Cristina VASILESCU

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Cristina VASILESCU
L’AMERIQUE – ENTRE PHŒNIX ET « IN THE ARMY NOW ! »
Oiseau mythologique, symbole de l'immortalité et de la renaissance, le phœnix doit son nom au mot grec
qui désignait la couleur rouge (couleur du feu), en référence à la légende de sa mort et sa résurrection dans les
flammes, de ses propres cendres.. On pourrait le comparer à la machine économique américaine, qui voudrait bien
reproduire l’exploit de renaître de ses propres forces, après être passée par les flammes de l’enfer du 11
septembre, par le labyrinthe de la récession ou par les fourches caudines du sous-investissement …
Mais, en même temps, l’Amérique veut jouer à la guerre, un effort financier qui vient s’ajouter aux soucis
d’une reprise fragile. Un paradoxe qui se retrouve dans le dernier State of the Union de Mr Bush, qui parle de
guerre et d’austérité budgétaire (les deux à la fois !) .. Moins provocateur, l’autre événement de l’actualité de la
semaine écoulée, la réunion de la Fed nous fournit aussi une surprise: le statu quo de la position affichée en
novembre- les balanced risks qui pèsent sur la reprise (les risques de rechute en récession seraient aussi élevés
que ceux d'une accélération inflationniste de la croissance), un diagnostic plutôt bizarre (sinon erroné), vu le fort
coup de frein subi par la croissance du T3.
Et, cerise sur le gâteau, le dollar qui chute, qui revient, qui rechute et qui teste le niveau de 1.09 contre
l’euro pour se retrouver 24 h après à 1.0743 .. le tout à cause de l’Irak, dit-on. Ou c’est juste l’Irak la bonne raison
pour faire le ménage dans les finances américaines et se permettre une dépréciation du billet vert, chose qui
tombe à pic pour stimuler les exportations US et la reprise ? De même que la future guerre contre l’Irak: serait -elle
si nuisible aux US, ou, comme toujours, les Américains vont s’en sortir mieux que les autres, ou les seuls en bon
état (selon leur bonne tradition phœnixienne) de cette guerre contre Saddam ? Qui en tire les grosses
conséquences, alors ?
LA REINE CONSOMMATION TIRE SA REVERENCE ..
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O tempora ! .. comme on est loin, maintenant, du 3 trimestre 2002 et de son magique chiffre de 4% de
croissance américaine ! Depuis, l’économie américaine a fortement ralenti: seulement 0.7% de progression au T4–
un choc (vu la force du coup de frein), mais pas vraiment une surprise, car bien anticipé, vu l’essoufflement de la
reine Consommation.
Chose très inquiétante, les dépenses de consommation n'ont crû que de 1% au T4 (une « performance »
qu’on pourrait retrouver qu’au T1 1993).. c’est la fin de la folie acheteuse de ménages, une saison désastreuse
pour les grands magasins lors des Fêtes de fin d'année, avec un plongeon de 7,3% des dépenses de biens
durables et le déclin des ventes auto (plus de promo massives, ni de crédits à taux zéro !).
Une bonne nouvelle, pourtant, du côté de l'investissement: on renoue avec la hausse des capex (dépenses
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de capital des firmes), une première depuis le 3 trimestre 2000; au fait, leur hausse de 1,5% (y compris +5% des
dépenses informatiques- logiciels) alimente les espoirs de la Fed qui veut précisément que sa politique monétaire
très permissive relance l’investissement, si possible avant que la consommation s'essouffle trop, ce qui évitera le
retour des US en récession. Chose pas facile, vue la perspective de guerre en Irak – qui fait peur aux investisseurs
et aux consommateurs et qui risque de saboter le scénario optimiste des gens de Greenspan.
Et pour finir le tour des contributeurs à la croissance américaine, les dépenses publiques- les seules qui
grimpent d’une façon très évidente (+4.6% en taux annualisé) parce que les US sont in the army now et tout va
pour la défense. Rien que pour cette destination, les dépenses montent de 11.2% en termes annualisés au T4 .. et
le pire reste à venir avec le show en Irak !
LE SPEECH DE BUSH: GO -IT –ALONE .. MAIS JOUER L’AUSTERITE !!
Préparer son agenda électoral 2004, pousser la nation vers la guerre, tout en recommandant au Congrès
la prudence budgétaire afin de réduire les dépenses publiques et freiner les déficits – en voilà en bref le résumé du
dernier discours State of the Union. Un speech alambiqué et contradictoire, presque hallucinant, dans la bonne
tradition du président Bush, qui ne se soucie pas de ses moyens pour faire la guerre à Saddam, en même temps
qu’il prône l’austérité budgétaire.. qui peut comprendre son style ?
