Pratiques quotidiennes des communautés populaires mal

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Pratiques quotidiennes des communautés populaires mal
Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004 pp. 44-56
Pratiques quotidiennes des communautés
populaires mal branchées
aux réseaux d’eau et d’assainissement
dans les métropoles brésiliennes :
les cas de Rio de Janeiro et Salvador
Mauro Kleiman
INTRODUCTION
Dans le processus d’urbanisation brésilien, les infrastructures
d’eau et d’assainissement en réseau se caractérisent par de
fortes inégalités socio-spatiales tant aux niveaux régionaux et
interurbains qu’à l’intérieur même des villes entre classes les
plus aisées et communautés populaires. D’un côté, il existe des
réseaux modernes, régulièrement étendus et qui offrent un service de qualité dans les espaces résidentiels de haut standing
déjà bien équipés. Ces zones dites « rentables » deviennent
ainsi de plus en plus attractives pour le capital immobilier, au
contraire des quartiers populaires considérés comme non valorisables. Abritant les populations à faibles revenus, ces espaces,
principalement favelas et lotissements périphériques, sont totalement ou partiellement dépourvus de réseaux. Ils souffrent du
manque ou de la mauvaise qualité de services d’eau et d’assainissement : discontinuité de la desserte, pannes, mauvaise
maintenance, etc. (Vetter et al., 1979 ; Santos, 1980 ; Smolka,
1987 ; Jacobi, 1989 ; Oliveira et al., 1991 ; Kleiman, 1997,
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2002). Après des décennies d’oubli, ces quartiers ont fait l’objet, depuis le début des années 1990, de programmes publics
visant à les approvisionner en services de base et, par là, à les
insérer socialement à la « ville formelle ».
Ce travail porte sur les pratiques quotidiennes développées
dans les communautés populaires pour faire face aux situations
de non branchement ou de « mal branchement » aux réseaux
d’eau et d’égouts. Il s’appuie sur des cas étudiés à Rio de Janeiro
et Salvador, exemplaires des trois types de situations rencontrées dans les quartiers populaires : absence totale de réseau,
présence de réseaux alternatifs construits par les communautés
et de petits réseaux officiels précaires, sites d’implantation des
« Programmes Spéciaux d’Eau et d’Assainissement » (1). Il s’agit
de montrer comment la précarité dans l’accès aux services de
base conduit à l’émergence d’une sociabilité particulière.
Malgré plusieurs études sur les inégalités socio-spatiales
dans l’accès aux services urbains (Vetter, 1981 ; Rocha, 1994 ;
Kleiman, 2002), les habitudes quotidiennes en matière d’eau et
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
d’assainissement dans les favelas et lotissements périphériques
restent encore mal connues (2). Elles relèvent du champ d’étude constitué par l’analyse des modes de vie urbains comme
« systèmes d’habitudes quotidiennes » et des significations qui
leur sont associées afin d’articuler, dans la pensée sur la ville,
les processus socio-économiques à leur dimension culturelle.
Complémentaire des études macro-économiques et politiques
sur la ségrégation socio-spatiale, une telle approche permet
d’observer l’ensemble des pratiques et processus par lesquels
les individus organisent leurs réponses aux contraintes quotidiennes. Elle ouvre aussi la question de la temporalité de ces
processus. Le développement technologique et l’introduction
de nouvelles méthodes d’hygiène au milieu du XIXe siècle ont
permis l’équipement en réseaux des quartiers riches et l’apparition de changements culturels : valorisation de l’espace privatif
et de l’intimité, libération de temps quotidien pour profiter de
ces améliorations. Pour les pauvres au contraire, l’organisation
journalière reste déterminée par les activités de collecte puis
d’évacuation de l’eau.
La méthode d’analyse des pratiques quotidiennes s’appuie
sur l’identification et la connivence avec le milieu social, nées
de l’immersion dans les lieux de vie des pauvres — avec ce
qu’elle implique comme préliminaires d’approche des populations et de précautions (3). La transcription des observations
(visites, entretiens, etc.) permet de resituer un fait micro-localisé, une micro-situation et ses micro-routines dans une investigation urbaine plus générale. En outre, nous avons cherché à
apprécier l’efficacité sociale des services. Les indicateurs quantitatifs classiques ont un haut degré d’agrégation et signalent
seulement l’existence physique de canalisations. Pour pallier ce
manque d’indicateurs, plusieurs critères ont été retenus (caractéristiques des réseaux, entretien des infrastructures, qualité des
prestations, etc.) (4), (Kleiman, 1997).
L’article comporte trois parties. La première montre, à partir
des taux de desserte en eau et d’équipement en assainissement,
les inégalités socio-spatiales dans ce domaine au Brésil et
notamment à Rio de Janeiro et Salvador. La deuxième s’appuie
sur des exemples et témoignages concrets d’habitants pour
mettre en évidence les pratiques développées dans les communautés populaires pour faire face aux problèmes d’eau et d’assainissement. La dernière propose une réflexion sur les modes
de sociabilité développés dans ces situations de mauvaise articulation aux réseaux, et questionne les récents programmes
d’eau et d’assainissement réalisés dans les quartiers populaires.
EAU ET ASSAINISSEMENT AU BRÉSIL
ET DANS LES COMMUNAUTÉS POPULAIRES
DE RIO DE JANEIRO ET SALVADOR
Les données officielles les plus récentes (recensement de la
population, 2000) montrent la non universalisation des services
d’eau et d’assainissement au Brésil et les fortes inégalités dans
leur distribution socio-spatiale, ainsi qu’un décalage manifeste
entre la situation de l’alimentation en eau et celle de l’évacuation des eaux usées.
Globalement, 78 % des logements sont équipés de l’eau à
domicile tandis que moins de la moitié (44 %) sont raccordés à
un réseau d’égout — parmi ceux-là, près de 65 % ne subissent
aucun traitement des eaux usées collectées. Significativement,
plus de 15 % des ménages utilisent des latrines, dont un quart
fonctionne avec une fosse rudimentaire (24 %) et une partie
mineure (15 %) avec une fosse septique. 8 % des maisons n’ont
pas de salle de bains. Au niveau régional, les différences sont
nettement marquées. Ainsi entre le Sud-Est, région la plus développée du pays, et le Nord-Est, la plus pauvre, dont relèvent les
cas analysés ici (respectivement Rio et Salvador) : 88 % des
logements sont raccordés au réseau d’eau potable dans le SudEst contre 66 % dans le Nord-Est, tandis que 73 % sont branchés au réseau d’égout dans le Sud-Est pour seulement 25 %
dans le Nord-Est — où 34 % des habitations disposent d’une
fosse rudimentaire et 24 % n’ont même pas de salle de bains.
Ce constat d’asymétrie s’accentue encore si l’on observe les
différences entre niveaux de revenus. 80 % de la population
brésilienne se situent dans les tranches de faibles à très faibles
revenus (au plus deux salaires minimum, sachant qu’un salaire
minimum est d’environ 60 Euros). Dans ces tranches, 38 % de
la population n’ont pas l’eau à domicile et 59 % ne disposent
pas du tout-à-l’égout (recensement de 1991). Mais c’est lorsqu’on se place à une échelle micro-locale qu’on peut réellement appréhender combien la situation des quartiers populaires
est dramatique, avec ses légions de « sans services » et de « mal
servis ». L’une des explications est que dans les favelas et les
lotissements périphériques, ceux de Rio de Janeiro et de
Salvador notamment, l’habitat est auto-construit et qu’il n’existe donc aucune infrastructure officielle, tant pour amener que
pour évacuer l’eau (Santos, 1980 ; Kleiman, 1978). Depuis près
de soixante ans, l’État a utilisé cet argument juridique, soit pour
déclarer illégales les occupations de terres et les habitations qui
y étaient construites (dans le cas des favelas), soit en considé-
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rant comme clandestins ou irréguliers les lotissements périurbains. Ce faisant, il a pratiqué une politique de l’absence, préférant ne pas raccorder ces zones d’habitat populaire aux
réseaux d’eau et d’assainissement et les laissant de fait comme
de droit en dehors de la ville officielle.
Dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro
85 % des domiciles sont branchés au réseau d’eau, mais seulement 64 % au réseau d’égout — pour 22% qui utilisent une
fosse septique, 10 % un simple caniveau et 3 % une fosse rudimentaire. D’après les données du recensement de l’IBGE
(2000), la desserte en eau dans les municipalités de la « Baixada
Fluminense » (voir note 1) s’est accrue : 70 % des logements à
Duque de Caxias ; 81 % à Nova Iguaçu et 95 % à São João de
Meriti, mais elle est limitée aux centres-villes et dépend des
autres systèmes d’approvisionnement dans les zones plus riches
de la métropole.
La situation est en revanche beaucoup moins bonne dans
les quartiers populaires étudiés. Dans les lotissements périphériques, on estime à moins de 30 % les domiciles desservis régulièrement, avec une pression et un volume suffisants pour couvrir les besoins journaliers — et encore la qualité de l’eau ne
donne pas satisfaction. Quant aux favelas, on y obtient l’eau
principalement grâce aux branchements clandestins (Parisse,
1969 ; Igreja Catolica, 1978 ; Kleiman, 1978, 1997). Pour l’assainissement, il n’existe pratiquement pas de réseau d’égout.
Certes, dans les lotissements périphériques, le taux de raccordement est passé de 21 à 32 % entre 1990 et 2000. Mais cela
ne signifie pas que les eaux collectées sont plus traitées
qu’avant, et les canalisations présentent de graves dysfonctionnements et débordent fréquemment. Aussi, les gens utilisent des
fosses rudimentaires et l’écoulement des eaux usées se fait à
ciel ouvert dans les « vallées nègres » (Kleiman, 2002).
La répartition des investissements par type de zone socioéconomique donne à ces informations une portée sensiblement différente. Ainsi, à peine 5,2 % du total des investissements dans la métropole de Rio ont été affectés à l’extension
des égouts dans les lotissements périphériques dans la
Baixada Fluminense jusqu’à 1990, mais ce chiffre a doublé
dans la décennie suivante (11,2 %) avec le Programme de
Dépollution de la Baie de Guanabara. Il en va de même dans
les favelas : alors que les investissements pour l’eau et pour les
égouts y ont été limités et ponctuels jusqu’à 1974 (6,5 % pour
chaque secteur), elles ont reçu au cours de la dernière décen-
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nie (1991-2001), grâce au Programme Favela Bairro, plus de
10 % du total des investissements en égouts (Kleiman, 1997,
2002).
Dans la région métropolitaine de Salvador
L’amélioration de la desserte en eau a été sensible : 89 % des
ménages en bénéficient. La collecte des eaux usées, en
revanche, concerne à peine 61 % des domiciles (et 26 % pour
la seule ville de Salvador). Seulement 21 % des eaux collectées
sont effectivement évacuées vers le réseau d’égout principal. Le
reste est directement déversé, via le réseau pluvial, dans la Baie
de tous les Saints. Une grande proportion d’habitants utilise une
fosse rudimentaire ou plus rarement septique (14 et 10 % respectivement) ou encore jette ses eaux usées directement dans
des fossés ou d’autres types de canaux (Recensement, 2000).
Dans les palafittes des Alagados de la Péninsule de
Itapagipe (voir note 1), la situation est encore moins bonne :
même les fosses septiques ou rudimentaires sont relativement
fréquentes, 11 % des logements ne possèdent aucun équipement d’assainissement et 30 % des ménages utilisent la modalité dite du « ballon d’excréments », jeté à la mer par-dessus les
toits. Pour l’alimentation en eau, il est relativement aisé d’installer un branchement clandestin à partir des canalisations officielles les plus proches.
À part quelques cas isolés dans les favelas et lotissements
périphériques (5), c’est seulement à partir de 1995 qu’on commence à formuler et à appliquer une politique visant à implanter, de manière systématique et en quantité suffisante, des
réseaux d’eau et d’assainissement dans les communautés populaires. Imposée et financée par des organismes multilatéraux
(BID, OCDE), soutenue par le gouvernement de l’État de Rio de
Janeiro et les gouvernements locaux, cette politique propose le
développement conjoint des deux types de réseaux comme
supports nécessaires à l’émergence de véritables services
urbains de base susceptibles de favoriser l’insertion des communautés populaires dans la ville légale. À cet effet sont mis en
place des « Programmes Spéciaux ». Ils portent des noms différents selon les lieux (à Rio de Janeiro : Programmes de
Dépollution de la Baie de Guanabara, Nova Baixada, FavelaBairro ; à Salvador : Programmes Bahia Azul et Ribeira Azul),
mais sont conçus selon un même schéma : très grand dimensionnement et sophistication technique, avec en référence des
paramètres et normes identiques à ceux des réseaux équipant
les quartiers de haut standing.
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
LES PRATIQUES QUOTIDIENNES DES
COMMUNAUTÉS POPULAIRES NON RACCORDÉES
À L’EAU ET À L’ASSAINISSEMENT
Soixante ans d’absence de politique publique d’eau et d’assainissement ont, dans les communautés défavorisées, suscité
l’émergence de pratiques individuelles (familiales) et collectives
d’adaptation aux carences en services de base, parce que
« vivre sans eau ce n’est pas vivre ». Or cette culture locale est
méconnue, voire contrecarrée par les nouveaux modèles expérimentés au travers des récentes politiques d’implantation de
réseaux d’eau et d’égout dans les quartiers populaires.
(principalement chez les enfants), verminose, hépatite, etc. Les
habitants interrogés font vite le lien entre le manque de réseaux
d’eau et les problèmes sanitaires qui en découlent :
« Nous descendons la montagne, mes enfants et moi,
plus de cinq fois par jour pour aller chercher de l’eau à
la pompe et même comme ça ce n’est pas assez et elle
vient sale » Elizeth, 40 ans, maîtresse de maison (favela
de la Serrinha, Rio de Janeiro).
« Nous n’avons aucun doute au sujet de notre souffrance. Notre fille de quatre ans est morte de diarrhée et
vomissements à cause de l’eau de puits qui n’était pas
filtrée » Monsieur Francisco, 32 ans, bricoleur
(Península de Itapagipe, Salvador).
Pratiques quotidiennes individuelles
Les solutions alternatives pour l’approvisionnement en eau
sont celles que les habitants créent et/ou utilisent pour euxmêmes : réservoirs d’eau de pluie, puits, collecte d’eau à la
rivière ou à un point d’eau hors du domicile : pompe manuelle, fontaine publique ou encore chez un voisin raccordé, ainsi
que celles pour lesquelles ils paient un prestataire, comme dans
le cas des camions citernes. Toutes imposent une organisation
quotidienne mobilisant le temps et l’énergie d’une partie des
membres du ménage, qu’il s’agisse de remplir les récipients
affectés aux différents usages domestiques (cuisine, bain, toilettes, etc.), ou encore de stocker l’eau dans des citernes, qu’il
faut alors réapprovisionner périodiquement :
« Tous les jours, tôt le matin, je porte des seaux d’eau
jusqu’à la maison. Je tire l’eau d’un puits qui est tout
près. Je fais cela plus de dix fois par jour » Stella, 11 ans,
ne va pas à l’école (Belford Roxo, Baixada Fluminense,
Rio de Janeiro).
