Lesdélinquantsmineurs souslesmêmesverrous

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Lesdélinquantsmineurs souslesmêmesverrous
12 | Migros Magazine 25, 20 juin 2011
Le centre éducatif de Pramont en Valais (photo) est un établissement fermé et sécurisé. La prison pour mineurs romande de Palézieux (VD) aura
elle aussi un dispositif de sécurité particulièrement élevé, doté de 54 caméras et d’un grillage de 5 mètres de haut.
Les délinquants mineurs
sous les mêmes verrous
Le sort de la première prison pour les moins de 18 ans de Suisse romande,
prévue à Palézieux (VD), devrait être scellé ce mardi. Un centre attendu de longue date
par la justice mais qui constitue la solution du dernier recours, assure-t-elle.
I
l est urgent que nous ayons une
prison.» Les propos du président
du Tribunal des mineurs de Fribourg, Michel Lachat, sont péremptoires. La Suisse romande doit
disposer d’un centre de détention
pour les délinquants mineurs ayant
commis des délits graves. Non en
raison de l’explosion de leur nombre mais parce que actuellement les
structures pour les exécutions de
peines bricolent et certains cantons
frisent même avec le code.
La réponse est imminente: probablement demain ou d’ici la fin du
mois, le Parlement vaudois doit voter le crédit de 23,5 millions de
francs destiné à la construction de
la prison prévue à Palézieux pour la
fin de 2013. Le projet devrait passer
la rampe sans trop de difficultés, la
commission chargée de son examen
l’ayant approuvé à l’unanimité.
C’est en effet au canton Vaud que
revient le mandat de bâtir et de gérer l’établissement, fruit d’un
concordat entre cantons latins.
Baptisé Aux Léchaires, il doit accueillir des délinquants garçons et
filles de 15 à 18 ans condamnés à
une peine de prison ferme ainsi
que des jeunes en préventive ou
sous le coup de mesures disciplinaires. Trente-six places ont été
prévues avec une extension possible à cinquante-quatre.
La prison de Palézieux vise à
répondre aux nouvelles exigences
du code pénal des mineurs suisse.
Le texte fixe à quatre ans – avec
libération conditionnelle au bout
de deux – la peine maximale pour
des jeunes de plus de 16 ans.
Jusqu’en 2007, la durée était d’une
année. Or les structures fermées
actuelles ne sont pas adaptées pour
Peines
d’emprisonnement
sans sursis chez
les mineurs en 2009
Entre 0 et 365 jours
Fribourg:
Vaud:
Valais:
Neuchâtel:
Genève:
Jura:
Berne:
28
55
4
4
38
0
22
En 2009, aucune peine de plus
d’une année n’a été infligée en
Suisse romande. En Suisse: 3
source: Office fédéral de la statistique
des détentions de longue durée –
même si elles ne sont prononcées
qu’exceptionnellement. Elles sont
parfois insuffisamment dotées en
personnel qualifié ou surchargées.
«En 2010, le taux d’occupation
était de 100% à la Clairière. Nous
n’avions pas de flexibilité, nous
avons gardé des jeunes en observation alors qu’ils devraient être placés ailleurs», lâche Georges Lapraz,
directeur général de l’office pénitentiaire genevois. Par ailleurs, Fribourg, Neuchâtel et le Jura n’ont
pas de lieu de détention pour l’exécution de peines de privation de
liberté.
Enfin, la future prison séparera
définitivement les mineurs des
adultes et répondra là à une des exiLire la suite
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RÉCIT SOCIÉTÉ
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Au centre éducatif de Pramont (VS)
Entre Sierre et Sion (VS) se dresse le Centre
éducatif de Pramont, destiné principalement aux
garçons délinquants de 15 à 18 ans. L’institution
fermée accueille des mineurs romands ayant
commis des délits parfois très graves: brigandages, tentative de meurtre, etc. Mais contrairement
à la prison de Palézieux, Pramont est un lieu
d’exécution de mesures et non de peines de
privation de liberté. C’est le comportement
et l’évolution du mineur qui sont déterminants et
décident de sa sortie. Les jeunes passent en
«Je ne supportais
pas les gardiens»
Gilles*, 19 ans, parle doucement. Cela
fait un mois et demi qu’il est arrivé. Son
délit: avoir infligé neuf coups de
couteau lors d’une bagarre. La victime
n’a pas succombé à ses blessures. «Je
regrette et j’en suis pas fier. J’avais mes
raisons, mais en même temps j’étais
pété à l’alcool et aux stupéfiants, je ne
savais plus ce que je faisais.» Avant, le
jeune homme a passé une année de
prison à La Croisée (VD), en section
pour mineurs. «Il y a ici davantage de
choses à faire, du sport, le travail. C’est
mieux.» Les agents de détention ne lui
manquent pas. «Je ne supportais pas
les gardiens. Avec les éducateurs, on
peut parler. Ici, certains se font
respecter, d’autres pas.»
