Grands défis pour Horizon 2020

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Grands défis pour Horizon 2020
Grands défis pour Horizon 2020
FutuRIS 2012 - Chapitre 4
M.Gaillard
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recherche et d’innovation (SFERI). Il a pour mission d’éclairer la prise de décision, de formuler des recommandations de politique publique
et d’accompagner l'élaboration de stratégies partagées. Pour cela, FutuRIS développe une approche coopérative fondée sur des repères
solidement documentés et sur la concertation entre acteurs et experts issus d’horizons divers, dans une perspective d'intérêt général.
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CHAPITRE 4
Grands défis pour Horizon 2020
Résumé
Le programme proposé par la Commission européenne pour son soutien à la recherche et à
l’innovation au cours des années 2014-2020, appelé « Horizon 2020 », est décrit par ses
concepteurs comme « le plus grand programme de recherche au monde ». Il apporte des
transformations profondes à l’architecture existante des programmes-cadres avec son
organisation en trois « piliers » – Excellence scientifique, Primauté industrielle, Défis de société –
, le dernier constituant une innovation majeure en matière d’orientation des recherches. La
démarche, pour ces « grands défis », est de raisonner sous forme de problèmes sociétaux à
résoudre, dans une approche intégrée et pluridisciplinaire.
Cette approche est potentiellement fructueuse, mais son succès dépend de la capacité de l’Union
européenne à résoudre des problèmes difficiles :
impliquer les industriels dans la résolution de ces défis ;
établir une gouvernance légitime et multi-acteurs des problèmes principaux à résoudre ;
disposer des compétences pour concevoir les solutions intégrées et pluridisciplinaires aux
problèmes posés ;
mettre en place les procédures pour évaluer ces mêmes propositions de solution ;
influencer les instances internationales traitant de ces défis globaux.
Dans ce contexte renouvelé, la France, avec ses pôles de compétitivité, ses initiatives d’excellence
et ses alliances nouvellement créées, dispose d’atouts importants pour participer de façon
constructive à cet effort.
Le « plus grand programme de recherche du monde » s’attaquera aux grands défis sociétaux du
xxie siècle. La commissaire Máire Geoghegan-Quinn, en charge de la recherche et de l’innovation
dans la Commission Barroso II, l’a promis aux ministres de la Recherche réunis à Bruxelles
lorsqu’elle leur a présenté Horizon 2020 (COM, 2011c): un impressionnant paquet de mesures
visant à promouvoir la recherche et l’innovation (RI) en Europe de 2014 à 2020. Fruit d’une
coopération inédite réunissant trois commissaires1, Horizon 2020 rassemble pour la première
fois tous les financements RDI (recherche, développement et innovation) gérés directement par
l’Union européenne (UE) dans un seul programme.
Un investissement équilibré sur sept ans À partir de
2013
Horizon 2020 est construit sur trois piliers consacrés à la réalisation de trois objectifs
fondamentaux :

aider l’Union à conserver sa primauté mondiale dans le domaine de la science en
consacrant le tiers de son budget à l’excellence scientifique ; assurer en particulier la
1 Outre Mme Máire Geoghegan-Quinn, Mme Androulla Vassiliou (Éducation et Culture) et M. Antonio Tajani (Industrie et
Entreprise et vice-président de la Commission) ont contribué au projet.
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CHAPITRE 4
pérennisation du Conseil européen de la recherche (ERC – European Research Council),
si la proposition de la Commission est retenue fin 2013, après discussion au Conseil et au
Parlement européen ;

aider l’industrie à préserver son avance en matière d’innovation (et donc, espère-t-on à
Bruxelles, sa compétitivité...) avec 24 % du budget ; un investissement majeur dans les
technologies génériques, ainsi qu’un accès élargi aux capitaux et un soutien spécifique aux
PME ;

le reste du budget, soit plus de 40 % dans le projet, sera consacré à « des sujets de
préoccupation majeurs intéressant tous les Européens », regroupés sous six thèmes :
- la santé, l’évolution démographique et le bien-être ;
- la sécurité alimentaire, l’agriculture durable, la recherche marine et maritime et la
bio économie ;
- les énergies sûres, propres et efficaces ;
- les transports intelligents, verts et intégrés ;
- la lutte contre le changement climatique, l’utilisation efficace des ressources et les
matières premières ;
- des sociétés inclusives, novatrices et sûres.
Les piliers « Excellence scientifique » et « Primauté
industrielle »
Les deux premiers piliers reprennent et prolongent pour l’essentiel des actions déjà familières
depuis plusieurs programmes-cadres.
Ainsi, dans le pilier Excellence scientifique, on trouve, outre l’ERC déjà mentionné, les bourses
Marie Curie, l’accès aux grandes infrastructures de recherche et les technologies futures et
émergentes (FET – Future and Emerging Technologies) dont le spectre jusqu’ici limité aux
technologies de l’information et de la communication sera étendu.
Dans le pilier Primauté industrielle, on retrouve le soutien aux technologies génériques2 ainsi que
des actions qui relevaient jusqu’ici du premier programme-cadre pour la compétitivité et
l’innovation (CIP – Competitiveness and Innovation Framework Program) : accès aux
financements « risqués », en clair, à des garanties de prêts de la BEI et/ou accès à du capitalrisque.
Cela se justifie car Horizon 2020 est au sein de la stratégie Europe 2020 (COM, 2010b), une
composante essentielle de l’initiative-phare « Une Union de l’innovation (COM, 2010a) ». Ce
programme devait donc, dans un souci d’intégration de la recherche et de l’innovation, « adopter
une approche élargie pour apporter un soutien sans interruption tout au long du processus
créatif, de l’idée au produit commercialisable ».
De même, ayant pris, dans l’initiative phare Une Union de l’innovation, l’engagement de garantir
une forte participation des PME, la Commission brave le moratoire que le Conseil et le Parlement
européen lui avaient recommandé en matière de « nouveaux instruments » et elle en propose un
nouveau pour les PME, inspiré du modèle du Small Business Innovation Research program
(SBIR) des États-Unis3.
Par ailleurs, la commissaire peut assez légitimement souligner que les PME bénéficieront au
2 Termes qui désignent des « activités de recherche, de développement et de démonstration dans le domaine des TIC, des
nanotechnologies, des matériaux avancés, des biotechnologies, des systèmes de fabrication et de transformation avancés et de
l’espace ».
3 Cf. http://www.sbir.gov/
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CHAPITRE 4
premier chef de mesures de simplification qui visent à réduire les coûts administratifs pour les
participants, à accélérer l’ensemble des processus liés à la gestion des propositions et des
subventions, et à réduire le taux d’erreurs financières.
Défis de société et approche stratégique de l’innovation :
vers une Économie sociale de marché
Genèse d’un projet politique
C’est dans le troisième pilier de la proposition Horizon 2020 de la Commission que l’on retrouve
l’influence des réflexions les plus originales engagées à la suite de la publication en 2007 d’un
Livre vert sur la relance de l’Espace européen de la recherche (COM, 2007). Ce Livre vert
observait un décalage entre l’ampleur des défis sociétaux à l’échelle européenne et celle des
instruments de RD pour y répondre ainsi que « des actions pour assurer l’innovation et le
développement des marchés et/ou des environnements de service public nécessaires à l’adoption
des innovations ».
Le concept de grand défi est apparu dans le débat dès 2008, avant même le premier pic de la crise
économique, à l’occasion du rapport d’un groupe d’experts que présidait Luke Georghiou (Report
of the ERA Expert Group). Il ressortait de son constat que « certains besoins de société,
impliquant des questions complexes et multidisciplinaires, allaient nécessiter une forte
concentration de ressources et de capacités de recherche dans certains domaines prédéfinis, pour
des actions impliquant l’exploration de nouveaux domaines de connaissances et leur exploitation
rapide en Europe ».
Celui qui est devenu depuis le directeur général Recherche et Innovation (DGRI), Robert-Jan
Smits, bien secondé à l’époque par Étienne Magnien et Jean-David Malo, a proposé dans ce
contexte la mise en œuvre de programmes conjoints de recherche, entre États membres
volontaires, en réponse aux grands défis sociétaux de l’Union européenne. Pour ses promoteurs,
l’initiative de programmation conjointe (JPI – Joint Programming Initiative) était d’abord un
processus visant à assurer l’optimisation des efforts de recherche existant au niveau des États
membres et permettant de développer une masse critique pour relever les défis.
