Deuxième Partie Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et
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Deuxième Partie Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et
Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Deuxième Partie Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique Lors de l’année 1968, un nouveau tournant se profile. Jean-Luc Chalumeau1 rappelle les faits avec précision. C’est le 12 mai 1968, que les artistes de la Biennale internationale de l’estampe, se présentent à l’atelier de lithographie de l’Ecole des Beaux-Arts, qui était en grève depuis déjà quatre jours. Les premières affiches de type révolutionnaire furent réalisées en commun. Elles portaient le slogan suivant : « Atelier populaire oui, Atelier bourgeois non » et étaient non signées. Gilles Aillaud utilisera le même titre pour son Bulletin du Salon et ne participera pas à la conception des affiches. Au début, Les textes de ce Bulletin étaient sans signature. En JuinJuillet 1969, le 20ème Salon de la Jeune Peinture va faire un bilan de cette action. Puis, le second bulletin, dont Aillaud a rédigé les idées principales au mois d’octobre, fut publié en août 1968. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue La poursuite du Salon de la Jeune Peinture démarre assez fort. Aillaud utilise un vocabulaire plus contestataire et tenace. Dans son essai de développement du texte du 21 mai2, il parle de l’insurrection des étudiants des Beaux-Arts. Ce texte sert d’introduction aux actions qu’ils comptent poursuivre. Dans un long discours bien organisé, il reprend dès le premier paragraphe, les points qu’il avait traités en 1964. Il annonce que le débat des Beaux-Arts ne se situe pas sur le plan d’un souci de « modernisation » ou de « réorganisation » : (…) Il est faux de penser que « sa modernisation » puisse sinon modifier (chacun sait qu’il faut d’autres conditions), du moins entamer sa fonction. Le croire, s’y attacher, c’est faciliter le maintien de son rôle de diffuseur et de reproducteur de l’idéologie bourgeoise. (…)3 1 Chalumeau (Jean-Luc), La Nouvelle Figuration, Une histoire, de 1953 à nos jours, Figuration narrative, Jeune Peinture, Figuration critique, éd. Cercle d’art, Paris, 2003. Chapitre : « L’explosion de 1968 ». 2 Texte 5 : Essai de développement : Atelier populaire : Oui, Atelier bourgeois non page 54. 3 Idem, extrait du premier paragraphe, ibid. Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue De toute façon, les Beaux-Arts ne suivront pas le point de vue de la bourgeoisie. L’artiste explique les sujets envers lesquels les élèves s’insurgent. Pour cela, il manie une écriture révolutionnaire et emportée. Les étudiants doivent « s’armer pour résister à la tentation moderniste » dira-t-il4. Il s’appuie sur le fait qu’ils sont désabusés et que désormais la pensée sera une pensée politique. Toutefois, il faut trouver un moyen pour que l’école serve d’instrument à cette pensée pour qu’elle puisse améliorer la situation de crise actuelle. Aussi, il va s’expliquer sur le besoin de publier ce Bulletin. Il n’omet pas de préciser que ce texte est une suite aux autres réflexions. En quelques mots, il poursuit la lutte car les objectifs fixés n’ont pas été atteints. C’est alors qu’il cite Raymonde Moulin et l’un de ses textes politiquement engagés où elle s’appuie sur les protestations des artistes. Elle argumente à partir du texte des étudiants des Beaux-Arts dont elle cite une partie. Gilles Aillaud précise qu’il est l’un des textes phares5. Le peintre va analyser les points sur lesquels il n’est pas d’accord et s’expliquer plus clairement en reprenant chaque hypothèse défendue par Raymonde Moulin. Il l’accuse d’avoir tronqué les textes d’origine et d’avoir utilisé certains passages à sa guise : ( …) Ainsi R. Moulin esquive la question politique posée et déplace ce texte de son terrain : celui de la lutte des classes.6 Par la suite, Gilles Aillaud va reprendre le sujet principal de réflexion qui préoccupe le Salon. Dans un premier temps, il s’oppose à « faire du nouveau », comme l’exige la bourgeoisie qui prône « la nouveauté culturelle » : (…)Pourquoi la bourgeoisie encourage-t-elle et favorise-t-elle systématiquement la nouveauté culturelle, maintenant. (…)7 Ses affirmations sont étayées. Dans un paragraphe, il parle du système capitaliste qui demande aux artistes de produire toujours davantage. Le marché de l’œuvre d’art a des contraintes et des lois propres qui poussent l’artiste à les respecter : 4 Idem, extrait du second paragraphe, page 54. Op.Cit p.15. 