Dépendance aux antidouleurs opiacés : un fléau

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Dépendance aux antidouleurs opiacés : un fléau
DE L’INTÉRÊT DU CONFLIT
Information sur les lanceurs d'alertes, les
conflits d'intérêts d'experts et une
recherche transparente
Dépendance aux antidouleurs
opiacés : un fléau venu des
Etats-Unis
Benjamin Sourice
Journaliste chez Précaire&Militant
Publié le 15/01/2013 à 18h27
Le drapeau américain en pilules (M.a.r.c/Flickr/CC)
L’addiction médicamenteuse aux antalgiques opiacés est devenu
un fléau sanitaire des plus préoccupants pour les autorités
d’Amérique du Nord.
En 2012, 16 500 personnes sont mortes d’une overdose
d’antalgiques opiacés sur le territoire américain, ce qui
représente plus de décès que ceux causés par les surdoses de
cocaïne et d’héroïne réunies.
Les overdoses concernent :
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dans 20% des cas, des patients suivis par un seul docteur et prenant de faibles doses ;
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pour 40%, il s’agit de patients suivis mais sur des doses prescrites élevées ;
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dans 40% des cas, il s’agit d’un usage détourné lié à la toxicomanie.
60% des overdoses adviennent donc dans le cadre d’une consommation d’antidouleur opiacés
prescrites. Cependant, les patients qui deviennent accros s’automédicamentent et augmentent euxmêmes les doses, ce qui les conduit à l’overdose.
Quelque deux millions d’Américains seraient dépendants à ces médicaments indique le Washington
Post qui qualifie ce phénomène d’"épidémie" dans une enquête retentissante, publiée le
31 décembre 2012.
De son coté, le ministère de la Santé canadienne reconnaît qu’"au cours des derniers dix ans, la
surconsommation d’analgésiques opioïdes et la dépendance à ceux-ci sont devenus un problème de
santé publique".
Antidouleur de palier III
Trois médicaments font des ravages dans les territoires nord-américains :
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l’Oxycontin (oxycodone) ;
1
2
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le Percocet (oxycodone) ;
le Vicodin (hydrocodone).
Le Dr. Xavier Laqueille, responsable du service d’addictologie de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris,
explique :
"Ce qui caractérise l’Oxycontin, c’est la puissance de son effet dysleptique, ce qui explique
également son attraction pour les toxicomanes."
Classés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme antidouleur de palier III, au même
niveau que les stupéfiants (morphine), ces dérivés opiacés sont délivrés aux Etats-Unis sur simple
ordonnance, aisément falsifiable, et distribués dans toutes les pharmacies du pays sans réel contrôle
des autorités sanitaires.
Normalement prescrits pour soulager les douleurs les plus aiguës (cancers), ces médicaments sont
désormais distribués aux patients pour des maux chroniques de moindre intensité (arthrite, mal de
dos...), relate le Washington Post.
Ces opiacés puissants créent une accoutumance, puis une dépendance en cas de traitement
prolongé ou d’usage détourné, dont le sevrage peut être désagréable pour le patient qui ressentira
des effets de manque (nausée, insomnies...).
Ces médicaments opioïdes peuvent également causer de l’euphorie, ce qui a tendance, chez
certains patients, a entraîner une surconsommation liée à une recherche de bien-être. Un risque de
dépendance connue de longue date par les médecins qui, jusqu’à la fin des années 90, faisaient
preuve d’une certaine "opiophobie".
Evolution de la consommation d’opioïdes aux Etats-Unis (Capture d’écran d’un document du CDC)
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Une dépendance sous-évaluée par les labos
Le Washington Post révèle dans son enquête comment les laboratoires, en particulier Purdue
Pharma, le distributeur de l’Oxycontin depuis 1995, ont manœuvré pour imposer l’idée que ces
antidouleurs "posaient un risque minimum d’addiction".
La presse scientifique a été noyée sous des flots d’études réalisées par les entreprises et signées
par des praticiens de renom selon la pratique des "nègres scientifiques" ( "ghostwriting"). Pour
assurer leur publicité, ces entreprises se sont entourées de personnalités influentes du monde
médical, comme le Pr. Russell Portenoy, spécialiste new-yorkais de la douleur et par ailleurs
conseiller pour l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and
Drug Administration, FDA).
