Pages de jurisprudence sociale n°25

Transcription

Pages de jurisprudence sociale n°25
URISPRUDENCE SOCIALE
Publication du Barreau de Lyon - Mars 2007, n°25
SOMMAIRE
A PROPOS DU CONTROLE PAR L’EMPLOYEUR
DE LA MESSAGERIE PROFESSIONNELLE D’UN
SALARIE
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13/10/05
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 22/11/05
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 11/01/06
Cinq ans après l’arrêt NIKON
FRANCE (Cass. soc., 2 octobre 2001)
posant le principe selon lequel
l’employeur ne peut, sans violation
de la liberté fondamentale que
constitue l’intimité de la vie privée,
prendre connaissance de messages
personnels émis par un salarié ou
reçus par lui grâce à un outil
informatique mis à sa disposition
pour son travail, et ce même au cas
où l’employeur aurait interdit
l’utilisation non professionnelle
dudit ordinateur, force est de
constater que la jurisprudence
demeure, en ce domaine, encore
peu abondante.
Par ailleurs, la publicité donnée à
des interprétations erronées de cet
arrêt a conduit au quotidien tant les
employeurs que les salariés à avoir
une vision erronée du droit en cette
matière.
Ainsi, de nombreux salariés ont
déduit à tort de la jurisprudence de
la Cour de cassation que le disque
dur de leur ordinateur professionnel
était un sanctuaire inviolable et que
l’employeur ne pouvait prendre
connaissance
des
messages
échangés par l’intermédiaire de
l’Intranet de l’entreprise.
Or, comme l’a rappelé la CNIL dans
le cadre du rapport BOUCHET,
l’ordinateur est avant tout la
propriété de l’entreprise, peu
important le fait qu’il faille un code
individualisé pour y accéder.
Pour leur part, les DRH et les
(Suite page 2)............................Christian BROCHARD
Les outils issus des nouvelles
technologies ont amplifié la porosité
entre vie professionnelle et vie
personnelle. Ils permettent tout à la fois
la poursuite de l’empiétement du travail
dans la sphère privée mais également
du privé, voire de l’intime, au sein de
l’entreprise et/ou pendant le temps de
travail.
L’ordinateur et les réseaux que
l’entreprise met à la disposition des
salariés créent des espaces virtuels
permettant au salarié de travailler en
dehors de l’entreprise mais aussi
d’emporter une part de sa vie privée au
travail et même de la laisser pendant
son absence, dans l’environnement
informatique professionnel.
Cette dématérialisation, au moins
partielle, vient bousculer les repères
classiques et poser de nouvelles
difficultés soumises aux juridictions :
temps de travail, subordination,
accident du travail, mesure des
résultats.
Pourtant en matière d’administration de
la preuve, dans les trois arrêts
commentés, tout comme dans la
jurisprudence de la Cour de cassation,
les juges semblent vouloir recourir à
des solutions connues et rassurantes
pour les juristes : principe du
contradictoire, de loyauté et principe
selon lequel le doute profite au salarié.
I.
Le
nécessaire
respect
du
contradictoire dans l’administration de
la preuve.
