parcours qui va
lui permettre de rencontrer Gérard Potel
(la Pousse d’Or, Volnay), Dominique Lafon
et de travailler chez Becky Wasserman (le
Serbet, à Beaune) pour vendre les vins de
grands domaines bourguignons aux
quatre coins du monde, Jean-Yves Devevey décide de se lancer à la vendange 1992.
Au fil d’emprunts, d’achats, de reprises de
vignes en location, le domaine va peu à peu
progresser pour atteindre ses 5,75 hectares
B.Derain.
P. Javillier.
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J.-Y.Devevey.
actuels, aux trois-quarts blancs, presque
entièrement en AOC régionales et acquérir
une petite notoriété. Étape importante, à la
récolte 2002, J-Y. Devevey lance une activité
de négoce en AOC plus réputées : meursault, chassagne-montrachet… “L’idée du
négoce était de financer le développement
en installations, en matériel, pour améliorer les conditions de travail, ce qui est
impossible avec seulement 6 ha de régionales, pourtant vendues à 100% en bouteilles. À 6,50 euros TTC, un bon prix en
AOC bourgogne, on est à la limite du coût
de revient si on veut faire des rendements
faibles et les vins de qualité que les marchés exigent. En vin blanc, le chardonnay
tolère 5 hl/ha de plus que le pinot, la rotation est rapide, c’est plus facile. Les choses
sont plus compliquées en rouge ; le pinot
noir ne pardonne rien et encore moins en
régionales. C’est dans nos appellations qu’il
faut faire le plus de travail pour produire de
bons vins et c’est là qu’on les vend le moins
cher. Cela étant, nous n’avons pas le choix ;
la seule porte de sortie est de faire de la qualité ; peu de vins, mais vendus chers”.
Changement de monde ! Meursault, une
belle cave voûtée au centre du village.
Patrick Javillier exploite dix hectares, dont
un tiers de bourgogne blanc et deux tiers
d’AOC réputées de la côte de Beaune.
Il s’est taillé une belle réputation pour ses
deux cuvées de bourgogne blanc baptisées
“cuvée des Forgets” et “Oligocène” ; deux
vins vinifiés et élevés longtemps sur leurs
lies, avec le même soin que les meursaults
du domaine. “Mes bourgognes sont faits
comme des grands vins et valorisés à haut
niveau, à l’exportation où les gens regardent le rapport qualité-prix avant le nom
de l’appellation. Mais il faut aussi aider le
consommateur à se repérer dans le dédale
des appellations régionales produites partout et vendues à des prix qui vont du
simple au triple. Il faut trouver quelque
chose, lié à des regroupements de terroirs,
à des techniques de vinification… En sachant
que l’idée de base est d’aller vers le haut”.
Quelques dizaines de kilomètres plus au
sud et nous voilà dans le vignoble du
Mâconnais, producteur de près de 200 000
hectolitres de mâcons blancs issus du
cépage chardonnay. Côté qualité, les cavescoopératives (qui détiennent l’essentiel de
la production) ont redressé la barre et le
consommateur peut aujourd’hui y trouver
de bonnes bouteilles autour de 5 euros
(prix TTC au caveau). Côté notoriété,
la région continue de souffrir d’une image
floue, liée à l’éclatement entre une multitude de villages producteurs et des
volumes importants (les deux-tiers) vendus
au négoce-éleveur sous l’appellation plus
porteuse bourgogne blanc. Arrivé en 1977
à la tête de la Cave de Mancey, près de
Tournus, Bernard Derain a rapidement
engagé le discours qualité en développant
une politique de domaines, il est vrai facilitée par la petite taille de la cave : 150 hectares. “Le fait que certains producteurs
voient leur nom sur l’étiquette, puissent
déguster leur vin, a créé une émulation
entre vignerons et les discours sur la qualité ont alors vraiment commencé à porter
leurs fruits”, explique B. Derain, en ajoutant que la cave continue également
d’avoir des cuvées collectives (les “Essentielles”) qui constituent le haut de gamme.
