pdf lamy droit economique

Transcription

pdf lamy droit economique
LAMY
DROIT ÉCONOMIQUE
ÉDITION 2006
C
No 190 – Décembre 2005
ISSN 1256-9860
L’arrêt TV-ADSL de la Cour
de cassation : l’avènement
du « référé concurrence »
devant le Conseil ?
Le Conseil de la concurrence n’a pas à établir l’existence d’une présomption d’infraction pour
octroyer des mesures conservatoires (Cass. com., 8 nov. 2005, no 04-16.857, P+B+I+R)
Sommaire
L’arrêt TV-ADSL de la Cour de cassation :
l’avènement du « référé concurrence » devant
le Conseil ?, par Fleur Herrenschmidt .................. 1
Actualisation de l’ouvrage................................ 4
• Ententes sur les prix une nouvelle fois sanctionnée par le
Conseil de la concurrence
• Publication du rapport annuel d’activité de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
• Interprétation de la directive « démarchage à domicile »
Pratique ..........................................................
• Indices
• En bref
• Addendum
Dans un arrêt récent du 8 novembre
2005, la Cour de cassation vient de remettre la procédure conservatoire sur
ses rails et de rouvrir la possibilité,
pour le Conseil de la concurrence,
d’élaborer une réelle action préventive.
La Cour de cassation n’avait pas eu
réellement à se prononcer sur
les conditions d’octroi de mesures
conservatoires depuis l’affaire Numéricâble en l’an 2000 (cf. Cass.
com.,18 avr. 2000, no 99-16.627, Bull.
civ. IV, no 75, p. 65). Elle avait alors
jugé que le Conseil de la concurrence
pouvait prononcer des mesures conservatoires en cas d’atteinte grave et
immédiate « même sans constatation de
pratiques manifestement illicites […] dès
lors que les faits dénoncés, et visés par
l’instruction de la procédure au fond, sont
suffisamment caractérisés pour être tenus
pour la cause directe et certaine de l’atteinte relevée ». Cette position se situait
(Ce numéro est accompagné d’un encart.)
suite page 2
C
dans la lignée de celle qui transparaissait déjà dans son arrêt Ligue Nationale
de Football du 2 décembre 1997
(cf. Cass. com., 2 déc. 1997, n os 9519.753, 95-19.820 et 95-19.814, Bull.
civ. IV, no 316, p. 272), par lequel la
Cour avait considéré suffisant que les
pratiques dénoncées aient été
« susceptibles d’être qualifiées
d’illicites ».
Comment la Cour d’appel de Paris
(tentant d’entraîner le Conseil de la
concurrence dans son sillage) en étaitelle alors arrivée à exiger la preuve
d’une présomption raisonnablement
forte d’infraction ? Probablement
était-ce là le résultat d’un désir d’alignement sur la pratique (pourtant très
stricte) de la Commission européenne
(cf. Fréget O. et Herrenschmidt F.,
Les mesures conservatoires devant le
Conseil
:
la
« procédure
conservatoire » en question ?, Rev.
Lamy dr. aff. 2005, no 83, no 5186 et
no 84, no 5240).
Il n’en demeure pas moins que le
« rappel à l’ordre » de la Cour de cassation, dans son arrêt TV ADSL, était
prévisible et ne fait que consacrer les
positions récemment adoptées par la
Cour suprême.
En effet, dans son arrêt Pharma-Lab, la
Cour de cassation – sous couvert de
réaffirmer le principe de l’autonomie
procédurale – conclue obiter dicta que
les autorités de concurrence françaises n’ont pas à soumettre l’octroi de
mesures conservatoires à la constatation préalable de l’existence d’une infraction prima facie, y compris lorsqu’elles appliquent le droit
communautaire de la concurrence (à
savoir, les articles 81 et 82 du Traité
CE ; Cass. com., 14 déc. 2004, no 0217.012, Bull. civ. IV, no 225, p. 254).
La Cour affirmait là son souhait de ne
pas voir le Conseil de la concurrence
enfermé, à l’instar de la Commission
européenne, dans un carcan susceptible de faire échec, de façon quasi systématique, à la mise en œuvre d’une
politique conservatoire, que celle-ci se
fonde sur l’application de dispositions de droit français ou communautaire.
Dans l’arrêt TV ADSL du 8 novembre,
la Cour de cassation a cassé l’arrêt de
2
Bulletin d’actualité – Lamy droit économique
la Cour d’appel de Paris du 29 juin
2004 qui avait annulé une décision du
Conseil de la concurrence ordonnant
des mesures conservatoires au motif
que l’autorité de concurrence – pour
prononcer ces mesures – aurait dû
être « convaincue de l’existence d’une
présomption d’infraction raisonnablement forte » (cf. CA Paris, 1 re ch.
sect. H, 29 juin 2004, no NOR :
ECOC0400310X, Neuf Télécom et
Neuf Télécom Réseau TV ADSL ; arrêt
rendu contre la décision du Conseil de
la concurrence du 15 avril 2004 : Cons.
conc., déc. no 04-MC-01, 15 avr. 2004,
BOCCRF 9 déc. 2004, p. 837).
