Delmas Philippe - Carnets de santé

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Delmas Philippe - Carnets de santé
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Delmas Philippe
septembre 2008, par serge cannasse
Cadre infirmier expert à l’hôpital Cochin (Paris), Philippe Delmas est
Docteur en Sciences infirmières (Montréal). Auteur de très nombreux
travaux de recherche, il plaide ici pour que la France rejoigne les normes
internationales en ce qui concerne la profession infirmière : reconnaissance
effective de leur autonomie par rapport aux médecins et de la spécificité de
leur apport, instauration d’une filière universitaire, conformément aux
accords européens de Bologne. En particulier, les discussions sur les
transferts de tâches des médecins aux infirmières ne pourront réellement
prendre place qu’après l’instauration (prochaine) du Conseil national de
l’Ordre des infirmières.
Comment définir l’infirmière du 21ème siècle ?
Elle est d’abord l’héritière d’un long passé, qui n’est pas uniquement
religieux, contrairement à ce qui est souvent affirmé. On peut le faire
remonter jusqu’à la préhistoire, où les femmes avaient déjà pour fonctions
l’entretien de la vie.
Les fondements scientifiques de la profession ont été posés au 19ème
siècle par Florence Nightingale : les soins infirmiers envisagent la santé
dans toutes ses potentialités, alors que les soins médicaux portent d’abord
sur l’organe malade.
Ce sont les infirmières qui ont introduit des concepts comme ceux de
stress, de bien-être, de qualité de vie, développés conjointement dans
d’autres disciplines comme la psychologie puis, plus récemment, par les
médecins. La plus value qu’elles apportent est l’étude et l’opérationnalité
de ces concepts dans les soins.
Les pays anglo-saxons ont adopté très tôt les conceptions de Florence
Nightingale, dès les années 1930, mais ce n’est que bien plus tard, dans
les années 1960, que les premiers modèles conceptuels sont apparus,
permettant de proposer une ligne de conduite pour les soins infirmiers. Il
y en a actuellement une vingtaine, surtout d’origine anglo-saxonne. Tous
les pays européens ont mis en place, ou vont le faire, une filière
universitaire infirmière, conformément aux accords de Bologne de 2002
sur la réforme de la formation universitaire.
Et en France ?
La France est restée très à l’écart de cette évolution internationale. La
profession y est sous l’emprise de la médecine. En effet, les médecins ont
très tôt pris le pouvoir dans les hôpitaux, qui se sont organisés autour de
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l’examen clinique et de la visite médicale, avec les succès que l’on sait. Ils
avaient besoin d’un personnel restant au chevet des patients, afin de
surveiller les paramètres biologiques. Ces auxiliaires médicales furent et
sont les infirmières.
Il existe pourtant un décret de compétences qui définit le « rôle
propre » de l’infirmière.
Oui, mais en pratique, il est très peu appliqué.
Quel est ce rôle propre ?
Le champ d’investigation propre à l’infirmière est double : la promotion de
la santé et la prévention. Ainsi, les programmes d’éducation thérapeutique
les plus pertinents ont été développés et évalués à partir de modèles issus
à la fois de la psychologie, de la sociologie et des sciences infirmières. Par
exemple, notre association de recherche (UFRSI) est en train d’évaluer
deux programmes qu’elle a construits pour l’éducation du diabétique, l’un
portant plus sur le déclenchement du comportement observant
(« readiness »), l’autre sur les facteurs psychosociaux qui peuvent soit
freiner, soit faciliter l’observance.
L’observance est du ressort des infirmières ?
Non, elle concerne tous les professionnels qui collaborent pour le bénéfice
du patient. Mais les grilles de lecture de l’infirmière et celles du médecin
ne sont pas les mêmes. Le médecin s’intéresse plutôt à l’information sur le
traitement, par exemple, sur ses effets secondaires. L’infirmière part de
modèles psychosociaux pour s’intéresser à la qualité de vie, au bien-être,
concepts que la profession manie depuis bien longtemps, aux stratégies
utilisées par les patients pour observer ou au contraire fuir le traitement,
aux phénomènes de déni, etc. Ces modèles, et son expérience, lui
permettent d’anticiper le comportement de tel patient.
Qu’est-ce qui empêche le médecin d’en faire autant ?
C’est une question de formation et de temps. Le médecin est formé à
lutter contre les maladies au moyen d’un modèle biomédical, issu des
sciences biologiques et statistiques, et obéissant à une logique qui
remonte des effets aux causes, des symptômes au diagnostic et de là au
traitement. Ce modèle est incontestablement efficace, mais il réduit la
santé à l’absence de maladie. Dans les pays anglo-saxons, les rôles du
« physician » et de la « nurse » sont bien répartis (ce qui ne veut
évidemment pas dire que leurs systèmes de santé sont meilleurs que le
nôtre) : les médecins pratiquent l’approche du « cure », les infirmières
s’inspirent de celle du « care »,, pour développer leurs interventions. Ces
deux attitudes sont complémentaires et favorisent une prise en charge
holistique du patient.
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Ça ne pose de problème à personne et ça n’a pas empêché le
développement d’un fort courant de médecine « humaniste » depuis les
années 70, issu des sciences humaines. En France, on peut envisager des
recherches communes aux généralistes et aux infirmières, par exemple
sur les facteurs d’observance.
Vous venez pourtant de dire que les infirmières françaises sont
soumises au modèle médical.