« Quand il pleut le réservoir est plein, c’est la joie. Je tire
l’eau avec un seau, je le passe à mon fils qui monte l’escalier avec et le père est sur le toit qui remplit le réservoir » Madame Maria, 60 ans (São João de Meriti,
Baixada Fluminense, Rio de Janeiro).
« Dans la “Maré“ il n’y a pas moyen de creuser de
puits : ou nous prenons de l’eau dans la boue ou nous
marchons jusqu’à trouver le point d’eau de quelqu’un »
Monsieur Aluisio, 69 ans (Alagados IV, Península de
Itapagipe,Salvador).
S’approvisionner en eau est donc d’abord vécu comme une
lutte quotidienne, d’autant plus que l’eau — en particulier aux
puits, rivières et sources — est souvent saumâtre et éventuellement polluée par les déchets solides et liquides répandus à
même le sol. Les maladies hydriques sont fréquentes : diarrhées
Outre la difficulté du puisage de l’eau et de son transport, il
faut constamment sortir de la maison pour aller s’approvisionner. Cette nécessité est de fait aussi un acte de sociabilité :
toutes les familles ayant cette même préoccupation, elles se
rencontrent les unes les autres aux points d’eau, qui deviennent
un lieu d’échange où se partagent histoires personnelles, opinions et racontars divers. Parler de la collecte de l’eau, c’est
aussi parler de sa propre vie tant les deux sont intimement
liées :
« Ici en haut de la montagne il y a une source d’eau, le
matin on va chercher de l’eau et après on lave le linge,
toutes les mères vont avec leurs enfants. C’est dur, mais
on bavarde » Madame Solange, 40 ans, mère de cinq
enfants (Favela de la Serrinha, Madureira, Rio de
Janeiro).
Seule une petite minorité dispose des ressources financières
suffisantes pour faire livrer de l’eau par un camion-citerne et
remplir les réservoirs. Outre qu’elle évite d’aller chercher l’eau
à l’extérieur, la livraison est surtout un moyen d’obtenir une eau
de meilleure qualité. Mais le fait de devoir payer est bien sûr un
facteur limitant :
« Pour boire ou faire à manger il faut acheter l’eau d’un
camion-citerne à R$ 80,00 par semaine. Cela est supérieur à ce que rapporte le travail de ramasser les boîtes
vides de bière dans la rue pour le recyclage » Monsieur
José, 58 ans, ramasseur d’ordures (Favela de Sapucaia,
Ilha do Governador, Rio de Janeiro).
Une autre solution mise en œuvre est le branchement clandestin ou « chat », qui consiste à percer un trou dans la canalisation d’eau la plus proche pour s’y connecter. Elle est particulièrement fréquente dans les palaffites de la Péninsule de
Itapagipe à Salvador :
« Ici dans les Palafittes tout est «chat », les tuyaux pas-
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sent par dessus les ponts ou en dessous des maisons.
Quand la marée monte et qu’il y a un trou, la boue
entre, l’égout aussi et les rats passent » Wilson, 28 ans,
vendeur de « sacolé » (boisson glacée).
ments sont emballés dans des « ballons » de vieux journaux ou
des sacs en plastique et jetés dans des bourbiers, à la rivière ou
à la mer :
Parfois un même « chat» se ramifie pour desservir plusieurs
maisons, formant un enchevêtrement de tuyaux de plastique, la
plupart du temps posés à même le sol — au risque que l’eau
soit contaminée en se mélangeant aux égouts à ciel ouvert et
autres résidus, notamment les urines animales :
« En faisant dans le ballon c’est plus facile de le jeter
plus loin » Silvio, 45 ans, maçon, sans revenu fixe
(Belford Roxo, Baixada Fluminense, Rio de Janeiro).
« J’ai relié un tuyau à celui du voisin, qui à son tour avait
relié le sien à une personne connue qui habite plus haut
et tout le monde tire sur le “chat“ qui a été fait dans une
rue qui passe en haut de la montagne » Monsieur Silva,
55 ans, cinq enfants, peintre à son compte (favela du
Borel, Rio de Janeiro).
Celui qui possède un « chat » voit son quotidien facilité,
mais est en retour soumis aux aléas de la desserte par les
réseaux officiels : irrégularité du service, variations de pression,
etc. Il faut alors compléter son approvisionnement en recourant
également à d’autres points d’eau ou en installant un réservoir
de stockage.
Dans les quartiers populaires, les réseaux de collecte des
eaux usées sont encore moins développés que les réseaux
d’eau : les pratiques alternatives en assainissement y sont d’autant plus cruciales, mais aussi significatives de la dureté des
conditions de vie. Les logements sont souvent de simples
baraques en bois où n’existe pas l’équivalent d’une salle de
bains. Rares sont les maisons équipées de tuyaux d’évacuation.
Certains ne disposent que d’une fosse rudimentaire, un simple
trou dans le sol où s’accumulent les excréments. Son usage est
encore très commun dans les espaces densément peuplés
comme les lotissements périphériques et favelas de Rio de
Janeiro :
« J’ai fait un parc avec de la paille hors de la maison et
j’ai mis un vase en bois, c’est notre vase sanitaire » Jose
Araujo, 73 ans, retraité (lotissement Jardim Primaveira,
Baixada Fluminense, Rio de Janeiro).
Même lorsqu’il y a des latrines, eaux usées et excretas
s’écoulent dans des rigoles à ciel ouvert, les « vallées nègres »,
traversent les impasses et ruelles longeant les habitations puis
s’éparpillent et créent des bourbiers en cas de pluie. Il arrive
aussi que les gens aillent uriner et déféquer à l’extérieur, hors de
leur maison, avec les mêmes effets sur l’environnement. Dans
les palafittes de Salvador, « le lieu d’aisance » n’est souvent
qu’un trou qui s’évacue directement dans la mer. Les excré-
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Ces solutions présentent toutes le risque de contaminer les
nappes phréatiques et les puits utilisés pour l’eau potable. Par
ailleurs elles ne règlent que bien imparfaitement la question de
l’évacuation des produits de l’assainissement :
« Quand il pleut l’eau arrive aux genoux des adultes. À
ce moment-là elle se mélange avec les égouts, les
ordures, les rats ». José Silva, 48 ans, bricoleur sans
revenu fixe (Belford Roxo, Baixada Fluminense, Rio de
Janeiro).
« Quand la marée monte elle emmène tout, elle emporte les égouts, les ordures, les gravas et tout ce qui gêne
on le jette au moment de la marée ». Aluisio, 68 ans,
retraité (Palafittes, Península de Itapagipe, Salvador).
À l’instar du « chat » pour l’eau, il existe des branchements
clandestins au réseau d’égout appelés « broches » : un habitant
greffe le conduit d’évacuation des eaux usées de son domicile
sur le réseau d’eau pluvial voisin — plus rarement sur un collecteur d’égout car il y en a peu dans ce type de quartier.
Comme pour l’eau, la multiplication de ces bricolages individuels avec des tuyaux de diamètres insuffisants pour les
volumes à évacuer provoque des obstructions néfastes au bon
fonctionnement des réseaux officiels.