Dès 2008, les autorités françaises ont souhaité que l’Europe élabore une réponse collective plus
forte et mieux coordonnée. C’est dans ce but que la première initiative de programmation
conjointe a été lancée, pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne 4, dans
une logique de coordination des politiques de recherche nationales. Cette démarche a conduit à la
création du Groupe de haut niveau pour la programmation conjointe (GPC).
La Déclaration de Lund, adoptée à l’issue d’une conférence organisée dans cette ville par la
présidence suédoise en 2009, confirme que la politique de recherche européenne doit se
concentrer sur les grands défis mondiaux. Cette déclaration stipule que « la société de la
connaissance européenne doit les attaquer avec les meilleures analyses, des actions puissantes et
des ressources accrues. Ces défis doivent se transformer en solutions durables dans des domaines
tels que le réchauffement climatique, l’approvisionnement en énergie, eau et nourriture, le
vieillissement des sociétés, la santé publique, les pandémies et la sécurité… Il faut [en outre]
relever le défi global de transformer l’Europe en une économie éco-efficace. »
4 En étroite collaboration avec les trios de présidence 2007-2009 (Slovénie, Suède, République tchèque, Espagne, Belgique,
Hongrie).
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CHAPITRE 4
L’innovation, porte d’entrée dans une « économie sociale de
marché »
À partir de 2008, une crise financière puis économique, sans précédent pour notre génération, a
précipité l’échec de la stratégie de Lisbonne (Birraux, Le Déaut, 2012, p. 70). En mars 2010, José
Manuel Barroso dresse un constat accablant dans la préface qu’il a jugé nécessaire de donner à la
communication Europe 2020 : « Des millions de personnes ont perdu leur emploi ces deux
dernières années. Il faudra supporter pendant de nombreuses années encore le poids de la dette
générée par la crise, qui a aussi soumis notre cohésion sociale à de nouvelles pressions. [Cette
situation a également] mis en lumière certaines réalités fondamentales quant aux défis auxquels
doit faire face l’économie européenne. Mais pendant ce temps, l’économie mondiale continue
d’évoluer [...]. La crise est un signal d’alarme. »
La stratégie Europe 2020 élaborée dans ces circonstances dessine, aux yeux de la Commission, les
contours de « l’économie sociale de marché européenne au XXIE siècle ». Elle a pour ambition de
démontrer que l’Europe peut, sans changer de système économique, mais en se transformant,
être à nouveau « une terre de croissance intelligente, durable et inclusive » ; qu’elle peut
(re)trouver la voie de la création d’emplois et imprimer une orientation claire à nos sociétés.
Même si, en raison de la crise, il est particulièrement difficile de garantir la croissance
économique à venir.
Déjà handicapée par une démographie vieillissante et un accès limité aux ressources naturelles,
l’Europe est confrontée à un renforcement de la concurrence mondiale et à une restriction de ses
dépenses publiques. Son taux de croissance moyen est structurellement plus faible que celui de
ses principaux partenaires économiques. La Commission et le Conseil européen l’attribuent à
« un écart de productivité qui s’est creusé au cours de la dernière décennie ». Dans cette logique,
pour retrouver des marges de compétitivité, la seule issue envisageable pour améliorer la
productivité européenne consiste à faire massivement appel à l’innovation (Blind, Georghiou,
2010 ; COM 2011b). C’est le rôle qui échoit à l’initiative phare : Une Union de l’innovation,
chargée de combattre les facteurs défavorables à l’innovation tout en évitant la dispersion des
efforts.
Mais de quoi parle-t-on quand on invoque « l’innovation » de manière aussi incantatoire et même
un peu désespérée compte tenu des circonstances ? S’agit-il d’appliquer la méthode Lampedusa,
« tout changer pour que tout reste comme avant » ? S’agit-il au contraire de préparer une
transition ordonnée – enfin, autant que possible – vers le quadrant du développement durable5,
comme Luc Soete l’a suggéré à de nombreuses reprises ?
Innovation mise sur le marché ou mise en société ? C’est ce qu’il importe maintenant de
déterminer à la lumière des textes qui ont conduit à Horizon 2020, version la plus aboutie de la
réflexion collective de l’UE dans ce domaine.
Priorité aux grands défis dans une stratégie de sortie de crise
fondée sur l’innovation
L’Union européenne adhère depuis 2006 à une définition extrêmement large de l’innovation
(COM, 2006). Elle affirme avec un grand œcuménisme que « toutes les formes d’innovation
doivent être promues », courant ainsi le risque de voir le concept perdre l’essentiel de son intérêt
opérationnel. Si tout nouveau mouvement doté d’une quelconque valeur ajoutée économique est
qualifié d’innovation, il devient bien difficile de bâtir quelque stratégie que ce soit. Sauf à revenir
à une pure stratégie de « modernisation » tous azimuts, aujourd’hui impraticable dans une
5 Le World Business Council for Sustainable Development définit ainsi dans sa Vision 2050 l’objectif à satisfaire pour obtenir un
haut indice de développement humain (ONU) et, simultanément, un faible impact écologique mesuré en hectare par personne
(« l’empreinte
écologique »
du
Global
Footprint
Network).
Voir
la
figure :http://www.wbcsd.org/pages/edocument/edocumentdetails.aspx?id=219&nosearchcontextkey=true
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CHAPITRE 4
perspective de « développement durable » et de croissance intelligente. Cette ambiguïté n’est pas
entièrement absente de la communication Une Union de l’innovation.
Lorsqu’elle concède qu’une priorité doit être accordée « aux innovations répondant aux grands
défis de nos sociétés recensés dans la stratégie Europe 2020 », l’UE tempère aussitôt son choix en
indiquant qu’il s’agit de « renforcer notre position dominante dans certaines technologies clefs et
d’exploiter le potentiel de ces marchés pour les entreprises innovantes et l’amélioration de la
compétitivité de l’UE », puis ajoute la nuance complémentaire : « L’innovation doit devenir le
dénominateur commun des politiques de l’Union et celle-ci doit exploiter le potentiel
considérable de son secteur public dans certains domaines tels que l’énergie et l’eau, la santé, les
transports publics et l’éducation, pour mettre sur le marché de nouvelles solutions. » Au total,
sous prétexte d’union, un syncrétisme du discours qui ne fâche personne mais ne permettrait pas
d’éviter la dispersion des efforts, le saupoudrage.
C’est finalement dans Horizon 2020 que la Commission se décide vraiment à accorder une place
prépondérante à l’innovation correspondant à la demande « sociétale » et à six « grands défis »,
avec un budget nettement plus important que celui réservée à l’innovation par l’offre en direction
des « consommateurs » (pilier Compétitivité industrielle).
La logique de l’intervention publique devient alors un peu plus claire. En utilisant l’analyse de
Dominique Foray (2009), il s’agit d’aller au-delà d’une politique conçue classiquement pour
répondre au sous-investissement chronique en RD par les marchés décentralisés (market failure)
en agissant cette fois-ci, non seulement sur le taux du changement technique, comme dans le cas
des politiques de l’offre (ou de « modernisation »), mais aussi en spécifiant, par la demande, la
direction voulue des modifications techniques et socio-économiques vers la solution de grands
défis sociétaux.
On retrouve, comme le recommandaient les parlementaires français dans le rapport (Birraux, Le
Déaut, 2012, p. 44) de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques), la philosophie d’intervention publique qui a présidé au lancement d’Eurêka
(Chaput, à paraître). L’ambition mais aussi les limites du projet apparaissent en 2012, comme en
1983, considérables : il ne s’agit rien moins que d’intervenir sur l’orientation de l’innovation, le
moteur des transformations à l’œuvre dans notre société, et pas seulement sur celle de recherches
entreprises avec des subventions publiques.
