La gouvernance multi-niveaux et l`action entrepreneuriale politique
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La gouvernance multi-niveaux et l`action entrepreneuriale politique
La gouvernance multi-niveaux et l’action entrepreneuriale politique dans la coopération transfrontalière: modélisation du processus d’innovation Justin Lawarée1 et Florine Meunier2 Papier présenté au Congrès Mondial de la Science Politique IPSA à Montréal, Canada Juillet, 19-24, 2014 Work in progress. Please do not cite! Abstract : Se mouvant dans un environnement à la fois multi-niveaux et polycentrique – par la diffusion du pouvoir de décision et par porosité des sphères publique et privée -, les organisations publiques des États européens se doivent d’adopter une action de plus en plus coordonnée et transversale. En outre, le cadre budgétaire rigoureux voire austère en vigueur dans de nombreux États européens contraint le secteur public à fonctionner « mieux » avec « moins ». Dans cette configuration, l’innovation dans le secteur public est l’un des moyens permettant à une organisation de transformer ses pratiques et de saisir les opportunités de développement. Parmi les différentes organisations publiques amenées à innover, les universités constituent un objet d’étude intéressant. En effet, ces dernières sont à la fois peu étudiées par la littérature sur l’innovation publique et à la fois le prototype même des organisations publiques innovantes. Basée sur l’étude du cas de l’Université métropolitaine transfrontalière, cette recherche vise à répondre à la question suivante : « Comment le processus d’innovation, au regard de l’acteur, se produit-il dans un contexte transfrontalier et multi-niveaux européen ?». Derrière cette interrogation, l’objectif est d’expliciter la dynamique du processus de création d’une innovation transfrontalière. Pour ce faire, nous examinons celui-ci à l’aune d’un modèle théorique articulant l’entrepreneuriat public et la gouvernance multiniveaux. Mots-clés : Entrepreneuriat public, innovation publique, Université Métropolitaine, gouvernance Multiniveaux, gouvernance transfrontalière. 1 2 Assistant de recherche et d’encadrement, Université Catholique de Louvain, campus Mons (Belgique) Assistante de recherche et d’encadrement, Université Catholique de Louvain, campus Mons (Belgique) 1 Se mouvant dans un environnement à la fois multi-niveaux et polycentrique – par la diffusion du pouvoir de décision et par porosité des sphères publique et privée -, les organisations publiques des États européens se doivent d’adopter une action de plus en plus coordonnée et transversale. De plus, le cadre budgétaire rigoureux voire austère en vigueur dans de nombreux États européens contraint le secteur public à fonctionner « mieux » avec « moins ». Dans cette configuration, l’innovation dans les administrations est l’un des moyens permettant à une organisation de transformer ses pratiques et de saisir les opportunités de développement. C’est pourquoi, cette recherche analyse le processus d’innovation rencontré dans une organisation publique et s’emploie à élucider les logiques d’innovation à l’aune d’un cadre particulier : le contexte transfrontalier. Parmi les différentes organisations publiques amenées à innover, notre intérêt s’est porté sur celles évoluant dans le domaine des savoirs et plus précisément, sur les universités3. En effet, ces dernières sont à la fois des objets d’étude peu étudiés par la littérature sur l’innovation publique et à la fois le prototype même des organisations publiques innovantes. Comme objet d’étude, les recherches menées se concentrent essentiellement sur le rôle des fonctionnaires et/ou des décideurs politiques, sur le leadership, sur la structure et les dynamiques organisationnelles. Dans cette perspective, l’examen d’un cas d’innovation au sein de l’université met en évidence de nouvelles variables favorisant l’innovation publique. En tant qu’idéal type d’une structure publique innovante4 - autonomie, mise en concurrence, allocation du budget combinant partie fixe et partie variable, etc. -, l’analyse de pratiques innovantes au sein de l’université esquisse les pistes d’action potentielles favorisant l’innovation publique. Ainsi, la mise en avant de certaines pratiques, processus, services ou caractéristiques organisationnelles enrichit d’une part, le dialogue au sein du secteur public et d’autre part, la littérature de nouveaux cas empiriques. Dans cette recherche, le cas étudié – la création et la conceptualisation de l’Université métropolitaine - est plongé dans un contexte transfrontalier puisqu’il est issu d’un partenariat entre universités belges (Kulak à Kortijk et FUCaM à Mons) et française (PRES Lille Nordde-France). L’intérêt pour l’étude d’un cas transfrontalier réside dans la nature même de la coopération transfrontalière. Cette dernière peut être un facteur influant sur la forme et la substance de l’innovation organisationnelle. À ce titre, les études réalisées par Marks (1992) sur les fonds de cohésion européens renvoient à la question du multi-niveaux via les programmes Fonds Européens de Développement Régional (FEDER) et INTERREG. Depuis la fin des années 70, divers outils de financement européen au niveau transfrontalier ont vu le jour. Dès 1979, des programmes sont élaborés en collaboration avec les institutions européennes, les Etats Membres de l’UE, les autorités régionales et locales (Journal Officiel des Communautés Européennes, 1979). L’opérationnalisation de ces fonds FEDER est possible à travers des Programmes d’Initiative Communautaire (Journal Officiel des Communautés Européennes, 1999). Créé dès 1990, INTERREG est un outil qui cofinance5 et soutient des projets à caractère transfrontalier (Europa, 1990). Au regard des différents éléments évoqués ci-dessus, notre recherche formule la question de départ suivante : « Comment le processus d’innovation, au regard de l’acteur, se produit-il dans un contexte transfrontalier et multi-niveaux européen ?» Derrière cette 3 Nous considérons les universités belges et françaises comme faisant partie du secteur public sur la base du financement. Les universités belges et françaises sont financement principalement par les fonds publics. 4 La logique sous-tendant ce postulat est la suivante: les établissements universitaires étant incités à se démarquer de leurs concurrents, s’efforce d’acquérir un ou plusieurs avantages comparatifs de nature pédagogique, technologique, symbolique, sociodémographique, etc. L’innovation apparaît alors être un des moyens permettant à une organisation d’acquérir cet avantage comparatif. 5 Les principes de partenariat et d’additionnalité seront ajoutés par le niveau européen – l’addition vise une complémentarité entre fonds européens et fonds régionaux ou étatiques (Marks, 1992). 2 interrogation, l’objectif premier de cette recherche est de saisir la dynamique du processus de création d’une innovation transfrontalière dans le domaine des savoirs tel que l’Université Métropolitaine. Concrètement, l’unité d’analyse étant l’individu, nous étudions le rôle de ceux-ci dans le processus d’innovation en considérant l’impact d’un contexte multi-niveaux et transfrontalier. Enfin, Nous proposons une analyse intégrant à la fois les facteurs endogènes et exogènes. La contribution de notre papier se situe, donc, dans l’articulation du concept d’« entrepreneur public » avec la gouvernance dans une étude multi-niveaux et transfrontalière à travers un questionnement basé sur l’innovation dans le secteur public. La structure de notre papier est la suivante : Primo, un cadre d’analyse comprenant les différents concepts nécessaire à l’appréhension du processus d’innovation , secundo, un explicatif de la méthodologie mobilisée; tertio, une présentation du cas de l’Université Métropolitaine, quarto, une analyse liant les éléments empiriques et concepts théoriques. 1. Cadre d’analyse 1.1. L’innovation, l’entrepreneuriat public et la gouvernance Au regard d’une littérature pluridisciplinaire - management public, analyse des politiques publiques, économie, psychologie -, l’adoption d’une posture réflexive est nécessaire. À cet égard, nous explicitons succinctement notre positionnement théorique. Premièrement, la question de la temporalité est essentielle dans l’analyse de l’innovation. Á ce propos, de nombreux auteurs proposent un phasage du processus d’innovation. Dans cette recherche, nous mobilisons le modèle élaboré6 par King & Roberts (1991 ; 1992) et Roberts (1992). Le choix de ce modèle repose sur deux critères: son ancrage disciplinaire en sciences politiques ainsi que sa lisibilité aisée. Á la lecture de ce modèle, notre analyse porte exclusivement sur le portage du projet et non, sur l’implémentation. De ce fait, nous n’abordons par les thématiques liées à la mise en œuvre du projet. Deuxièmement, les processus de création et de conceptualisation d’une innovation sont, par nature, dynamiques et itératifs. Durant ceux-ci, les innovateurs mobilisent, à la fois des éléments endogènes – c’est-à-dire prenant naissance à l’intérieur de l’organisation. Il s’agit des logiques d’action des acteurs, des règles et normes de l’organisation, de la structure, des discours, des ressources, etc. - et à la fois des éléments exogènes - configuration politiques, contexte socio-économiques, etc. En partant de cette articulation, nous postulons qu’au vu de son effort à théoriser le comportement et les stratégies des acteurs d’innovation, la littérature sur l’entrepreneuriat public s’avère pertinente pour expliquer et qualifier le rôle des acteurs durant le processus d’innovation. En outre, les éléments endogènes sont répertoriés au moyen de la littérature sur l’innovation organisationnelle dans le secteur public7 tandis que les éléments exogènes interférant dans le processus d’innovation sont mis en évidence par l’entremise de la littérature sur la gouvernance multi-niveaux. 