Gilles Aillaud - FRAC Auvergne

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Gilles Aillaud - FRAC Auvergne
Silence sans heurt du présent
Gilles Aillaud
FRAC Auvergne,
du 3 octobre au 10 janvier 2016
Pistes pédagogiques (tous niveaux)
Cette nouvelle exposition du FRAC Auvergne est consacrée à un artiste disparu il y a dix ans et qui est
qualifié de « peintre pour les peintres ». C’est aussi un artiste dont l’œuvre saura retenir l’attention du plus
grand nombre et notamment des élèves, par la virtuosité de son travail et la facilité apparente qui se dégagent
de ses aquarelles ou de ses dessins par exemple. C’est un peintre figuratif à un moment où ses contemporains
vont s’acharner à déconstruire la peinture, la toile, le châssis, pour mieux rendre compte de la matérialité de
l’objet.
Gilles Aillaud est aussi un artiste qui a écrit, sa formation de philosophe le prédisposait à cette
pratique. Il a laissé des textes assez virulents comme Bataille Rangé (reproduit en annexe) dans lequel il
s’attaque à l’analyse de George Bataille voyant chez Manet la source de l’art moderne dans l’abandon du sujet.
Dans un autre texte intitulé Vivre et laisser mourir ou La fin tragique de Marcel Duchamp, c’est à celui qu’il
définit comme le père de l’art conceptuel qu’il s’en prend (Ces deux textes sont reproduits en annexe). Ce
dernier texte est à mettre en regard du polyptique qu’il réalisa avec ses amis Edouardo Arroyo et Antonio
Recalcati en 1965, dans lequel une séquence de 8 toiles narre comment le maître décède à l’occasion d’un
interrogatoire un peu trop « musclé » (Cf. pistes HiDA). Ses écrits sont aussi poétiques. Il consacra une part
importante de son travail au théâtre en collaborant, par ses scénographies, avec Klaus Mickael Gruber, Jean
Jourdheuil ou encore Luc Bondy. Il écrit une pièce, Vermeer et Spinoza mise en scène en 1985.
Le retour d'Ulysse dans sa patrie, de Claudio Monteverdi,
mise en scène Klaus Michael Grüber, scénographie Gilles
Aillaud et Bernard Michel, Opernhaus, Zurich, 2002
Pierrot lunaire, d'Arnold Schönberg, direction Pierre
Boulez, scénographie Gilles Aillaud et Bernard Michel,
Festival d'Aix-en -Provence, 2003
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Le sujet
La question de la représentation est au cœur de la peinture de Gilles Aillaud
et on serait tenté, dans un souci de simplification, de faire de cet artiste un peintre
animalier. Mais ses animaux trop souvent nous tournent le dos, ne laissant apparaitre,
par exemple, que le miroitement de l’eau sur la carapace de l’hippopotame. « D’où
viennent ces idées, ces images, ces envies inexplicables qui du fond de l’horizon se
succèdent sans douter, comme les vagues ?
Dictées par qui ? De quel horizon ?
C’est comme si de loin dans le futur arrivaient , se chevauchant dans la perspective, de
gros rouleaux dévidant leur papier et s’adressant à moi dans leur insistance , et non à
moi par leur insistance qui semble indiquer un besoin vital d’être pris en main, un
besoin qui serait leur» s’interroge Gilles Aillaud (Cité dans Gilles Aillaud Académie de
France à Rome, sous la direction de Philippe Dagen 2007).
Intérieur Hippopotame – 1970 –
huile sur toile – 200x150, Paris,
collection particulière
Didier Semin émet l’hypothèse que les animaux de Gilles Aillaud sont « l’aurore de la peinture ». En
effet si l’on remonte aux sources du dessin les premières formes que les hommes s’attachèrent à reproduire
sont des animaux. Il poursuit « Les animaux sont rarement immobiles […] par quel mystère l’Homo sapiens s’est
-il donc plus volontiers attaqué d’emblée à la représentation du lion, de l’auroch et du rhinocéros qu’à celle du
rhododendron, ou même au portrait de son semblable ? Mille explications se présenteront à l’esprit et nul ne
saura jamais, de ces temps lointains, rien avec certitude, le dessin étant de plusieurs dizaines de milliers
d’années l’aîné de l’écriture, image des sons et non des choses. » (Catalogue de l’exposition - 2015 - p12) Ainsi
Gilles Aillaud renouerait avec les sources de la peinture par delà les académies qui avaient voulu codifier,
hiérarchiser les genres, en plaçant au sommet la « grande peinture », c'est-à-dire celle qui racontait l’homme
dans ses exploits et ses croyances – la peinture d’histoire ou la peinture religieuse. Il est vrai qu’à la fin des
années 50, le Pop art et le Nouveau réalisme avaient mis un point d’arrêt à l’hégémonie de l’abstraction par un
retour en force de l’objet. Mais en allant observer les animaux au zoo de Vincennes Gilles Aillaud semblait faire
un retour en arrière.
