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L’Encéphale (2009) Supplément 2, S72–S75
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p
Environnement social et rythmes sociaux
C. Gay
Clinique du Château, 11 bis rue de la Porte Jaune, 92380 Garches
MOTS CLÉS
Environnement social ;
Rythmes circadiens ;
Rythmes sociaux ;
Thérapies
interpersonnelles
KEYWORDS
Social environment ;
Circadian rhythms ;
Social rhythms ;
Interpersonal therapies
Résumé L’environnement social se situe au centre de l’étiopathogénie de nombreuses pathologies dont
les troubles bipolaires. Il est établi que les perturbations des rythmes sociaux, conséquences d’événements
plus ou moins sévères, favorisent le risque de récidives de troubles thymiques. Des mesures thérapeutiques
sont proposées pour permettre de réguler les rythmes sociaux. Elles peuvent être intégrés à des
programmes psycho-éducatifs ou constituer un programme spécifique (IPSRT) intégrant les thérapies
interpersonnelles.
Abstract The social environment lies at the aetiopathogenic heart of many diseases including bipolar
disorders. It has been established that disturbances of social rhythms as a result of more or less severe
events predispose to relapse of a mood disorder. Treatments are offered to regulate social rhythms.
These may be incorporated into psychoeducational programmes or form a specific programme themselves
(IPSRT), incorporating interpersonal therapies.
Les Temps modernes (Modern Times, 1936) de Charlie
Chaplin illustrent parfaitement le sujet de cette intervention. Ce film se présente sous la forme d’une satire du chômage et des conditions de vie lors de la grande dépression.
Soumis à des rythmes effrénés et à divers mauvais traitements sur une chaîne de montage accélérée, Charlot sombre dans un état dépressif et est hospitalisé. Il montre
l’influence de l’environnement sur les rythmes sociaux et
ses conséquences psychologiques. Dans ce cadre l’environnement est représenté par la société, la grande dépression,
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
Conflits d’intérêts : none.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
les contraintes socio-économiques et la nécessité d’augmenter le rendement par une accélération des rythmes de
travail. Le sujet étant vaste, nous nous centrerons principalement sur les troubles de l’humeur.
Définitions
L’environnement est le milieu dans lequel un organisme fonctionne, incluant l’air, l’eau, la terre, les ressources naturelles,
la flore, la faune, les êtres humains et leurs inter-relations.
Environnement social et rythmes sociaux
Dans son acception la plus large et partagée, découlant
de son étymologie, le mot environnement évoque tout ce
qui – à un moment donné - est « autour de nous ».
L’environnement social fait référence à la vie professionnelle, la vie familiale, la vie de loisir, les événements de vie.
Les rythmes de vie sont l’ensemble des activités régulières qui ponctuent une journée. La poésie de Pierre Bearn
« Couleurs d’usine » d’où a été extraite l’expression
« métro, boulot, dodo » est une illustration des rythmes de
vie : « Au déboulé garçon pointe ton numéro, pour gagner
ainsi le salaire, d’un morne jour utilitaire, Métro, boulot,
bistro, mégots, dodo, zéro ».
Les synchroniseurs ou donneurs de temps (zeitgeber) :
l’intervention de mécanismes extérieurs, ou zeitgebers
permet de synchroniser notre horloge biologique avec
l’environnement. Il s’agit principalement des alternances
lumière-obscurité, des rythmes sociaux, de l’alimentation,
de l’exercice physique, de l’alternance chaud-froid, de
l’alternance des saisons. En l’absence de synchroniseurs,
l’organisme fonctionne en « libre cours » ou « free
runing ».
Les désynchroniseurs ou perturbateurs de temps
(zeitstrorers). Les principaux perturbateurs de temps sont
les vols transméridiens (vols vers l’Est, en particulier avec
perte d’une nuit), le travail posté, l’anesthésie générale,
mais aussi des psychotropes, en particulier les stupéfiants.
Un point essentiel est que ces « zeitstorers » modifient
certains synchroniseurs (zeitgebers). Les perturbations des
rythmes biologiques seront plus ou moins marquées en
fonction de la vulnérabilité de chacun (génétique et ou psychologique).
Événements de vie
Différentes questions peuvent se poser quant au rôle de l’environnement social sur les rythmes : tous les événements de
vie peuvent-ils provoquer des cassures de rythme ? Les événements les plus pénibles sont-ils les plus perturbateurs ?
Existe-t-il des personnes plus vulnérables aux cassures de
rythme ? Existe-t-il des mesures thérapeutiques curatives et
préventives ?
