la saisie conservatoire de navire

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la saisie conservatoire de navire
LA SAISIE CONSERVATOIRE DE NAVIRE
Le navire, « bâtiment destiné à la navigation maritime » 1 est un bien
meuble. Il a toutefois la particularité d’être susceptible d’hypothèque2 . Cette
sûreté, relativement lourde à constituer, n’est pas toujours suffisante pour
garantir les préjudices qui naissent de l’exploitation du bâtiment.
Bien souvent le contentieux de l’indemnisation, oppose le transporteur
au destinataire de la cargaison. Celui-ci en cas d’échec du règlement amiable,
mode de règlement des litiges privilégiés, a souvent tendance à recourir à la
saisie conservatoire de navire, à l’effet de préserver ses droits ou provoquer la
vente forcée du navire. Au-delà, la saisie conservatoire peut apparaître, comme
un moyen de pression du saisissant sur le transporteur.
Elle est donc une voie d’exécution qui peut être mise en œuvre par les
créanciers de l’armateur ou de l’affréteur selon le cas.
Ainsi comprise, la saisie conservatoire peut conduire à des abus. Aussi a
t-elle été encadrée par divers instruments juridiques, dont notamment
l’ordonnance N° 74-24 du 14 mars 1974 portant code de commerce maritime. 3
Ces textes organisent les conditions de la saisie conservatoire de navire (I), ainsi
que de sa mise en œuvre (II).
1
Lexique des termes juridiques, Dalloz, 14 ème éd. P. 388
2
article 1er de l’ordonnance N° 74-24 du 14 mars 1974 portant code de commerce maritime
3
Publiée au journal officiel N°460 du 02/05/1974.
I- LES CONDITIONS DE LA SAISIE CONSERVATOIRES DE NAVIRE
La saisie conservatoire ne peut être envisagée, que si la créance dont le
recouvrement est poursuivi satisfait à certains critères cumulatifs.
Ainsi, la créance doit être non seulement certaine (A) mais en plus
maritime (B)
A• Une créance certaine
Aux termes de l’article 74 du code de commerce maritime, le
saisissant « doit justifier d’une créance certaine…. » 4
Il est communément admis, que la créance certaine est celle qui est
« née et actuelle et dont l’existence est incontestable» 5 . Ainsi, la saisie
conservatoire de navire ne peut être initiée que pour le recouvrement d’une
créance actuelle. Par suite « une créance conditionnelle ou éventuelle ne saurait
fonder une saisie conservatoire de navire » 6 .
La certitude de la créance peut résulter de toute décision de justice ou
titre exécutoire. Elle émane également de procès verbaux contradictoires établis
par des experts maritimes agrées. Aussi le Président du Tribunal de Première
Instance de Première classe de Cotonou a-t-il sur le fondement entre autre
desdits procès verbaux qui ne sont contestés par aucune des parties, ordonné des
saisies conservatoires de navire 7 .
4
Article 74 al 1 de l’ordonnance N° 74-14 du 14 mars 1974 portant code de commerce maritime « La saisie
conservatoire doit être autorisée par le juge. Le requérant doit justifier d’une créance certaine »
5
Anne-Marie H. Assi-Esso, Ndiam Diouf, Recouvrement des créances. Brugpaut Bruxelles, Juriscope p. 79
N° 51
6
Joseph DJOGBENOU, L’exécution forcée, Législation béninoise et droit OHADA, éd. Juris OUANILO,
cotonou, 2006, p.144 N° 133
7
ordonnance N° 807/ 2007 du 11 octobre 2007
2
Même si l’article 74 précité ne l’indique pas, la créance doit être
également liquide, c'est-à-dire « estimée en argent » 8 .
En effet, l’article 81 du code de commerce maritime fait obligation à l’huissier
instrumentaire, d’indiquer dans les procès verbaux de saisie….. « la somme
dont il poursuit le paiement.. . ». Cette disposition impose donc au saisissant,
une évaluation pécuniaire de sa créance.
Pour autant, celle-ci doit t-elle être exigible, à tout le moins le créancier
doit t-il « justifier de circonstances de nature à en menacer le recouvrement » 9 ?
La question semble être tranchée par les articles 74 ci- dessus invoqué.