Dans son arrêt Nikon du 2 octobre
2001, la cour de cassation a interdit à
(Suite page 2) ............................ Georges MEYER
 PROCÉDURE PRUD’HOMALE
Déclaration d’appel - Destinataire Irrecevabilité
CA Lyon, 28/06/05,
CA Lyon, 30/11/05
 MALADIE
Contre-visite médicale patronale - Examen
médical sommaire
CPH Lyon, 15/04/05
 DROIT DE RETRAIT DU SALARIÉ
CA Lyon, 10/08/05
 LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNEL
Information du personnel du licenciement
envisagé - Licenciement verbal (non)
Licenciement vexatoire (oui)
CA Lyon, 30/11/05
 LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE
Niveau d’appréciation des difficultés
économiques
CA Lyon, 14/03/06
 LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE
Mise en oeuvre des critères d’ordre
CA Grenoble, 20/02/06
 PRET DE MAIN D’OEUVRE
Contrat de prestation de services et de
sous-traitance en cascade
CA Lyon, 17/01/06
 DÉLÉGUÉS SYNDICAL
Contestation de la désignation - Tribunal
compétent territorialement
TI Lyon, 09/05/05
 CONVENTION COLLECTIVE
Incidence de la mention de la convention
collective sur le bulletin de paie
C.A. Lyon, 13/09/05
 RÉMUNÉRATION
Dénonciation d’un usage - Effet de l’entrée
en vigueur d’un accord collectif
CA Chambéry, 22/11/05
Cass soc, 06/12/05
D
É
administrateurs réseaux sont tout particulièrement
embarrassés quant à la procédure à suivre lorsque, suite à
un incident informatique, il est découvert par hasard
qu’un des collaborateurs de la société a transmis à un
concurrent par mail des données confidentielles
stratégiques.
T
La fixation de règles claires en la matière constitue par
conséquent un enjeu essentiel, tout en étant
simultanément un exercice difficile puisqu’il s’agit d’une
zone de « friction » entre deux règles de valeur égale, à
savoir le respect de la vie privée et le droit de propriété.
Par un arrêt de principe du 17 mai 2005 (Klajer / Société
Cathnet Science), la Cour de cassation a précisé sa
position en posant pour règle que l’employeur ne peut
consulter les fichiers personnels (et non plus les seuls
mails) qu’un salarié stocke sur son ordinateur personnel
qu’en sa présence ou celui-ci dûment appelé, sauf risque
ou évènement particulier.
C
Dans les trois arrêts objet du présent débat contradictoire,
la Cour d’appel de Lyon, faisant preuve d’une totale
orthodoxie démontrée par la reprise systématique de
l’attendu principal de l’arrêt Cathnet précité, s’est efforcé
d’appliquer (avec plus ou moins de bonheur) le principe
posé par la Cour de cassation.
O
I. L’employeur ne peut ouvrir les fichiers personnels d’un
salarié contenus sur son disque dur qu’en sa présence ou
celui-ci prévenu.
N
Dans l’arrêt du 13 octobre 2005, plusieurs salariés de la
société intimée avaient été destinataires de messages
pornographiques par l’Intranet de l’entreprise.
Informé, l’employeur avait immédiatement procédé à une
enquête au cours de laquelle il avait invité l’un des
destinataires à lui laisser accéder au contenu de son disque
dur.
Le salarié avait alors donné son accord et le contrôle avait
permis de mettre à jour la présence dans l’ordinateur de
trois messages à caractère pornographique dont deux
diffusés par le salarié, outre de nombreux logiciels
personnels manifestement utilisés par celui-ci pendant son
temps de travail.
Dans l’arrêt du 11 juin 2006, l’employeur avait été informé
par son administrateur réseau, à l’occasion d’une
opération de maintenance, de la présence d’un message
d’une taille inhabituelle, outre des pièces jointes
volumineuses en provenance de la boîte aux lettres
informatique d’une salariée et à destination d’une
personne extérieure inconnue.
L’employeur, sans en aviser sa collaboratrice, en avait alors
pris connaissance et découvert qu’il s’agissait de
documents confidentiels relatifs aux produits élaborés par
la société.
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Objectivement, le comportement de cette salariée
apparaissait plus grave que celui du collaborateur mis en
cause dans la première affaire.
Or, la Cour d’appel de Lyon condamne fermement le
second employeur qui n’avait pas invité sa collaboratrice
à être présente lors de l’analyse de son disque dur et, par
contre, valide la procédure suivie par le premier
employeur qui avait recueilli l’accord de son salarié à
l’opération de contrôle.
A première vue, la position adoptée par la Cour d’appel
est rigoureuse.
Or, tel ne nous semble pas être le cas.