Depuis l’âge de 14 ans, Gilles passe de
foyer en foyer. Une adolescence
difficile? Sourire. Au-dessus du lit des
photos de famille: «Oui elle me manque;
elle viendra me voir.» Ici, il espère
apprendre un métier. L’ébénisterie le
branche. Là, il fait le tour des ateliers.
Son pécule varie entre 150 et 200 francs
par mois selon son comportement
général et le travail fourni. «En sortant,
J’aimerais avoir un travail, un logement.
Mais si je retourne maintenant dehors,
je retombe dans les mêmes conneries.» Soit les bagarres, le petit trafic.
*prénom d’emprunt
«Si je ressors
maintenant, je
retombe dans les
mêmes conneries»,
dit Gilles*.
général une ou deux années, encadrés par des
maîtres d’atelier, des éducateurs, des enseignants
et des psychologues, dans le but d’une réinsertion
socioprofessionnelle. Des ateliers visent à les
mettre sur la voie de l’apprentissage. Le volet
éducatif de Palézieux pourrait s’apparenter à celui
de Pramont. Réunis par quartiers de six, les jeunes
partagent repas et activités mais résident en
cellules individuelles fermées. Aujourd’hui en
restructuration, Pramont accueille treize mineurs
sur dix-huit places en moyenne et longue durée.
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gences de la Convention
internationale des droits
de l’enfant que la justice suisse ne
remplit pas toujours dans quelques cantons.
«Pour des mineurs ayant
commis des délits graves»
Cinquante-quatre caméras sur le
site, un chemin de ronde, un
grillage de 5 mètres de haut, des
cellules, le centre, unique sous
cette forme en Suisse et subventionnée par l’Office fédéral de la
justice, n’aura rien d’un club Med.
«Le projet mise sur une sécurité
forte à l’extérieur pour privilégier
le travail éducatif à l’intérieur, dit
Raphaële Lasserre. Et l’adjointe
du chef du Service pénitentiaire
vaudois de préciser: «Elle s’adresse
à des mineurs ayant commis des
délits graves; la prison est l’ultime
possibilité (ndlr: après le travail
d’intérêt général, les amendes,
placements en foyer) dont le juge
des mineurs dispose.»
Des éducateurs (vingt-sept équivalents temps plein – ETP) seront
responsables de la prise en charge. Mais comme dans une vraie
prison, on trouvera des gardiens
(treize ETP). «L’idée est qu’ils
travaillent en collaboration.» Enseignants et maîtres d’atelier suivront aussi les détenus.
Rattrapage scolaire, ateliers,
activités sportives, suivi psychologique, travail avec les familles,
préparation à la sortie feront partie des mesures, comparables à
celles dispensées dans les foyers
ou des centres tels que Pramont,
en Valais (lire ci-contre).
Ce volet est considéré comme
central et «indispensable» par les
juges et la justice, l’éducation
étant déterminante dans le droit
suisse des mineurs: «Laisser un
jeune croupir dans une cellule,
c’est zéro. C’est à coup sûr en faire
un récidiviste», assure Michel Lachat.
Céline Fontannaz
Photos Nicolas Righetti / Rezo
Le site Aux Léchaires à Palézieux (VD)
➊
➋
➍
➌
1) Bâtiments des détenus. Les jeunes sont regroupés par six.
Les unités indépendantes reproduisent la forme d’un appartement,
avec des cellules et des espaces communs.
2) Bâtiment de sport: il permet la pratique d’activités sportives
durant toute l’année.
3) Bâtiment de l’administration: c’est là que se fait l’encadrement
administratif, médical, et que se font les admissions et les transferts, les visites.
4) Bâtiment de la formation: il comprend les ateliers, les salles de
classe, mais aussi la cuisine, la buanderie.
Au centre éducatif de Pramont (suite)
«Je connais
le monde de la nuit,
j’ai envie d’une vie
meilleure»
Il y a un mélange de colère
et de malice dans son
regard. Franck*, 18 ans, a
multiplié les délits – trafic
de stupéfiants, brigandage,
vols, incendies - jusqu’au
plus grave: tentative de
meurtre.