Comme le but politique ultime est de trouver une capacité de « croissance intelligente, durable et
inclusive » – tout le contraire de la « mécroissance aveugle, périssable et inégalitaire » que
« l’économie sociale de marché » européenne a longtemps connue – de sévères contraintes
s’exerceront sur le champ des réponses envisageables. À grands traits, il s’agit d’échapper au piège
d’une spécialisation sur les seuls créneaux des industries exportatrices vers les « nouveaux
riches » de régimes corrompus, souvent autoritaires, de produits et de services que la très grande
majorité des Européens sont en train de perdre les moyens, et jusqu’à l’envie (Stiegler, 2009),
d’acquérir pour leur propre compte.
Pour y parvenir, l’UE peut s’appuyer sur le plus grand marché mondial, le Marché unique
européen. Mais ce marché est ouvert à l’innovation venue d’ailleurs, en particulier à des
innovateurs qui ne se préoccupent pas forcément d’éviter le gaspillage des ressources naturelles
et/ou l’exclusion sociale.
L’UE mobilisera-t-elle, dans ces conditions, des ressources suffisantes pour rendre conforme à ses
choix politiques la trajectoire socio-économique engendrée par l’innovation mondialisée sur son
propre territoire ? Quelle capacité d’influence pourra-t-elle construire pour agir au cœur de ce
processus mondial d’innovation dans un sens favorable à une croissance « intelligente, durable et
inclusive », y compris hors de ses frontières ?
Pour les experts du groupe présidé par Luke Georghiou, l’approche par grands défis a le mérite de
mieux « capturer l’imagination des politiques et des citoyens » qui ont eu tendance, ces dernières
années, « à ne plus percevoir aussi positivement qu’autrefois les bénéfices de l’innovation ». Mais
elle exige en contrepartie qu’une forte impulsion politique s’exerce au plus haut niveau, sur un
mode collectif et coordonné au sein de l’UE. Le débat en cours au Conseil et au Parlement
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européen (première lecture Horizon 2020 attendue fin 2012) permettra de mesurer en temps réel
les limites de la mobilisation possible sur la priorité Défis de société.
Défis de société et politique de RD : les conditions d’un
changement de paradigme
Depuis 2008, le Conseil et la Commission sont à la recherche d’une formule qui permette
d’apporter, au sein de l’Espace européen de la recherche, une réponse RD adaptée à chaque grand
défi sociétal identifié, à la hauteur des attentes citoyennes et des capacités de l’UE. Il s’agit d’une
part de coordonner et de mobiliser sur un objectif commun les diverses formes d’interventions
publiques des États membres et de l’Union et d’autre part d’utiliser la force d’intervention ainsi
constituée pour exercer un fort effet de levier sur l’investissement privé en RD dans le domaine
choisi.
En suivant le raisonnement de Dominique Foray, il y aurait deux pré requis pour le succès de
cette démarche :
1.
construction d’un consensus politique de niveau suffisant pour permettre une bonne
coordination du côté du secteur public ;
2. création d’attentes positives à l’égard du domaine, suffisantes pour que des acteurs
multiples et diversifiés s’engagent dans une activité de RD. Sans pour autant « imposer de
solution technologique prédéfinie, ce qui aurait pour effet de paralyser la concurrence et
d’empêcher d’exploiter la capacité extraordinaire d’une économie de marché à stimuler un
grand nombre d’expériences conduites de manière décentralisée – un système où les
innovations peuvent se produire partout et n’importe où (Foray, 2009, p 64-65) ».
La préparation d’Horizon 2020 et la nouvelle logique d’intervention proposée permettent-elles de
satisfaire à ces deux conditions ? C’est ce qu’il faut apprécier.
Structurer une réponse politique cohérente
Pour satisfaire la première des deux conditions, le Conseil, à travers les travaux du GPC, a
exploré, depuis plus de trois ans, les possibilités d’engagement volontaire des États membres
dans la programmation conjointe pour coordonner leurs politiques et programmes nationaux de
recherche. Entre avril et octobre 2010, le Conseil a lancé dix initiatives de programmation
conjointe (JPI) :
- combattre les maladies neurodégénératives, en particulier la maladie d’Alzheimer (JPND
Joint Program - Neurodegenerative Disease Research) ;
- agriculture, sécurité alimentaire et changement climatique (FACCE) ;
- une alimentation saine pour une vie saine ;
- patrimoine culturel, changement global et sécurité ;
- plus d’années, une vie meilleure – Le potentiel et les défis du changement
démographique ;
- le défi microbien – Une nouvelle menace pour la santé humaine ;
- connecter la connaissance sur le climat pour l’Europe (Clik’EU – Connecting Climate
Knowledge for Europe) ;
- les défis de l’eau pour un monde en mutation ;
- Europe urbaine – Défis mondiaux, solutions locales ;
- des mers et des océans sains et productifs.
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CHAPITRE 4
Dans la communication sur les « partenariats pour la recherche et l’innovation » de septembre
2011, la programmation conjointe est définie comme « une nouvelle forme de partenariat publicpublic, fondée sur un engagement de haut niveau à faire face à un problème de société
particulier ». Sans autre manifestation particulière d’enthousiasme, la Commission souligne que
« pour que la programmation conjointe soit un moyen efficace de créer des partenariats de
recherche publique orientés sur le long terme et solides, il faut surmonter des obstacles tels que le
financement transfrontière, la circulation des connaissances et les évaluations ex-ante et expost ».
C’est que, entre-temps, la Commission s’est alarmée de la place prise par l’approche
intergouvernementale dans la mise en œuvre des JPI. Aussi a-t-elle pris soin de proposer, dans
Une Union de l’innovation, un nouveau dispositif communautaire « axé sur les défis à relever »,
les partenariats européens pour l’innovation (EIP – European Innovation Partnerships). Avec une
grande précipitation, un projet pilote sur le vieillissement actif et en bonne santé (AHA – Active
and Healthy Ageing) a été lancé dans la foulée.
La situation confuse ainsi créée ne s’est un peu éclaircie qu’en septembre 2011, avec la publication
des premiers enseignements tirés de la gouvernance et du fonctionnement du partenariat pilote
AHA (SEC, 2011). La Commission doit bien reconnaître que deux grands malentendus ont porté
« d’une part, sur l’idée que les EIP allaient annuler et remplacer d’autres instruments, par
exemple, la programmation conjointe et, d’autre part, qu’ils allaient prédéterminer l’affectation
future des fonds de recherche ». Il est donc crucial de clarifier dès le début d’un partenariat que
« les initiatives politiques, et instruments connexes, gardent leur caractère indépendant, qu’elles
ne sont pas prises en charge et que leur mise en œuvre doit être activement poursuivie. Il est
également important de clarifier dès le début que les partenariats sont un facteur important de la
définition des priorités de recherche dans les programmes de travail annuels pour la recherche de
l’UE et le financement de l’innovation, et non un substitut à des mécanismes de décision
existants, puisque la définition des priorités de recherche n’est pas leur objectif principal. »
Sur cette base révisée, il apparaît que les EIP sont désormais conçus comme des conseils
d’orientation pour la RD et l’innovation associées à un grand défi. Avec cette nouvelle définition,
les EIP sont sans doute appelés à remplir une fonction importante analogue à celle du groupe de
pilotage du SET-Plan6, pour ceux des grands défis qui ne disposaient pas déjà d’une structure de
pilotage. Il est clair cependant que la cohérence et la lisibilité de l’action de l’UE ne gagnerait pas
à une multiplication incohérente des instances de conseil ou de concertation, « sans support
légal », comme le soulignait Philippe Larédo dans le rapport Futuris 20117. La création d’un EIP
devrait en bonne logique être le fruit d’une rationalisation concertée (et sûrement pas imposée
par l’UE) de la gouvernance de la RD européenne.
Un des plus grands défis pour Horizon 2020, dans le cadre de l’Espace européen de la recherche,
« sera d’optimiser la coordination des États membres et du financement de la recherche au
niveau européen afin de répondre aux grands défis sociétaux (COM, 2011a) ». L’approche
européenne de réponse aux défis ne sera complète que si elle peut compter sur les efforts des
États membres pour coordonner leurs politiques et programmes nationaux de recherche, en
particulier à travers un engagement volontaire dans la programmation conjointe. L’ampleur de la
participation de l’UE au financement des initiatives de programmation conjointe reste encore à
définir de manière précise. Horizon 2020 devra en tenir compte dans la mise en œuvre de son
troisième pilier.