6 Idem, extrait du deuxième paragraphe, page 55. 7 Idem, extrait du quatrième paragraphe, page 55. 5 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue (…) Les conditions nouvelles du marché des biens culturels engendrées par le stade actuel (l’impérialisme) des rapports de production capitaliste, ont leurs effets sur le double rapport de la bourgeoisie aux artistes et des artistes à leur pratique.8 Il annonce que « l’accélération de la production9 » va de pair avec la « saturation structurelle du Marché10 ». Par conséquent, il ajoute que « contrainte est faite aux producteurs de renouveler sans cesse les biens culturels- de « faire du nouveau11 ». Aillaud énumère par la suite les raisons de ce besoin de nouveauté, toujours en contestant ce mode de réflexion. Il soutient que ces nouvelles lois du Marché poussent les artistes à se renouveler car il y a un intérêt économique certain : (…) Les lois du Marché assujettissent les artistes à cette frénésie de production de nouveautés. (…)12 Et, il constate que pour suivre ces lois, l’artiste doit avoir un statut de « créateur13 ». Il discourt sur les conséquences d’un tel système en précisant qu’il ne changera rien. Bien au contraire, ces nouvelles lois du Marché culturel: renforcent le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie14 . Et d’ajouter15 : Ces ruptures miment la crise et masquent la vraie maladie, qui est sociale et politique. Le mot d’ordre est lancé : le débat sera social et politique. Aillaud reprend à nouveau les sujets évoqués. C'est-à-dire qu’agissant de la sorte, le système de production réserve l’art à une élite. On retrouve les mêmes reproches qu’il avait proférés contre Marcel Duchamp en 1966 au sujet de la liberté créatrice. L’artiste insiste toujours qu’il s’y oppose: (…) Nous aurons à montrer qu’elle fonctionne comme auto-censure.16 8 Idem. Idem, extrait du cinquième paragraphe, ibid. 10 Id. 11 Ibid. 12 Idem, extrait du sixième paragraphe, ibid. 13 Idem, extrait du septième paragraphe, ibid. 14 Idem, extrait du huitième paragraphe, ibid. 15 Idem, extrait du dernier paragraphe de la page 55. 9 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Il critique aussi le fait que le domaine artistique soit autonome car il s’éloignerait de la réalité historique : (…) L’illusion est élevée aujourd’hui en loi, pour enclore l’artiste et lui enlever toute capacité d’intervention dans l’histoire17. A la fin du texte, il évoque d’autres points sur lesquels le Salon doit s’appuyer pour que le combat avance. La problématique sera la suivante : à qui sert l’art ? Pour y répondre, il montrera que l’art est politique et que la bourgeoisie renie cette affirmation. Ce but sera atteint grâce à l’apport des réflexions du reste du groupe, qui pourra alors suggérer ou critiquer au préalable ce qui a été écrit. Cet essai présente tous les éléments d’un discours politiquement engagé. Gilles Aillaud dans une autre forme d’écriture, donne son opinion sur la situation actuelle et historique d’une époque : l’année 1968. Car, pour citer Chalumeau18, sa préoccupation première et de ne pas « être à part, éloigné de la réalité historique ». Jean-Louis Pradel19, explique lui aussi les évènements de l’époque. Dans un chapitre, il raconte que les peintres du Comité suivent la pensée de Louis Althusser : qui souligne non seulement l’autonomie relative du culturel par rapport au social mais l’identification idéologique au culturel dont il s’agit de dénoncer les « appareils », voire l’instrumentalisation. Plus tard, à la Havane, les artistes du Salon de Mai, César, Messagier, Gilles Aillaud, Valerio Adami, Eduardo Arroyo, Lourdes Castro, Erró, Jacques Monory et Antonio Recalcati vont se réunir avec des artistes cubains autour d’une œuvre collective. Au même moment, le Salon de la Jeune Peinture, très proche de la pensée Maoïste, utilise une phrase qui sera une sorte de slogan emblématique au sein de leur mouvement. Cette phrase20 est extraite de la chinoise de Godard : Nous sommes à la fois contre les œuvres d’art exprimant des vues politiques erronées et contre la tendance à produire des œuvres au style de slogan et d’affiche, où les vues 16 Idem, extrait du quatrième paragraphe, page 56. Idem, extrait du huitième paragraphe, ibid. 18 Op.Cit.p.15. 