Passé par plusieurs foyers
et centres de détention, il
est arrivé à Pramont en
août dernier et pense
pouvoir sortir à la fin de
l’été. Lors du dernier bilan,
son comportement a été
jugé satisfaisant. Son
projet? Travailler dans
l’entreprise de construction
d’un membre de sa famille,
loin de son quartier. «Je
connais le monde de la nuit,
j’ai envie d’une vie meilleure.»
Une décision prise d’entente avec la juge. Cette
remise en liberté a été
initialement reportée, car
Franck a fugué durant deux
semaines et demie ce
printemps. «On m’a
rattrapé. On se fait toujours
rattraper, mais on fugue
parce qu’on n’a pas envie
d’être là. L’enfermement,
c’est de la merde.» Sa fuite
lui a coûté un mois de
mesures éducatives en
chambre fermée. «Je
regrette la raison pour
laquelle je suis ici. Quand
j’irai voir les jeunes de mon
quartier je leur dirai: arrêtez
vos conneries.» Pour
autant, Franck est en
révolte contre ceux qui ne
se font pas épingler, contre
la police et «leurs bavures
jamais punies». En tirant
sur sa clope, il rêve à un
travail, à un logement, à une
famille. «Pour plus tard.»
*prénom d’emprunt
Tout en béton, le bâtiment est sécurisé.
Les cellules sont individuelles.
RÉCIT SOCIÉTÉ
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PAROLES D’EXPERTE
Mireille Reymond, présidente
du Tribunal des mineurs du canton
de Vaud, membre de la commission
de construction du site Aux Léchaires.
«La prison doit rester la
solution du dernier recours»
Franck* a fugué
durant deux
semaines et
demie ce
printemps. Sa
fuite lui a coûté
un mois de
mesures
éducatives.
Une prison, n’est-ce pas
l’échec de l’éducation face à la
délinquance?
Le droit pénal des mineurs a une
visée avant tout éducative. La
prison doit rester la solution du
dernier recours. A certains moments et dans certains cas, c’est
la seule solution pour donner un
signal fort.
Les peines sont généralement
brèves, le plus souvent de
quelques jours, voire quelques
mois. Suffisant?
L’adolescence est un âge de la
construction de soi. Le jeune
doit apprendre la vie d’adulte. Il
ne s’agit donc pas qu’il s’adapte
à la vie de la prison, mais qu’il se
réinsère. En l’écartant longtemps de la société, on risque de
le déphaser complètement.
La décoration des chambres revient aux mineurs.
Le temps passe parfois très lentement en captivité.
Néanmoins, ne risque-t-on pas
les allers-retours et la récidive?
Aux adolescents qui vont bien,
il faut souvent répéter les choses. Avec ceux souffrant de graves carences éducatives comme
c’est souvent le cas de mineurs
délinquants (rupture scolaire,
parents démunis, eux-mêmes
aux prises avec des problèmes),
les progrès se font par paliers.
Nous considérons que c’est en
tapant sur le clou que les choses
pourront évoluer. Et il y aura
toujours hélas un petit nombre
de mineurs qui deviendront délinquants majeurs. Le système
parfait n’existe pas.
Les tribunaux ont rendu très
peu de peines de plus d’une
année. Dans quel cas?
Lors de délits graves comme le
meurtre, assassinat, le brigandage
avec mise en danger de la vie.
Mais ces cas restent rarissimes.
Le droit pénal des mineurs
va de 10 à 18 ans. Va-t-on voir
des gosses de 10 ans aux
Léchaires?
Une peine ferme ne peut être infligée que dès 15 ans. Avant, il y a
la prestation personnelle, sous
forme de travail d’intérêt général,
de cours, par exemple dans le domaine de la circulation routière,
etc. Il arrive de mettre des jeunes
de 13-14 ans en préventive, pour
les besoins de l’enquête afin d’éviter les risques de collusion ou de
récidive. Mais c’est rare.
Avec une peine maximale
de quatre ans, le droit
suisse est parfois jugé trop
laxiste en comparaison
avec la France ou
l’Allemagne, qui va jusqu’à
dix ans...
Oui si on considère qu’aligner
des années de prison est la seule
réponse à la délinquance. Nous
pensons au contraire que l’on
peut se montrer ferme et rigoureux avec des éducateurs très
présents et un cadre clair, des
sanctions lorsque le contrat n’est
pas respecté. Cela porte ses fruits.
En comparaison européenne,
nous n’avons pas plus de délinquance.