6
Steering
Group
on
Strategic
Energy
(http://ec.europa.eu/energy/technology/set_plan/doc/steering_group/2008_term_of_reference.pdf)
7 Larédo Ph., « L’Europe de la recherche et de l’innovation en transition » in Lesourne, Randet (2011), p. 167.
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8
Technologies:
CHAPITRE 4
Mobiliser les acteurs industriels
Le processus politique de décision en cours parviendra sans aucun doute à établir a minima une
liste détaillée de demandes « sociétales » – de problèmes à résoudre – qu’il conviendra ensuite
d’articuler avec les ambitions et les capacités des acteurs.
Pour espérer pouvoir peser sur l’orientation de l’innovation dans un sens plus favorable à ses
choix politiques, l’UE doit, en particulier, mobiliser ses ingénieurs, les plus directement concernés
car les plus aptes à intégrer les connaissances scientifiques dans une perspective d’innovation.
Ces compétences se trouvent en grande majorité dans des entreprises commerciales de statut
privé qui sont, par ailleurs, appelées à jouer les premiers rôles en matière de mise sur le marché
des innovations.
Or, une tendance lourde a été constatée dans les deux PCRD précédents, celle d’un
désengagement progressif des industriels. L’accumulation des contraintes supplémentaires
introduites par une démarche top-down qui vise à orienter politiquement par la demande les
directions de la RD et de l’innovation peut faire craindre la poursuite de cette érosion, au moins
dans le troisième pilier d’Horizon 2020. Ce serait dramatique : « On ne peut assimiler recherche
publique avec mise en œuvre publique dans des services publics8. » L’innovation de secteur public
est d’ailleurs réputée être particulièrement difficile, « les responsables répugnant à prendre des
risques surtout lorsque d’éventuels bénéfices ne sont attendus que pour la législature suivante »
(Georghiou, 2009).
Rendre les missions publiques du troisième pilier d’Horizon 2020 le plus attrayantes possible
pour les organisations à but lucratif constitue bien une deuxième exigence de la logique
d’intervention choisie. « Les interventions publiques ont vocation à aller aussi en aval que
nécessaire pour faire en sorte que les solutions soient développées pour répondre aux enjeux
retenus comme prioritaires par la puissance publique.» À défaut, il s’avérerait impossible
d’obtenir un effet de levier suffisant par basculement (crowding-in) des ressources privées vers les
orientations politiques choisies.
Pour construire cette imbrication entre « objectifs publics » et « secteurs économiques »
recommandée depuis le rapport Georghiou, Horizon 2020 tente de combiner les approches
partenariales et entrepreneuriales des PCRD et du CIP.
 En direction des PME, une profonde réorganisation des modes d’intervention
communautaire est envisagée, appuyée sur l’effort global de simplification. Un nouvel
instrument spécifiquement consacré aux PME fournit à cette fin « un soutien graduel et
cohérent couvrant l’intégralité du cycle de l’innovation. Cet instrument cible tous les types
de PME innovantes démontrant une forte ambition de se développer, de croître et de
s’internationaliser. Il est disponible pour tous les types d’innovation, y compris les
innovations à caractère non technologique et à caractère social et les innovations dans le
domaine des services ».
 En direction des grands groupes, la Commission recycle le concept de partenariat publicprivé (PPP), « fondé sur un arrangement contractuel entre acteurs publics et privés et,
pouvant dans certains cas, revêtir une forme institutionnalisée (cas des initiatives
technologiques conjointes et d’autres entreprises communes) ». Mais aucun engagement
ferme n’est pris quant à la poursuite des initiatives au titre de l’article 185, des initiatives
technologiques conjointes et autres partenariats public-privé préexistants.
La question clé posée dans Futuris 20109, « Les Européens seront-ils capables de mettre en place
des dispositifs intégrés de financement à l’échelle des grands défis sociétaux ? », reste donc
encore largement ouverte. Faudra-t-il vraiment imaginer, comme le redoutait Philippe Larédo en
2011, « défi après défi, des agencements […] ad hoc10 » ? La Commission souhaite pouvoir
8
Larédo Ph., in Lesourne, Randet (2011), p. 163.
9
Barré R., Fontaine J., « L’Espace européen de la recherche et de l’innovation à l’horizon 2020 », in Lesourne, Randet
(2010), p. 115.
10 Larédo Ph., in Lesourne, Randet (2011), p. 167.
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9
CHAPITRE 4
disposer de cette flexibilité pour adapter son dispositif aux spécificités de chacun des défis. Mais
le manque de précision qui en résulte sur la question essentielle des structures de mise en œuvre
est pour le moins préoccupant ; l’incertitude juridique reste pour les industriels un facteur
dissuasif aussi important que la complexité des programmes, les deux allant d’ailleurs souvent de
pair.
Force et faiblesse d’une programmation de la RD par
grands défis sociétaux
Une nouvelle logique d’intervention
En adoptant une orientation par grands défis de la politique de RD qu’elle envisage de
subventionner, la Commission introduit une nouvelle logique d’intervention dans la politique de
recherche de l’UE. Raisonner par problème à résoudre plutôt que par discipline scientifique ou
par secteur industriel est une forme de révolution dans le logiciel des PCRD. Le troisième pilier
d’Horizon 2020 introduit de ce point de vue un changement radical. À la limite, il ne serait
théoriquement pas possible de faire financer une innovation dans ce cadre, si elle n’était pas
intégrée à une solution « complète » pilotée par un coordonnateur assumant le rôle d’architecte
ensemblier.
Pour autant, le troisième pilier d’Horizon 2020 ne renoue pas avec la politique des grands
programmes technologiques à la française. Une préoccupation centrale de la Commission en
matière de conception de programmes orientés vers la résolution des grands défis consiste au
contraire à « les rendre moins vulnérables aux défaillances bien connues des interventions topdown des pouvoirs publics, tels que choix des mauvaises problématiques, stratégie de champion
national, winner-picking et toutes autres formes de distorsions du marché» (Foray, 2009).
Se donner les moyens de traduire des besoins recensés en problèmes de recherche à résoudre est
un impératif trop souvent négligé dans une approche orientée par la demande. La définition de
programmes de recherche pour répondre à des enjeux sociétaux ne découle pas de leur simple
énoncé. Effectuer le rapprochement d’un potentiel d’innovation (bottom-up) et d’une demande
sociétale (top-down) constitue l’étape décisive du processus de programmation et doit s’appuyer
sur une méthodologie rigoureuse. Idéalement, cette programmation devrait se faire sur la base
d’informations validées, d’analyses contradictoires et de prévisions fiables, permettant entre
autres de déterminer les indicateurs de performance à utiliser pour mesurer l’avancement des
travaux.
En capitalisant sur le succès des plates-formes technologiques européennes (ETP – European
Technology Platforms), les EIP pourraient utilement contribuer à la définition des agendas de
recherche. Lieu de rencontre de l’offre et de la demande, à la fois lobbies et incubateurs, ces
partenariats deviendraient, dans une vision « marché », de véritables bourses de la recherche et
de l’innovation européenne, avec l’ensemble des problèmes associés en matière d’accès,
d’information, de transparence et … de délits d’initié, ou dans une version de gouvernance, leurs
« parlements» (Latour, 1999), confrontés aux défis de la représentativité des mandataires et des
stratégies d’influence des intérêts particuliers !
En pratique, la programmation s’appuiera largement sur des stratégies négociées de longue date,
adoptées et parfois déjà révisées : agriculture, développement durable, SET-Plan, mobilité, etc.
Orienter la RD et l’innovation en fonction des choix politiques prioritaires de l’Union doit
conduire à un meilleur alignement de ses objectifs sur ceux des politiques communes. L’action de
l’UE peut y trouver une cohérence qui n’est pas le moindre intérêt de la démarche. Les EIP,
comités de pilotage, steering groups ou standing committees, peu importe la dénomination, se
trouveront, au cœur d’un mode de gouvernance des grands défis, étroitement alignés sur
l’évolution des politiques. Mais ils devront s’affranchir des cloisonnements traditionnels entre
secteurs politiques, une des difficultés à gérer dans cette approche.