Pratiques quotidiennes collectives
Comme dans le domaine du logement, où l’auto-construction
reste la solution face au manque d’intérêt manifesté par l’État,
les couches populaires doivent assumer elles-mêmes la
construction des infrastructures d’eau et d’assainissement. Leur
prise en charge collective, en tant qu’action sociale participative, ouvre la voie à plus d’initiatives individuelles. Ce processus
de prise de conscience s’inscrit dans une longue histoire de
mouvements populaires revendiquant un meilleur accès aux
services urbains et la participation des citoyens aux décisions
gouvernementales, notamment dans le secteur de l’assainissement (6) (Cordeiro, 1995 ; Bastos, 1993 ; Oliveira et al., 1993).
Ces actions ont contribué à l’apprentissage et à la diffusion de
pratiques socio-politiques constituant des alternatives collectives aux carences en service de base — même si l’État continue
d’être sollicité.
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
Dans le domaine de l’approvisionnement en eau, les travaux collectifs « en coup de main » se traduisent par des changements significatifs dans la vie quotidienne et démontrent le
rôle social joué par les réseaux qui, même alternatifs, permettent d’avoir l’eau à domicile :
« Tout le monde ensemble, nous avons réussi à mettre
de l’eau dans les maisons. Les enfants ont plus de temps
pour aller à l’école, le bain est un plaisir. Nous habitons
dans un endroit pauvre mais nous avons de l’eau »
Dona Regina, 35 ans, employée domestique (Nilopolis,
Baixada Fluminense, Rio de Janeiro).
« Avant c’étaient des récipients d’eau sur la tête plusieurs fois par jour. Maintenant il suffit d’ouvrir le robinet » Josinaldo, 48 ans, maçon (favela Vila Sapé, Rio de
Janeiro).
Ces réseaux sont conçus grâce aux conseils d’ouvriers spécialisés (maçons, plombiers, menuisiers, électriciens, etc.) issus
de la communauté, et les travaux sont exécutés par eux avec le
concours de la population. En général totalement clandestins,
qu’il s’agisse du « chat » pour l’eau ou de la « broche » pour
l’assainissement, il sont parfois soutenus par les politiciens
locaux qui fournissent tuyaux et petit matériel. La configuration
du réseau est la suivante : à partir d’une première canalisation
connectée sur le réseau officiel, part une multitude de tuyaux
enchevêtrés allant vers chaque domicile en suivant le cours
sinueux des ruelles et impasses. La plupart des maisons ont des
réservoirs perchés sur le toit, souvent de grand diamètre.
Dans certaines favelas (comme à Santa Marta à Botafogo,
Rio de Janeiro), le réseau de distribution est aérien pour faciliter l’arrivée des tuyaux jusqu’au centre très dense du quartier où
les domiciles sont agglutinés les uns sur les autres. Dans les
quartiers situés sur des hauteurs, les réalisations dépendent
aussi des cotisations des habitants pour l’achat d’une pompe
électrique assez puissante pour amener l’eau directement jusqu’à chaque maison. Quand l’arrivée d’eau est irrégulière dans
le réseau principal, l’eau est pompée par intermittence et
envoyée d’abord vers les zones les plus élevées. Les
Associations d’habitants des lotissements de la Baixada
Fluminense s’arrangent, au minimum, pour en louer une : transportée sur une camionnette, elle permet de fournir les quartiers
à tour de rôle, selon le principe du « booster volant » :
« On était fatigué d’attendre que l’État résolve le problème de l’eau. Nous avons fait une “quête“ (cotisation)
et nous avons acheté une pompe puissante. Comme
cela nous arrivons à monter l’eau pour la semaine »
Jorge Otavio, 23 ans, étudiant, membre de l’Association
des habitants (Lot XV, Baixada Fluminense, Rio de
Janeiro).
À Salvador, dans les palafittes, les habitants ont aussi créé
un réseau alternatif, dont les tuyaux reposent en équilibre sur
les pilotis qui supportent les maisons au-dessus de l’eau. Rares
sont ceux qui ont des réservoirs de stockage : ils dépendent
alors de la régularité de l’alimentation du réseau officiel et sont,
par conséquent, quelquefois privés d’eau. Malgré une amélioration certaine, l’efficacité de ce système ne fait pas l’unanimité :
« Ici il n’y a pas de problème d’eau, elle rentre toujours » Gurgel fils, 46 ans, patron d’un petit commerce.
« Pendant l’été il y a manque d’eau, elle ne vient que le
soir » Luis Carlos, 42 ans, sans emploi (Palafittes).
Les opinions sont également partagées au sujet de la qualité de l’eau, pourtant traitée, dans le réseau officiel, au chlore
pour diminuer l’incidence de germes:
« Il paraît que l’eau est traitée, mais pour ceux qui vivent
dans la marée, l’eau est très bonne, même pas boueuse » Amaral 49 ans, sans emploi (Palafittes).
« Ces démangeaisons qu’on appelle la gale viennent du
chlore qui est mis en grande quantité, il suffit de se laver
qu’elles commencent » Madame Lindalva, 36 ans,
employée domestique (Santa Luzia).
Si de nombreux réseaux d’eau ont ainsi été construits, les
réseaux d’assainissement alternatifs sont beaucoup moins nombreux, ce qui rend la situation encore plus critique car plus il y
a d’eau consommée, plus il y a d’eau à évacuer. Or il semble
plus difficile de faire prendre conscience aux communautés de
la nécessité de collecter les eaux usées : les produits de l’assainissement sont considérés comme des ordures, quelque chose
qui « sort », qui doit être rejeté et non rassemblé. Les discussions au sein des Associations d’habitants ont permis de travailler à cette mauvaise compréhension de l’articulation entre
eau et assainissement, notamment en termes de prévention des
maladies. Plusieurs communautés ont alors décidé de construire des réseaux d’égouts alternatifs.
Du fait des habitudes et de la culture locales, ces réseaux
sont une adaptation du « tout-à-l’égout » à la française : ils sont
en effet conçus pour transporter, en même temps que les eaux
de pluie, les eaux usées et excretas, mais aussi les vieux
meubles, les vêtements usagés, les bouteilles en plastique, les
ordures ménagères, etc. ! Pour ces installations coûteuses
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(tuyaux de grande dimension, etc.), il n’est pas prévu de matériel d’inspection ou d’entretien, ni de visite : outre les coûts
additionnels, les gens pensent que des tuyaux de ce gabarit ne
se boucheront pas. Les raccordements avec les maisons sont
rudimentaires : rejet direct dans le réseau, sans fosse septique ni
aucun aménagement de transit comme par exemple un bac de
dégraissage pour l’eau de cuisine.
Tout cet ensemble est transporté directement vers la canalisation la plus proche, en général un réseau pluvial qui se déverse directement dans les rivières ou la mer. Ce qui compte pour
les habitants, c’est que les eaux usées sont éloignées des habitations et qu’il n’y a plus de « vallées nègres ». Tous croient fermement que le système unitaire ainsi créé vaut mieux qu’un
système séparatif :
« Nous habitons dans un endroit pauvre, mais nous ne
sommes pas obligés de vivre au milieu des “vallées
nègres“ » Sueli, 43 ans, ramasseuse d’ordures dans les
rues (São João de Meriti, Baixada Fluminense, Rio de
Janeiro).