Le Washington Post révèle également qu’en 2002, huit des dix experts de la FDA chargés d’évaluer
le risque de dépendance avaient des liens d’intérêts avec l’industrie, dont cinq avec Purdue.
Entre 1997 et 2007, la distribution des antidouleurs opiacés va augmenter de 627%, relève une
étude américaine [PDF] de 2011 des Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies
(CDC). La production actuelle permettrait de fournir "à chaque Américain une dose de 5 mg de
Vicodin toutes les quatre heures pendant un mois", d’après le CDC.
En France, stupéfiants et antalgiques
En France, il existe deux types d’opiacés sur le marché pouvant être prescrits par des médecins
généralistes :
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les antalgiques ;
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les traitements de substitution à l’héroïne, comme la méthadone ou le Subutex.
En 2009, deux personnes sont décédées [PDF] sur le territoire français suite à une overdose
d’oxycodone, classé parmi les stupéfiants.
Pour les obtenir, la loi française impose l’utilisation d’ordonnance sécurisée sur les stupéfiants (palier
III), comportant filigrane, numéro de série et identification du patient comme du prescripteur, avec
une limite de validité de 72 heures après la prescription.
Ces substitutifs bon marché sont très recherchés des toxicomanes qui en détournent parfois l’usage
pour alimenter des trafics de rue. Le Dr Laqueille :
"Historiquement, en France, les toxicomanies médicamenteuses sur des antalgiques opiacés
concernent la codéine, avec par exemple le détournement du Néo-codion, ou ceux à base de
morphine, comme le Skenan."
Overdose au Tramadol
Le Tramadol est lui prescrit aux personnes souffrant de pathologies douloureuses. C’est un
antidouleur opiacé intermédiaire (palier II) prescrit notamment en remplacement du Di-Antalvic,
antidouleur non opiacé retiré en 2011 alors que huit millions de Français en consommaient
régulièrement.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Afssaps devenue ANSM),
qui l’a classé parmi les médicaments à surveiller, a estimé en janvier 2012 que les ventes françaises
de Tramadol avaient augmenté de 30%.
Il peut être détourné comme drogue, notamment dans les pays du tiers monde. En 2010, la
Commission nationale des stupéfiant et des psychotropes relevait sept cas de décès par overdose
de Tramadol en France et une augmentation de l’implication des "substances opiacées licites hors
médicaments de substitution" dans 15,8% des cas d’overdoses enregistrées.
De plus en plus prescrit, le Tramadol a fait l’objet d’alertes des praticiens et des autorités sanitaires
pour la dépendance qu’il peut provoquer et les risques de détournement.
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"Dérive des prescriptions"
Le docteur Laqueille reconnaît que "la généralisation
de ces traitements (les analgésiques opioïdes) relève
d’une dérive dans les prescriptions" mais que la
"demande joue un rôle non négligeable".
Spécialiste de la pharmacodépendance du CHU de
Toulouse, la Pr. Anne Roussin avertit [PDF] qu’avec le
Tramadol, une "dépendance" peut s’installer chez des
patients "suite à des prescriptions à but antalgique".
Elle souligne la vulnérabilité de ceux qui, accoutumés,
augmenteraient les doses "parfois à la recherche d’un
bien-être, d’un effet plaisant, euphorisant ou
stimulant". Une mise en garde à prendre avec le plus
grand sérieux aux vues du "pharmageddon"
américain.
LE TRAMADOL
Médicament contenant du Tramadol,
vendu sous les noms de :
– Monoalgic LP
– Zaldiar
– Contramal
– Topalgic
– Biodalgic
– Takadol
– Zamudol
– Dolzam
– Ixprim 37,5 mg/325 mg
– Monocrixo LP 100 mg / 150 mg /
200 mg
– Ultram
– Tramacet 37,5 mg/325 mg
– Ralivia
– Tramium
– Tramacet
– Zumalgic
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