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
10
CHAPITRE 4
Programmation par « défi de société » et stratégies sectorielles
communes
Marginalisée dans le 7e PCRD (après l’échec vite consommé d’une tentative d’ouverture dans le
6e), la recherche en soutien aux politiques publiques reprend tout son sens dans le contexte des
défis sociétaux. Neuf directions générales des services ont été associées à la conception du
troisième pilier d’Horizon 2020, non sans difficulté, si l’on en croit le compte rendu que la
commissaire a donné au Conseil de ces débats internes. Les six thèmes finalement retenus
auraient fait l’objet de compromis difficilement arrachés à la dernière minute. La DGRI, qui a
hérité d’une culture de l’innovation par l’offre, a parfois du mal à s’inscrire dans une logique de la
demande.
Trois exemples suffiront à montrer que les relations susceptibles de s’instaurer entre grands défis
et secteurs politiques pour créer les conditions d’une programmation commune ne sont pas
simples.
Pour Sécurité alimentaire, agriculture durable, recherche marine et maritime et
bioéconomie, l’intention de la Commission de lier la politique agricole commune et Horizon 2020
se traduit de deux façons : d’une part, la gestion du défi serait en partie assurée par la DG
Agriculture et, d’autre part, la Commission propose de créer un partenariat européen
d’innovation (EIP) sur l’agriculture et la production agricole durables. Si elle devait se confirmer,
une gestion du défi par la DG Agriculture de la Commission pourrait avoir de fortes conséquences
en termes d’orientation thématique, de type d’activité financée et même d’application des règles
de participation. Il faudrait aussi articuler l’activité de l’EIP concernant la RD avec celle du SCAR
(Standing Committee on Agricultural Research) préexistant.
La proposition confère au SET-Plan, préparé avec la DG Énergie en 2008, un rôle central pour
l’orientation et la programmation du défi Énergies sûres, propres et efficaces. Il est notable que la
Commission propose de financer certains des démonstrateurs inscrits sur les feuilles de route du
SET-Plan par une enveloppe de 1,13 Md€ prise sur l’objectif spécifique « Accès aux financements
à risque » au sein de la priorité Primauté industrielle. Mais ces feuilles de route ont chiffré le
besoin total d’investissements à 80 Md€ sur dix ans ! On mesure sur cet exemple, l’ampleur de
l’effet de levier à rechercher sur un seul des défis, sans doute le plus capitalistique. Alors que le
partenariat public-public Alliance européenne de la recherche énergétique (EERA) est évoqué
comme éligible à « un soutien », la Commission ne fait pas de proposition plus précise quant à la
constitution des initiatives industrielles en PPP, en attente de décision depuis plusieurs mois,
voire plusieurs années. Pourtant, le SET-Plan dispose depuis déjà trois ans de son propre comité
de pilotage et semblerait capable de prendre en charge le partenariat correspondant au défi de
RD.
Avec « Lutte contre le changement climatique, utilisation efficace des ressources et matières
premières », c’est une véritable tension qui s’établit entre Horizon 2020 et la Stratégie
européenne pour le développement durable (EU SDS, révisée en 2006). D’aucuns, proches de la
DG Environnement, déplorent qu’une démarche par défis spécifiques s’éloigne de la vision
systémique et holistique de la stratégie de Göteborg, lui faisant perdre de son influence, alors
même que le développement durable est prétendument intégré (embedded) dans les grands défis.
Les critiques soulignent que le travail déjà effectué dans le cadre des stratégies européennes et
nationales de développement durable a permis de construire une pratique efficace de
l’interdisciplinarité, entre domaines de recherche a priori éloignés, autour d’une « métaphore »
désormais comprise par tous, politiques et chercheurs inclus. Vingt ans ont été nécessaires pour
parvenir à un bon niveau de recherches pluridisciplinaires autour de ce concept laborieusement
construit. Combien de temps faudra-t-il pour que le même niveau de pluridisciplinarité soit
atteint autour des six défis d’Horizon 2020 ? La question mérite qu’on lui prête attention.
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
11
CHAPITRE 4
Intégration de connaissances et approche systémique
Les experts du Copenhagen Research Forum11 ont encore rappelé au Conseil informel de février
2012 que la plupart des questions sociétales les plus pressantes relevaient d’approches multi et
interdisciplinaires. Peter Boyle, le nouveau président de Science Europe, n’a pas hésité a affirmer
que le bilan des PCRD précédents n’incitait pas à l’optimisme sur ce point, les intentions louables
des approches top-down s’étant trop souvent jusqu’ici traduites lors de la mise en œuvre par une
grande rigidité thématique, en particulier lors de l’évaluation.
L’obstacle est de taille. Il ne sera pas surmonté par de simples déclarations d’intention.
L’expérience de la RD « développement durable » en apporte une preuve tangible : il faut de
nombreuses années pour que les réseaux scientifiques se reconfigurent en Europe de l’Ouest.
Quant à la situation dans les douze nouveaux pays membres de l’Union, un rapport récent
concluait à l’absence quasi totale d’approche interdisciplinaire en science, recherche,
développement, et même innovation en Europe de l’Est.
Reconnaître les difficultés de la route ne doit pas nécessairement faire abandonner le projet de
voyage ! Encore faudrait-il prendre un minimum de précautions. Citons en trois :
 Les six défis sociétaux sont eux-mêmes si étroitement couplés qu’il ne peut pas être
envisagé de les laisser développer leurs problématiques sans assurer une cohérence
d’ensemble, systémique. Horizon 2020 ne prévoit pourtant pas de mécanisme régulateur.
La DGRI ne peut raisonnablement assumer pour sa part une tâche de coordination qu’au
sein de l’Espace européen de la recherche. On peut craindre de voir la logique
bureaucratique classique prendre rapidement le dessus, avec retour à six silos, chacun
concentré sur « son » EIP et sur l’administration de son propre défi. Une amélioration de
la structure d’Europe 2020 par rapport à celle de la stratégie de Lisbonne est d’avoir
introduit un niveau intermédiaire, celui des initiatives phares. C’est donc au niveau de
l’initiative « une Union de l’innovation » que devrait être maintenue, jusqu’en 2020, une
indispensable cohésion entre des initiatives qui concernent, techniquement au moins,
neuf directions générales distinctes de la Commission.
 L’existence d’instruments dans les précédents PCRD permettait de définir, au moins « à
gros grain », les modalités de financement, l’impact attendu et les critères d’évaluation.
Dans Horizon 2020, la simplification proposée des règles de financement (taux unique
fixé dans le programme de travail) ne rend plus nécessaire l’existence d’un catalogue
d’instruments pour décrire les modalités de financement. Il devient donc plus facile de
mettre en place des actions ad hoc pour un objectif donné, au risque toutefois de devoir
chaque fois préciser les critères d’évaluation des propositions soumises.
Cette approche n’est pas sans mérite puisqu’elle permet de concentrer l’attention pendant
la phase de négociation interinstitutionnelle sur l’orientation stratégique proprement dite.
Seuls des observateurs avertis peuvent remarquer que la multiplication des actions
contribue à accroître le volume des dispositions destinées à un seul chercheur, une seule
équipe, une seule PME. Mais les projets de recherche collaboratifs multipartenaires (à
frais partagés) restent inscrits dans les gènes de ce programme et constitueront, sponte
sua, la méthode de choix pour sa mise en œuvre.
Quels que soient en définitive les instruments, on remarquera que les modalités
traditionnelles d’évaluation des propositions par consultation d’experts sont en
opposition diamétrale avec le besoin d’une approche systémique. Les experts sont par
définition des scientifiques « pointus », chacun étant amené à donner un avis sur le
segment de la proposition concernant sa discipline. La méthode ne donne pas accès à
la mesure de la cohérence globale des solutions et aux synergies entre les composantes
(ou à leur absence). Le choix entre solutions « complètes » et intégrées concurrentes
(et qui, on peut l’imaginer, feront appel à des technologies et des principes techniques
11 Visions for Horizon 2020 - from Copenhagen Research Forum, 2012).
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
12
CHAPITRE 4
et organisationnels tout à fait différents) est un défi auquel des réponses satisfaisantes
devront été apportées avant le lancement des appels à propositions.
