Les métiers scientifiques ont ils un sexe

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Les métiers scientifiques ont ils un sexe
Les
Rencontre-débat organisé par DocForum, en collaboration avec l’Institut national des sciences
appliquées (INSA) de Lyon et FRV100, Agence de sciences humaines appliquées, dans le cadre de
la 4ème édition de la Quinzaine pour l’égalité femmes-hommes en Rhône-Alpes, le 14 octobre
2014, amphithéâtre Marie Curie, INSA de Lyon.
Conférence de Muriel Salle, maîtresse de conférences à l’Université Claude Bernard-Lyon 1 et
chercheure au Centre de Recherche et d'Innovation sur le Sport (CRIS), suivie des témoignages
de
Carole Plossu, professeur des universités et directrice du premier cycle de l’INSA et de
Corinne Dorel-Flamant, maîtresse de conférences à l’INSA.
Les métiers scientifiques ont-ils un sexe ?, Muriel Salle
L’égalité hommes-femmes, une idée ancienne et peu univoque
L’idée de l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas neuve. En France, elle remonte au
moins au 15e siècle, avec les déclarations de Christine de Pisan (1364-1430), philosophe et
poétesse. Au 18e siècle, de même, Condorcet (1743-1794) demande l’élargissement à tous du droit
des hommes proclamé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Un souhait
également défendu dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1792) de Olympe
de Gouges (1748-1793). Pourtant, bien que l’idée d’égalité existe et se développe, longtemps les
femmes n’ont pas de droits équivalents à ceux des hommes.
Trois vagues de féminisme se développent alors successivement. Le premier, celui des
Suffragettes, femmes de classe aisée, débute en France à la fin du 19e siècle pour s’achever en
1944 avec l’attribution du droit de vote aux femmes. Le second apparaît dans les années 1970
autour de revendications sur la liberté des conduites et du droit à disposer de son corps. Enfin, un
troisième moment, fait de courants très divers comme les Femen ou La Barbe Groupe, est
aujourd’hui remarquable. En jeu, ancrer l’égalité des droits dans les faits car, par exemple, malgré
cinq lois différentes sur l’égalité salariale, les femmes perçoivent toujours des salaires de
23% inférieurs à ceux des hommes !
Si les mouvements d’actions diffèrent, les inspirations philosophiques sont également plurielles.
D’une manière générale, on distingue une conception essentialiste ou différencialiste et une
conception universaliste. La première, dont une des représentantes les plus connues est Antoinette
Fouque (1936-2014), insiste sur la différence irréductible entre homme et femme. Il y a deux sexes,
deux manières d’être au monde et LA femme doit être revalorisée pour parvenir à l’égalité avec
l’homme. Dans la seconde conception, représentée par de Simone de Beauvoir (1908-1986), les
différences anatomiques entre hommes et femmes ne doivent pas laisser penser qu’elles induisent
des différences essentielles. La Raison est une et universelle, et il peut y avoir plus d’écarts entre
deux individus du même sexe qu’entre un homme et une femme. Dans ce courant, LES femmes
doivent parvenir à l’égalité au nom de l’universalité du genre humain.
Moins de filles dans les carrières scientifiques : y a-t-il un sexe des sciences ?
L’orientation des jeunes, tout au long de leurs études, contribue à marquer fortement les métiers.
Ainsi celui d’assistante maternelle est-il exercé à 98% par des femmes. Une situation qui évolue ;
magistrat, médecin, enseignant, autant de bastions masculins se féminisent. Mais qu’en est-il des
sciences ? L’idée préconçue veut que les filles soient douées pour les lettres et les garçons pour
les mathématiques. Mais un examen approfondi des statistiques permet de la déconstruire
aisément. Car les filles sont bien présentes dans les filières scientifiques, et si elles sont surreprésentées dans les filières littéraires, n’est-ce pas que celles-ci seraient désertées par les
garçons ? En réalité, les données montrent que les filles réussissent bien à l’école, y compris dans
les matières scientifiques.