Les Programmes Spéciaux d’Eau et d’Assainissement
et leurs impacts sur les pratiques quotidiennes
À Rio de Janeiro, les travaux des Programmes Spéciaux, qu’ils
soient déjà achevés, en cours de réalisation ou arrêtés, posent
de nombreux problèmes. Alors même qu’ils altèrent leurs pratiques quotidiennes, ils ne répondent pas aux attentes des communautés populaires qui, les témoignages l’illustrent, sont
celles d’une « normalisation ».
Dans les lotissements périphériques de la Baixada
Fluminense, le Programme de Dépollution de la Baie de
Guanabara (PDBG) et celui de la Nova Baixada présentent des
composantes permettant théoriquement la configuration de
véritables réseaux d’eau et d’égout. Ils ont créé chez les habitants l’espoir d’avoir bientôt de l’eau traitée à domicile plutôt
que d’avoir à aller la chercher quelque part dehors ou de faire
un branchement clandestin. Dans les zones où les travaux ont
été achevés, les gens perçoivent clairement la transformation de
leur vie quotidienne grâce à l’arrivée de l’eau dans les maisons.
« Quand nous restons à la maison, la vie est plus calme.
Il y a beaucoup de violence dehors. Si l’eau vient par la
canalisation, on profite mieux de la vie » Jorge Neto, 55
ans, ramasseur d’ordures dans une coopérative (Bairro
Parque São Berbardo, Belford Roxo).
Mais à cause des retards ou de l’inachèvement des travaux,
la fonction sociale des services aux habitants ne se fait pas
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Dossier
encore sentir, ou seulement de façon ponctuelle et partielle,
notamment du fait d’un décalage entre l’apport des services
d’eau et d’assainissement. Dans certains quartiers, les infrastructures pour l’eau sont là mais pas celles pour la collecte des
eaux usées ; ailleurs c’est le contraire, les adductions d’eau ne
sont que très partielles : grande a été la déception de certains
habitants de constater que les réservoirs étaient prêts, mais que
l’eau ne pouvait y arriver et qu’il manquait les canalisations les
reliant aux habitations. Dans d’autres cas encore, les travaux
concernent l’asphaltage et le drainage des rues, mais pas la
pose du réseau d’égouts. Les gens se plaignent aussi d’une desserte intermittente ou de volumes disponibles insuffisants pour
les nécessités domestiques journalières, ainsi que de problèmes
de variation de pression et de qualité de l’eau. Les témoignages
recueillis après l’achèvement des travaux laissent ainsi transparaître le désir d’une autre vie, déçu par le maintien en l’état de
la réalité :
« On pensait qu’une fois les travaux terminés, nous
aurions une vie casanière, mais ce n’est pas tous les
jours que l’eau arrive et quand elle vient, elle est très
faible et sale, on ne peut pas se doucher avec »
Sebastião Silva, 48 ans, participant du comité d’accompagnement des travaux (Bairro Xavantes, Belford
Roxo).
Pour les réseaux de collecte des eaux usées, c’est le système unitaire — réunissant les eaux résiduaires et les eaux pluviales — qui a été adopté, au lieu du réseau séparatif prévu
dans le projet. Or cette « solution » provoque des problèmes
d’engorgement, de fuites et de remontées d’eau dans les maisons : bien que des mécanismes d’inspection et d’entretien
aient été mis en place, le réseau unitaire est sous-dimensionné
et ne peut absorber à la fois les volumes d’eau de pluie et
d’eaux usées. Les habitants signalent aussi les problèmes de
fonctionnement ou de maintenance : fuites dans le réseau
d’eau, ruptures et engorgement dans le réseau d’égouts, longs
délais de réparation. Quand le collecteur a été bien conçu, le
quotidien a changé : les mauvaises odeurs ont disparu, les eaux
sales ne vont plus à la rue, etc. Reste en revanche le problème
de la destination des eaux usées collectées qui continuent de
s’écouler dans le réseau pluvial. Sur les deux stations de traitement prévues, une seule a été construite et encore les habitants
observent qu’elle ne fonctionne qu’à moitié, car elle reçoit des
eaux mélangées (eaux de pluie et eaux résiduaires) et chargées
de grandes quantités de détritus, alors que les procédés de traitement ne sont adaptés ni à ces flux ni à ces types d’effluents.
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
Face à ces grands équipements et à leur coût, l’opinion des
habitants est sans appel :
« La rivière ici à côté continue à avoir une mauvaise
odeur, la station n’arrive pas à traiter l’égout » Maria de
Lourdes, 42 ans, employée domestique (Parque Espirito
Santo Amorim, Lot XV, Belford Roxo).
Dans les favelas, l’extrême précarité des installations
montre le manque d’intérêt dont elles sont l’objet. Pourtant elles
peuvent être améliorées par des travaux spécifiques. Ceci s’est
vérifié dans certaines zones pour l’alimentation en eau, grâce à
un système de connexion au réseau du quartier : une petite
pompe permet de conduire l’eau jusqu’à un réservoir collectif,
à partir duquel des lignes partent en se ramifiant vers un ou plusieurs ensembles d’habitations. Après les travaux, la continuité
du service est sensiblement meilleure, la pression s’est nettement accrue tout au long de la journée et la desserte serait en
outre satisfaisante en quantité pour couvrir les besoins quotidiens de la famille. L’installation de l’eau et des égouts — réalisés ici selon le modèle séparatif, avec équipements pour
chaque branchement (fosse, grille de dégraissage) et visites
régulières d’entretien — a ainsi contribué à d’importantes
modifications de la vie quotidienne :
« Avant, un type arrivait à la maison suant du travail,
tapait sur sa femme, criait avec les enfants. Maintenant,
il prend son bain et reste calme » Monsieur Sobrinho,
42 ans, compositeur, danseur (favela da Serrinha,
Madureira).
Bien que ces réseaux aient été construits officiellement, ils
présentent des problèmes de fonctionnement qui nuisent à la
qualité des services fournis. La Compagnie d’Eau et
d’Assainissement de l’État de Rio de Janeiro refuse par exemple
d’assurer l’exploitation d’un réseau mis en place par la Mairie
de Rio de Janeiro, ou encore elle est chargée de réaliser les
branchements, mais pas d’assurer leur maintenance. Les variations de pression demeurent un problème persistant — il faut
alors aller chercher de l’eau ailleurs en complément de celle du
robinet — et la maintenance des ouvrages laisse particulièrement à désirer : certaines réparations demandent de dix à quatorze jours de délais, les égouts engorgés débordent à plusieurs
endroits. Face au manque de détermination de la Compagnie,
les communautés doivent résoudre elles-mêmes les problèmes.
Elles dénoncent également le fait que, dans les grandes favelas
au moins, les travaux réalisés ne concernent qu’une partie des
habitations, la majorité n’ayant accès qu’aux réseaux précaires
ou à aucun réseau du tout.
Ainsi, les habitants ressentent très fortement la nécessité de
services d’eau et d’assainissement améliorés, mais se rendent
compte que lorsque les travaux sont achevés — ou inachevés
d’ailleurs — ils n’ont pas obtenu ce qu’ils espéraient. Ce déphasage suscite, chez les habitants, l’évocation d’un « mauvais
mariage » entre la culture des communautés d’une part et les
technologies implantées de l’autre, bien que celles-ci respectent les normes et suivent les procédures officielles. Ils expriment par exemple leur préférence pour des réseaux d’égout réalisés avec les autres habitants de la communauté et selon le
modèle unitaire, jugé plus pratique. Le réseau construit par le
programme officiel apparaît, face au réseau alternatif collectif,
mal adapté aux pratiques quotidiennes, devenues habitudes
culturelles :
« Notre réseau d’égouts ne se bouchait pas. Les gens
sont habitués à jeter tout dans le vase » Madame Lucia,
52 ans, ex-présidente de l’Association d’habitants (favela da Serrinha, Madureira).