Les événements de vie peuvent être évalués par une
échelle, la LEDS (Life events and Dificulties Schedule), qui
permet d’objectiver le poids des événements. On doit ainsi
différencier le stress ressenti du stress objectif, dater
l’événement, déterminer s’il est indépendant ou non du
sujet et de la maladie, si le sujet avait une capacité d’anticipation, quel est l’objet réel du stress, si la mesure est
immédiate ou différée, quelle est la réaction du sujet par
rapport à l’événement…
Des changements en apparence anodins dans la routine
peuvent imposer un stress physique important pour l’organisme, par la tentative de maintien de la synchronisation
des rythmes veille-sommeil, de l’appétit, de l’énergie et
de la vigilance. Certains événements de vie minimes peuvent ainsi perturber à notre insu notre rythme de vie et
entraîner des réactions en chaîne.
Les données de la littérature concernent essentiellement le sommeil. Elles portent sur la privation de sommeil
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et l’induction de manie [8], sur les manies induites par des
voyages Ouest-Est [4], sur les manies induites par des perturbations des rythmes sociaux [5]. Une publication à paraître en 2009 dans l’Encéphale montre que le stress quotidien
et les perturbations des routines peuvent générer des troubles du spectre bipolaire [7].
On sait donc aujourd’hui que des événements de vie
peuvent déclencher des troubles thymiques, que les cassures des rythmes sociaux peuvent favoriser l’apparition de
récidives maniaques, que les répercussions sur les rythmes
sociaux sont à prendre en compte au même titre que l’impact psychologique direct de l’événement.
Ce qui reste au centre de ces perturbations sont les
troubles du sommeil, qui sont les principales conséquences
des perturbations de rythme. Néanmoins le « déphasage »
qui peut exister entre les rythmes sociaux et les rythmes
biologiques constitue aussi une cause de récidive.
Place des événements de vie
dans la survenue de troubles
Le modèle de compréhension étiopathogénique des troubles bipolaires fait référence au modèle biopsychosocial,
prenant en considération des éléments génétiques, de personnalité, et environnementaux.
Sur un plan théorique, on peut donc décrire une succession causale : les événements de vie sont à l’origine de
dérèglement des rythmes sociaux, générateurs de perturbations des rythmes biologiques, qui entraînent ellesmêmes les récurrences dépressives et maniaques.
D’autres facteurs peuvent intervenir sur cette cascade
d’événements. Ainsi, le niveau d’intégration du sujet (vie
professionnelle ou familiale stable) constitue un facteur de
protection contre les perturbations des rythmes sociaux.
Les gènes d’horloges rendent certains sujets plus sensibles
que d’autres aux perturbations des rythmes biologiques.
La vulnérabilité biopsychosociale influe également sur le
risque dépressif ou maniaque lors des dérèglements des
rythmes biologiques. Enfin, les désynchroniseurs (zeitstorer) agissent aussi bien sur les rythmes psycho-sociaux que
sur les rythmes biologiques (Fig. 1).
Chez les sujets bipolaires, on a décrit une plus grande
sensibilité aux événements, un plus faible niveau d’intégration sociale, une irrégularité des rythmes du fait du
trouble, avec donc des routines de base déjà perturbées :
ceci aggrave l’impact des événements sur les perturbations
des rythmes.
Événements de vie
Intégration
Dérèglement des rythmes sociaux
Gènes d’horloge
Zeitstorers
Perturbation des rythmes biologiques
Vulnérabilité
Récurrences dépressives et maniaques
Figure 1 Conception théorique.
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C. Gay
Approche thérapeutique
Modalités thérapeutiques
Cette lecture des événements de vie a de nouvelles applications pratiques en thérapeutique, avec des prises en
charge focalisées sur les rythmes de vie, sur le cycle veillesommeil et les cycles jours/nuits.
Parallèlement aux traitements chimiothérapiques, on
peut proposer de nouvelles approches, des traitements psychothérapiques : mesures psycho-éducatives ; thérapies
interpersonnelles basées sur les rythmes sociaux (IPSRT)
développées par E. Frank [3] ; ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales.
Ces techniques psychothérapiques doivent être mises
en œuvre dès l’identification des événements perturbateurs, afin de prévenir les altérations des rythmes sociaux
ou du sommeil.
En aval, on peut utiliser le lithium ou la mélatonine, qui
auraient une action directe de resynchronisation des
rythmes biologiques ; enfin, les thymorégulateurs comme
les techniques psychothérapiques permettent de réduire le
risque d’induction d’un état thymique pathologique sous
l’effet des perturbations des rythmes biologiques (Fig. 2).
Le traitement curatif a pour objectifs de limiter les
répercussions des événements, de limiter les situations d’excitation, de renforcer les zeitgebers (repos, sommeil, obscurité…), et de rétablir une stabilité des rythmes sociaux.