1.2. Le « héros » de l’innovation à travers le prisme de l’entrepreneuriat public Au niveau individuel, plusieurs chercheurs insistent sur le rôle joué dans le processus d’innovation par le « héros de l’innovation » (Considine et al., 2009, pp. 28-29 ; Sölvell, 6 Cfr. p. Par soucis de clarté, nous employons le terme “innovation publique” comme terme générique désignant toutes formes d’innovations adoptée et implémentée par et/ou dans le secteur public. Par “innovation organisationnelle”, nous nous référons à “l’adoption (générée en interne ou en externe) d’un dispositif, d’un système, d’un programme politique, d’un processus, d’un produit ou d’un service nouveau pour l’organisation l’adoptant » (Damanpour, 1971). 7 3 2012). Ainsi, Morris et Jones affirment que « l’innovation est menée par un faible nombre de personnes possédant les attributs requis nécessaires pour amener le changement à travers le labyrinthe institutionnel et organisationnel des organisations du secteur public » (Morris & Jones, 1999 cité dans Considine et al., 1999, p.28). Á la lecture de cet extrait, il convient de remarquer des similitudes saillantes entre le héros de l’innovation et l’entrepreneur public. Concept multidisciplinaire, le terme d’« entrepreneuriat public » revêt des colorations tantôt économique, tantôt managériale ou politique. La clarification du sens donné au terme d’ « entrepreneuriat public» est essentielle. Celui-ci se définit comme « la génération d’une idée nouvelle ou innovante, la conceptualisation et l’implémentation d’une idée innovante dans les pratiques du secteur public » (Roberts, 1992, p.56). Concrètement, comme le cite Bernier et Hafsi (2002, p.4) « le processus entrepreneurial implique des valeurs […] et implique des comportements traditionnellement associés au processus stratégique : identifier et évaluer des ressources requises pour le réaliser, les acquérir et réaliser l’affaire et en exploiter le bénéfice » (Stevenson et al., 1989 cité dans Bernier & Hafsi, 2002, p.4). C’est ce processus stratégique qui est au cœur de notre recherche. Pour ce faire, nous examinons quatre pans de ce processus stratégique (1) la perception d’une opportunité pouvant apporter un gain, (2) le développement de l’innovation, (3) la conception d’une stratégie, (4) la mobilisation d’autres acteurs et la dotation d’un leadership. La perception d’une opportunité repose, tout d’abord, sur la collecte d’information. En effet, la capacité de découvrir et d’exploiter une opportunité implique l’accès à l’information des entrepreneur public (Mintrom, 2000, p.89). La connexion aux différents flux d’information est partiellement liée à la notion de capital social. Ce dernier est la « position dans un ensemble de relations sociales qui fournit des informations et un support politique, et qui prend simultanément en considération l’aptitude d’utiliser son statut pour influencer l’action des autres individus » (Fligstein,1997, p.378). Par la suite, l’individu, au moyen de sa structure de connaissance, interprète les informations reçues et détermine s’il s’agit d’une opportunité ou pas. Á cet égard, les chercheurs ont mis en avant une série de singularités dans les schémas cognitifs entrepreneuriaux: (1) la confiance en soi, (2) la plus grande perception d’un gain dans une situation incertaine (Palich & Bagby, 1995 cité dans Baron, 2002, p.16), (3) l’optimisme infondé (Busenitz & Barney, 1997 cité dans Baron, 2002, p.16), (4) la vision stratégique (Christopoulos, 2001, p.9), (5) la créativité (Mintrom, 2000, p.60), (6) la ténacité (Christopoulos, 2001, p.9). Enfin, sur la base de l’interprétation des informations collectées, l’entrepreneur décide s’il est profitable de développer son innovation. Si l’identification d’une opportunité, de besoins non-satisfaits dans le secteur public est relativement aisée, y apporter une solution adéquate requiert une « perspicacité exceptionnelle » (Schneider et al., 1995, p.42). Le développement d’une idée innovante peutêtre découpé en deux étapes. Primo, l’entrepreneur génère l’idée innovante en inventant cette dernière et éventuellement, en y appliquant des modèles provenant d’autres domaines (King & Roberts, 1991, p. 168). Secundo, l’individu entreprenant définit le problème identifié et formule les solutions alternatives plausibles8 (King & Roberts, 1991, p.168). Dans certain cas ou secteur9, la dissémination de l’idée innovante complète le domaine d’activités (King & Roberts, 1991, p.168). Après avoir perçu l’opportunité et avoir développé une idée innovante, l’entrepreneur 8 L’objectif est de réaliser un benchmarking et de voir sur quelles facettes du problème, la solution proposée par l’entrepreneur est plus convaincante, pertinente, efficace et/ou efficiente que les solutions alternatives – c’est-àdire, proposées par d’autres individus-. En outre, la définition d’un problème est le fruit d’un processus de construction social et politique mettant en lumière certaines dimensions au détriment d’autres. Ainsi, la manière avec laquelle l’entrepreneur va définir le problème et présenter sa solution est une étape essentielle pour la réussite de l’innovation. 9 Par exemple, lors d’une mise à l’agenda d’une politique publique. 4 élabore un plan stratégique. Pour ce faire, ce dernier prend en compte deux paramètres : l’environnement organisationnel et l’environnement global (Mintrom, 2000, pp. 98-101). Citant Schumpeter, Mintrom (2000, pp. 98-99) affirme « qu’au-delà de l’ingéniosité et des capacités de prises de décisions requises pour réussir, […] l’habilité d’anticiper et de gérer la résistance et l’hostilité d’autres acteurs est essentielle10». L’environnement immédiat, de par les règles et les normes sociales qui le structure, contraint l’action de l’entrepreneur. Aussi, Bien qu’une connaissance approfondie de l’organisation soit nécessaire pour élaborer un plan stratégique, la possession de ressources tangibles et de ressources intangibles accroit le champ des possibles de l’entrepreneur. Les ressources tangibles sont soit des ressources monétaires dont dispose l’entrepreneur public à titre privé, soit des ressources monétaires propre à l’organisation. Les ressources intangibles renvoient à l’autorité formelle, la légitimité (Leca et al., 2007) et la « ressource humaine » (Price, 1971). La première fait référence à « la reconnaissance de la légitimité de l’acteur à prendre des décisions » (Phillips et al., 2000 cité dans (Leca et al., 2007, p.16). La position officielle de l’individu dans l’organisation est une des sources d’autorité formelle. La seconde, la légitimité est le « degré auquel les actions et les valeurs de l’entrepreneur sont vues comme étant constamment en accord avec les valeurs et les attentes de l’environnement » (Leca et al, 2007, p.16). La troisième se réfère essentiellement au concept de « professionnel » c’est-à-dire « un membre du personnel ayant une connaissance approfondie d’une matière particulière, la mettant à disposition [de l’organisation, du parti politique, etc.], et permettant d’augmenter les capacités de l’équipe pour laquelle l’acteur travaille » (Price, 1971, p.316). La gestion de la résistance et de l’hostilité au changement requiert, de la part de l’entrepreneur, de l’empathie et la capacité d’induire de la collaboration (Mintrom, 2000, p.102). À ce titre, les compétences sociales et relationnelles de l’entrepreneur sont indispensables. Fligstein (2001, p.176) précise que l’entrepreneuriat requiert la mobilisation de compétences sociales (social skills ), parmi lesquelles la plus incontournable est « l’aptitude d’induire de la coopération avec d’autres acteurs ». Cette capacité consiste à motiver les autres individus à coopérer et nécessite de l’empathie et l’aptitude à convaincre les autres acteurs des bienfaits apportés par la coopération. Par ailleurs, au sein d’une organisation, la capacité à motiver ses subordonnés est déterminante (Schneider et al., 1995, p.161). Dès lors, l’entrepreneur s’évertue à développer une culture organisationnelle favorable à l’innovation et à la coopération entre membre (Mintrom, 2000, p.163). Cette dernière action ne signifie pas que l’entrepreneur soit capable de modifier la culture en vigueur dans une organisation mais plutôt, que la coopération et les valeurs favorisant cette dernière sont constamment mise en avant par l’entrepreneur – ouverture d’esprit, esprit d’équipe, spontanéité des discussions et encouragements -. 1.3. Le processus d’innovation et les éléments endogènes l’impactant Ayant montré le rôle clés pouvant être joué par l’acteur innovant, cette section poursuit l’objectif d’enrichir notre cadre d’analyse en structurant le processus d’innovation et en y répertoriant les éléments endogènes prépondérant. Pour les raisons explicitées précédemment, nous avons optés pour le modèle conçu par Roberts (1992). Ce dernier décompose le processus d’innovation en trois étapes : la création, la conceptualisation et l’implémentation. La création, « implique la génération d’une idée innovante et l’association de cette idée à un besoin, à un problème » (Roberts, 1992, p. 58). Cette idée innovante apparait comme une solution à un problème rencontré parmi d’autres. Il convient donc d’en établir la validité et la faisabilité. La conceptualisation, « commence lors du développement de l’idée. Des plans sont formulés afin de rendre l’idée innovante plus tangible » (1992, p.58). 