En effet, dans l’arrêt du 11 janvier 2006, la Cour d’appel
de Lyon a totalement négligé de démontrer que le mail
l’employeur de prendre connaissance des courriels
personnels de ses salariés, quand bien même il aurait
interdit une utilisation non professionnelle de
l’ordinateur qu’il met à leur disposition (Cass. soc.,
2 octobre 2001, n° 99-42.942).
Au soutien de sa décision, rendue sur le triple fondement
de l’article 8 de la CEDH (respect de la vie privée), de
l’article 9 du Code civil (protection de la vie privée) et de
l’article L. 120-2 du code du travail (proportionnalité de
l’atteinte aux droits et libertés), la Cour a affirmé que le
salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée,
même au temps et au lieu de travail, ce qui implique
entre autre le secret des correspondances.
Cela implique-t-il une sacralisation absolue d’un espace
privé au sein du travail ? Non, a logiquement répondu la
Cour de cassation dans un arrêt du 17 mai 2005, dont
l’attendu de principe est repris par la Cour d’appel de
Lyon dans les trois décisions commentées : sauf risque ou
événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les
fichiers identifiés par le salarié comme personnels
contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa
disposition, qu’en présence de ce dernier ou celui-ci
dûment appelé (Cass. soc. 17 mai 2005, Klajer).
Cette solution n’est pas nouvelle : en 1991, la Cour de
cassation exigeait loyauté et transparence de la part de
l’employeur dans la mise en oeuvre des procédés de
surveillance, en l’occurrence une caméra (Cass. soc.,
20 novembre 1991, Neocel, n° 88-43.120). Et par une
décision du 11 décembre 2001, elle n’autorisait la fouille
des armoires individuelles hors la présence du salarié que
dans le cas d’un risque ou d’un évènement particulier,
prévu par le règlement intérieur (Cass. soc., 11 décembre
2001, n° 99-43.030).
Une preuve obtenue en méconnaissance des règles
précitées est nécessairement illicite et doit être écartée
des débats (Cass. soc. 4 février 1998, RJS 4/98, n° 415 –
s’agissant de l’intervention d’un détective privé).
C’est ce que rappelle justement et avec fermeté la Cour
d’appel de Lyon dans sa décision du 11 janvier 2006. Le
contrôle effectué par l’employeur sur la messagerie de la
salariée avait permis de découvrir un transfert
d’informations jugées confidentielles vers un destinataire
extérieur à l’entreprise. La salariée avait reconnu ce
transfert mais contestait la nature confidentielle desdites
informations.
Pourtant, la Cour d’appel n’entre pas dans ce débat et,
reprenant l’attendu dégagé par la Cour de cassation dans
l’arrêt Klajer, juge le licenciement sans cause réelle et
sérieuse dès lors que l’employeur ne justifiait d’aucun
risque ou évènement particulier l’autorisant à prendre
connaissance de sa messagerie. Une telle décision doit
être approuvée.
Il faut noter que, ni l’arrêt de la Cour de cassation du
17 mai 2005, ni les arrêts de la Cour d’appel commentés,
ne font référence au règlement intérieur pour le contrôle
des outils informatiques, mais la question n’a peut-être
pas été posée dans le débat.
La question de l’intervention des représentants du
personnel n’est pourtant pas neutre puisqu’aux termes
de l’article L.432-2-1, le comité d’entreprise doit être
informé et consulté, préalablement à la décision de mise
en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les
techniques permettant un contrôle de l’activité des
salariés. Et, en l’absence de déclaration préalable, la mise
en oeuvre d’un traitement automatisé d’information
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 2
adressé pouvait être considéré comme une
correspondance personnelle du salarié et protégé à ce
titre.
De même, la Cour n’a pas précisé si le mail avait été
adressé à partir d’une adresse mail personnelle du salarié
et n’a même pas tenu compte du fait que la découverte
du fait délictueux avait eu lieu non pas lors de la
consultation du disque dur du salarié mais manifestement
lors de l’analyse du serveur de l’entreprise.