Ils se rendent également compte, pourtant, que ces améliorations valorisent leur lieu de vie et attirent aux alentours de
nouvelles activités, notamment commerciales, ainsi que des
personnes qui veulent venir y construire leur maison. Cela suppose une augmentation des volumes d’eau à fournir et à évacuer… Certes, l’amélioration des conditions de vie est nettement perceptible avec la mise en place des nouveaux réseaux.
Mais le problème est que s’ils permettent de répondre aux
nécessités actuelles, ils n’ont pas été conçus pour faire face à
une croissance de la population et des besoins dont on peut
pourtant déjà observer les signes.
À Salvador, le Programme Baia Azul exécuté par la
CONDER (Companhia. de Desenvolvimento Urbano da Bahia)
— appelé Ribeira Azul dans la Península de Itapagipe — a lui
aussi eu des répercussions importantes sur la vie de la population. Dès avant l’achèvement des travaux, il a suscité l’inquiétude de la population, car il prévoit la transformation des
baraques sur pilotis en maisons construites sur des terrains remblayés et équipées d’infrastructures de base. Or les habitants
des palafittes occupent la péninsule depuis 1942 et s’occupent
eux-mêmes de l’eau et de l’assainissement par diverses solutions individuelles ou collectives alternatives : ils ont construit
leur cabane avec des morceaux de bois tenant en équilibre sur
des ponceaux précaires, y ont amené l’eau et jettent eaux usées
et ordures à la mer. L’ampleur des travaux en cours perturbe
l’ordre établi et attise la crainte des habitants d’être délogés.
Dossier
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Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
Comme il existe déjà un certain niveau d’équipement pour
l’alimentation en eau, les travaux les plus importants concernent la collecte des eaux usées. Mais ils posent des problèmes
d’engorgement car les canalisations sont trop étroites pour les
volumes déversés par les ménages. Certains reviennent alors à
leurs pratiques antérieures :
« Il y a des gens qui cassent le branchement du nouveau
réseau et se rebranchent sur l’ancien » Elias, 33 ans,
vendeur.
Aussi, quand on interroge les habitants concernés sur les
améliorations apportées par le réseau d’égout, c’est l’indignation qui ressort, ainsi qu’une appréciation très négative sur la
qualité des travaux en cours :
« Je suis déçue, je déteste les fonctionnaires de la Baia
Azul, à cause de tant de problèmes » Vera Silva, 44 ans,
travailleuse dans une ONG (Alagados).
« Qu’est-ce qu’il manque ? compétence dans les travaux, entreprises responsables ! » Monsieur Horta, 65
ans, retraité, membre de l’association d’habitants (Santa
Luzia).
Nous avons pu constater de visu le débordement des
égouts sur des chaussées non asphaltées, entraînant la formation d’une boue qui empêche les enfants de jouer et les
adultes de se déplacer. Le canal central de drainage prévu
n’ayant pas non plus été terminé, les eaux de pluie ne s’écoulent pas et se mélangent aux eaux usées et à la boue. Le terrassement du sol dans la zone des travaux ne permet pas toujours de contenir les effets de la marée. Il arrive que quand elle
monte, les eaux usées et les ordures refluent et que l’eau envahisse les maisons, ce qui occasionne encore des mécontentements :
« L’installation du réseau d’égouts est une aberration du
génie civil, il existe une impasse avec un réservoir qui
reçoit les déchets de dix-neuf maisons. Il ne supporte
pas et déborde dans la rue » Livio, 58 ans, retraité (Santa
Luzia).
« Après les travaux de l’État, quand il pleut, l’eau arrive
à nos genoux car l’égout qui a été construit se bouche
et inonde la maison tous les jours » Wilson Souza, 51
ans, barbier (Santa Luzia).
« Il y a eu une forte pluie et la mer est montée d’un
mètre dans les maisons (…). Quelques personnes ont
été à la CONDER réclamer, mais il n’y a eu aucun résultat » Cristiana, 47 ans, fait quelques menus travaux de
cuisine (Palafittes).
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Dossier
Cette situation est aggravée par le manque de balayage des
ordures dans les rues. À l’extérieur des maisons, les habitants
ont pris l’habitude de faire eux-mêmes ce travail théoriquement
dévolu aux balayeurs et ils nettoient les rues tous les matins:
repoussant les ordures hors des habitations, ils comblent les
trous des voiries avec les gravas des chantiers et tentent de faciliter l’écoulement des eaux usées et stagnantes en perçant les
bords du canal de drainage ou en creusant à la pelle des rigoles
dans les mares de boue. Finalement, avec ces problèmes supplémentaires liés au remblaiement des sols, les habitants des
palafittes ont plus d’eaux usées et plus de boue qu’avant, plus
d’eau de pluie qui ruisselle, ce qui rend leur vie quotidienne
encore plus difficile.
« La vie journalière est pire qu’avant. Les nouveaux
égouts ne fonctionnent pas » Solange, 24 ans, travaille à
l’heure comme domestique (Alagados IV).
« Il est venu beaucoup plus de détritus des égouts et les
ordures sont descendues par le canal jusqu’à la marée.
La mauvaise odeur a augmenté » Lurdes, 42 ans, vendeuse de glaces (Santa Luzia).
Les habitants, habitués à jeter leurs eaux usées à la mer, se
plaignent également de ne pas avoir reçu plus d’informations
sur la façon d’utiliser les nouveaux équipements. Dans les maisons où ils seront transférés, il y a une salle de bains séparée de
la salle à manger et de la chambre à coucher, une cuisine, toute
une disposition de pièces qui n’existent pas dans les maisons
des palafittes, constituées d’un seul espace simplement divisé
par quelques meubles. Lors d’une entrevue, la responsable de
l’équipe de recherche, percevant les difficultés de ces changements de coutumes face à la sociabilité établie, remarque ainsi
que les habitants:
« Ont besoin d’une demeure digne, en plus de l’eau,
des égouts, mais [ont besoin] aussi de ceux qui investissent en eux (…), qui leur enseignent à habiter dans la
nouvelle civilisation du quartier, à administrer leur maison, à diriger leur foyer, les équipement s» Dina, étudiante en génie civil, conductrice des enquêtes à
Itapagipe, Salvador.
SOCIABILITÉS
POPULAIRES ET MODÈLES IMPOSÉS,
PERSPECTIVES SUR LES SITUATIONS
DE MAL BRANCHEMENT AUX RÉSEAUX
D’EAU ET D’ASSAINISSEMENT
La description des pratiques quotidiennes dans les quartiers
populaires de Rio de Janeiro et de Salvador nous ramène au
point central de cet article : les rapports entre les contraintes
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
liées au manque ou à la précarité des services d’eau et d’assainissement et les modes de sociabilité développés pour y faire
face. Il ressort que ces pratiques, aussi répétitives que diversifiées, qu’elles relèvent d’initiatives individuelles (familiales) ou
collectives, sont toujours sous-tendues par l’objectif de rendre
la vie au domicile plus agréable, même s’il faut pour cela y
consacrer une partie non négligeable de la journée.