 Au fil des PCRD, les compétences exigées des personnalités scientifiques qui se sont
portées candidates à la coordination des projets n’ont fait qu’augmenter. Avec la
programmation du troisième pilier d’Horizon 2020, ces exigences s’accroissent encore.
Dans une approche pluridisciplinaire des défis, il faudra être capable d’intégrer des
connaissances couvrant plusieurs domaines technologiques et disciplines scientifiques, un
profil rare et très recherché. Une partie de la lenteur des reconfigurations des réseaux au
sein de la communauté scientifique provient sans doute du petit nombre de personnalités
« pivots » capables, toutes disciplines confondues, de réorganiser les connaissances
autour d’elles, tout en établissant de nouveaux liens. Qui voudra (pourra) encore être
coordonnateur dans le troisième pilier d’Horizon 2020 ? Uniquement des « systémiers » ?
Pour éviter d’en faire un point dur du programme, surtout pendant les premières années
de mise en œuvre, la communauté scientifique aurait intérêt à valider auprès de la DGRI
des solutions alternatives pour l’organisation des consortia, permettant de déconcentrer
les décisions et les responsabilités scientifiques, sans doute des formules de gouvernance
plus collégiales, plus collaboratives … et une coordination centrale (encore plus)
administrative et gestionnaire. Ou bien, proposition allemande (Freie Universität Berlin),
des coordonnateurs issus des sciences humaines et sociales : économistes, sociologues,
voire psychologues !
En abordant ainsi les problèmes d’organisation soulevés par la nouvelle logique d’intervention de
l’UE, nous approchons du problème le plus délicat soulevé par le troisième pilier, la dimension
proprement humaine et sociale des grands défis, qu’il faut maintenant discuter.
Pluridisciplinarité et place des sciences humaines et sociales
Lors de sa réunion du 21 février 2012, le Conseil a manifesté une complète unanimité pour
affirmer que les sciences sociales et les humanités (SHS) sont un élément important de la
recherche visant à relever l’ensemble des défis sociétaux. Les ministres sont convaincus « que les
solutions technologiques sont quasiment vaines si les comportements individuels et collectifs ne
sont pas simultanément modifiés » : l’innovation consiste à socialiser des inventions.
Horizon 2020 n’élude pas la question, c’est un de ses mérites. Mais la solution qu’elle tente d’y
apporter n’est pas aboutie. Comme le développement durable, les SHS sont à la fois intégrées
(mainstreaming) sur l’ensemble du pilier et dotées d’un défi qui relève, au moins en partie, de
leur champ, celui de l’innovation « sociale ». Mais ce sixième défi héberge aussi, par suite de
considérations administratives secondaires, un sous-défi Sécurité et d’autres mesures, comme
COST (European Cooperation in Science and Technology) ou le soutien à la coopération
internationale, qui lui sont arbitrairement rattachées. Cet édifice improbable compromet le
sérieux de toute la construction du troisième pilier et rend problématique la gestion du sixième
défi.
En faisant abstraction de cette anomalie, qui sera corrigée, avec un peu de bonne volonté en cours
de négociation, l’orientation donnée à la recherche et à l’innovation sociale dans le sixième défi
reste focalisée sur les besoins exprimés par un corps social particulier en Europe : l’Institution
européenne proprement dite, à la recherche de résultats socioéconomiques pour soutenir et
conforter sa stratégie Europe 2020. Le face-à-face qui s’est instauré, pendant la préparation
d’Horizon 2020, entre les représentants de la communauté scientifique SHS et la Commission a
mis en évidence le statut particulier accordé aux chercheurs SHS. Ceux-ci sont reconnus
essentiellement pour leur activité d’expertise. Le sixième défi, défini sur cette base, relève
beaucoup plus de la sous-traitance d’études en soutien aux politiques communes que de
l’innovation proprement dite.
Si on comprend les raisons qui conduisent le pouvoir politique à reculer devant l’idée de créer un
« partenariat européen pour l’innovation sociale », force est de constater que l’Europe ne fait
qu’entrouvrir une porte dérobée à la réflexion commune sur le vivre-ensemble et la « grande
transformation » en cours. Et pourtant, il serait temps de réagir « à la baisse tendancielle de la
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
13
CHAPITRE 4
préférence pour le futur de tous les acteurs » (Karsenty, 2012). Chez les acteurs privés, le taux de
rendement interne de tout projet (qui compare le coût d’un investissement à ses recettes futures
en les actualisant) est devenu si élevé que les mécanismes du marché ont découragé les
investissements : plus les engagements qu’ils incarnaient étaient de longue durée, plus ils étaient
découragés. Comme les acteurs « publics » suivaient la même pente, une impuissance croissante
des politiques publiques en a résulté, en particulier pour celles qui se réclament d’un
développement durable. Et pourtant, c’est seulement autour d’une innovation responsable
assumée qu’il sera possible de réconcilier l’idée européenne et la société.
L’Europe acteur mondial
Les douze années qui se sont écoulées depuis Lisbonne ont conduit l’UE à réviser ses ambitions et
à prendre en compte la dynamique multipolaire qui nous entoure. Europe 2020 mise sur une
innovation que la majorité des Européens souhaite effectivement « responsable ». S’ils espèrent
réussir à capter sur leur territoire une partie de la valeur qui sera créée par la mise sur le marché
de nouveaux produits, procédés et services, ils souhaitent aussi profiter de cette transformation
en profondeur de leurs modes de consommation pour fonder leur prospérité à venir sur des bases
intelligentes, durables et inclusives.
Cet objectif ne sera pas atteint dans l’isolement mais en interaction avec les autres continents
engagés eux-mêmes sur des trajectoires stratégiques différentes. Les Brics appuient aussi leur
réussite sur l’innovation technologique mais dans un objectif productiviste de consommation de
masse, peu soucieux jusqu’ici du gaspillage, de la surexploitation des ressources rares, du cycle de
vie des produits ou même de la santé. D’autres pays innovants ne partagent pas les précautions
dont les Européens ont appris à s’entourer et préparent des solutions à base de manipulations
génétiques, de cellules souches ou d’e-control qu’il faudra de toute façon étudier avant que les
achats sur Internet ne les mettent à portée de souris !
À l’exception du sixième défi, dont nous avons remarqué qu’il est orienté par des préoccupations
politiques internes de l’UE (nous laissons de côté le mini-programme de soutien à la coopération
scientifique internationale, paradoxalement hors sujet), les cinq autres défis s’attaquent à des
problèmes dont la solution ne peut être trouvée qu’à l’échelle mondiale : une évidence qui impose
d’inclure la RD européenne du troisième pilier d’Horizon 2020 dans le contexte des grandes
coopérations internationales sur le changement climatique, les matières premières, l’énergie, les
ressources agricoles et halieutiques, la démographie et les flux migratoires, la santé publique et
les transports internationaux, etc.
Les objectifs techniques de ces participations sont nombreux, depuis l’accès aux données
mondialisées, aux modèles globaux, jusqu’à la participation aux campagnes d’observation et de
mesure ou aux benchmarks internationaux. Mais les objectifs stratégiques sont plus importants
encore. Il s’agit de faire entendre la spécificité des choix politiques européens suffisamment tôt
dans l’établissement des normes et des standards à respecter dans les échanges concernant
produits, procédés ou services innovants : l’utilisation durable des ressources naturelles,
circulation des hommes, commerce alimentaire et partage des progrès médicaux. Cette longue
énumération ne cite pourtant que quelques-uns des domaines avec lesquels l’innovation
appliquée à la résolution des problèmes sociétaux va interférer à l’échelle mondiale.
Placer les travaux de recherche européens dans cette perspective globale va considérablement
modifier les pratiques de diplomatie scientifique de l’UE. Lorsque les EIP auront été établis,
lorsque les Alliances européennes de recherche seront actives, les coordinateurs sélectionnés, les
JTI, les JPI constitués, qui sera légitime pour représenter la recherche européenne dans les
consortia et les programmes mondiaux à côté des fonctionnaires de la Commission et/ou de ceux
des États membres ? Et d’ailleurs, quelle direction générale : DGRI, DG « politique », diplomates
? L’intérêt général voudrait que ces questions puissent être clarifiées dès le début du programme,
par exemple au niveau des EIP.
