Edito Famille - La Gazette du Palais

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Edito Famille - La Gazette du Palais
G a ze tte Spé ci a li s é e
É d itori a l
Le consentement mutuel par acte d’avocats :
un défi à relever
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270t7
Béatrice WEISS-GOUT
Avocat au barreau de
Paris, BWG Associés,
ancien membre du
Conseil national des
barreaux
et
Élodie MULON
Avocat au barreau de
Paris, associé, Mulon
Associés, membre du
Conseil national des
barreaux, ancien membre
du conseil de l’Ordre
“ C’est sous la seule
responsabilité des avocats
que les justiciables
devraient prochainement
divorcer par consentement
mutuel
”
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C
’est toujours un exercice difficile et intéressant d’écrire à quatre
mains sur un sujet qui a donné lieu à un cheminement différent
mais pour parvenir aujourd’hui à une même analyse : la nécessité,
pour la profession d’avocat, de s’emparer de ce nouveau mode de divorce
qu’est le consentement mutuel par acte d’avocats.
La profession est divisée, les deux auteurs l’étaient aussi : l’une était vent
debout contre la suppression du juge, pour des raisons qui lui semblaient,
et lui semblent toujours légitimes, et qui tiennent notamment au rôle essentiel du juge dans ce moment de vie difficile qu’est un divorce, à son
imperium qui sert parfois de garde-fou face aux pressions que peut exercer
l’un des époux sur l’autre et au traitement différent des enfants dans les
séparations selon que les parents sont mariés ou non. L’autre était très
favorable à cette réforme, comme la reconnaissance du rôle irremplaçable
de l’avocat et la meilleure solution pour le citoyen dans un contexte de
déjudiciarisation inévitable.
Chacun a fait valoir ses arguments. L’Assemblée nationale a voté, la commission mixte paritaire a échoué, c’est donc l’Assemblée nationale qui aura
le dernier mot. Le divorce par acte d’avocats va ainsi, selon toute vraisemblance, voir le jour sous peu.
Voici donc aujourd’hui le Barreau de famille face à un nouveau défi. C’est
désormais sous la seule responsabilité des avocats que les justiciables divorceront par consentement mutuel. La possibilité de le faire devant le juge
sera subordonnée à la seule demande de l’enfant d’être entendu par lui. Soit
une hypothèse rare, car les enfants ne demandent pas à être entendus dans
les divorces par consentement mutuel.
Certes, le texte est loin d’être parfait et notre combat, pour être efficace,
doit aujourd’hui être mené sur son contenu, et non son esprit. Le nouvel
article 229-1 du Code civil prévoit désormais que les époux qui souhaitent
divorcer par consentement mutuel peuvent faire constater leur accord sur
le principe et les effets de leur divorce dans une convention établie sous
la forme d’un acte d’avocats. On voit mal, dès lors, pourquoi le législateur croit nécessaire de prévoir que le notaire doive contrôler si les avocats
ont respecté certaines des exigences formelles prévues au nouvel article
229-3 du Code civil, et notamment si les époux ont bien donné leur accord (art. 229-3, 3°), si les modalités du règlement complet des effets du
divorce ont bien été mentionnées (art. 229-3, 4°), ainsi que la liquidation du régime matrimonial, le cas échéant. Est-ce ainsi que le garde des
Sceaux témoigne de sa confiance envers les avocats ? Le texte doit donc
être amendé pour ne laisser au notaire que la mission de conférer à l’acte la
force exécutoire, jusqu’au jour – que l’on espère prochain – où cet acte sera
revêtu de cette force. Il n’est ni acceptable ni dans l’esprit de la réforme que
les actes d’avocats soient soumis au contrôle du notaire et à son arbitrage
pour conférer ou non la force exécutoire à l’acte en fonction, sous couvert
de formalisme, de l’opinion qu’il aura sur le contenu de la convention.
C’est déplacer l’office du juge vers le notaire, concurrent de l’avocat en
matière de liquidation.
Cependant, pour que l’acte d’avocats finisse enfin par se voir conférer force
exécutoire, le Barreau de famille, qui a aujourd’hui une lourde responsabilité à cet égard, doit faire preuve de sa détermination à s’emparer de
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G a z e tte Sp é cia lisée
É di t o r i al
“ Le Barreau de
famille doit s’emparer
de la possibilité qui lui
est désormais offerte de
proposer aux justiciables
un divorce plus rapide
et totalement sécurisé
”
la possibilité qui lui est désormais offerte de proposer aux justiciables un
divorce plus rapide et totalement sécurisé du fait de la compétence et de la
déontologie des avocats.
La volonté de déjudiciarisation des pouvoirs publics n’est pas nouvelle.
Nous l’avons combattue avec force, mais nous nous sommes aussi préparés
à d’autres formes de règlement des conflits que le « tout judiciaire », ce qui
semble une aspiration des citoyens, au moins dans le domaine de la famille.
Il semble que le temps soit venu d’approfondir notre action en ce sens et
de mieux accompagner ce mouvement. Démontrons que notre profession
est la plus à même de conseiller et de soutenir les justiciables en difficulté.
Sinon, d’autres prendront la place que cette réforme nous donne.
Nous pouvons choisir de regretter ce temps que les moins de vingt ans ne
peuvent plus connaître, ce temps où la justice publique avait le temps et
les moyens de ses missions et de ses ambitions, ce temps où les justiciables
avaient accès au juge dans des délais raisonnables. Mais nous pouvons aussi
choisir d’être à la hauteur des ambitions que les pouvoirs publics semblent
avoir pour nous aujourd’hui, d’accepter que les temps changent – et que
c’est tant mieux –, de se dire que l’avocat dans la cité n’est pas un vain
mot et de prendre notre place à chaque endroit où le besoin de droit se
fait sentir. Se dire que dans les pays où l’office du juge recule, c’est celui
de l’avocat qui doit s’étendre pour la protection des citoyens. C’est un défi
exaltant qui nous est lancé : relevons-le ! •
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