Ainsi, il n’est pas nécessaire que la créance soit exigible, pour peu qu’elle est
déjà certaine. Mais à la vérité, cette solution ne peut satisfaire, en ce qu’elle est
source d’abus et de d’insécurité juridique. Le créancier pourrait à tout moment,
ignorer un terme suspensif, un échéancier souscrit ou toutes autres modalités de
paiement et effectuer une saisie conservatoire de navire qui serait alors
nécessairement abusive.
Au demeurant l’article 78 du code de commerce maritime, vient atténuer ce
risque en subordonnant la saisie conservatoire du navire à un commandement de
payer. Cet exploit d’huissier a donc vocation à rendre exigible la créance, qui en
espèce doit être maritime.
B- Une créance maritime
La saisie conservatoire de navire semble être édictée uniquement pour le
recouvrement des créances maritimes. Sont considérées comme telles aux
termes de l’article 75 de l’ordonnance N°74-20 du 14 mars 1974, les prétentions
à un droit ou à une créance ayant l’une des causes suivantes :
8
Lexique des termes juridiques, Dalloz, 14 ème éd. P. 177
9
article 54 de l’ acte uniforme du traité OHADA portant organisation des procédures simplifiés de recouvrement
et des voies d’exécution.
3
1. Dommages causés par un navire, soit par abordage soit autrement ;
2. Pertes de vies humaines ou dommages corporels causés par un navire
ou provenant de l’exploitation d’un navire ;
3. Assistance et sauvetage ;
4. Contrats relatifs à l’utilisation ou à la location d’un navire par chartepartie ou autrement ;
5. Contrats relatifs au transport des marchandises par un navire en vertu
d’une charte-partie, d’un connaissement ou autrement ;
6. Pertes ou dommages aux marchandises et bagages transportés par un
navire ;
7. Avaries communes ;
8. Remorquage ;
9. Pilotage ;
10. Fourniture, quel qu’en soit le lieu, de produits ou de matériels, faite à
un navire en vue de son exploitation ou de son entretien,
11. Construction, réparation, équipement d’un navire ou frais de cale ;
12. Salaires des capitaines, officiers ou hommes d’équipage ;
13. Débours du capitaine et ceux effectués par les chargeurs, les affréteurs
ou les agents pour le compte du navire ;
14. Litige sur la propriété ou la copropriété d’un navire ;
15. L’exploitation, ou les droits aux produits d’exploitation d’un navire ;
16. Toute hypothèque maritime et généralement toute créance qui a sa
source dans l’une des causes qui permettent l’application
de la
limitation de responsabilité des propriétaires ou armateurs de navires.
4
Il s’en suit que la créance maritime est celle qui a un lien très étroit avec la
construction, l’exploitation et la propriété du navire.
La liste de l’article 75 précité est t-elle exhaustive ?
La réponse négative s’impose en l’espèce. Il est certain en effet, que le
législateur n’a nul part circonscrit la saisie conservatoire aux créances
maritimes. Même si lesdites créances sont par essence celles qui fondent et
déterminent la mise en œuvre d’une saisie conservatoire de navire.
II- LA MISE EN OEUVRE DE LA SAISIE CONSERVATOIRE DE
NAVIRE
L’huissier instrumentaire est le seul auxiliaire de justice, légalement habileté à
mener les opérations de saisie (A). Cette compétence exclusive fait produire à
l’acte de saisie, diverses conséquences qui le distingue
des saisies
conservatoires édictées par le législateur OHADA (B).
A- Les opérations de saisies
La saisie proprement dite (2) est précédée de préalables légaux (1)
1- Les préalables à la saisie conservatoire de navire
Avant toute saisie, le créancier doit non seulement obtenir une ordonnance aux
fins de saisie, (a) mais en plus délaisser commandement de payer (b)
a- L’ordonnance aux fins de saisie conservatoire de navire
En application de l’article 74 alinéa 1er du code de commerce maritime, « la
saisie conservatoire doit être autorisée par le juge ». Cette autorisation est
accordée au moyen d’une ordonnance rendue à pied de requête. Cette
ordonnance qui est une décision gracieuse a la particularité de n’être susceptible
5
que d’appel 10 . L a voie de rétraction n’est donc pas ouverte au débiteur saisi qui
ne peut la contester que devant le juge du second degré.
Le principe du double degré de juridiction est donc violé en espèce par le
législateur lui-même. Il s’agit là d’une insuffisance auquelle, il faudra remédier
au plus tôt.