La Cour de cassation, en rejetant cette
approche, confirme ainsi son intention de libéraliser (ou libérer ?) la procédure conservatoire et réaffirme,
comme elle l’avait fait en 1997 et 2000,
que « les mesures conservatoires peuvent
être décidées, sur le fondement de l’article
L. 464-1 du Code de commerce, par le
Conseil de la concurrence, dans les limites
de ce qui est justifié par l’urgence, en cas
d’atteinte grave et immédiate à l’économie
générale, à celle du secteur intéressé, à
l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés et visés par l’instruction dans la
procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l’état des éléments produits aux
débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du
Code de commerce, pratique à l’origine directe et certaine de l’atteinte relevée ».
Cet arrêt doit être lu à la lumière du
Rapport d’activité de 2004 de la Cour
de cassation dans lequel celle-ci
indiquait – dans le cadre de son commentaire de l’arrêt Pharma-Lab de
2004 – que son arrêt Numéricâble de
2000 avait « vocation à conférer
au Conseil de la concurrence des pouvoirs
s’apparentant à ceux dévolus au président
du tribunal de grande instance sur le fondement de l’article 809, alinéa 1 er , du
Nouveau code de procédure civile, en cas
de dommage imminent, peu important
que le caractère anticoncurrentiel des faits
dénoncés puisse faire l’objet d’une
« contestation sérieuse » ».
Si le message alors glissé par la Cour
de cassation dans son Rapport d’activité n’a pas eu l’écho qu’il méritait (le
Conseil aurait pourtant pu y voir une
No 190 – Décembre 2005
invitation à mettre en œuvre un véritable « référé concurrence »), son arrêt
du 8 novembre 2005 n’est, pour sa
part, pas passé inaperçu.
Deux principes s’imposent à la lecture
de cet arrêt.
Le premier, d’ordre relativement général, est que la Cour de cassation, en
confirmant que le Conseil de
la concurrence a un champ d’action
conservatoire plus élargi que celui de
la Commission européenne, confirme
ainsi la possibilité d’une application
réellement décentralisée, autonome et
effective, du droit communautaire de
la concurrence par l’autorité française.
Le second est que la Cour de cassation
autorise (voire même invite) expressément le Conseil à prononcer des mesures conservatoires sans avoir à établir au préalable la preuve d’une
quelconque présomption d’infraction. De fait, la caractérisation requise
par la Cour de cassation – à savoir que
les pratiques dénoncées doivent être
« susceptibles » de relever du champ
d’application des articles L. 420-1 et
L. 420-2 du Code de commerce et/ou
des articles 81 et 82 du Traité CE –
s’apparente à première vue à une simple constatation de « recevabilité ratione materiae » de la demande de mesures conservatoires.
Ceci n’autorise pas pour autant une
action conservatoire systématique et
irréfléchie du Conseil dans la mesure
où la Cour de cassation confirme
qu’une fois établie cette
« recevabilité », l’octroi de mesures
conservatoires demeure soumis à la
double condition que soient prouvés,
d’une part, une atteinte grave et immédiate (à l’économie générale, à celle
du secteur intéressé, à l’intérêt des
consommateurs ou à l’entreprise plaignante) et, d’autre part, un lien de causalité entre les faits dénoncés et l’atteinte constatée (ces premiers doivent
être la cause directe et certaine de cette
dernière). A supposer ces deux éléments établis, l’action du Conseil est
alors soumise à un stricte contrôle de
proportionnalité, puisque les mesures
ne peuvent être prononcées que « dans
les limites de ce qui est justifié par
l’urgence ».
No 190 – Décembre 2005
Ceci étant, le fait que la Cour de cassation dispense le Conseil de
la concurrence d’avoir à établir l’existence d’une présomption d’infraction
(l’article L. 464-1 du Code de commerce ne prévoyant pas que soit établie
une telle présomption, la Cour de cassation ne fait que rappeler la lettre de
la loi) n’interdit bien entendu pas à ce
dernier, lorsqu’il est saisi de pratiques
manifestement abusives, de constater
ouvertement ce caractère abusif dès le
stade conservatoire : qui peut le plus
peut, bien entendu, le moins.
Extrait : « (…) Vu l’article L. 464-1 du
Code de commerce ;
Bulletin d’actualité – Lamy droit économique
Attendu que, pour réformer la décision du
Conseil et dire n’y avoir lieu de prononcer
une mesure conservatoire à l’encontre de
la société TPS, l’arrêt retient notamment
que n’est pas caractérisée l’existence
d’une présomption d’infraction raisonnablement forte, à savoir une entente ayant
pour objet ou pouvant avoir pour effet de
fausser le jeu de la concurrence sur un
marché ou l’exploitation abusive d’une
position de domination sur le marché ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que
des mesures conservatoires peuvent être
décidées, sur le fondement de l’article
L. 464-1 du Code de commerce, par le
Conseil de la concurrence, dans les limites
C
de ce qui est justifié par l’urgence, en cas
d’atteinte grave et immédiate à l’économie
générale, à celle du secteur intéressé, à
l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l’instruction dans la
procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l’état des éléments produits aux
débats,
de
constituer
une
pratique contraire aux articles L. 420-1
ou L. 420-2 du Code de commerce, pratique à l’origine directe et certaine de l’atteinte relevée, la cour d’appel a violé les
textes susvisés ; (…) »
■
Fleur HERRENSCHMIDT
Avocat à la Cour, Bird & Bird
3