19 Citation in Pradel (Jean-Louis), La figuration narrative, Hazan, Villa Tamaris, 2000. Chapitre : « Art et Politique ». 20 Id. 17 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue politiques sont justes, mais qui manquent de force d’expression artistique. Nous devons, en littérature et en art, mener la lutte sur deux fronts. Elle permet l’introduction de Paris 1968 21 qui est un texte introductif au catalogue Manifestation de soutien au peuple Vietnamien. Il faut préciser que la post-face fut écrite par le peintre Pierre Buraglio. L’introduction explique la raison de la défense de la cause Vietnamienne : Pourquoi consacrer une salle à la lutte victorieuse que mène le peuple vietnamien contre l’agression américaine ? Parce que cette lutte prolongée est exemplaire22. Une énumération souligne ce que Gilles Aillaud apprécie dans ce principe. Première chose : elle empêche l’impérialisme, cette fois-ci, américain de régner. Tout comme, leur mouvement, qui veut faire cesser l’autorité bourgeoise. Aussi, en ce sens, il soutient sa position d’allié. Avec des termes militaristes, il précise que cette lutte est un exemple politique à suivre : (…) Que cette lutte ait pour nous valeur d’exemple nous a conduit naturellement à adopter pour réaliser cette salle la ligne politique des vietnamiens eux-mêmes.23 Dans les différentes parties de cette introduction, il va s’expliquer sur sa façon de procéder. La nécessité première réside dans la création d’une commission avec les peintres qui veulent bien participer. Dans un second temps, chaque tableau sera étudié d’un point de vue politique voire idéologique. (…) Le travail de cette commission a consisté à critiquer la justesse et la lisibilité du contenu idéologique de chaque tableau.24 Toutefois, les artistes pourront s’exprimer librement sur le plan formel ou esthétique. Il sollicite le fait que le peuple unit les œuvres : (…) La guerre du peuple est le seul lien qui unit ces tableaux.25 21 Texte 6: Paris 1968, page 57. Idem, extrait de l’introduction, ibid. 23 Ibidem. 24 Idem, extrait du sixième paragraphe, ibid. 25 Idem, extrait du septième paragraphe, ibid. 22 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Dans un troisième temps, Aillaud décrit le lieu de la manifestation qui, va permettre à tout le monde d’avoir la possibilité de connaître et de s’informer des raisons pour lesquelles le comité se bat. Et, par la suite, il sera possible de juger de l’ampleur de la cause Vietnamienne : (…) Le soutien politique sans équivoque que cette manifestation apporte à la lutte du peuple Vietnamien exige en effet d’être popularisée.26 Et d’ajouter 27 : Ce n’est pas parce qu’elle apparaît aujourd’hui aux yeux de tous victorieuse que la cause des Vietnamiens a cessé d’être exemplaire, bien au contraire, et par conséquent l’exposition de ces 24 toiles n’a pas moins de sens aujourd’hui 29 octobre 68 qu’il y a six mois. Gilles Aillaud, fait résonner ses mots hauts et forts. Les autres textes seront de la même envergure. Toujours aussi combatifs. b) Les combats menés par le Salon Les bulletins du Salon vont, d’une part, faire office d’un règlement de compte, puis, d’autre part de projets politiques ou culturels. Aillaud veut changer la situation et il donne les directives. Deux textes de cette époque, prouvent sa volonté pour que son opinion soit acceptée et comprise. Dans les premières lignes du bulletin28 n°3 qui date de mars 1969, l’artiste, comme à l’accoutumée dresse un bilan des actions effectuées par le groupe et avertit qu’il faut poursuivre l’action. En effet, il a subi des critiques sous-jacentes contre la cause Vietnamienne qu’il a soutenu. Leur peinture fut jugée peu originale et Gilles Aillaud riposte par une phrase d’Hélion où il affirme que le tableau doit exister en tant que tel : (…) Il est la preuve matérielle de la justesse de l’idée.29 26 Idem, extrait du dernier paragraphe, ibid. Ibid. 28 Texte 7 : Les raisons de continuer notre action page 58. 