10 Traduction libre. 5 Il s’agit, dès lors, d’opérationnaliser l’idée au moyen, notamment, de la rédaction de plan d’action. L’implémentation, « débute par le test réel de l’innovante telle que conçue lors de la phase de conceptualisation ». King (1992) ajoute à chaque étape un résultat. L’idée innovante est alors le résultat de la phase de création, le prototype celui de la phase de conceptualisation et l’innovation celui de la phase d’implémentation. Figure 1 : Le processus d’innovation Source : adapté de Roberts, N. (1992), Public Entrepreneur and Innovation, p.58 L’identification des conditions favorisant la transformation des pratiques organisationnelles dans le secteur public est une thématique de recherche essentielle. Celle-ci présente, néanmoins, une limite majeure : « l’extrême variance régulièrement observée dans les études empiriques » (Damanpour, 1991, p.555). Si l’une des clés pour réduire cette instabilité théorique a été de privilégier une approche par les subtheories - distinction entre des innovations selon leur nature, leur magnitude, leur processus -, plusieurs chercheurs assument le caractère contingent de l’étude du processus d’innovation (Berry & Berry, 1990 ; Damanpour, 1991 ; Considine et al., 2009 ). Dans notre recherche, nous nous appuyons sur le travail de synthèse de Damanpour (1991) qui liste une dizaine de déterminants organisationnels ayant un impact sur l’innovation. Parmi les déterminants organisationnels positivement corrélée avec le processus d’innovation, nous mettons en avant : la spécialisation11, le renouvellement des gestionnaires12, la communication interne et externe13, et l’attitude du manageur vis-à-vis du changement (Damanpour, 1991, p.558 ; Considine et al. 2009, pp. 33-35). D’autres déterminants organisationnels sont négativement corrélés à l’innovation. En effet, la concentration accrue du pouvoir décisionnel, la formalisation et une verticalisation rigide de la hiérarchie sont autant de facteurs impactant négativement les pratiques innovantes au sein d’une organisation (Damanpour, 1991, p.558 ; Considine et al. 2009, pp. 33-35). 1.4. La gouvernance comme élément exogène de l’innovation 1.1.1. La gouvernance multi-niveaux comme approche à part entière dans les Etudes européennes14 11 «Une plus grande variété de spécialistes fournirait une connaissance plus étendue et augmenterait la fertilisation croisée des idées » (Damanpour, 1991, p.558). 12 « La longévité des gestionnaires/managers fournit une légitimité et une connaissance des tâches à accomplir, de la gestion des processus politiques et de l’obtention des résultats opérés ». Ibidem, p.558 13 La communication externe est positivement corrélée à l’innovation car « l’analyse de l’environnement ainsi que les activités professionnelles et extra-organisationnelles de leurs membres apportent de nouvelles idées à l’organisation ». La communication interne se réfère « au processus facilitant la dispersion des idées à l’intérieur de l’organisation ». L’augmentation et la diversité du nombre d’idées nouvelles accroit la fertilisation croisée et contribue à créer un environnement interne propice aux nouvelles idées. Ibidem, p.559. 14 Ceci est appuyé par la contribution marquante de l’ouvrage de SAURUGGER, S., (2009), Théories et concepts de l’intégration européenne, Science Po. Les Presses, Paris, 483p. 6 Marks et Hooghe parlent pour la première fois de la gouvernance multi-niveaux afin de mieux appréhender la politique des fonds de cohésion – celle qui nous anime ici. Marks l’identifiera comme telle en 199215. Cette approche se distingue des précédentes davantage axées sur l’étude des liens entre Etats et UE pour transiter vers une prise en compte de l’ensemble des niveaux concernés par une décision ou une mise en œuvre de politique publique. Ainsi, les auteurs développent cet outil analytique mettant en lumière le rôle des niveaux infra étatiques - régionaux, infra-régionaux et locaux. Des liens directs entre UE et les niveaux infra étatiques peuvent être observés, dès lors. (Marks et al., 1996). Par ailleurs, Levi-Faur affirme que ce type de gouvernance étudie en plus des processus verticaux - supranationalisation et infranationalisation -, les processus horizontaux - agrégeant divers acteurs publics mais aussi privés- dans la construction de politiques publiques (Bache & Flinders, 2004, Levi-Faur, 2012). Hooghe et Marks (2003) affirment que la gouvernance multi-niveaux perçoit le décentrement de l’Etat dans des contextes complexes, multi-scalaires et multi acteurs, où les centres de pouvoir sont dispersés. Celle-ci renvoie d’une part, à la négociation entre différents niveaux - européens, régionaux, locaux (Marks, 1993) et d’autre part, l’importante coordination entre ces niveaux et d’acteurs, impliquant de l’incertitude (Négrier, 1999). Selon Marks, Hooghe et Blank, la gouvernance multi-niveaux entrevoie des interstices dans lesquels se faufilent les intérêts des acteurs qui eux-mêmes ont des liens entre eux via des arènes de pouvoir différentes au sein desquelles des liens se créent entre niveaux européen et local (Marks et al., 1996). Hooghe et Marks (2004) ont établi une typologie de la gouvernance multi-niveaux. Celle-là différencie le « Type I » du « Type II ». Le « Type I » correspond davantage au fédéralisme où les niveaux de pouvoir ou institutions sont clairement distingués, avec une répartition des compétences entre ces niveaux. En outre, le « Type I » a une fonction de steering. Le « Type II », quant à lui, se réfère à la situation dans laquelle les niveaux de pouvoir se chevauchent dans leurs compétences et où il existe davantage d’arrangement de gouverne – des agences, partenariats, etc.. Ainsi, le « Type II » a une fonction de rowing. De la sorte, selon les auteurs, le Type I renvoie à un système relativement stable tandis que le Type II s’adapte et répond aux demandes changeantes de la gouvernance (Bache in Levi-Faur, 2012, p.630). Selon Bache, ces deux types ne sont pas exclusifs et peuvent se combiner. (Bache in Levi-Faur, 2012, p.631). Skelcher a établi à cet égard quatre types de relations entre entités de ce Type II avec celle du Type I en UE (adapté de Skelcher, 2005, p.101 in Bache in Levi-Faur, 2012, p.631 )16 – ceci montre l’aspect aussi ascendant de politiques et horizontal: 15 La gouvernance multi-niveaux a été dans un premier temps usitée pour mettre en lumière la réalité neuve due à l’introduction des principes du partenariat et de l’additionnalité (principe selon lequel les fonds structurels doivent être additionnés aux fonds venant des Etats Membres, Marks, 1996, Bache in Levi-Faur, 2012). Dans cette recomposition des fonds structurels en 1988, l’attention a été particulièrement tournée sur l’empouvoirement des entités infra-nationales (Hooghe, 1996 in Kjaer, 2004) permettant un lien direct entre les niveaux infra-étatiques et le niveau européen (par exemple, beaucoup de lobbies régionaux auront un accès direct à l’UE à Bruxelles) (Kjaer, 2004, p.112). Dans un second temps, cette notion de gouvernance multiniveaux sera utilisée pour mettre en lumière les pratiques de politiques publiques en UE de manière plus générale (Marks, 1992). 16 Traduction libre 7 La relation entre entités appartenant au Type I et Type II en UE Type de la Caractéristiques des entités Nature des relations relation appartenant au Type II Parallèle Une alternative aux organisations Surtout informelles mais gouvernementales existantes (par faisant des rapports exemple les entités régionales de périodiques aux organes TI partenariat pour la politique de (nationaux et européens) cohésion européenne) Complémentaire Indépendantes mais réalisent des Surtout formelles, faisant des activités qui s’ajoutent à celles déjà rapports directement aux présents de celles des gouvernements institutions européennes (par exemple, la Banque Centrale Européenne) Incorporée Une extension formelle du Surtout formelle, qui doit gouvernement (par exemple, rendre des comptes auprès des l’European Aviation Safety Agency) institutions européennes En opposition Challengent le gouvernement et défend Surtout informelle, parfois des intérêts particuliers (par exemple, formelle (par exemple, des l’European Trade Union arrangements corporatistes) Confederation) La gouvernance multi-niveaux veut davantage appréhender les fonctionnements européens internes. Pour ce faire, elle se focalise sur le rôle des acteurs - tant publics que privés-, les variables stratégiques, normatives et idéelles qui fondent les décisions européennes à différents niveaux de pouvoir. Pour Kohler-Koch ce sont les acteurs qui modèlent les politiques européennes et non les institutions européennes17 (Kohler-Koch, 1996 in Saurugger, 2009, p.237). L’aspect normatif est également abordé dans la gouvernance multi-niveaux ; Rhodes l’énonçe à travers la « métagouvernance18 » (Rhodes in Levi-Faur, 2012). Selon Jessop, la métagouvernance se retrouve aussi dans la gouvernance multiniveaux, Jessop affirme d’ailleurs la « métagouvernance multi-niveaux » adoptée par les institutions européennes à travers de multiples dispositions de design de politiques (Jessop in Bache & Flinders, 2004). Notons que des intersections existent entre les différentes « gouvernances » : Hooghe et Marks (2003) voient la possible coexistence de la gouvernance multi-niveaux avec la gouvernance locale ; des réalités où des juridictions multiples superposées ou imbriquées peuvent exister avec une possibilité de fragmentation et/ou de consolidation et d’un aspect polycentrique des pouvoirs horizontalement (Hooghe & Marks, 2003, p.3). Denters & Rose (2005) soulignent que les mutations du niveau européen ont engendré d’importantes modifications des niveaux inférieurs - locaux, notamment, pour la conduite d’action publique. 