La stratégie internationale du troisième pilier ne peut se limiter à une défense avancée des
spécificités européennes. La Commission indique qu’elle devra aussi se préoccuper « de
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
14
CHAPITRE 4
promouvoir l’acceptation et le déploiement éventuel de solutions européennes hors de L’UE ».
Elle oublie au passage, de manière assez révélatrice, les efforts qu’il faudrait aussi réaliser pour
adapter nos solutions à des cultures qui nous restent « étrangères », à des consommateurs
illettrés et/ou insolvables, au sens de notre économie « sociale » de marché.
Voilà qui rappelle opportunément que nous n’aurons pas seulement à nous préoccuper
d’innovation mise sur le marché mais aussi d’innovation mise en société, leçon à retenir, à usage
externe, comme nous venons de le voir, mais aussi à l’intérieur de l’UE où les inhomogénéités
socio-économiques sont fortes, à la limite de l’intolérable.
Les grands défis et la France en 2025
« La grande question de l’avenir n’est pas uniquement de savoir si le PIB aura tel ou tel niveau,
mais de savoir si les Français vivront dans une société qui leur donnera les moyens d’inventer leur
bonheur privé et de maîtriser leur destin collectif12. » Pour parvenir à un « vivre-ensemble,
humainement, dans la durée » en 2025, il faudra commencer par surmonter les tensions dont les
finances publiques font l’objet depuis quatre ans et dont l’origine remonte, pour une bonne part,
aux tensions qui se sont établies entre nos modes de production, de consommation et la
disponibilité des ressources. Ce sont ces tensions que l’approche « par grand défi » vise à réduire
à un niveau supportable sur la planète Terre.
Forces et faiblesses de la France de 2012 face aux grands défis
d’Horizon 2020
Alors que la crise financière se prolonge et impose de rechercher une augmentation de
productivité, les exigences en matière d’environnement et la dépendance vis-à-vis des matières
premières tirent la France vers une nouvelle façon de produire, de consommer, d’habiter, de se
déplacer, etc. La prospective comme l’analyse de la baseline nationale devraient conduire les
Français à s’engager dans une transition dont le succès, au sens défini par France 2025, dépendra
en partie des solutions innovantes apportées aux grands défis sociétaux qui préoccupent le reste
de l’Europe et du monde.
Mais le titre donné au rapport parlementaire que l’OPECST a consacré en 2012 à « L’innovation à
l’épreuve des peurs et des risques » illustre, bien involontairement sans doute, l’ambiguïté de
l’attitude nationale à l’égard du changement. Alors que, dans tout le paquet Horizon 2020, la
notion de risque n’est associée qu’aux aléas financiers ou à d’éventuels échecs techniques, c’est le
processus d’innovation proprement dit qui se trouve en France être l’objet de soupçons, voire de
véritables peurs que les nouveaux réseaux sociaux contribuent à répandre. Les Français se
montrent relativement moins confiants que leurs voisins européens dans les bienfaits de la
science et de la technologie. L’innovation leur paraît trop souvent avoir été pilotée jusqu’ici par le
désir de puissance et la recherche d’un pouvoir de domination. L’histoire ne leur donne
malheureusement pas tout à fait tort.
À ce défaut de confiance citoyenne s’ajoute, à côté d’une large expérience nationale des politiques
publiques par l’offre, « une attitude vis-à-vis de l’innovation en tant que réponse aux besoins de la
société très peu partagée, notamment dans les milieux académiques. L’innovation y est vue
surtout comme conséquence des progrès techniques et scientifiques et non comme la réponse à
un besoin » ainsi que le relève l’OPECST (Birraux, Le Déaut, 2012, p. 20). Sans doute faut-il voir
dans cette situation la manifestation d’une « perte de capacité de représentation de la diversité
des possibles de l’innovation chez ses acteurs potentiels mêmes » dénoncée par Jean-Paul
Karsenty (2012), un lourd handicap dans la perspective d’Horizon 2020.
La trajectoire décrite par les politiques publiques depuis plus d’un demi-siècle oscille entre action
sur l’offre et orientation mission. La période « structuraliste » (Weber, 2011) qui s’achève, s’est
attachée à moderniser tout le dispositif public de RDI, en prenant le risque de créer un « mille12 France 2025. Diagnostic stratégique, préparé avec l’aide du Centre d’analyse stratégique, avril 2008.
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
15
CHAPITRE 4
feuille institutionnel » (Birraux, Le Déaut, 2012, p. 37) qu’il conviendrait surtout maintenant de
stabiliser.
En direction de la recherche privée, le recours aux mesures fiscales – Crédit d’impôt recherche
principalement – s’est accompagné de l’abandon des grands projets d’intérêt public.
L’introduction simultanée de la concurrence dans les services publics a réduit la capacité
d’orientation par la commande publique. La diminution des budgets a eu le même effet dans le
domaine de la recherche et innovation de défense. Revenir à une approche « orientée mission »
constitue sans doute un virage nécessaire, amorcé par la démarche Stratégie nationale de
recherche et d’innovation (SNRI) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
(MESR). Négocier ce tournant imposera des ajustements douloureux dans un dispositif encore
fragile après une importante mutation.
Pour toutes ces raisons, la France pourrait apparaître moins bien préparée que ses plus grands
voisins et que la plupart des pays de la « ligue du Nord » à participer à Horizon 2020. Elle dispose
heureusement de nombreux atouts pour combler son handicap.
Cinq alliances thématiques13 regroupent déjà les principaux acteurs de la recherche publique par
secteur, afin qu’ils élaborent des programmes transversaux et nouent des partenariats avec les
entreprises travaillant dans le même domaine. Concernant les domaines de la santé, du
numérique, de l’énergie, de l’environnement, sans oublier les sciences humaines et sociales, elles
ont pour vocation de répondre à l’ensemble des défis du futur. Instruments d’une concertation
approfondie entre les organismes publics de recherche, les alliances sont une bonne manière de
mettre la recherche française en ordre de marche vers Horizon 2020. Il leur reste à faire preuve
de leur efficacité et en particulier de leur capacité à améliorer l’euro-compatibilité de nos grands
organismes (CEA, CNRS, Inserm,...) qui font figure d’exception culturelle dans un paysage
européen plutôt universitaire.
Avec l’Inra, le Cirad et l’Ifremer, la France dispose de bases scientifiques et techniques solides
pour assumer une position de leader sur le défi Sécurité alimentaire, agriculture durable,
recherche marine et maritime et bio économie, en capitalisant sur l’expérience européenne déjà
acquise dans la préparation des JPI « Agriculture, sécurité alimentaire et changement climatique
(FACCE) » ; « Une alimentation saine pour une vie saine » et « Des mers et des océans sains et
productifs ». De même, la forte position de l’Institut français des sciences et technologies des
transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), qui résulte de la réunion récente des
compétences de l’Inrets (Institut national de rechercher sur les transports et leur sécurité) et du
(Laboratoire Central des Ponts et Chaussées), augure bien de la participation française au défi
« Les transports intelligents, verts et intégrés ».
Invité à Paris, en mars 2012, par l’ANRT, la CPU et le Medef, Robert-Jan Smits a indiqué que la
présence des industriels continuait à être un point fort de la participation française puisqu’elle
représente le tiers des participations nationales au 7e PRCD et se place au deuxième rang
européen en valeur absolue, et même au premier si le volume des subventions reçues est
normalisé au PIB national. Ce résultat s’appuie principalement sur l’action des grands groupes
même si la participation des PME françaises, notamment grâce à Eurostars, reste dans la
moyenne européenne et proportionnelle à leur nombre plus faible que celui des PME allemandes.
Développer parmi les chercheurs, ou autour des équipes de chercheurs, des compétences de
conception intégrée de solution technique, indépendamment des disciplines académiques
concernées, fait appel à des compétences rares. Elles existent cependant et sont typiquement le
fait d’ingénieurs généralistes dont le modèle est présent en France, peut-être plus qu’ailleurs.
Cette caractéristique contribue à la place assez particulière que pourrait prendre la France dans le
dispositif, compte tenu de ses compétences spécifiques à organiser et concevoir de grands
systèmes sociotechniques intégrés.