Dans les contextes d’urbanisation non maîtrisée qui ont été
étudiés, la dimension individuelle de ces initiatives apparaît
prépondérante. Se déplacer pour aller chercher l’eau, la puiser,
la transporter dans des récipients métalliques posés sur la tête
sont des actes qui se répètent plusieurs fois par jour — même si
curieusement, l’évacuation des déchets, liquides et solides
d’ailleurs, n’est pas perçue comme faisant partie du cycle de
l’eau et que leur destination semble importer peu aux habitants.
Certes, tous ne font pas les mêmes parcours et les modalités
changent selon les points d’eau choisis. Mais la répétition
même de l’acte, les trajets parcourus et la cadence qu’imposent
ces déplacements donnent au fait d’aller chercher l’eau la
valeur d’un rituel rythmant la vie quotidienne.
Ces déplacements pour l’eau ont une dimension socio-culturelle forte dans laquelle il est difficile de dissocier le domaine privé du domaine public. Sur le plan spatial, les individus
doivent quitter la maison, traverser un espace public — lieu de
rencontres diffuses avec les autres individus eux aussi en quête
d’eau — pour revenir ensuite vers l’espace privatif du domicile. Ces va-et-vient limitent le temps qu’ils passent effectivement
chez eux et les empêchent d’avoir, en quelque sorte, une « vie
privée » car leur intimité est sans cesse déniée. La distinction
public/privé est ainsi tout aussi délicate en termes temporels.
Le temps personnel est en effet défini par l’obligation impérieuse d’aller chercher de l’eau (puis de l’évacuer). En moyenne, les habitants font jusqu’à cinq fois par jour le trajet domicile-point d’eau-domicile, environ trente à quarante minutes à
chaque fois sans compter le temps passé pour jeter les déchets.
Il en résulte un rythme temporel discontinu, fragmenté, entrecoupé par les activités domestiques ou rémunératrices (en
général exercées à domicile), la recherche de petits travaux
sporadiques, etc.
Ces servitudes imposent également une organisation familiale particulière où chaque membre du ménage collabore pour
que les conditions de vie soient meilleures et que la vie suive
son cours. Cette sociabilité est fondée sur le partage des activi-
tés domestiques et des déplacements à faire pour l’eau, dans
lequel l’emploi du temps de la mère et celui des enfants sont
particulièrement mis à contribution. On croise sur les « chemins vers l’eau » beaucoup d’enfants chargés de cette corvée
au détriment de l’école, tandis que le rôle des mères est de
« réceptionner » l’eau collectée pour préparer les repas, laver le
linge, nettoyer la maison, etc. Cela laisse aux hommes le temps
de travailler ou d’aller chercher du travail, même si quelquefois,
pour les tâches qui exigent un gros effort, ils se joignent aux
femmes.
À un autre niveau, on peut considérer que ces intrusions
répétées dans le domaine public contribuent à renforcer la perception que l’on réside hors de l’espace urbain légal et reconnu comme tel. Autant le branchement aux réseaux implique un
rapport social (abonnement à la compagnie des eaux, facture,
etc.), autant l’absence de branchement conduit au sentiment de
« non appartenance » à la ville officielle. Celle-ci continue de
s’urbaniser alors que les habitants des quartiers populaires sont
maintenus dans des conditions de vie qui ne changent pas et
rappellent les temps anciens où tous les citoyens devaient aller
chercher l’eau hors de la maison puis l’évacuer parce que les
réseaux n’existaient pas encore.
Le cas des branchements clandestins illustre, à cet égard,
l’existence de situations intermédiaires. Ceux qui parviennent à
s’équiper de réservoirs de stockage ne sont ainsi plus astreints à
ces nombreux déplacements quotidiens, ils peuvent profiter de
leur logement et d’une certaine forme d’intimité. La perspective
temporelle de la journée est moins morcelée, et le partage familial des tâches est, au moins transitoirement, réorienté stratégiquement vers d’autres activités. Les « branchés clandestins »
font ainsi l’essai d’un mode de vie s’approchant de celui qu’ils
auraient s’ils étaient insérés à l’espace urbain formel. Mais l’alimentation en eau est en général mauvaise et discontinue dans
ces quartiers, et il arrive que les tuyaux clandestins se rompent :
on constate alors immédiatement la reprise des trajets incessants vers les points d’eau et la traversée des espaces publics. Et
comme l’extension des réseaux se fait très lentement et que persiste le retard en réseau d’assainissement, cette forme de « raccordement » aux réseaux urbains reste insuffisante pour que les
ménages ainsi branchés soient reconnus comme des citadins à
part entière.
Le passage à la dimension collective des stratégies mises en
œuvre pour surmonter les contraintes du non branchement aux
Dossier
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Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
réseaux a lui aussi des répercussions sur les formes de sociabilité. La plus remarquable est d’amener les individus à s’insérer
dans l’espace public, non plus seulement en allant y chercher
de l’eau, mais en se tournant vers la communauté, avec un
objectif commun de participer à des projets collectifs. Cette
sociabilité de voisinage, créée par l’auto-construction des
réseaux alternatifs, devient le support d’un réseau social dont
l’objectif est de favoriser l’évolution vers un accès progressif
aux services urbains et, ce faisant, l’insertion au « monde
urbain ».
Cette transition passant par l’amélioration des conditions de
vie repose d’abord sur la valorisation du domaine public, qui
ouvre elle-même la voie à une vie plus tournée vers le domaine privé. La recherche d’une solidarité externe est une forme de
stratégie pour ne plus avoir à se déplacer toute la journée pour
aller chercher l’eau et s’autoriser une plus grande intimité de
vie. En effet, une fois les réseaux alternatifs fonctionnels, le
temps quotidien est modifié : le rythme journalier, plus continu,
laisse le temps pour les activités domestiques pratiquées à la
maison — faire à manger, donner le bain aux enfants, ranger la
maison — mais donne aussi la possibilité d’ouvrir son existence à d’autres activités externes comme l’éducation, le travail, le
plaisir.
Malgré tout, les réseaux alternatifs réalisés par les communautés demeurent extra-officiels et les services, de médiocre
qualité, sont précarisés par le manque d’entretien et de maintenance, que l’État refuse de réaliser justement parce qu’il s’agit
de réseaux clandestins. Ils ne suppriment donc ni les pratiques
populaires de collecte de l’eau, ni la sociabilité entre voisins, ni
les stratégies de solidarité externe pour faire pression sur l’État
et lui réclamer de vrais services urbains, officiellement gérés et
entretenus. L’auto-construction des réseaux alternatifs participe,
en ce sens, au développement d’une conscience politique à travers une perception accrue de la nature collective et du rôle
social des services de base.
Enfin, nous avons observé l’impact des « Programmes
Spéciaux d’Eau et d’Assainissement » mis en place à partir de
1995 sur les pratiques quotidiennes et l’évolution de la socialisation dans les quartiers populaires marqués par l’absence ou
la précarité des réseaux. Leur prétention d’insertion sociale
grâce au raccordement aux réseaux officiels s’appuie sur la
vision d’une transition vers une urbanisation plus maîtrisée.
Pour l’État, cette insertion dans des zones dotées des fonction-
54
Dossier
nalités urbaines doit conduire les individus, s’ils bénéficient de
conditions de vie semblables — au moins pour ce qui est de
l’accès aux services — aux autres parties de l’espace urbain, à
intégrer les codes, normes et règles qui ont cours dans la ville
officielle.