Pour expliquer les écarts d’effectif filles/garçons, que l’on constate par exemple dans les classes
préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou les métiers d’ingénieurs (30% de filles), c’est d’autres
raisons que l’aptitude supposée des unes et des uns qu’il faut invoquer. En observant le
déroulement des cursus, on s’aperçoit que les orientations sont des moments charnières. Bien que
les filles réussissent aussi bien que les garçons, elles poursuivent moins fréquemment dans les
filières scientifiques. Ainsi, 60% des filles qui se pensent bonnes en mathématiques choisissent
d’aller en 1ère S, un chiffre qui montent à 80% pour les garçons ! Manque d’encouragement et de
confiance en soi, autocensure, etc., les filles se sentent moins légitimes que les garçons à
s’engager dans ces choix d’études.
Le poids des représentations et des stéréotypes
Pour rendre compte de cette situation, il est indispensable de comprendre l’impact des
représentations communes. Filles et garçons ne portent pas les mêmes et, quand nous n’en avons
pas toujours conscience, nous leur transmettons des stéréotypes. Le rêve romantique de
princesses aux filles, l’ambition combative aux garçons ! Derrière le cliché, des représentations qui
influent sur l’idée que chacun se fait de son rôle et de sa place dans la société. Très clivant dans
les orientations de carrières, les mathématiques et les sciences servent de levier : on y orientera
plus facilement les garçons dont la réussite, implicitement, est plus déterminante pour eux que pour
les filles. La pression sociale est ici bien plus prégnante qu’un supposé goût personnel des filles
pour la biologie ou les lettres. De fait, hommes et femmes ont bien le même cerveau, comme ont
pu, par exemple, le montrer les travaux de Catherine Vial. Ce sont bien des différences culturelles
qui sont en jeu. On parle alors de « socialisation différenciée » ou, comme le sociologue Bernard
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Lahire, de « socialisation silencieuse » qui conduit, souvent à notre insu, à « fabriquer » des filles et
des garçons par le biais d’encouragements / découragements, d’incitation / coercition.
Cette différenciation des rôles plonge ses racines dans une distribution très ancienne des places,
lorsque les femmes n’avaient pas accès à un savoir pouvant leur conférer du pouvoir, comme
quand elles étaient exclues des enseignements de grec ou de latin, les langues véhiculant la
connaissance. Ainsi, plus les sciences ont représenté un outil de sélection des carrières et de
distribution sociale des places, moins les femmes ont été incitées à suivre ces cursus.
Carole Plossu, professeure des universités, directrice du premier cycle de l’INSA
L’INSA est un bon cas d’étude pour illustrer l’inégal accès des filles au métier d’ingénieur. Un
premier chiffre témoigne de cet écart : sur les 1400 candidats aux INSA de France, seules 28%
sont des filles. Mais, et cela démontre bien de ce que les filles sont loin d’être moins douées que les
garçons pour les matières scientifiques, elles représentent 40% des admis ! Par ailleurs, si les filles
sont plus nombreuses à l’INSA que dans les CPGE, c’est parce que l’INSA propose des
enseignements plus en adéquation avec les représentations de ce qui convient aux filles,
notamment la présence de 20% d’enseignements en humanités. Une hypothèse qui se vérifie si
l’on compare les filières INSA classiques (30% de filles) et les filières INSA internationales ou arts
études (50 à 60% de filles). Des différences qui se retrouvent également dans les choix de
départements, en fin de premier cycle. Les filles sont plus nombreuses à se diriger vers
l’environnement ou la biologie, quand les garçons se destinent plus massivement à l’informatique !
Corinne Dorel-Flamant, biologiste, maîtresse de conférences à l’INSA
Témoigne d’un parcours d’enseignante-chercheure typique d’une « fille ». Un cursus universitaire
davantage marqué par les contraintes conjugales et familiales que par de vrais choix de carrière,
congé parental amputant le temps consacré aux publications, etc., Corinne Dorel-Flamant expose
les conditions qui expliquent aujourd’hui un retard de carrière. Elle témoigne ainsi d’une situation
assez couramment partagée par les femmes, dont la carrière professionnelle passe après la vie
familiale. Pourquoi ? Souvent par le fait de la pression sociale et des stéréotypes de genre, pas
toujours explicités, qui situent les femmes dans des rôles bien déterminés : s’occuper de la maison
et des enfants, soutenir des carrières de leur mari, etc. En généralisant son parcours, on comprend
pourquoi il a moins de femmes professeures, et pourquoi il est aussi déterminant de donner
confiance aux jeunes filles et de les aider à déconstruire ces stéréotypes qui les enferment.
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