17 Pour peu que ceux-ci soient orientés vers les mêmes objectifs par rapport à un objet défini. Rhodes mentionne qu’il existe trois grandes tendances au cœur de la gouvernance en Science Politique à l’heure actuelle; la gouvernance en réseaux (où l’évolution principale a été de mettre de la place en faveur de liens auparavant purement étatiques vers des liens tournés vers le marché et enfin vers les réseaux et où la gouvernance est en somme vue comme résultante des partenariats créés entre organisations, acteurs, etc.), la méta-gouvernance (où l’Etat guide et oriente les actions dans la mesure où la gouvernance elle-même est contenue dans le modus operandi de l’Etat, à travers par exemple le storytelling) (Rhodes in Levi-Faur, 2012, pp.33-48) et enfin la manière d’interpréter l’Etat en changement - où la place de l’Etat comme référent central n’est pas discuté et est plus de l’ordre de la croyance. Des intersections à ces trois tendances existent, sleon l’auteur (Rhodes in Levi-Faur, 2012, pp.33-48). 18 8 Abordons alors la gouvernance en contexte transfrontalier, mettant en évidence le niveau local – le lien direct entre UE et niveaux locaux ou régionaux ayant été mis en exergue par Marks, Hooghe et Blank (2006), surtout dans le cadre des fonds de cohésion européens (Marks, 1992). 1.1.2. La gouvernance en contexte de coopération transfrontalière19 Jessop souligne que le transfrontalier met en avant les liens horizontaux ainsi que les liens avec les niveaux de pouvoir supérieurs – verticalité- (Jessop, 2004 voir aussi Perkmann, 1999). Jessop identifie ces liens sous forme de triade - joignant les deux côtés d’une frontière, eux-mêmes reliés aux niveaux supérieurs de pouvoir jusqu’au point culminant de l’Union Européenne (Jessop in Bache & Flinders, 2004). Comme l’affirment Marks et al. (1996), Maury ajoute également que des niveaux de pouvoirs étatiques peuvent être évités, créant parfois une ligne directe entre niveau local transfrontalier et européen (Maury, 2006). Les phénomènes transfrontaliers mettent en avant à la fois de la gouvernance multi-niveaux (Spinaci & Vara-Arriba, 2009) et à la fois, de la gouvernance locale (Hamman, 2003). Dès lors, les deux approches seront ici traitées. Au niveau de la gouvernance multi-niveaux, Perkmann affirme qu’elle peut être « déliée » : les acteurs de chaque côté de la frontière poursuivrent des objectifs différents en relation avec les juridictions dont ils relèvent (Perkmann, 1999). Selon l’auteur, la coopération transfrontalière prend la forme d’organisations horizontales spécifiques représentant les acteurs publics, managers, académiques, etc. Selon lui, la coopération constitue des réseaux horizontaux qui travaillent de concert (Perkmann, 1999). Dans l’approche multi-niveaux, Spinaci et Vara-Arriba mentionnent l’importance de l’institutionnalisation qui renforce l’effet multiscalaire (Spinaci & Vara-Arriba, 2009)20. La gouvernance locale souligne qu’il existe de plus en plus de juridictions où la fragmentation et/ou la consolidation existent ; déplaçant la focale sur un gouvernement centralisé vers une réalité polycentrique (Hooghe & Marks, 2003, p.3). La gouvernance locale, en contexte transfrontalier, renvoie à des recompositions de l’action publique dans le cadre de la multiplicité des différents types d’acteurs en présence, mais aussi par l’idée que « par le bas », les élus ou d’autres acteurs puissent faire émerger des pratiques spécifiques d’action publique (Hamman, 2004, p.237). Hamman ajoute que la coopération transfrontalière est de type plus horizontale, répondant à des caractéristiques localisées et ancrées sur un territoire donné, participant à une européanisation « horizontale » (Hamman, 2003). O’Dowd et Perkmann ajoutent que l’organisation politique, administrative et légale centrale d’un Etat peut se répercuter sur la manière dont la coopération transfrontalière s’opère entre deux entités infraétatiques (Perkmann, 1999 ; O’Dowd, 2003). Toujours au niveau local, Maury, Guérin et Dupeyron s’accordent sur le fait qu’une identité similaire de chaque côté de la frontière constituée une ressource permettant le lancement dans la coopération (Maury, 2008, p.76 ; Guérin, 2008, p.247). Malgré la volonté d’obtenir des fonds, dans le cas européen d’INTERREG, Maury attire l’attention sur l’ensemble des contraintes qui y sont liées et que les acteurs publics locaux n’y voient pas de retombée immédiate en terme d’électorat (Maury, 2008, p.76). En 2007, Dupeyron affirme ce manque de légitimation est compensé par faire des projets labellisés 19 Pérez González définit la coopération transfrontalière comme « tout type d’action concertée entre les institutions publiques de deux (ou plusieurs) Etats voisins, appliquée dans des zones ou des territoires situés des deux côtés d’une frontière, dans le but de renforcer les relations de voisinage entre ces Etats et leurs collectivités territoriales respectives par l’utilisation de tous les moyens de coopération disponibles » (1993, p.307). 20 Spinaci et Vara Arriba parlent des Groupements Européens de Coopération Territoriale (GECT). Soulignons que leur propos s’apparente au Type I vu comme plus institutionnalisé, au sens de Hooghe et Marks (2004). 9 « européens ». En terme de territoire, Saez et Leresche conçoivent la coopération transfrontalière comme étant une logique « adhocratique » plutôt que « topocratique » pour les acteurs publics locaux (Leresche & Saez, 1997, p.43). Le territoire pertinent n’est donc plus le territoire donné. Enfin, Dupeyron énonce que les acteurs publics locaux et régionaux se lancent la coopération transfrontalière souvent pour jouer un rôle d’entrepreneur et favoriser une dynamique voire une relance économique de leur région/municipalité. Les désavantages de la coopération transfrontalière existent quand même, selon Dupeyron - par exemple : divergences de compétences entre élus de part et d’autre, difficultés dans la prise de décision… A contrario, l’auteur affirme que les bonnes relations entre élus participent de cette coopération. Dupeyron cite que les inputs positifs de l’action publique transfrontalière sont les référentiels transfrontaliers et l’appel à une expertise (Dupeyron, 2007). 2. Méthodologie Le choix de notre unique étude de cas, l’Université Métropolitaine, a été posé dès le départ de la réflexion, dans le but d’étudier en profondeur un cas d’ innovation organisationnelle transfrontalière dans le domaine des savoirs. Afin d’étudier cet objet de recherche, nous élaborons une démarche scientifique reposant sur l’approche déductive qui se base sur une construction théorique préalable à la récolte et au traitement des données. Premièrement, nous avons construit le cadre théorique à partir d’une analyse des recherches et des manuscrits traitant de l’innovation dans le secteur, de l’entrepreneuriat dans le secteur public et de la gouvernance, ainsi que de la gouvernance dans des situations transfrontalières. La littérature utilisée est au confluent de plusieurs disciplines – économie, science politique, mangement public, etc. –. Deuxièmement, notre recherche utilise deux techniques méthodologiques complémentaires: l’analyse de sources primaires (via des entretiens semi-directifs) et secondaires21. Ces entretiens ont été menés auprès des acteurs académiques et politiques impliqués dans le processus d’innovation du projet de l’Université Métropolitaine dans les trois territoires concernés (France, Wallonie, Flandre). Ces entretiens ont été menés en aval de la construction théorique et les questions ont été de type ouvertes pour quelques-unes (souvent, en rapport avec l’expérience professionnelle de la personne interrogée) et pour le reste, orientées sur le cadre théorique et les hypothèses développés (à ce titre, nous avons pu notamment nous référer à Flick, 2009, p.156-165). L’entretien semi-directif se justifie par la volonté de nous focaliser sur la dimension interpersonnelle des individus entreprenant et sur les mécanismes de gouvernance transfrontalière (avec la volonté d’interroger des individus situés à différents niveaux). Nous totalisons sept entretiens menés de mai à juin 2013 et auprès des acteurs ayant participé au processus d’innovation étudié. Les sources secondaires renvoient essentiellement à des articles de presse, communiqués de presse et autres supports (présentations power point,etc.) en rapport avec le cas de l’Université Métropolitaine. 21 Nos sources primaires sont les documents administratifs explicitant le programme INTERREG IV, FranceWallonie-Vlaanderen, la fiche descriptive du projet « L’Université Métropolitaine/ De Metropole Univesiteit », la présentation de l’Université Métropolitaine/ De Metropole Universiteit lors de la conférence de presse ainsi que le compte rendu du Comité d’accompagnement de lancement (2011) de l’Université Métropolitaine/ De Metropole Universiteit. Les sources secondaires sont principalement des articles de presse, des reportages vidéos. 