Le modèle technique sur lequel reposent ces Programmes
est en effet identique à celui qui s’applique aux réseaux des
autres quartiers de la ville, et qui exclut les sociabilités fondées
sur le partage des tâches, qu’il soit domestique ou communautaire, au profit d’une revalorisation de l’espace privatif.
Cependant, ces Programmes n’ont pour l’instant touché que
quelques communautés, voire seulement de petits groupes en
leur sein, comme ceux étudiés dans cet article. Ils ont, de fait,
créé des « îlots » où l’approvisionnement en eau et l’assainissement sont améliorés au milieu d’un « océan » où les réseaux
sont totalement absents. Ce faisant, ils contribuent à créer des
inégalités au sein d’un même groupe social —l es uns étant servis, les autres non —, et ainsi à accentuer les problèmes des
non-servis.
Dans les quartiers nouvellement équipés, l’inachèvement
des réseaux, les dysfonctionnements des infrastructures, le
médiocre niveau du service et le décalage entre les équipements de fourniture d’eau potable et ceux d’évacuation des
eaux usées restent problématiques. Comme dans les cas de
réseaux alternatifs auto-construits, ces problèmes contribuent à
la fois au maintien et au développement de la sociabilité du
partage entre voisins, mais aussi à l’exaspération des revendications pour des services d’une qualité équivalente à celle dont
bénéficient les quartiers de haut standing, synonymes de l’accession à un statut urbain régularisé et maîtrisé.
L’analyse a également mis en évidence que ce processus
d’insertion urbaine exige un apprentissage de l’utilisation des
équipements mis en place. Or la prégnance des pratiques
quotidiennes d’adaptation aux carences en réseaux et services de base rend difficile l’acquisition de nouveaux usages
et habitudes : il manque dans les Programmes un volet éducatif qui seul pourra progressivement assurer ce processus
d’appropriation des installations et services. C’est en effet de
cette façon que les communautés populaires se libéreront
peu à peu de la corvée d’eau et de l’astreinte de construire
elles-mêmes des réseaux alternatifs. C’est ainsi qu’elles pourront devenir des sujets politiques actifs impliqués dans les
décisions et la gestion des actions concernant leurs condi-
Kleiman - Pratiques quotidiennes des mal branchés dans les métropoles brésiliennes
tions de vie. Il s’agit bien là de recréer une société calquée
sur la solidarité externe visant une véritable insertion à l’espace urbain.
Fédérale de Rio de Janeiro (IPPUR-UFRJ). Directeur scientifique du
Laboratoire Réseaux Urbains – Réseaux d’infrastructure et
d’Organisation Territoriale. Coordinateur du programme de
coopération académique IPPUR-UFRJ/Université Catholique de
Salvador et Université de l’État de Bahia
Email : [email protected]
Mauro Kleiman
Docteur en Architecture et Urbanisme. Professeur à l’Institut de
Recherche et de Planification Urbaine et Régionale de l’Université
NOTES
(1) Les cas d’étude relevant de sites où sont mis en place des
« Programmes Spéciaux d’Eau et d’Assainissement » sont les
suivants :
- à Rio de Janeiro :
favelas de Serrinha, Jacarezinho, Sapucaia (travaux en projet) ;
lotissements périphériques des municipalités de la Baixada
Fluminense aux environs de Rio (Nova Iguaçu, Belford Roxo,
São João de Meriti) ;
- à Salvador, trois sites de la Péninsule de Itapagipe, connue
sous le nom de « Alagados » et où il existe beaucoup d’habitations en « palafittes » (maisons sur pilotis formant une petite cité
lacustre comprenant environ 150 familles) :
zones des Palafittes, habitats sur pilotis sans aucun réseau
formel ou informel ;
Santa Luzia, habitations consolidées (terrassement) avec des
réseaux officiels anciens et des réseaux alternatifs ;
Alagados IV et V, cibles du Programme Spécial « Ribeira
Azul ».
(2) Il existe de nombreuses recherches traitant de la pauvreté et des valeurs de vie urbaines pour le cas brésilien (Zaluar,
1985 ; Lobo, 1992). Elles sont centrées sur les mécanismes
d’adaptation des classes populaires face à l’absence ou à la précarité des services d’eaux et d’assainissement, et privilégient
une approche par les mouvements sociaux et la violence urbaine, entre autres.
(3) La méthodologie est fondée sur plusieurs étapes successives :
a) visite initiale du lieu pour déterminer le type d’infrastructure eau/assainissement ;
b) identification du milieu social, des organisations collectives actives ;
c) réunions d’explication des objectifs de la recherche à la
communauté ;
d) entretiens semi-dirigés avec les habitants : selon les cas et
les possibilités d’accès, interview de tous les résidents ou d’un
échantillon de personnes ressources ayant une connaissance
générale de la situation (de par leur âge, leur ancienneté de résidence ou parce qu’elles sont membres d’associations d’habitants) ; interview aussi des techniciens du gouvernement et
d’entrepreneurs impliqués dans les travaux pour obtenir des
données techniques et croiser leurs informations avec celles
données par les habitants.
Ces contacts avec les communautés peuvent être difficiles
pour des questions de sécurité et d’accessibilité. Ainsi, à cause
du trafic de drogues, il faut s’appuyer sur les représentants du
gouvernement présents du fait de travaux ou d’actions sociales
en cours pour obtenir une autorisation d’entrée dans certains
quartiers. Le recours à des personnes relais, issues de la communauté (guides, stagiaires recrutés localement, etc.) et le respect des « horaires » (le trafic de drogues commence en milieu
d’après-midi) sont aussi des procédures utiles pour mener à
bien les investigations de terrain.
(4) On distingue notamment : a) les indicateurs liés aux
réseaux (types d’équipements) et b) les indicateurs liés à l’habitat : régularité, pression et volume de l’approvisionnement en
eau, caractéristiques de la tuyauterie, présence d’une salle de
bains, de toilettes, mode d’évacuation hors de la maison, de
collecte et de traitement des eaux usées, etc. Sont alors vérifiés
leur adéquation aux normes et paramètres en vigueur (pour la
qualité biologique de l’eau pour la consommation humaine,
pour le dimensionnement des équipements, la fréquence de
l’entretien, les types d’inspection, etc.).
(5) Jusqu’à 1975, les travaux de l’État sont ponctuels et se
limitent à l’installation de points d’eau et au don de tuyaux,
réservoirs d’eau, etc. : il s’agit d’une politique clientéliste dans
une visée électoraliste. Après 1975, une adduction d’eau a été
construite pour l’approvisionnement des lotissements de la
Baixada Fluminense, mais les habitations n’y ont jamais été raccordées. Dans certaines favelas, on a implanté après 1982
quelques équipements pour l’alimentation en eau et de canalisations pour les eaux usées : toutes ces réalisations connaissent
des problèmes opérationnels et de maintenance (Oliveira et Al.,
1993 ; Bastos, 1993).
(6) À titre d’exemple, on peut mentionner à Rio la
« Fédération de Favelas de Rio de Janeiro » (FAFERJ) et dans les
lotissements périphériques de la Baixada Fluminense le
« Comité Politique d’assainissement de base de la Baixada
Fluminense » et les Associations d’habitants de chaque municipalité ou quartier. À Salvador dans la zone des palafittes, sont
actives la Commission de Mobilisation des habitants de la
Péninsule de Itapagipe (CAAMPI) et les associations d’habitants
de chaque localité.
Cette étude a reçu l’appui du CNPq/CAPES - Conseil National de Recherche
Dossier
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Flux n° 56/57 Avril - Septembre 2004
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