Le traitement préventif, par exemple dans le cadre de la
psycho-éducation, a pour objectifs d’évaluer les rythmes
sociaux du sujet, de limiter les répercussions des événements, de limiter les situations d’excitation en limitant les
stimulations et de rétablir une stabilité des rythmes sociaux.
Ces approches visant à réguler les rythmes sociaux sont
partiellement intégrées aux programmes psychoéducatifs
de Francesc Colom et Eduard Vieta [2], de Monica Ramirez
Basco [6], et de Mark Bauer et Linda McBride [1]. Ces programmes diminuent le risque de récidive et de rechute, et
améliorent la qualité de vie des sujets. Elles favorisent l’alliance thérapeutique. Un programme spécifique, s’appuyant sur l’IPSRT, est proposé par Ellen Frank [3]. Cet
auteur a montré que la thérapie interpersonnelle associée
à une thérapie des rythmes sociaux permet de diminuer le
risque de virage de l’humeur maniaque.
Dans ce programme, il est demandé aux patients d’évaluer quotidiennement leur temps d’éveil et de sommeil, la
durée de leurs activités quotidiennes, leurs niveaux de stimulation sociale, leur humeur quotidienne. Deux échelles
des rythmes sociaux peuvent être utilisées : l’échelle SRM
(Social Rhythm Metric), à 17 items, et une échelle simplifiée, à 5 items, l’échelle SRM-II-5 (Tableau 1).
Les principes thérapeutiques de ces programmes sont la
planification et la régularité des activités, l’anticipation
des situations de surmenage, le respect des rythmes et des
routines, la répartition des tâches.
D’autres stratégies thérapeutiques peuvent être associées : en cas de dépression, la luminothérapie, la privation totale de sommeil, le sommeil en avance de phase ;
en cas de manie, le traitement par l’obscurité et l’augmentation de la durée du sommeil, ainsi que le repos prolongé au lit.
Des programmes de resynchronisation/chronothérapie
sont également proposés en appoint. Ils suggèrent de se
lever tous les jours à la même heure, d’effectuer au lever
ou dans la matinée une séance de luminothérapie (30 minutes à 2 500 Lux), de prendre un petit-déjeuner copieux, de
faire de l’exercice physique (par exemple durant 15 minutes de manière intensive), de prendre une douche chaude.
Au contraire le soir, de diminuer l’exposition à la lumière,
de prendre un repas léger, une douche tiède, et de ne pas
faire d’exercice physique intense après le repas.
En résumé, il est important de s’exposer à la lumière le
matin, de faire de l’exercice physique dans la matinée,
d’éviter les siestes prolongées dans la journée, surtout
l’après-midi, et d’éviter les bains chauds 2 heures avant de
se coucher.
Identification des événements
IPSRT, PE, TCC
Régularité des rythmes sociaux
Li, mélatonine…
Régulation des rythmes biologiques
Thymorégulateurs
TCC, PE, IPSRT
Récurrences dépressives et maniaques
Figure 2 Stratégie thérapeutique.
Tableau 1 Social Rythm Metric (SRM-II-5)
Heure
fixe
Heure du lever
Premier contact
Début du travail
Dîner
Heure du coucher
Dimanche
H
Lundi
P
H
Mardi
P
H
Mercredi
P
H
P
Environnement social et rythmes sociaux
Références
[1] Bauer M, Mc Bride L. Thérapie de groupe pour le trouble bipolaire. Médecine et Hygiène, Genève ; 2001.
[2] Colom F, Vieta E. Manuel de psychoéducation pour les troubles bipolaires. Marseille : Solal ; 2001.
[3] Frank E. Treating bipolar disorder : a clinicien’s guide to
interpersonal and social rythm therapy. New-York London :
The Guilford Press ; 2005.
[4] Jauhar P, Weller MPL. Psyhiatric morbidity and time zone
changes : a study of patients from Heathrow Airport. Br J Psychiatry 1982 ; 140 : 231-235.
S75
[5] Malkoff-Schwartz S, Frank E, Anderson B et al. Stressful life
events and social rythm disruption in the onset of manic and
depressive bipolar episodes : a preliminary investigation.
Arch Gen Psychiatry 1998 ; 55 : 702-707.
[6] Ramirez Basco M. Le trouble bipolaire, manuel d’exercice
pour une meilleure qualité de vie. Socrate Editions Promarex ;
2008.
[7] Swendsen J, Gindre C. L’Encéphale 2009 (à paraître).
[8] Wehr TA, Sachs DA, Rosenthal NE. Sleep réduction as a final
commun pathway in the genesis of mania. Am J Psychiatry
1987 ; 144 : 210-214.