29 Idem, extrait du troisième paragraphe, ibid. 27 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Immédiatement, il va s’expliquer avec plus de précision. Pour lui, le tableau peut exister autrement qu’à travers son aspect formel. Son message dépasse ce stade : (…) D’abord que poser la réalité du tableau comme un problème de forme, c’est irréaliser le travail de la constitution du tableau.30 A cela, il rajoute31 qu’un tableau politique ne se résume pas qu’à la forme, il peut avoir un sens : (…) Le fait qu’ils ne veuillent parler que d’art à propos de tableaux politiques montre qu’ils ne font que semblant d’accepter la discussion avec nous. Aillaud assure que ces critiques sont issues du système culturel de l’époque qui gouverne la société et qui a des protocoles bien précis : (…) Parce qu’elle est l’expression des idées régnantes en matière d’art, c’est-à-dire le discours même de la culture à laquelle nous appartenons tous. 32 Plus tard, il cite Hélion de nouveau et développe le contenu de ses dires. Pour bien faire comprendre son point de vue, il prétend33 qu’un tableau est le fruit d’une pensée individuelle et réfléchie : (…) Nous devons apprendre à mettre notre particularité individuelle au service de l’idée qu’il s’agit d’exprimer car c’est en cela que consiste le travail d’élaboration d’un tableau. Et d’ajouter34 : Le pouvoir de conviction dont est capable la matérialité d’une œuvre dépend en effet de la capacité d’adhérence (et par seulement d’adhésion) d’une individualité à une idée. Puis, son raisonnement va concerner la culture bourgeoise qu’il va attaquer. Cette dernière, force à une individualité propre à chacun. Aussi, il faut combattre ce fait là. 30 Idem, extrait du troisième paragraphe, page 59. Idem. 32 Idem, extrait du sixième paragraphe, ibid. 33 Idem, extrait du septième paragraphe, ibid. 34 Idem. 31 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Il manque ce lien qui la relie à l’idée. Enfin, Aillaud35 répète les désaccords rencontrés : il critique les notions d’autonomie et de liberté auxquelles la bourgeoisie s’attache : (…) Nous en sommes arrivés aujourd’hui à ce point : c’est en défendant la liberté que la culture bourgeoise est pleinement et directement policière. En guise de conclusion, il certifie que les affirmations énumérées dans ce bulletin seront bien sûr les mêmes que celles qui vont se répercuter dans leurs œuvres peintes. En 1969, s’organise l’exposition « Police et Culture » au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris pour le Salon de la Jeune Peinture. Est rédigé le bulletin n°436, beaucoup plus sanglant que les deux derniers. Aillaud se transforme en vrai guérilléro si l’on peut dire. Il y décrit la situation alarmante qui a touché le mouvement et présente les nouveaux changements tel que le retrait d’un jury. Plus important, il affiche ouvertement à plusieurs reprises à quel parti il adhère, même si on le pressentait. Cette fois-ci, son combat est un combat qui a un nom : il est marxiste. Et son but sera de défendre la cause des ouvriers : (…) Mettre en pratique des idées marxistes. Cette action doit permettre à une fraction des artistes et des intellectuels de se faire des alliés réels et efficaces de la classe ouvrière.37 Et d’ajouter38 : (…) Seule est fondamentale la convergence des luttes vers le renversement de l’état et la prise du pouvoir. Son but est de toujours vaincre et de s’opposer au monopole de la bourgeoisie : (…) C’est dire que nous avons à montrer quel rôle joue l’artiste sous le règne de la bourgeoisie, et comment le prépare à ce rôle l’éducation qu’il reçoit.39 35 Idem, extrait de l’avant-dernier paragraphe, page 60. Texte 8 : « Police et Culture » page 61. 37 Idem, extrait du troisième paragraphe, ibid. 38 Idem, extrait du huitième paragraphe, ibid. 39 Idem, extrait du neuvième paragraphe, ibid. 36 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue Il se révolte contre sa facilité à fermer les yeux, se tournant plutôt contre le capitalisme : (…) Nous pensons le contraire. Plus précisément, nous pensons que le discours de la pensée bourgeoise est un travestissement systématique de la réalité.40 Elle nie l’existence de la division sociale. Ensuite, Aillaud va se tourner vers le domaine politique, il revendique qu’il n’y a pas de régime démocratique, puisque le dominant l’emporte sur le dominé, qui est le « peuple » : (…) Nous disons qu’en réalité une égalité abstraite de droit masque une inégalité concrète de fait, et que les élections portent au pouvoir, sous