« Je peins des choses, je suis absolument incapable de peindre une idée. Je peins des choses parce que
la force des choses me paraît plus forte que toute idée. Pour nier une chose il faut la détruire, tandis qu’une
idée, c’est du vent, on peut toujours fermer l’oreille » dit Gilles Aillaud dans La jungle des villes (catalogue de
l’exposition op cité p12) On serait pourtant tenté de voir dans ces animaux enfermé dans des zoos, souvent vus
au travers de grilles, une forme de métaphore de la situation humaine. Dès 1965, c'est-à-dire au moment de
l’émergence de la Nouvelle Figuration, il écrivait que ce n’était pas la condition humaine qu’il décrivait en
montrant les animaux en cage mais soulignait le fait que ce sont les hommes qui les ont mis en cage. « C’est
l’ambiguïté de cette relation qui m’occupe et l’étrangeté des lieux où s’opère cette séquestration silencieuse et
impunie. Il me semble que c’est un peu le sort que la
pensée fait subir à la pensée dans notre civilisation […]
Devant une telle désolation et pour que l’art soit autre
chose qu’une simple défroque culturelle, il ne s’agit pas
davantage pour moi d’ « étudier la nature » que de
« me concentrer sur ma boite de couleurs » : lorsque je
peins , je cherche seulement à dire quelque chose, en
ne songeant à la manière de peindre que pour rendre
Marée basse et mouettes – 1995 – acrylique sur papier marouflé sur
plus précise, plus claire, plus insistante, la parole » (cité
toile – 113x315 – succession Gilles Aillaud.
par Jean Jourdheuil, catalogue de l’exposition P21).
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La figuration
La représentation des animaux se fait le plus souvent, mais pas uniquement, dans l’enceinte du zoo. C'est-àdire un animal dans un environnement qui n’est pas le sien mais mis en scène. L’invention du zoo date des
expositions universelles du XIXème sicle et correspond à cette volonté de montrer et de « faire voyage » dans
l’immensité des empires coloniaux. Aux barreaux on préfère souvent la fosse qui protège le visiteur et qui sera
inventé pour le zoo de Hambourg en 1907. A ce propos Alain Fleischer dit que les parcs zoologiques sont des
musées paradoxaux dans la mesure où ce sont les visiteurs que l’on protège et non les collections.
A cette mise en scène qui se fait dans une opération de falsification de la nature :
les rochers sont en béton comme celui de Vincennes qui domine le boulevard
périphérique de ses 75m de haut. Dans cet espace, les animaux de Gilles Aillaud
auraient quelques difficultés à se camoufler, Ils sont là pour être vus. Tandis que
dans leur milieu naturel, la vision en noir et blanc - très probablement celle des
animaux – dissous le pelage du tigre dans les hautes herbes. « L’hippopotame à
l’aspect luisant des berges du fleuve où il vit, le rhinocéros, immobile semble un
bloc de grès fracturé » écrit Didier Semin (op cité). Mais paradoxalement dans les
peintures de Gilles Aillaud on assiste aussi à un curieux phénomène de
mimétisme qui fait presque disparaitre l’un des serpents dans Carrelage, arbre,
serpent de 1975. Les panthères de Panthères de 1977 se teintent de bleu mauve
comme le fond de grillage et arbres.
Panthère - 1977 – huile sur toile –
La peinture de Gilles Aillaud est maigre, diluée et mate. Elle se refuse à la
250x200 – Centre National des
Arts Plastiques en dépôt au
séduction de la matière, à la volupté de la touche. L’artiste écrivait en 1991 « ne
musée d’Art Moderne de la Ville
pas prendre la réalité comme point de départ, prétexte à une opération
de Paris.
esthétique, mais comme but ultime et lui laisser, en dernier ressort, la parole, à
elle. Avoir la politesse, lorsqu’on ne fait, au mieux, que folâtrer entre « ses bras légers », de ne pas prétendre la
dépasser. Mieux vaut buter sur l’obstacle, et chuter, que le franchir en passant à côté » (cité par Didier Semin
Opus cité, P14).
Si la figuration de l’animal est toujours le sujet des œuvres, peinture, lithographies, dessins, on peut cependant
distinguer deux périodes. Celle des zoos et celle des animaux vaquant librement dans leur environnement.