“Un jour ou l’autre, il est clair qu’il y aura
vraiment trop de vin. Mieux vaut donc
produire moins, meilleur, pour déjà le
vendre et si possible le vendre cher.”
Devevey, Gabrielle, Ternynck, Mancey,
Javillier… Ces gens-là transcendent leurs
AOC mais que représentent-ils vraiment
sur les marchés ? Une goutte de vin.
Les deux-tiers des AOC régionales continuent d’être commercialisés par les grandes
maisons de négoce qui achètent des
dizaines de milliers d’hectolitres en “vrac”
et revendent des millions de bouteilles sur
les marchés internationaux où elles se heurtent à la concurrence internationale.
Parquets cirés, vieille table en bois,
quelques générations de Bichot ont probablement discuté autour de la table où nous
nous trouvons. Cette vénérable maison
beaunoise s’est résolument orientée vers la
qualité depuis quelques années et les
régionales (1 300 000 bouteilles par an),
n’échappent pas à la règle. Benoît de
Charette, directeur général et Philippe de
Marcilly, directeur commercial lancent le
débat. “En vin blanc, il n’y a pas de problème. Le niveau de qualité demandé par
nos clients est généralement atteint et il y a
des volumes disponibles”, explique B. de
Charette. “En revanche, en rouge nous
nous heurtons à plusieurs problèmes :
un magma d’appellations et une loterie
qualité. Il se produit aujourd’hui 110 000 hl
pour la seule appellation bourgogne rouge.
C’est à la fois trop, par rapport aux qualités rencontrées, et pas assez pour en faire
un bon produit d’appel en volumes suffisants”. “Soyons clair, à l’étranger, en régionales, seuls comptent la marque et le
cépage”, poursuit Ph. de Marcilly.
“En pinot noir, il faut relever le défi qualité ;
le pinot noir est rare dans le monde et partout compliqué à produire, alors il y a une
carte à jouer. Il faudra également que nous
puissions signer librement nos vins et
mentionner clairement le cépage sur les
étiquettes*. Enfin, il faudra peut-être avoir
le courage de supprimer certaines AOC
Denis Gabrielle
et Laurent Ternynck. .
Philippe de Marcilly
et Benoît de Charette.
régionales qui n’ont et n’auront jamais de
justification au plan international”, conclut
B. de Charette.
Qualité, style des vins, mention du cépage
sur les étiquettes en caractères lisibles*,
restructuration des AOC, méthodes culturales plus économiques… quelques dossiers “chauds” sur lesquels la Bourgogne
va rapidement devoir trancher et dans le
bon sens, c’est-à-dire en écoutant pour une
fois ceux qui sont en charge de la commercialisation des vins et pas simplement ceux
qui les produisent, en faisant preuve d’audace et de souplesse, au risque de se préparer des lendemains autrement plus
douloureux que ceux que nous vivons
aujourd’hui !
Christophe Tupinier
Repères
AOC bourgognes
AOC mâcons
Production*
(millésime 2004)
592 503 hl
230 420 hl
Vins rouges
41%
15%
Vins blancs
59%
85%
Communes
de production
Toute la Bourgogne
41 communes
de Saône-et-Loire
Photographies : David Clémencet, Lionel Georgeot
* La production totale bourguignonne, tous niveaux d'appellations confondus,
en 2004, est de 1 568 974 hl, dont 67% de vins blancs.
* La réglementation autorise à mentionner le cépage sur
l’étiquette dans un corps de caractère qui ne dépasse pas le
tiers de celui de l’appellation.
NB : Les statistiques fournies par le service économie de l'Interprofession ne
donnent pas les volumes produits en vins rosés d'appellations régionales
bourgogne et mâcon. Ces rosés représentent plus de 2 millions de bouteilles.
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