Le juge compétent est le Président du Tribunal, ou l’un des juges à qui il a
délégué ses prérogatives.
La juridiction territorialement compétente est bien souvent désignée au
moyen d’une clause attributive de juridiction ou d’une clause compromissoire
insérée dans le contrat de transport. Au demeurant « il est un principe bien
admis : les clauses compromissoires et attributives de juridiction ne sont
opposables aux parties que si celles-ci les ont acceptées ». 11
A défaut de telles clauses, le requérant peut s’adresser au Président du
Tribunal où demeure le débiteur. Il peut également saisir la juridiction du lieu de
la livraison effective de la chose ou du lieu d’exécution de la prestation de
service. 12 En cas de pluralité de défendeurs, le requérant peut saisir à son choix
la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux. De même s’applique à
l’ordonnance aux fins de saisie tout comme au commandement de payer, la
jurisprudence dite « des gares principales » 13 .
10
art 74 al 2 du code de commerce maritime « L’ordonnance qui autorise ou refuse la saisie est susceptible
d’appel. La saisie ordonnée est exécutoire nonobstant appel ».
11
sous la direction, de Bernadette VERGUELEN-NEYROLLES Lamy transport, Tome 2 commission de
transport mer, fer, air, commerce intérieur, Lamy, Paris, 2006, p.924 N°923
12
cass. Civ. 2e civ. 18 janv. 2001, N° 96-20-912, Bull. civ N° 10, p. 6; T. com. Paris, 28 Nov. 1979, DMF 1980,
p. 422
13
T. com. Site, 8 dec. 1964, DMF 1966, p. 41; CA Rouen, 18 Fev. 1963; DMF 1966, p. 150
6
b- Le commandement de payer
Il est prévu par l’article 78 du code de commerce maritime. Ce texte
n’autorise la saisie conservatoire que vingt quatre heures après le
commandement de payer. Lequel commandement cesse de produire ses effets,
après l’écoulement d’un délai de dix (10) jours. Il s’en suit qu’une fois le
commandement délaissé, le créancier doit obligatoirement procéder à la saisie
dans ledit délai.
Autrement, il devra reprendre le commandement avant toute saisie.
« Le commandement est fait à la personne du propriétaire du navire, à
son domicile ou à la personne de son représentant qualifié. Au cas où ni le
propriétaire, ni un représentant permanent ne sont sur les lieux, le
commandement peut être fait au capitaine, si la créance du saisissant est relative
au navire ou à l’expédition ». 14 Le commandement peut donc être délaissé es
qualité, à la personne du consignataire du navire, représentant permanent de
l’armateur
ou
de
l’affréteur.
commandement « indifféremment
Ainsi
au
le
créancier
transporteur
lui-
peut
signifier
même
ou
le
ses
représentants es qualité, à savoir le capitaine, le consignataire du navire et le
commis succursaliste ». 15 La saisie peut également être faite entre les mains de
ceux-ci, toujours es qualité.
2- La saisie proprement dite
Si les préalables et conditions invoqués supra sont réunis, l’huissier
instrumentaire peut dresser procès verbal de saisie (a) ; et subséquemment
accomplir les formalités de publicité (b)
14
article 79 du code de commerce maritime.
15
Bernadette Verguelen-NEYROLLES Lamy transport, Tome 2 commission de transport mer, fer, air,
commerce intérieur, Lamy, Paris, 2006, p.884, N° 883 ; cass. Com. 10 Mai 1983, N° 80-13 Bull. civ IV, N° 139,
p. 121, DMF 1984, p. 269
7
a- L’acte de saisie
La saisie est faite par exploit d’huissier. Bien entendu, il doit s’agir de
l’huissier territorialement compétent. C'est-à-dire des huissiers près la cour
d’Appel de Cotonou.
Ceux-ci doivent énoncer dans le procès verbal de saisie :
« - Les noms, profession et domicile du créancier pour lequel il agit ;
- La somme dont il poursuit le paiement ;
- Le titre exécutoire en vertu duquel il procède ;
- La date du commandement de payer ;
- L’élection de domicile faite par le créancier dans le lieu où siège le tribunal
devant lequel la vente doit être poursuivie et dans le lieu où est amarré le
navire saisi ;
- le nom du propriétaire ;
- Les noms, espèce, tonnage et nationalité du navire; » 16
L’huissier doit en outre faire l’énonciation et la description des
chaloupes, canots agrès, et autres apparaux du navire, provisions et soutes et
surtout établir gardien 17 . Le plus souvent, c’est le capitaine du navire qui en est
le gardien.
