du bien public - Le Mensuel de Rennes

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du bien public - Le Mensuel de Rennes
SOCIÉTÉ
CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES
LE GENDARME
DU BIEN PUBLIC
En 2010, la Chambre
régionale des comptes de
Bretagne a publié 45 rapports
d’observation et jugé
319 comptes.
Ç
a jargonne ! Le profane a beau
tenter de suivre, il se noie
rapidement dans la sémantique financiaro-administrative. Il est question de « débets » et de
« conventions non valides ». Ce mercredi
matin, les magistrats –en robe noire– de
la Chambre régionale des comptes de
Bretagne (CRC) jugent des comptables
publics. Ces derniers, grands argentiers
d’institutions locales, ont commis des
erreurs. Pas de lourdes peines ce matin.
Certains comptables sont « déchargés »,
d’autres écopent de sommes modestes
à rembourser. En cas de faute grave, les
dossiers peuvent être transmis au procureur de la République.
Le jugement des comptables constitue
l’une des attributions
les plus récentes de
la CRC. La Chambre
contrôle, par ailleurs,
les « ac tes budgé taires » des collectivités territoriales.
Son cœur de métier
demeure l’examen de
la gestion des collectivités et des organismes locaux. Une mission qui lui vaut
sa réputation de garde-fou intransigeant de la dépense publique.
Méconnue, parfois crainte, la CRC pro-
Réputée pour son
indépendance, la
Chambre des comptes
agace parfois les élus
RAPPORTS
À L’APPUI…
Chaque année, la Chambre régionale des comptes
contrôle le fonctionnement d’une quarantaine de
collectivités et organismes publics bretons. Exemple
avec quatre rapports publiés en 2009 et 2010.
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Lee Mensuel
Mensuel/juin
/juin 2011
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duit chaque année une quarantaine de
rapports, dont certains –généralement
ceux qui « épinglent »– connaissent un
retentissement considérable. Ce fut le
cas, en 2010, du rapport très critique sur
la gestion de l’Orchestre de Bretagne
(lire LeMensuel.com et Le Mensuel n°16).
Derrière ce genre de coups d’éclat se
cache un travail de fourmi, beaucoup
plus discret.
R. Joly
Vigies de la dépense publique, les Chambres
régionales des comptes veillent à la bonne gestion
des collectivités et institutions locales. En Bretagne,
17 magistrats basés à Rennes épluchent des liasses de
documents administratifs. Leurs missions : traquer
les irrégularités et conseiller les responsables.
Au sous-sol du bâtiment de la CRC, rue
Robert-d’Arbrissel, à Rennes, la salle
des archives accueille des liasses par
milliers. Des documents consciencieusement triés, répertoriés, puis
épluchés par l’un des 17 magistrats
de la CRC. « Cette liasse, par exemple,
contient l’activité d’une commune du
Morbihan », explique Michel Raséra,
président de la CRC et conseiller maître
à la Cour des comptes. Il y a vingt
liasses comme celle-ci pour cette commune. Pour Rennes, nous recevons
trois camions entiers… » Impossible
de tout décortiquer. Les magistrats
ciblent donc leurs recherches, selon des
thèmes annuels et des critères géographiques. Objectif : vérifier que les collectivités gèrent convenablement l’argent public. Et qu’aucun fonctionnaire
malveillant ne s’engraisse au passage…
Génétiquement liées à la politique de
décentralisation, les 25 CRC françaises
ont été créées en 1982, sous Mitterrand.
Elles constituent des « antennes locales »
de la Cour des comptes. Les magistrats,
épaulés par des assistants de vérification, analysent les comptes et rencontrent sur le terrain les responsables
concernés. Communes, hôpitaux, maisons de retraite, lycées… « On touche à
plein d’aspects de la vie réelle, explique
l’un d’entre eux. Il s’agit de régler les
problématiques du quotidien. » Un job
méticuleux, peu glamour à première
vue, mais qui semble passionner les
fonctionnaires exerçant dans ces murs.
La Bible, ici, c’est le Code des marchés
publics, gros livre rouge que l’on aperçoit çà et là dans les bureaux.
10 h 30. Pause-café au deuxième étage
du grand bâtiment vitré. Un ancien officier militaire, un ex-cadre de la DDASS
DÉCHETS
CHU
La CRC constate que la recette des redevances
perçues par Rennes Métropole pour la collecte
des déchets des industriels et commerçants
est minorée. Le manque à gagner, évalué
à 300 000 €, est dû à de complexes raisons
technico-administratives. Le fichier des
assujettis à la redevance est, par exemple,
« loin d’être exhaustif ». Certains bénéficient
d’exonérations illégitimes. Cette situation
doit être corrigée en 2011.
La Chambre indique que les agents du CHU
de Rennes travaillant à 80% et 90% sont
rémunérés à 85,7% et 91,4% du traitement
de base, selon les dispositions relatives à la
fonction publique hospitalière. Cette politique
a un coût, estimé à plus de trois millions
d’euros. Le CHU est invité à mettre en place
une « politique d’autorisation de travail
à temps partiel » afin de rationnaliser les
dépenses salariales.