10 3. Le projet de l’Université Métropolitaine 3.1. Le contexte global Le domaine des savoirs en France est centralisé. L’Etat dispose de la compétence en matière d’enseignement et de recherche supérieure. L’évolution majeure depuis 2006 est la création des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieurs (PRES) qui modifient le paysage universitaire français : par bassins, les universités sont amenées à mettre en œuvre des aspects de gouvernance (Etablissement Publics de Coopération Scientifique EPCS), de mutualiser des outils entre universités, de faire face dès lors à une concurrence internationale forte due aux grandes universités, etc. Le PRES Lille-Nord de France, actuellement CUE Lille Nord de France en fait partie (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 2013). Actuellement, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Ministère français de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 2012) régit la recherche technologique, fondamentale et l’ensemble des moyens relatifs à leur bonne mise en œuvre22 (Légifrance, 2013). Pour la Belgique, les années 80 sont décisives dans la fédéralisme belge. La recherche essentiellement fédérale est transférée en partie aux Communautés (recherche fondamentale, Fédération Wallonie-Bruxelles, 201323) et Régions (recherche appliquée, technologique)24. Les provinces belges sont également compétentes pour l’enseignement secondaire et supérieur (Belgium, 2013). Au niveau transfrontalier franco-belge, les entités fédérées belges ont la compétence de la conclusion d’accords internationaux ou supranationaux (Wallex, 1988). Ainsi, des accords de coopération transfrontalière sont signés entre les deux pays dès 1999 dans les matières culturelles, linguistiques et universitaire (France diplomatie, 2013). La convergence de l’ensemble de ces éléments permettra à INTERREG IV A France-Wallonie-Vlaanderen (2007-2013), à travers ses priorités (INTERREG IV France-Wallonie-Vlaanderen, 2013), de financer de la coopération au niveau universitaire entre la France et la Belgique (WallonieFlandre). 3.2. L’Université Métropolitaine Le projet INTERREG « Université Métropolitaine » (De Metropole Universiteit) a vu le jour en septembre 2011 et est « un projet coopératif entre le campus courtraisien de la KU Leuven Kulak (chef de file), le PRES Université Lille Nord de France (actuellement Communauté d’Universités et d’Etablissements Lille Nord de France) et les anciennes FUCaM (actuelles UCL Mons), faisant partie du programme opérationnel INTERREG IV France-Wallonie-Vlaanderen. Il a pour but de « mener des actions communes et intégrées en matière de vie quotidienne transfrontalière. » (Université Métropolitaine, 2013). Ce projet s’inscrit dans la troisième priorité phare du Programme Opérationnel d’INTERREG IV A France-Wallonie-Vlaanderen c’est-à-dire « Renforcer le sentiment d’appartenance à un espace commun en améliorant l’offre et en facilitant l’accès aux services transfrontaliers » (INTERREG IV France-Wallonie-Vlaanderen, 2013) et a pour but de favoriser des échanges d’enseignants et d’étudiants (niveau Baccalauréat au côté belge et licence du côté français) et la mise sur pied d’un Honours College pour les étudiants (Université Métropolitaine/Metropole Universiteit, 2011, p.1). La durée du projet est fixée du 1er septembre 2011 au 31 août 2014 (Université Métropolitaine, 2011). 22 Prévu par le décret 2012-1221du 2 novembre 2012 de l’enseignement supérieur (Légifrance, 2013). Notons que la Communauté française est désormais appelée « Fédération Wallonie-Bruxelles ». 24 A travers l’article 6 bis de la loi spéciale du 8 août 1980. 23 11 3.2.1. L’idée de l’Université Métropolitaine L’acteur à l’origine de l’idée de l’ « Université Métropolitaine » est le Vice-Recteur de la Kulak, Jan Beirlant. Ce dernier, entré en fonction le premier août 2009, a connaissance de projets universitaires qui ont été mis en œuvre dans des universités belges et étrangères. Le premier volet du projet est l’Honours College. Il s’agit d’un projet universitaire répandu aux Pays-Bas ainsi qu’au Royaume-Uni dont l’objectif est le développement de compétences de recherche – expériences interdisciplinaire, méthodologique, etc. - en offrant aux étudiants un programme d’étude supplémentaire à leur cursus. Le second projet est la transationale Universiteit Limburg (tUL). Celle-ci, créée en 1999, se présente comme une université transnationale ayant deux maisons-mères (Universiteit Hasselt et Universiteit Maastricht) (tUL, 2013). Par ailleurs, Jan Beirlant porte un intérêt certain à l’Eurométropole LilleCourtrai-Tournai (Beirlant, 2013). Réfléchissant aux moyens de développer son campus universitaire de petite taille dans un contexte de concurrence25, Jan Beirlant est convaincu que l’Eurométropole peut faire de son campus, un campus universitaire international. Profitant de la visibilité et de la légitimité que lui offre sa fonction, le Vice-Recteur de Kulak discute fréquemment avec les décideurs politiques locaux. À ce titre, lors d’une discussion entre Jan Beirlant et Jean de Béthune, Échevin de la ville de Courtrai (Kortrijk) (2001-2012) et Président du Conseil provincial de Flandre Occidentale (2002-2012), ce dernier lui fait part de son ambition de lancer un projet entre Lille et la Flandre Occidentale et propose à Jan Beirlant de l’assister à une réunion à Lille en compagnie de Christian Sergheraert, à l’époque Président du PRES. Durant ce rendez-vous, l’entente entre Christian Sergheraert et Jan Beirlant est réciproque. C’est dans ce cadre de ce rendez-vous que le Vice-Recteur de la Kulak informe Christian Sergheraert de l’existence de tels projets universitaires. Concomitamment, Jan Beirlant perçoit à la fois un gain et une opportunité de travailler avec Lille et évoque la possibilité de coopérer sur un projet international. Le Président du PRES, Christian Sergheraert explique que son intérêt se porte davantage sur une collaboration internationale pour les étudiants de masters et pour la formation des doctorants. Cette préférence s’explique principalement par sa volonté d’augmenter l’attractivité du PRES Université Lille-Nord de France. Néanmoins, sur base de ces contacts amicaux, le Président du PRES accepte de commencer un projet universitaire directement axé sur les bacheliers. L’accent mis sur formation des bacheliers s’explique par le fait que la Kulak dispense uniquement les cours pour les années de bacheliers et de doctorat. Les étudiants, une fois terminé leur bacheliers, entrent en master majoritairement à Gand (UGent) ou Louvain (KUL). 3.2.2. La conceptualisation de l’Université Métropolitaine : du développement de l’innovation à la conception d’une stratégie Par la suite, le Vice-Recteur de la Kulak et le Président du PRES ont souhaité trouver un troisième partenaire en Wallonie afin d’être éligible pour les projets INTERREG. Le choix des FUCaM s’explique principalement par la dimension interpersonnelle entre Bart Jourquin (Recteur des FUCaM) et Jan Beirlant. En effet, né de parents flamands, Bart Jourquin parle le néerlandais. En outre, ces deux personnes ont eu l’occasion de se rencontrer à divers reprises lors d’évènements. Bart Jourquin, habitant du tournaisis, vit au quotidien l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et s’est fait, lors de la procédure d’élection du Rectorat des FUCaM, la promesse de rapprocher l’université de la région tournaisienne (Jourquin, 2013). De son côté, Jan Beirlant souligne la bonne entente entre lui et Bart Jourquin. Cette bonne entente a 25 La KUL a fondé en 1964 sur le sol de la ville Courtrai un campus universitaire nommé Kulak. Ce dernier de taille modeste a pour principal objectif d’attirer les étudiants de Flandre orientale vers la KUL et non plus l’UGent. 12 permis, selon l’universitaire courtraisien, de donner les chances favorables au projet de se concrétiser. L’idée de développer une l’Université Métropolitaine comprenant un Collège d’Honneurs est partagée par les trois universités, via l’entremise des trois dirigeants. Ayant défini les contours de l’organisation innovante, la problématique principale lors de la conceptualisation de l’idée de l’Université Métropolitaine est celle du financement. Afin de régler celle-ci, les trois universités décident de monter un projet dans le cadre du programme européen INTERREG IV France-Wallonie-Vlaanderen. Lors de la création d’un projet INTERREG, intervient l’adjointe au Vice-Recteur de la Kulak, Virginie Coucke. Cette dernière est chargée de deux missions : la coopération transfrontalière depuis 2004 et l’internationalisation depuis 2011. À cet égard, elle est aussi le référent technique pour l’enseignement à l’Eurométropole (Coucke, 2013). Virginie Coucke a déjà complété plusieurs fiches de projet INTERREG et a obtenu les co-financements. Celle-ci possède une expertise administrative sur les procédures liées à INTERREG. Concrètement, sur l’ensemble des trois universités partenaires, seule la Kulak dispose d’un membre du personnel administratif possédant une telle compétence. De ce fait, la Kulak devient « lead partner » (opérateur chef de file) du projet et rédige la fiche du projet. La qualité de chef de file implique la coordination des autres partenaires dans les activités de reporting exigées par les autorités administratives et également réceptionne le montant FEDER. Le choix du projet INTERREG est justifié par Virginie Coucke sur base de deux éléments : INTERREG cadre, donne une structure et subventionne en donnant des « start financiering » (Coucke, 2013). La conseillère du Vice-Recteur de la Kulak écrit le projet très rapidement. Selon cette dernière, elle couche sur papier ce qu’elle a eu en tête, ce dont elle a entendu parler ou ce qu’elle connaissait. Toutefois, la fiche du projet a été remplie sur base des conseils et de