D’ailleurs, ses phrases sont bien claires quand il s’agit de donner des indications et des ordres: que le
Congrès s’abstienne à faire ce qu’il fait le mieux - dépenser ! … que le déficit des comptes US ne monte pas aussi
vite que les salaires et les revenus des américains !...(applaudissements frénétiques). Pour l’anecdote, il faut se
rappeler que ce mois, le président envoie au Congrès le projet du budget annuel qui prévoit une hausse des
charges discrétionnaires à 4% du PIB (vivent les dépenses!), un petit rien par rapport à ce qu’on a eu en 2002
(+13% de dépenses, avec le 09/11 en guise de bonne excuse). Les mauvaises langues de l’opposition parlent
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même d’une progression de 8% en 2003 .. et qu’on dise merci si cela s’arrête ici (avec les ambitions d’une 2
reprise de réductions d’impôts, la réforme de Medicare et surtout les leçons à donner à Saddam)
200 MLDS $ DE DÉFICIT .. OU PLUS !
Les prévisions de l’office du budget sont formelles: selon la politique actuelle de l’administration Bush, on
attend quelque 199 mlds $ de déficit du budget en 2003 (par rapport au 158 mlds $ enregistrés en 2002),
principalement à cause de l’application du plan Bush de réductions fiscales (674 mlds $ sur 10 ans), dont le
principal volet concerne l’élimination de la double imposition des profits des entreprises. Et on peut encore y
ajouter quelque 40 mlds $ de baisse supplémentaire d’impôts et autres 40 – 50 mlds pour faire la guerre à l’Irak et la facture approche les 300 mlds !
Mais comment faire le choix de la discipline budgétaire précisément au moment où les US s’engagent dans
une aventure risquée au Moyen Orient, doublée du besoin d’aider l’économie nationale à redémarrer ? C’est
encore plus difficile qu’au cours des années 1990, quand les américains ont dû faire avec les dépenses et
contrôler leur évolution, effrayés par une forte aggravation du solde budgétaire sur une longue période à venir… La
différence est qu’à l’époque, la défense était à 6% du PIB et en train de se réduire, alors que maintenant on est à
3% et la guerre est à la porte !
Alors, y a-t-il de chance pour que l’appel à la discipline budgétaire soit pris au sérieux ? Certainement, la
tâche sera dure mais le défi vaut la peine d’être relevé- et il y a certains qui gardent encore le sourire et
l’optimisme: oui, on peut toujours essayer de limiter les dépenses publiques – avec les Républicains détenant le
contrôle du Congrès et de l’exécutif le choses devront changer, par rapport aux années des Démocrates (histoire
de montrer au public qu’il est possible de se fixer un cap budgétaire.. et de le tenir). Une première règle à
respecter: si l’on demande de l’austérité, mieux commencer par soi même! Que dire des salaires et d’autres frais
de représentation des congressmen américains (100 sénateurs et 435 représentants) ? Un peu d’économie ne
ferrait pas mal ..
SCENARIOS DE GUERRE : POUR LE MEILLEUR .. ET POUR LE PIRE
Bien sûr, la Fed ne dort pas: les scénarios qu’elle envisage pour l’éco US passent obligatoirement par
l’Irak : quelle guerre et quelles conséquences ? Dans le cas le plus probable, on aurait une guerre courte (en
mars ?) et sans trop de dégâts, les US et leurs alliés devraient pouvoir empêcher la destruction des puits de
pétrole en Irak et Kuweit. Ce scénario est même .. désirable, car il enlève la pression du cache-cache de la guerre
qu’on ressent ces derniers mois, et il soulage les craintes des investisseurs, bonjour la reprise ! Rien à faire du
côté de la Fed, dans ce cas, une éventuelle baisse de taux supplémentaire serait sans impact sur la demande à
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court terme et forcerait plus tôt le retour à la hausse des taux (au 2 semestre).
L’autre cas, une guerre longue et difficile, avec le retour des Marines dans des sacs plastique ou des
chaises roulantes (à la guerre comme à la guerre..) - et alors le cas se complique, la Fed sera donc amenée à
utiliser ses dernières munitions monétaires: une autre baisse des taux ou, plus efficacement, des achats de bons
de trésor pour alimenter la liquidité des banques et ainsi stimuler la demande de crédits.
Dans tous les cas, le dollar ne risque pas vraiment une forte dépréciation.. c’est plutôt lui qui va sortir son
épingle du jeu, mieux que les autres devises! Explication: la guerre au Moyen Orient serait certainement un choc
pour les régimes politiques de la région mais aussi pour leurs devises, de même que pour l’euro – à cause de
l’effet de « voisinage » qui jouerait de la même façon qu’au début des années 1990, quand la chute de l’empire
communiste en Union Soviétique et aux autres pays - satellites avait sérieusement mis à l’épreuve le deutsche
mark, devise de refuge des économies de ces pays. Même avec une crise pétrolière, le dollar devrait souffrir moins
que l’euro, devise d’une zone beaucoup plus fragile que l’Amérique et plus exposée aux risques de récession
(avec son ancien moteur de la croissance, l’Allemagne, déjà bien chahuté).
Et alors, pourquoi le dollar fait-il son yo-yo ces jours-là ? Parce que les fonds des investisseurs
(européens, surtout) quittent l’Amérique, en signe de proteste contre la guerre que Mr Bush nous prépare. C’est
plutôt un geste politique qu’économique, une déclaration contre la violence inutile.. mais l’intérêt devrait l’importer,
dans une économie de marché c’est le profit qui fait la règle, avant tout. Et, pour le moment, pas de raisons pour
que les investisseurs évitent vraiment les US, la patrie de l’optimisme .. no problem, we can do it !
CRISTINA VASILESCU