13 Il s’agit d’Aviesan, Allistene, Ancre, AllEnvi et Athena.
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
16
CHAPITRE 4
Opportunités et menaces
Les ressources de recherche et innovation publiques et privées de notre pays sont concentrées sur
le pilier des grands défis sociétaux, ce qui peut être perçu à la fois comme une force (puisque ce
pilier concentre à lui seul plus de 40 % du budget communautaire dédié à la recherche et à
l’innovation sur la période) ou comme une faiblesse, car la spécialisation est facteur de
vulnérabilité aux aléas.
Nos groupes industriels mondialisés ont déjà largement intégré dans leurs réflexions stratégiques
les défis sociétaux qui vont restructurer les conditions de concurrence sur les marchés. Ils sont
particulièrement bien placés pour anticiper sur leurs concurrents en participant à la recherche
européenne sur les systèmes de transports du futur, tous modes confondus, le nucléaire après
Fukushima et l’avenir des réseaux de distribution énergétique, l’observation spatiale des
changements globaux, la pharmacie, la sécurité, dans toutes ses configurations, la gestion de
l’eau, des déchets, etc. Leur participation aux consortia européens, aux JTI, aux EIP, et par là aux
programmes des organisations mondiales, confortera leur leadership tout en renforçant
l’application des normes et des standards européens sur les marchés où ils ont assuré leur
présence avec des produits, procédés ou service innovants, conformes aux choix politiques
européens.
Les experts s’accordent en général à penser que les innovations de rupture ne seront pas le fait
des très grandes entreprises, qui sont par nature moins aptes à prendre des risques que des
petites structures. « C’est par une participation active au développement de jeunes entreprises
innovantes que les grands groupes peuvent éviter “l’aveuglement du leader” et rester à la pointe
de la technologie en réorientant au fur et à mesure leurs compétences sur les secteurs et dans les
domaines des start-up dont ils ont facilité le développement et dont ils peuvent détenir une part
du capital » (Birraux, Le Déaut, 2012, p. 100). Les études d’impact ont toutes montré que c’est en
favorisant la création de réseaux de coopération associant grands groupes et PME que les
programmes européens ont apporté jusqu’ici la contribution la plus efficace à ce processus. Avec
la décision prise de soutenir les PME depuis Bruxelles dans tout le cycle de l’innovation, de
favoriser toutes les formes d’innovation dans les PME de toutes catégories et de faciliter l’accès au
capital-risque, l’UE crée une nouvelle opportunité dont il faut espérer que les PME françaises
sauront s’emparer, surtout si, conformément à l’engagement pris par Hugues-Arnaud Mayer,
président de la commission Innovation du Medef, « une équipe de France » est constituée « pour
aller capter les fonds ».
Mais le problème pour la recherche française n’est pas (enfin, pas uniquement, compte tenu du
délabrement de nos comptes publics) d’aller frapper à un nouveau guichet. Il convient d’admettre
que si nous ne parvenons pas à occuper la place qui nous revient dans les équipes européennes en
cours de constitution pour trouver des solutions innovantes aux six défis de société désignés par
l’UE, nos efforts nationaux seront d’ici 2020 marginalisés au plan mondial.
Faute d’une mobilisation d’ampleur nationale dans les deux prochaines années pour placer notre
recherche, avec ses points forts publics et privés, au centre des réseaux qui vont contrôler le
troisième pilier d’Horizon 2020, la France perdra dès 2014 toute chance de recueillir sur son
territoire au moins une partie de l’innovation responsable qui va être générée d’ici 2025 au sein
de six « défis sociétaux » sur lesquels elle aura pourtant largement contribué, depuis 2008, à
mobiliser ses partenaires.
En guise de conclusion
Une « grande transformation » affecte le monde entier et provoque une instabilité planétaire. Au
milieu d’incroyables difficultés, l’Union européenne a trouvé en elle-même les ressources pour
concevoir une stratégie de recherche et d’innovation qui n’est pas le simple réarrangement des
fauteuils sur le pont du Concordia. La pertinence et la cohérence des orientations proposées à la
recherche européenne dans Horizon 2020 peuvent être saluées. Pour autant, l’UE sera-t-elle en
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
17
CHAPITRE 4
capacité de convaincre les administrations nationales non seulement d’aligner au moins une
partie de leurs propres stratégies selon les mêmes orientations mais aussi d’engager une partie de
leurs moyens humains et matériels dans des opérations concertées, coordonnées avec celles de
leurs voisins et celles qui seront impulsées directement par l’UE ? Parviendra-t-elle à attirer sur
les orientations choisies l’investissement des grands groupes mondialisés européens en
capitalisant sur le petit (trop petit ?) nombre d’expériences réussies d’initiatives technologiques
conjointes (JTI) ou de partenariats public-privé (PPP) ?
Même en supposant acquis le soutien franco-allemand indispensable au lancement de ce
programme, il restera à résoudre pour sa mise en œuvre un problème de gouvernance. Les
difficultés associées au pilotage de la stratégie de Lisbonne expliquent en partie son échec. La
Commission en est consciente. Pour faire face à un vide juridique persistant, elle a tenté de lancer
rapidement, début 2012, deux nouveaux partenariats européens pour l’innovation (EIP) :
« Productivité et développement durable de l’agriculture » (COM, 2012a) ainsi que « Assurer
l’accès aux matières premières pour le bien-être futur de l’Europe – Proposition de partenariat
européen d’innovation concernant les matières premières » (COM, 2012b). Elle prépare en outre
deux autres EIP, l’un sur le thème de l’eau et l’autre sur les villes intelligentes, pour lesquels elle
publiera deux communications cette année même.
La légitimité démocratique et la pertinence scientifique et technique de la programmation des
travaux de recherche et innovation du pilier Défis de société du programme Horizon 2020
justifient la mise en place de procédures de concertation largement rénovées et élargies, ainsi que
la participation de « parties prenantes » issues de la société civile et du monde politique, à la fois
motivées et raisonnablement compétentes. Le dispositif qui est en train de se construire dans une
certaine improvisation autour des EIP doit contourner les blocages qui ont affecté à l’étape
précédente la mise en œuvre de la Méthode Ouverte de Coordination.
Pour qu’une architecture robuste et des communautés actives émergent de la phase
d’apprentissage des partenariats, il faut que toutes les parties prenantes puissent capitaliser sur
les différentes expériences d’organisation ad hoc. Chaque « communauté » devrait être dotée d’un
véritable réseau social d’échange d’informations stratégiques14, tous ces réseaux interagissant
entre eux dans le cadre d’Une Union de l’innovation15. Car c’est bien au niveau de cette initiative
phare que la stratégie trouve sa cohérence. C’était probablement le maillon manquant de la
stratégie de Lisbonne ; c’est à ce niveau qu’il serait sans doute désormais judicieux d’instituer
l’organe de supervision de l’action de l’UE face aux grands défis sociétaux, indispensable clé de
voûte de la construction en cours.
Bibliographie
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(1983-1986). De la guerre des étoiles à la construction européenne, à paraître chez L’Harmattan
(Prix 2011 de l’Institut François Mitterrand).
14 Le système d’information du SET-Plan (SETIS) peut être considéré comme un prototype, au moins au niveau des principes,
même si en pratique sa mise en œuvre par le CCR s’écarte beaucoup trop du modèle des réseaux sociaux et sacrifie l’interactivité
pour revenir à un simple site Web traditionnel (http://setis.ec.europa.eu/).
15 On notera à nouveau l’absence d’interactivité d’I3S (Innovation Union Information and Intelligence System), plate-forme
proposée par les services de la Commission, en fait simple archive de documents institutionnels
(http://i3s.ec.europa.eu/home.html).
FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
18
CHAPITRE 4
COM(2006) 502 final : Mettre le savoir en pratique : une stratégie d’innovation élargie pour
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COM(2011b) 500 final : Un budget pour la stratégie Europe 2020, Bruxelles, 29 juin 2011.
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Bruxelles, 29 févr. 2012, (http://eurlex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexplus!prod!DocNumber&lg=FR&type_doc=C
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19
CHAPITRE 4
SEC(2011) 1028 final - Commission Staff Working Paper: The Pilot European Innovation
Partnership on Active and Healthy Ageing (AHA). First experiences on governance and
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1
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FUTURIS - GRANDS DEFIS POUR HORIZON 2020 - 2012
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