l’aval du Vice-Recteur, Jan Beirlant. Pour concrétiser davantage les idées de l’Université Métropolitaine, notamment le Collège d’Honneurs, et pour opérer les bons choix, les trois dirigeants se réunissent en compagnie de Virginie Coucke. Dans un même temps, la question du co-financement du projet a occupé Bart Jourquin et Jan Beirlant. Ces derniers se sont entretenus avec les acteurs publics issus des niveaux de pouvoir leur apparaissant opportuns. Ayant travaillé dans un cabinet ministériel durant plusieurs années, Bart Jourquin possède une expérience des négociations et des arbitrages politiques. De ce fait, il s’est rapidement entretenu avec le Ministre-Président de la Wallonie Rudy Demotte. Ce dernier provient du tournaisis et se positionne très favorablement vis-à-vis de la Wallonie Picarde et de l’Eurométropole. Le cabinet du Ministre-Président a pu, par ces différents contacts, donner des conseils en vue de l’octroi des financements européens. Le Cofinancement du projet est assuré par le fond FEDER, la Wallonie et les fonds propres. Jan Beirlant, quant à lui, possède aussi des contacts avec les décideurs politiques de la Province de Flandre occidentale et du Gouvernement flamand. La Kulak étant le seul campus universitaire en Province de Flandre Occidentale, cette dernière accorde davantage d’importance et de soutien. Elle cofinance, à cet égard, projet. Du côté flamand, le cofinancement est également assuré par la Province de Flandre Occidentale, la Région Flamande, le fond FEDER et des fonds propres. Par contre du côté français, aucune demande n’a été formulée à quelques niveaux de pouvoirs. Les hommes politiques n’ont pas été tenus au courant de la création et de la conceptualisation. Ce qui explique que le co-financement du PRES est divisé entre des fonds FEDER et un financement propre. 4. Analyse La partie analytique se veut synthétique et calquée sur le processus de Roberts (1992) cadrant le processus d’innovation en trois phases. Etant centrés sur les phases de création et de conceptualisation du processus, nous abordons ces deux temporalité sans entrer dans la troisième phase, celle d’implémentation. 13 4.1. Phase de création Au niveau des acteurs individuels, Jan Beirlant est à la base de l’idée du projet de l’Université Métropolitaine. Celui-ci a, en premier, développé l’idée sur base d’informations préalablement récoltées. Ce fait révèle l’importance de l’expérience ainsi que de la connexion aux réseaux internes – en l’occurrence, le monde académique flamand- et externe – le monde académique international – (Mintrom, 2000). En effet, dans son ouvrage publié en 2000 et intitulé Policy Entrepreneurs and School Choice, Mintrom observe que la diffusion d’expériences innovantes se produit principalement par l’intermédiaire du réseau externe tandis que le réseau interne impacte davantage la réalisation de l’innovation. En outre, si Jan Beirlant a aussi perçu le gain potentiel d’une telle innovation et en a saisi l’opportunité (selon Bernier & Hafsi, 2002), il a fait preuve de créativité, de stratégie – construction d’un plan d’action adéquat (King & Roberts, 1991) -, de compétence sociale – aptitude d’induire de la coopération (Fligstein, 2001) - et de la persuasion. Cette dernière se concrétise dans la capacité de l’universitaire flamand à convaincre Christian Sergheraert qui était davantage favorable à un projet de collaboration transfrontalier axé sur les masters et la formation doctorale. Christian Sergheraert a, pour sa part soutenu de façon indéfectible le projet, il n’en a pas été à proprement parler le moteur. Le Président du PRES a également démontré sa vision stratégique, sa compétence sociale. Sa vision stratégique se remarque par son habilité à anticiper les évènements – il postule que l’Université Métropolitaine est le premier pas vers une coopération entre le PRES et des Universités de réputation internationales belges, notamment, l’Université catholique de Louvain, la Katholieke Universiteit Leuven, Universiteit Gent ou encore l’Université Libre de Bruxelles. L’initiative est donc restée cloisonnée au monde académique (Coucke, 2013). Au niveau horizontal (entre acteurs), dans le cadre de la gouvernance multi-niveaux et locale (Bache & Flinders, 2004, Levi-Faur, 2012), des liens informels entre le Vice-Recteur de la Kulak et le monde politique existent (notamment à travers des rapports informels de Jan Beirlant avec Stefan Vandemeulebroeck de l’Eurométropole, avec Jean de Béthune de la Province de Flandre Occidentale (Beirlant, 2013), nous constatons néanmoins que la création s’attachera tout d’abord à cristalliser des partenaires universitaires pour le projet, de manière détachée du politique. Les bonnes relations entre élus pour mettre en place le projet ont été grandement conditionnées par la structure de l’Eurométropole Lille-Kortijk-Tournai où Rudy Demotte et Stefaan De Clerck se connaissaient déjà bien et ont dès lors favorisé le projet Université Métropolitaine. De là, existait déjà un référentiel transfrontalier (renvoyant à ce qu’affirme Dupeyron, 2007) fort favorisant la mise sur pied du projet. Néanmoins, les liens avec le politique resteront ponctuels et peu formalisés lors de la phase de création du projet. Les liens formels établis entre monde universitaire et politique sont peu présents dans la phase de création du projet, ce qui amoindrit la gouvernance locale, mise en avant par Hamman (2004) au niveau transfrontalier où des juridictions multiples sont présentes et où l’européanisation horizontale produit tout de même ses effets. Toujours dans une vision horizontale entre acteurs, le territoire « adhocratique » de la coopération transfrontalière mis en avancé par Saez et Leresche (1997) fait sens pour l’Université Métropolitaine. En effet, ce territoire a été choisi par les Recteurs par souci d’entente entre eux et a donc vu son périmètre se délimiter en fonction des liens unissant les universités via leur Recteur et non pas par pertinence du territoire de l’Eurométropole (englobant Lille Métropole, mais plus largement toute la Région Nord-Pas-de-Calais à travers le PRES Lille Nord de France, Mons à travers la FUCaM et Courtrai à travers la Kulak). En effet, l’Eurométropole n’inclut pas la ville de Mons. Ce constat nous amène donc à répondre affirmativement à la notion de territoire « adhocratique » des auteurs, et montre une originalité d’inclure des territoires a priori peu concernés par un projet « eurométropolitain ». 14 Dans l’aspect contextuel, nous analysons, tout d’abord, le caractère normatif du cadre européen pour le Projet de l’Université Métropolitaine (Kohler-Koch in Saurugger, 2009, Perkmann, 1999). L’UE promeut depuis 2001 à travers le rapport Mandelkern (Europa, 2001), le Livre Blanc sur la gouvernance (Europa, 2008) et plus tard le Traité de Lisbonne de 2009 (Europa, 2013), une gouvernance basée tant entre les Etats Membres et ses institutions que à travers mêmes les processus de fabrication de politique publique - du niveau européen au niveau le plus fin de mise en œuvre, avec une articulation entre niveaux institutionnels. Ainsi, des éléments clefs par rapport à l’innovation sont apparus dans la volonté européenne de faire de la politique publique à travers la subsidiarité, l’efficacité et l’inclusion citoyenne. Les idées de qualité et d’impact des décisions prises au niveau européen ont également été traitées (Europa, 2008). L’Union Européenne a donc mis en avant une réelle volonté de gouvernance au niveau de l’ensemble des Etats Membres et collectivités sub-nationales à travers également Le Committee of the Regions White Paper on Multi-Level Governance de 2009 dans lequel il est clairement explicité la nécessité de « faire du multi-niveaux » pour la politique de cohésion (CoR, 2009) réaffirme un design de politique de cohésion particulier. Ceci rejoint clairement ce que nous annoncent Rhodes (2012) à travers la tendance de la métagouvernance mais surtout Jessop (2004) sur la métagouvernance multi-niveaux (Rhodes in Levi-Faur, 2012, Jessop in Bache & Flinders, 2004). Nous affirmons donc que l’Union Européenne donne un cadre normatif à la politique menée dans le cadre d’INTERREG et que la métagouvernance est un contexte dans lequel naît et évolue l’Université Métropolitaine. Lors de la phase de création du projet, nous constatons l’importance des relations interpersonnelles et inter-organisationnelles. Les liens entre l’académique et le politique sont, quant à eux, surtout informels. A ce stade, nous pouvons affirmer que nous sommes en présence d’une idée satisfaisant les intérêts des acteurs universitaires et politiques et qui se meut dans un cadre normatif européen (Marks et al., 1996). Même si le niveau politique a été volontairement écarté dans la phase de création (Coucke, 2013), le projet n’en a pas pour autant évidé les intérêts politiques présents au départ désirant favoriser un développement de partenariats entre universités dans la région transfrontalière (et notamment à travers l’Eurométropole et l’e-campus favorisé par Demotte) (Beirlant, 2013, Jourquin, 2013 et Kieken, 2013). Une forme de négociation informelle lors de rencontres antérieures entre Beirlant, Jourquin et des acteurs politiques tels que Rudy Demotte et Stefaan De Clerck - qui sont Présidents à tour de rôle de l’Eurométropole - avait déjà été amorcée et les deux dirigeants connaissaient en quelque sorte l’agenda politique. On se rend compte également que l’aspect proactif et volontaire (au sens de Perkmann, 1999), dans le chef de Beirlant. 