Cette seconde période est marquée par la réalisation de lithographies pour les IV tomes de L’encyclopédie de
tous les animaux, y compris les minéraux, ils seront publiés entre 1988 et 2000. Le second tome est bien
représenté dans l’exposition puisqu’une quarantaine de ces lithographies sont exposées. C’est un travail qui à
été réalisé sur place au Kenya en décembre 1988. C’est dans un lieu
retiré que Franck Bordas, l’éditeur, Jean-Christophe Bailly l’auteur des
textes et Gilles Aillaud ont travaillé en rayonnant à partir de leur
« camp de base ». Gilles Aillaud réalise sur place les lithographies avec
des pierres qu’il avait fait venir de Paris et une petite presse. Le côté
rudimentaire de cette entreprise purement graphique donne un
caractère spontané à la figuration. Les formes se définissent dans des
rapports ombre lumière très légers. Les contours sont à peine
esquissés et pourtant la forme est bien présente, vivante sous le regard
du spectateur. « Plus les moyens sont limités plus l’expression est
Petits chevaux à Skyros - 13,5x21 – crayon sur
forte » disait Matisse. Jean-Christophe Bailly dit à ce propos que
papier – collection particulière.
« Gilles Aillaud est fidèle à l’indication […] « au trait ouvrant » : comme
si l’art, tout l’art, consistait à savoir s’arrêter, à fixer le commencement sans affecter la surface par le pathos de
l’effectuation ou de la tache à accomplir » (catalogue sous la direction de Jean-Christophe Bailly p9).
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Cette question de la figuration est, chez Gilles Aillaud, très importante. Il ne « s’agit pas pour lui de s’approprier
le lieu, lorsqu’il s’agit d’un paysage mais de le rendre. « Je peins les choses comme elles le veulent » a-t-il dit un
jour. « Ne pas prendre la réalité comme point de départ, prétexte à
une opération esthétique, mais comme but ultime et lui laisser, en
dernier ressort la parole, à elle » (cité par Jean-Christophe Bailly, opus
cité). Toute sa peinture tient dans ce rapport au visible, à l’observable,
comme on peut le constater par exemple dans les paysages du rezde-chaussée. Ce rapport au réel s’inscrit dans un rapport à la peinture
moderne, et à Cézanne en particulier. « « Tout demeure intouché,
désespérément vierge, inaltérablement soi-même loin des autres »
écrit-il dans un poème en prose qui renvoie directement à Cézanne et,
plus précisément encore aux aquarelles de la Sainte Victoire » (JeanChristophe Bailly, opus cité).
Nil éléphantin – 1987 – huile sur toile – 200x260 –
Collection particulière.
Gilles Aillaud écrit
Les éléphants
« Sans préférence pour une forme plutôt que pour une autre,
indifférents aux intempéries qui ne modifient que le paysage,
ils se retrouvent sur le fond, indépendamment des
apparences, dévastant quand il faut, sans atermoiement.
Chacun d'eux se sait, individuellement, être semblable à la
tempête, un tourbillon sans conséquence.
De là vient, enfoncé dans le pli de la peau, la sagacité du clin
d'œil qu'ils font à tous. Telle est, de même, l'anse du détour
qui abrite la fable, toujours vivante mais réfugiée. A quoi
ressemblait la vie lorsque son règne était incontesté ?
Eléphant après la pluie – 1991 – huile sur toile – 200x260 –
Collection Marie Aillaud
Mais toujours la rareté s'est cachée, et elle date de bien avant
notre apparition. » (Cité dans Gilles Aillaud Académie de
France à Rome, sous la direction de Philippe Dagen 2007).
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« Ils ne se trompent pas.
C'est pourquoi, même s'ils parlaient,
il serait impossible de faire
la conversation avec eux.
La tête enfoncée dans les rayures
du foisonnement sorti du sol,
ils ne s'écartent pas de leur destin
champêtre :
celui d'être mangés
comme eux-mêmes mangent,
paisiblement et inéluctablement.
Parfois la peur,
une peur soudaine comme un coup de vent,
les panique.
Bref mais abyssal,
un doute incompréhensible s'ouvre en eux.
Entre oreillette et ventricule
un vent d'ailleurs,
parménidien,
a glissé sa langue de vipère,
faisant coïncider.
La mer dans tous ses états – 1998 – huile sur toile – série de peinture –
15x21 à 55x33 – Succession Gilles Aillaud
Vite cependant ils redeviennent extérieurs à eux-mêmes
et tout s'égalise de nouveau,
comme le moutonnement régulier des nuages du ciel. »
(Cité dans Gilles Aillaud Académie de France à Rome, sous la direction de Philippe Dagen 2007).
Document réalisé par Patrice Leray professeur correspondant culturel auprès du FRAC, permanence le vendredi
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