couvert de démocratie, en majorité des représentants des exploiteurs, des possédants, c’est-à-dire des représentants d’une minorité dominante.41 Sur le plan culturel, il reprend la notion d’individualisme qu’il oppose à la notion d’universalité défendue par la bourgeoisie : Contre la pensée bourgeoise nous affirmons que l’universalité de la culture est un leurre (…).42 La suite du texte n’est qu’une reprise des idées débattues lors des deux autres bulletins. Aillaud met au jour le statut de l’artiste exigé par la bourgeoisie. Il ne veut pas être esclave de cette culture. C’est pourquoi, il souligne avec véhémence les deux notions qu’il affectionne : le « sens » et la « démonstration » : (…) On oublie que la réalité est pleine de sens et qu’elle est sous nos yeux, et qu’il ne s’agit pas en art d’inventer « autre chose » mais de comprendre et de montrer ce qui est.43 Il assume de plus en plus le ton qu’il donne au texte, par les termes « agressivité44 » et « guerre45 ». Désormais, il avertit qu’il a affaire à la « police46 » pour qualifier la 40 Idem, extrait du troisième paragraphe, page 62. Idem, extrait du quatrième paragraphe, ibid. 42 Idem, extrait du cinquième paragraphe, ibid. 43 Idem, extrait du cinquième paragraphe, page 63. 41 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue bourgeoisie et qu’il compte passer par une rééducation pour se détacher de son emprise : Pour être capables d’apprendre ce qu’il faudrait savoir, nous devons commencer par désapprendre tout ce qui nous a été enseigné pour faire de nous les meilleurs gardiens de l’ordre établi. Rééduquer est beaucoup plus long et plus difficile qu’éduquer.47 Cette année est riche en évènement. Aillaud avec Biras, Fanti, et Rieti réalisent une troisième œuvre collective : La Datcha. Est joint un texte48 portant le même titre. Les protagonistes, Althusser, Levi-Strauss, Lacan, Foucault et Barthes figurent aussi bien sur la toile que dans les quelques lignes manuscrites. Les mots de l’artiste gardent leur exaltation. Il élabore une critique à propos de ces hommes assez dure, leur reprochant de rester à l’écart : (…) Une datcha est donc une résidence secondaire qui risque de devenir une résidence principale49. Et d’ajouter50 : (…) Les intellectuels, qui ont à la fois plus de temps que les autres et besoin de toujours plus de temps pour mieux réfléchir, se précipitent vers ces résidences secondaires. C’est là, dans le silence et la paix de la méditation, qu’ils courent évidemment le plus grand danger. Ils risquent de s’apercevoir un jour, brusquement, qu’on ne leur a pas demandé leur avis pour passer à l’action et pour se mêler enfin de ce qui nous concerne tous. Les Bulletins, dont une approche textuelle vient d’être établie, tels des animaux, attaquent et vocifèrent. Aillaud, à la différence de ses sujets peints, militent avec une verve farouche. La tonalité de ses textes croît au fur et à mesure, ses phrases se développent au rythme de son indignation. L’ennemi repéré, doit être éliminé. Dans le pire des cas, il faut s’en défaire. Plus politique que jamais, l’artiste se rebelle. Richard Crevier51, dira qu’il « s’est très tôt attaqué aux formes instituées et institutionnalisées de la culture ». Quant à la Datcha, il clôt cette année-là, où un 44 Idem, extrait de la fin du texte, ibid. Idem. 46 Ibidem. 47 Ib. 48 Texte 9: La Datcha page 65, texte d’origine page 64. 49 Idem, extrait du second paragraphe, ibid. 50 Idem, extrait de la fin du texte, ibid. 45 Deuxième Partie : Les années 1968-1969 : Gilles Aillaud milite et affirme sa position politique. a) Le Salon de la Jeune Peinture continue peintre a essayé de convaincre toute une génération, sans faillir et sans crainte. Lors des années 1970, Aillaud honore de sa présence mais l’écriture s’est métamorphosée. Moins politisée, elle traite d’autres faits, soulignant qu’une page de l’histoire s’est tournée. 51 Citation in Ottinger (Didier), Gilles Aillaud: la jungle des villes : Exposition : du 14 juillet au 9 septembre 2001, Monaco ; du 22 septembre au 30 décembre 2001, Châteauroux, Actes Sud, Arles, 2001.Partie « Chronologie et documents ». Année 1968, Richard Crevier, « Gilles Aillaud, l’artiste et le réel », Révolution, 11 mai 1980, p.59. Entretien où R. Crevier définit le rôle joué par la philosophie et la politique dans l’œuvre d’Aillaud.