Les énonciations citées plus haut ne sont pas prévues à peine de nullité.
Toutefois, le débiteur ou toute personne qui a intérêts et qualité peut
demander la nullité de l’exploit de saisie en cas d’omission lorsqu’elle justifie
d’un grief en application de l’article 173 du code de procédure civile.
16
article 81 du code de commerce maritime.
17
article 81 du code de commerce maritime.
8
Il importe de noter que le navire prêt à appareiller ne peut être l’objet de
saisie, si ce n’est à l’occasion des dettes contractées pour le voyage en cours. Le
navire est censé prêt à appareiller lorsque l’autorité maritime l’a expédié, a porté
son départ sur le registre des sorties et lui a remis son rôle d’équipage. 18 Dans
cette hypothèse, il n’y a pas de formalités de publicité à accomplir.
b- Les formalités de publicité
Une fois la saisie pratiquée, l’huissier instrumentaire doit la porter à la
connaissance des autorités portuaires, du transporteur ou de ses représentants.
Ainsi, l’acte de saisie est communiqué à l’autorité maritime ainsi qu’à l’autorité
consulaire en poste au Bénin de la nation dont le navire bât pavillon. 19 A ce titre
le procès verbal de saisie est dénoncé au Port Autonome de Cotonou et à la
capitainerie dudit port.
Cette obligation de communication n’est assortie d’aucun délai. Mais dans
la pratique elle se fait dans le délai de trois (03) jours imparti par le législateur 20
pour notifier au propriétaire du navire ou en son absence au capitaine ou
consignataire du navire le procès verbal de saisie conservatoire. L’huissier doit
également assigner le transporteur dans le même délai « devant le Tribunal
Civil du lieu de saisie pour se voir dire qu’il sera procédé à la vente des choses
saisies ». 21
Enfin lorsque le navire saisi bât pavillon béninois, la saisie pratiquée
doit être inscrite au registre des hypothèques .
18
article 70 du code de commerce maritime.
19
article 82 du code de commerce maritime.
20
21
article 83 al 1 du code de commerce maritime.
article 83 al 1 du code de commerce maritime.
9
En outre elle doit dans tous les cas être dénoncée aux créanciers inscrits avec
indication de la date de comparution devant le tribunal. 22
Aussi ces diligences permettent t-elles à la saisie conservatoires, de sortir de
tous ses effets.
B- Les effets de la saisie conservatoire de navire
A l’opposé de la saisie conservatoire de droit commun, la saisie
conservatoire de navire ne met pas sous main de justice le navire saisi. Ledit
navire n’est donc pas indisponible. Il demeure dans le patrimoine du débiteur,
qui peut même au besoin l’aliéner. En effet, la saisie conservatoire ne porte
aucune atteinte au droit de propriété. 23 Par suite nonobstant saisie, le débiteur
peut toujours organiser son insolvabilité.
Au demeurant, la saisie empêche le départ du navire. Dès lors aussi
longtemps qu’elle est en place, le navire ne doit partir. Par suite, les autorités
portuaires engagent leurs responsabilités, lorsque le navire saisi arrive à quitter
le port.
Toutefois, nonobstant saisie le juge peut autoriser le départ du navire pour
un ou plusieurs voyages déterminés après paiement d’une caution. 24 Cette
autorisation est donnée par ordonnance rendue à pied de requête.
22
article 84 du code de commerce maritime.
23
article 77 du code de commerce maritime.
24
article 72 du code de commerce maritime.
10
CONCLUSION
Les règles qui régissent la saisie conservatoire de navire sont assez
explicites, même si à l’épreuve du temps et de l’essor du contentieux maritime,
un léger toilettage s’avère nécessaire. Ainsi il apparaît superflu, que celui qui
dispose d’un titre exécutoire soit obligé de solliciter du juge une autorisation
avant de procéder à une saisie conservatoire de navire. De même la saisie
conservatoire devrait avoir pour effet de rendre indisponible le bâtiment saisi.
Ainsi et sur bien d’autres aspects, le régime juridique de la saisie
conservatoire de navire gagnerait à se rapprocher, sans toutefois se confondre à
celui du droit commun.
Charles BADOU
Avocat à la cour
11

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