Vérification et analyse
MICHEL RASÉRA
Président de la CRC
« Les élus ont vu
arriver des hommes
en noir… »
R. Joly
Michel Raséra préside
la Chambre régionale
des comptes de
Bretagne depuis
1999. Spécialiste des
finances publiques, il
insiste sur l’utilité et
l’efficacité de la CRC.
ainsi qu’une énarque ex-fonctionnaire
des impôts, discutent en sirotant leur
jus. Tous, désormais, officient à la CRC,
qui recrute majoritairement des fonctionnaires déjà expérimentés, rompus
au fonctionnement des collectivités.
Comptes publics
Réputés pour leur indépendance,
les Chambres des comptes et leurs
magistrats ont parfois agacé. Certains
élus déplorent la « publicité » effectuée autour des rapports, intégralement accessibles à tous les citoyens, et
dénoncent le « non-respect des procédures ». Comprendre : les fuites dans la
presse avant la date légale de publication des rapports.
Depuis leur création, plusieurs réformes
ont modifié les attributions des CRC. La
dernière en date, impulsée par Nicolas
Sarkozy, prévoyait leur fusion progressive avec la Cour des comptes, afin de
créer un « grand organisme » centralisé
d’évaluation des politiques publiques.
Le projet a provoqué la colère des
magistrats. Les hauts fonctionnaires
rennais ont effectué une grève en 2008.
« La réforme impliquait la disparition
des chambres en tant qu’organismes
autonomes. Les politiques locales
auraient été moins contrôlées », affirme
Jean-François Forestier, magistrat rennais, représentant du Syndicat des juridictions financières (SJF). Le projet a
été en partie vidé de son contenu et
n’a toujours pas été examiné par le Parlement. Selon le SJF, le gouvernement
ne semble « pas très pressé d’aboutir ». Sauf surprise, les magistrats rennais continueront, dans les prochaines
années, à analyser les comptes publics
comme ils le font depuis 1982.
Nicolas Legendre
[email protected]
EAU
ORCHESTRE DE BRETAGNE
Le contrôle de la Chambre met en évidence le
manque de rationalité dans l’organisation du
Syndicat mixte de production d'eau potable du
bassin rennais (SMPBR). Les compétences du
Syndicat se limitent à la production d’eau potable
à partir des futurs équipements à créer. Chaque
commune membre du SMPBR conserve le contrôle
des installations existantes. La CRC recommande
un transfert de l’ensemble des outils de production
au SMPBR. Transfert acté en janvier 2011.
La Chambre relève une situation
financière préoccupante caractérisée
par un déficit d’exploitation cumulé
de 2002 à 2007. Montant : 631 829 €.
Pour la seule année 2007, le déficit s’est
élevé à 200 015 €. La CRC recommande à
l’association d’introduire plus de rigueur
dans sa gestion financière et dans sa
gestion des ressources humaines, afin de
maîtriser les coûts.
Le Mensuel : Vous affirmiez en 2003 que la Bretagne était
une « région de paix » en matière de gestion publique. Est-ce
toujours le cas ?
Michel Raséra : Oui. Avec la crise, un certain nombre de collectivités ont connu des difficultés à cause d’emprunts toxiques. Il y a
eu quelques cas en Bretagne, mais très peu par rapport à d’autres
régions. Le sens de l’Etat imprègne les politiques publiques.
Dans mon expérience antérieure, je recevais régulièrement des
coups de fil d’élus… Ici, le respect des institutions se manifeste dans
le rapport entre les élus et les magistrats. Les trois quarts environ des
observations de nos rapports provisoires sont acceptées.
La CRC dispose-t-elle d’un réel pouvoir ?
On n’a pas de pouvoir… Mais on peut avoir une influence. Depuis
quinze ans, les choses ont changé. On ne cherche plus à « épingler ». Même si les journalistes aiment qu’on épingle… Nous utilisons de nouvelles méthodes, avec une approche plus évaluative
du contrôle de gestion.
Le projet de réforme en cours (lire ci-contre) menace-t-il
les CRC ?
Le projet de loi a été modifié en profondeur et reporté. La fusion
organique avec la Cour des comptes a été laissée de côté.
Avant 1982 (date de la création des CRC, NDLR), en cas de problèmes dans les comptes, on allait négocier avec le préfet. Il faisait le juge. Puis les élus ont vu arriver des hommes en noir qui ne
donnaient aucune subvention et ne négociaient rien du tout…
Les CRC ont toujours eu une histoire difficile. Je constate qu’à
chaque fois, on a renforcé leur pouvoir.
Disposez-vous d’assez de moyens pour mener à bien vos missions ?
Les besoins sont toujours plus importants que les moyens. S’il y
avait trois fois plus de magistrats, ils auraient du travail ! Mais nous
disposons de moyens convenables. On ne se plaint pas.
La CRC est-elle vraiment indépendante ?
Oui. Il pourrait y avoir des interférences, d’autant que nous
sommes nommés par le pouvoir. Mais je n’ai jamais entendu parler de pressions quelconques.
Le Mensuel/juin 2011
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