Les sciences infirmières explorent un champ de pratiques. Même si elles
tiennent compte des connaissances du modèle médical, les infirmières
développent leurs compétences propres au fur et à mesure de leur
expérience, mais avec une perte de temps, d’énergie et d’efficacité
considérable parce qu’elles ne bénéficient pas, en France, de l’apport des
théories infirmières, marginales ici, académiques partout ailleurs. Elles ne
savent pas exprimer et approfondir ce qu’elles observent. C’est pour cela
que l’instauration d’une filière universitaire infirmière est capitale : elle
permet à la fois la reconnaissance par les pairs et par les autres
professionnels. Dans les hôpitaux anglo-saxons, les directrices de soins
sont d’autant plus respectées qu’elles font une carrière universitaire et des
travaux de recherche de bon niveau.
Que
pensez
vous
pluridisciplinaires ?
des
projets
de
maisons
de
santé
Ils vont dans le bon sens, mais ces maisons restent dirigées par des
médecins. Il faut ici aussi s’inspirer des pays anglosaxons et créer des
centres de santé communautaires, axés sur les besoins de la population
locale. Comprenant un personnel infirmier et social hautement qualifié et
dirigés par un administratif, ils se chargent de débroussailler les
problèmes et organisent des programmes d’éducation à la santé. Les cas
qui dépassent leurs compétences sont orientés vers un médecin, qui peut
exercer ou non dans une maison médicale. Non seulement ils permettent
à chacun de faire ce qu’il sait faire et d’améliorer la prise en charge des
patients, mais ils dégagent aussi des économies financières très
importantes.
Les quatre cinquièmes des infirmières exercent actuellement à
l’hôpital. Vous pensez qu’il faudrait inverser la proportion ?
C’est une question très complexe, qui demande une réflexion collective,
notamment au sein du Conseil de l’Ordre des infirmières.
La France est un des pays qui a le plus d’infirmières à l’hôpital et en
même temps qui en manque en ville. Mais les hôpitaux ne savent pas
garder les leurs en l’absence d’une politique d’attraction et de fidélisation.
En outre, elles sont mal rémunérées et n’ont quasiment aucune
perspective de carrière autrement que hiérarchique. La pénurie devient
alarmante dans certaines régions comme l’Île de France, mais à l’heure
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actuelle, rien n’est fait pour les retenir.
Le défi de la prise en charge des maladies chroniques et de celle des
personnes âgées nécessite de repenser l’organisation des soins sur le
territoire. Il n’a jamais été aussi important de travailler en collaboration
entre professionnels pour le bien de la population. Dans ce champ
d’investigation, l’apport autonome des infirmières est important, il suffit
d’ailleurs de se référer à la littérature.
Êtes-vous favorable aux transferts de compétences préconisés par
la HAS ?
C’est un sujet d’actualité brûlant que nous ne pouvons pas ignorer. Ce qui
est sûr, c’est que la profession ne veut pas d’un transfert de tâche
médicale renforçant la perception d’être la "petite main" du médecin. Mais
il me semble prématuré d’en parler avant la mise en place d’une filière
universitaire infirmière et que l’Ordre des infirmières et celui des médecins
puissent y travailler ensemble.
En l’absence de professeurs reconnus, avez-vous les moyens de
créer une filière universitaire infirmière ?
Il y a en France deux cent infirmières qui possèdent un doctorat.
Actuellement, elles ne peuvent rien en faire au niveau de la profession.
Ces doctorats sont en général en sciences humaines. Il suffirait d’un
trimestre de formation aux sciences infirmières pour qu’elles deviennent
opérationnelles dans l’enseignement d’une pensée infirmière. Je vous
garantis qu’elles ne demandent pas mieux. J’ajoute que cela permettrait
de développer une véritable évaluation des pratiques infirmières, qui
devrait être obligatoire pour exercer.
Cet entretien est paru sous une forme légérement abrégée dans la Revue du
praticien médecine générale numéro 805 du 16 septembre 2008.
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Les facteurs prédictifs de l’adhésion au traitement chez des
patients vivant avec le VIH : un exemple de recherche infirmière
Philippe Delmas est l’un des auteurs d’une étude publiée dans le numéro de
septembre-octobre 2008 de Profession Infirmière, revue du Conseil national de
l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Elle a été conduite pendant un an
sur une cohorte (dite Promosud) d’un peu plus de cent patients. En voici les
principaux résultats :
" Les variables retenues étaient la présence d’effets secondaires, le stress, le
soutien social, les stratégies de coping (ou « stratégies d’adaptation ») et la qualité
de vie.
Les résultats de cette étude cautionnent l’importance de la prise en charge précoce
des effets secondaires chez les patients atteints de VIH dans le contexte de
l’adhésion au traitement, et de renforcer leurs stratégies de coping de réévaluation
positive/ résolution de problème. De plus, il semblerait intéressant de développer
en France, pour ces populations, des programmes qui prennent en compte le
renforcement des stratégies actives de coping. Le modèle de Lazarus et Folkman
(1984) semble tout à fait approprié pour servir de guide dans l’élaboration et
l’évaluation de ce type de programme.En outre, la mesure de la qualité de vie
devrait devenir un paramètre clinique standard dans la prise en charge des
patients vivant avec le VIH, car elle permet de nous renseigner sur le
comportement adhérent à court, à moyen, voire à long terme."

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