4.2. Phase de conceptualisation Au niveau des acteurs individuels, le Vice-Recteur de la Kulak a mobilisé une panoplie de ressources offertes par l’organisation : la légitimité, l’autorité formelle (Leca et al. 2007) ainsi que les ressources humaines à sa disposition - l’expertise de Virginie Coucke (Price, 1971). Via la mobilisation et l’utilisation de ces ressources, il a imposé la Kulak comme « lead partner » du projet. Lors de chaque phase du processus de l’innovation, Jan Beirlant joue un rôle (pro)actif et revêt la fonction d’entrepreneur public des acteurs universitaires. Dans le processus d’innovation en tant que tel, il apparaît un acteur central dans la conceptualisation : Virginie Coucke, la conseillère du Vice-Recteur de la Kulak. Celle-ci est considérée comme une professionnelle disposant des compétences spécifiques indispensables à la conceptualisation et à l’implémentation du projet : la rédaction d’une fiche projet INTERREG, sa mise en œuvre et la réalisation des activités de reporting. Par ailleurs, par les contraintes liées au montage de la fiche projet, elle a joué un rôle essentiel dans la 15 structuration et donc, la conceptualisation de l’Université Métropolitaine. L’expertise (Dupeyron, 2007) se retrouve donc dans le chef de Virginie Coucke, l’adjointe au Rectorat de la Kulak, dans sa capacité à monter des projets INTERREG. Son expertise a été utile à la rédaction du projet, ce qui participera a à sa bonne réception par les niveaux supérieurs. Toutefois, si elle détient la légitimité organisationnelle – tant au niveau des valeurs que de ses capacités -, elle ne détient pas d’autorité formelle et doit s’en référer à la volonté de son ViceRecteur. À ce titre, elle n’est pas considérée comme un entrepreneur public, mais plutôt comme une personne disposant d’une compétence spécifique indispensable au projet qui permet la conceptualisation du projet – notamment sur les contraintes liées à INTERREG Christian Sergheraert, pour sa part, présente deux caractéristiques inédites d’acteur dans les profils examinés. Ainsi, il a fait preuve de ténacité et de persuasion, non pas durant la phase de développement de l’innovation, mais durant la conception de la stratégie et le début de l’implémentation. En effet, une partie du corps académique français n’a pas perçu le gain possible qu’offre l’Université Métropolitaine. Pour ces derniers, l’apport de ce projet était marginal au vu de la taille des universités belges partenaires et de leur réputation internationale. Malgré ces désaccords, le dirigeant français a maintenu son soutien ainsi que sa participation dans le projet. Troisièmement, le Recteur des FUCaM, Bart Jourquin, a été le troisième dirigeant sollicité dans le projet de l’Université Métropolitaine. S’il n’a pas participé proprement dit au début de la phase de création du projet– la perception d’une opportunité -, son intégration à ce dernier est le résultat de sa position dans l’organisation –autorité formelle- et de sa légitimité. Par ses origines et son vécu, Bart Jourquin est sensible à la question de l’Eurométropole et de la coopération transfrontalière, particulièrement entre la Wallonie et la Flandre. Parlant le néerlandais, celui-ci tisse aisément des liens – compétence sociale- avec le Vice-Recteur de la Kulak. Par ailleurs, dès le début de sa participation, Bart Jourquin se montre proactif et utilise son expérience politique pour favoriser la concrétisation du projet. À cet égard, il mobilise se mobilise en tant qu’académique disposant d’un réseau régional politique développé et cible son action « politique » sur Rudy Demotte, MinistrePrésident de la Wallonie. Les conseillers et attachés de ce dernier conseillent Bart Jourquin sur la manière de conceptualiser le projet et ainsi, d’optimiser ses chances de réussite. En ce qui concerne l’horizontalité entre acteurs, le développement de relations s’est opérée avant tout entre les acteurs universitaires via la création d’un réseau (Beirlant, Sergheraert puis Jourquin), dans le premier temps de la conceptualisation du projet. Ces relations, existantes depuis quelques années déjà entre monde universitaire et politique, ont pu être davantage être utile dans le cadre favorable d’INTERREG et surtout pour la volonté d’entreprendre de la Kulak et à l’aboutissement de la conceptualisation du projet. L’aspect vertical entre acteurs et niveaux de pouvoir (Levi-Faur, 2012, Marks et al, 1996) de la gouvernance multi-niveaux est davantage transcendant dans la phase de conceptualisation du projet. En effet, une fois la décision arrêtée sur le projet entre partenaires universitaires, les exigences incluses dans les projets INTERREG - de trouver par les partenaires des sources de financements complétant les 50 % des montants alloués par le FEDER-, ont nécessité que les trois universités se tournent vers les institutions publiques dont elle relèvent juridictionellement parlant (sauf pour le cas du PRES) afin d’obtenir des subsides. Les acteurs universitaires se sont tournés vers les juridictions dont ils relèvent où les acteurs publics seraient les plus susceptibles de pouvoir octroyer le plus facilement des subsides aux partenaires du projet (Jourquin, 2013). Ainsi, du côté wallon, Bart Jourquin a pu rencontrer les acteurs clefs politiques de la Wallonie. Du côté flamand, Jan Beirlant a pu créer des liens forts avec Jean de Béthune (province de Flandre occidentale) et Pascal Smet (Région et Communauté flamandes). Pour le PRES, aucun financement externe n’a été cherché par Christian Sergheraert étant donné que cet Etablissement public est déjà financé indirectement par les collectivités infranationales françaises telle que la Région Nord-Pas-de-Calais). 16 La négociation entreprise entre acteurs universitaires et le monde politique d’un côté flamand et de l’autre wallon, a donc été voulue dans le but d’obtenir les subsides suffisants pour commencer le projet. Ceci a permis de faire approuver le projet beaucoup plus facilement au niveau de la Région wallonne et de et de la Région et Communauté flamandes (Coucke, 2013). Néanmoins, la relation entre acteurs politiques et du monde universitaire est liée mais peu interdépendante; seuls les acteurs issus des universités sont dépendants des fonds issus des niveaux politiques européens, régionaux, communautaires et provinciaux. Le PRES n’est concerné que par le niveau européen (Higgins, 2013). Les objectifs du côté des acteurs publics (français, wallon et flamand) était de créer à travers l’Eurométropole un terreau fertile pour les échanges universitaires (dont l’e-campus en est une émanation). Toutefois, en terme de lien avec les acteurs publics et les territoires dont ils sont issus (élus), chaque partenaire possède des objectifs qui cadrent plutôt avec les objectifs politiques des acteurs publics sur les territoires auxquels ils appartiennent. Du côté des FUCaM, l’idée était de cadrer avec les souhaits de développer le territoire de la Wallonie Picarde de manière transfrontalière, provenant du Ministre président wallon, Rudy Demotte (Wallonie Picarde, 2011). Du côté flamand et français, les objectifs ont été liés purement aux acteurs universitaires et non publics – le premier visant à étoffer sa compétitivité face à des universités flamandes concurrentes (Beirlant, 2013), le second à trouver dans le projet de l’Université Métropolitaine un tremplin pour toucher les universités mères KUL et UCL à terme (Higgins, 2013). Au niveau de l’influence des niveaux de pouvoir sur le transfrontalier – selon Perkmann (1999) et O’Dowd (2003)-, l’organisation étatique (fédéralisation très forte en Belgique vs centralisation plus forte en France) a amené une influence relative sur la conceptualisation du projet Université Métropolitaine, en ce qui concerne le choix des partenaires. Notons que de la structure étatique – surtout du côté belge - aura permis aux partenaires d’aller trouver au sein des niveaux de pouvoir le plus d’opportunités de faire aboutir le projet pour le côté belge (Jourquin, 2013). Aussi, il est intéressant de noter qu’à l’interne, le PRES inclus dans le projet est organisé de manière publique pour une grande partie, ce qui n’a pas induit la nécessité d’adjoindre des niveaux politiques français dans le financement du projet (Higgins, 2013). Ceci aura une influence relative sur la construction des partenariats publics et universitaires dans le projet mais n’aura pas été un facteur majeur influençant directement la conceptualisation du projet. Pour ce qui est du multi-niveaux, alliant verticalité et horizontalité, nous remarquons que les niveaux de gouvernement concernés par l’octroi de fonds dans le projet de l’Université Métropolitaine sont : l’Union Européenne (fonds FEDER), la Région Wallonne, Le Ministère flamand de l’Enseignement et la Province de Flandre Occidentale (Université Métropolitaine/Metropole Universiteit, 2013). Les niveaux subsidiant sont donc multiples, mais n’incluent par exemple pas la Province du Hainaut, qui possède une compétence en matière d’enseignement, ceci a été un choix opéré dès le départ par les acteurs académiques du côté wallon (Recteur Bart Jourquin à l’époque). Nous pouvons remarquer également une asymétrie entre côté belge et côté français puisque le PRES Lille Nord de France est un Etablissement public financé en partie par le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, Lille métropole, Valencienne métropole, Arras communauté urbaine (Université Lille Nord de France, 2013) mais dépend de ses pouvoirs de manière indirecte. Nous sommes bien donc dans une gouvernance avec des niveaux de pouvoir dispersés (au sens de Hooghe et Marks, 2003). Les niveaux supérieurs pris en compte comme organes subsidiant ne sont pas les niveaux classiques hiérarchiques : il y a eu un évitement volontaire de l’inclusion du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais (Higgins, 2013) et de la Province du Hainaut (Jourquin, 2013), pour cette dernière c’était le risque de manque de soutien politique qui a fondé ce choix. 17 Nous sommes par ailleurs dans un Type II de gouvernance multi-niveaux au sens de Hooghe et Marks où le fédéralisme belge et la décentralisation française dans un contexte plus général de type fédéral crée des asymétries fortes et une dispersion des pouvoirs pour le cas de l’Université Métropolitaine. Le Type II est exemplifié car le contrôle des budgets initiaux ont été opérés par des organes de contrôle (contrôleur de gestion) différents de chaque côté de la frontière – le côté français ayant un organe du PRES alors que les côtés belges ont des organes de contrôles administratifs indépendants des FUCaM et de la Kulak (Delecosse, 2013). Aussi, au sens de Skelcher (2005), nous sommes dans une organisation de type « parallèle » où les rapports, demandes de budgets etc. pour l’Université Métropolitaine ont été renvoyés aux niveaux européens, régionaux pour le côté belge et étatique pour le côté français. Nous observons donc, comme l’affirment Jessop (2004) et Maury (2008) que le côté français a vécu une mise en relation plus directe entre le niveau local et européen sans passer nécessairement par les échelons intermédiaires – notons, ce qui est important, que le niveau étatique n’a toutefois pas été évité (ce qui rejoint les propos de la permanence de l’Etat de Jessop, 2004). Par contre, le côté belge s’est vu développer des relations à échelons intermédiaires provinciaux (Flandre), régionaux (Flandre et Wallonie) et communautaires (Flandre) et au niveau européen, tout en sélectionnant les organes à associer dans le projet, ceci étant dû à la structure étatique fédérale belge. Concrètement, l’Etat belge a pu là être évité. Cette coopération transfrontalière agrège des institutions publiques de deux côtés de la frontière de manière asymétrique. La coopération dans le cadre de ce projet est toutefois à nuancer au moyen de l’approche par la gouvernance. La gouvernance dans la phase de création renvoie plus à une gouvernance sectorielle, au sein du domaine des savoirs, puisque n’incluant pas le niveau politique. Le partenariat avec certaines instances publiques pour les subsides a montré un tournant vers un autre type de gouvernance, multi-acteurs et multiniveaux. 5. Conclusion générale L’étude approfondie du cas de l’Université Métropolitaine a pour objectif d’analyser les pratiques d’innovation dans le secteur public et, singulièrement, les universités. Afin d’expliciter avec pertinence le processus d’innovation, cette recherche articule les théories abordant le rôle actif des acteurs dans l’innovation avec la gouvernance locale et multiniveaux. En termes d’acteurs, plusieurs éléments ressortent de l’analyse : les quatre acteurs cités ci-dessous possèdent la légitimité soit via les valeurs similaires sur la coopération transfrontalière qu’ils partagent, soit via leur compétence professionnelle (Virginie Coucke) ou leur autorité formelle. Les trois Recteurs universitaires ont prouvé une capacité de coopération, d’adaptation à l’environnement social de leur projet et ont montré de réelles compétences sociales. L’Université Métropolitaine, en conclusion, est le résultat de l’action d’entrepreneurs publics, en particulier de l’action du Vice-Recteur, Jan Beirlant. Ces entrepreneurs publics ont coopéré et se sont coordonnés afin de pousser leur projet durant toutes les étapes du processus administratif. Affichant des capacités de proactivité, ceux-ci ont pu profiter d’un contexte favorable pour faire émerger l’Université Métropolitaine. Leurs actions sont donc décisives dans le processus d’innovation, d’autant plus, dans un contexte transfrontalier. La gouvernance a été mise en lumière essentiellement dans la phase de conceptualisation du projet. Les acteurs universitaires ont formalisé les liens avec les niveaux de pouvoirs régionaux (du côté belge) et étatique du côté français. L’horizontalité entre 18 acteurs d’un même secteur – du domaine des savoirs, en l’occurrence -, de manière transfrontalière, reste une des caractéristiques majeures de la phase de création du projet. Notons que l’aspect normatif et la métagouvernance – voire de la métagouvernance multi-niveaux – ont été observés dans le cas de ce projet de l’Université Métropolitaine. Nous remarquons que l’innovation organisationnelle dans le cas de la conceptualisation du projet de l’Université Métropolitaine provient bien, d’une part de l’action spécifique d’entrepreneurs publics et d’autre part du contexte de gouvernance impulsée par l’Union Européenne et en tant que résultat d’actions menées au niveau local transfrontalier. A ce titre, nous pouvons nous interroger sur le contexte particulier que confère le transfrontalier. Dès lors, nous établissons le schéma suivant : 19 Figure 1: Le début d’un processus d’innovation pour un projet INTERREG dont le contexte est multi-niveaux et transfrontalier26 Nous affirmons que nous sommes bien dans une dynamique bottom-up et dans le cadre ce projet, mais dans un contexte cadré de manière top-down par l’Union Européenne, dont l’aspect normatif est repris et intégré par les acteurs universitaires et publics au niveau transfrontalier. Un lien quasi direct entre niveau local et européen peut être retrouvé. Par ailleurs, des intersections existent entre les approches théoriques utilisées : tant dans la gouvernance que dans l’entrepreneuriat public, les acteurs possèdent et mobilisent des compétences sociales telles que la persuasion, la coopération, la capacité de s’adapter à l’environnement social. Par leur position dans l’organisation, les individus recourent aux ressources détenues par leur organisation, nous notons que les ressources principales ont été l’expertise et les ressources financières. Des complémentarités sont intéressantes à souligner entre l’entrepreneuriat et la gouvernance : l’importance des réseaux informels - l’externe permettant la diffusion d’idée innovante, l’interne permettant la conceptualisation et l’avancée du projet - couplés plus tard au capital social (et donc, réseau politique). Le contexte de gouvernance et d’innovation constituent un milieu fertile pour l’action entrepreneuriale et met en avant le processus de fertilisation croisée, à savoir un cadre d’action publique stimulateur de projets individuels et organisationnels. Notons toutefois qu’en termes de limites, l’approche de la gouvernance continue à porter à discussion les éléments de reddition des comptes, de légitimité de l’acteur – 26 Le schéma et sa légende son repris en annexe du document. 20 universitaire dans ce cas-ci- optant pour une décision de projet spécifique pour des universités (financées en Belgique par des fonds publics, ne l’oublions pas…). Ce cas empirique n’évide pas ces écueils. Nous avançons également l’idée que la gouvernance ici étudiée reste originale ; elle montre des liens entre organisations financées par les pouvoirs publics que sont les universités et les partenariats opérés avec les niveaux de pouvoir publics. De cet état de fait, nous constatons que la gouvernance, en tant qu’approche permettant de mettre en lumière des phénomènes inédits et originaux, reste un cadre conceptuel encore peu affiné pour qualifier réellement les liens qui unissent universités et instances publiques. Néanmoins, la gouvernance en tant que stretched concept, nous permet de mettre en lumière cette réalité empirique originale. In fine, cette étude expérimentale est sujette à des biais d’ordre méthodologique et théorique. Nous identifions d’une part, au niveau méthodologique, que les matériaux empiriques ont été pauvres pour parvenir à contenter le principe de saturation des données. D’autre part, au niveau théorique, porte sur l’articulation des approches théoriques mobilisées, notamment dans la difficile articulation des niveaux d’analyse étudiés. 21 6. Bibliographie Ouvrages scientifiques BACHE, I., FLINDERS, M., (2004), Multi-Level Governance, Oxford University Press, Oxford, UK BACHE, I., (2012), Multi-level Governance in the European Union, pp.628-641 in in LEVIFAUR, (2012), The Oxford Handbook Of Governance, Oxford University Press, Oxford, UK BACHE, I., ANDREOU, G., (2011), Cohesion Policy and Multi-level Governance in South East Europe, Taylor and Francis, 124p. BARON, R. 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Annexe Figure 1 : Le début d’un processus d’innovation pour un projet INTERREG dont le contexte est multi-niveaux et transfrontalier27 Légende : Liens entre acteurs du projet de l’Université Métropolitaine, dans la création et conceptualisation Liens aller-retour formels et informels entre acteurs universitaires (Recteurs représentant l’Université) et instances politiques Liens unissant les Recteurs et les organisations – universités - qu’ils représentent Influence du cadre normatif européen sur le projet de l’Université Métropolitaine Accords internationaux permettant la conduite de projets transfrontaliers entre Etat français et entités fédérées belges – mises sur « pied d’égalité » avec l’Etat belge. Aller-retour entre acteurs universitaires Recteurs. Ce lien véhicule les idées des 27 Le schéma et sa légende son repris en annexe du document. 27 acteurs (Recteurs) et la coordination entre eux. Portage du projet par la Kulak 28