Or, il semble logique de considérer qu’à défaut de
mention expresse telle que « personnel et confidentiel »,
un message adressé à partir d’une boîte professionnelle
doit être présumé comme étant professionnel et par
conséquent, peut être ouvert par l’employeur en
l’absence du salarié dès lors que les arrêts NIKON et
CATHNET ne visent que les messages clairement
identifiés comme personnels.
De même, le débat instauré dans le cadre de l’arrêt du
13 octobre 2005 nous semble totalement superfétatoire
dès lors que le fichier ouvert dans le répertoire au nom de
D. ne permettait pas d’en déduire qu’il s’agissait d’un
fichier personnel au salarié, ce qui implique qu’à notre
sens, l’employeur pouvait y accéder librement.
En conclusion, il appartient au salarié qui entend profiter
confidentiellement de l’outil informatique mis à sa
disposition de prendre la précaution de nommer les
fichiers qu’il entend soustraire au contrôle de son
employeur, de telle manière que leur caractère personnel
soit évident.
II. L’exception de risque ou évènement particulier
Par cette formule quelque peu imprécise, la Cour de
cassation a décidé de limiter dans certains cas le caractère
contradictoire de la procédure.
La Cour d’appel de Lyon suit la Juridiction Suprême sur
ce point, comme le confirme l’arrêt du 22 novembre
2005.
Dans cette affaire, la mise en place, sur le réseau de
l’entreprise, d’un logiciel « piraté » avait abouti, par
saturation de la bande passante, au blocage total du
système informatique de l’entreprise.
La Cour ne censure pas l’attitude de l’employeur qui a
procédé à des vérifications au niveau du serveur puis au
contrôle du disque dur de l’un des salariés sans son
accord et hors sa présence.
Certes, la Juridiction constate que l’analyse du microordinateur s’est déroulée sans respect du contradictoire
mais n’en tire de conséquence que par rapport à la
demande d’expertise du disque dur formée par
l’employeur.
Elle considère donc implicitement mais nécessairement
que lorsqu’une panne importante survient, l’employeur
peut intervenir de manière non contradictoire, y compris
pour explorer des fichiers nécessairement personnels du
salarié.
Un tel principe nous semble devoir être validé.
Par contre, il nous semble que cette exception aurait dû
être retenue par la Cour dans l’arrêt du 11 janvier 2006.
Comme l’a précisée la Juridiction, le responsable réseau
au cours d’une opération de maintenance, avait
découvert un fichier d’une taille anormale.
A notre sens, ce fait constituait un « évènement
p a r t i c u l i er » au sens de la jurisprudence de la Cour de
cassation susceptible d’autoriser l’employeur à agir de
manière non contradictoire.
Or, la Cour a totalement éludé ce débat pourtant
essentiel.
Sur le plan pratique, les entreprises seraient par
conséquent avisées de « plafonner », dans leur charte
informatique, la taille des fichiers pouvant être transférés
ou joints à un mail personnel.
nominative sera considérée comme étant fautive (Cass.
soc. 7 juin 1995, pourvoi n° 91-44.919 et 91-44.921).
Il nous paraît important de déterminer selon quelles
modalités l’accord du salarié est obtenu et comment sont
opérées les vérifications (en présence de tiers par
exemple).
Car, comme le précise la Cour d’appel dans son arrêt du
13 octobre 2005, l’accord du salarié sur l’accès aux
données de son ordinateur valide les constatations faites
par l’employeur en sa présence.
Le règlement intérieur et/ou une charte informatique,
soumis à la consultation des représentants du personnel
ou à la négociation collective, nous paraissent être des
outils indispensables de transparence.
II. La dérogation au respect du contradictoire.
La Cour de cassation n’a pas précisé ce qu’il fallait
entendre par risque ou évènement particulier permettant
à l’employeur de se dispenser de la présence du salarié.
Compte tenu de la valeur constitutionnelle des droits en
cause, il nous semble qu’il faille retenir une appréciation
restrictive de ces notions, sur le fondement de l’article L.
120-2 du code du travail (s’agissant du contrôle des sacs
personnels au sein de la chaîne de télévision M6,
l’existence d’un risque d’attentats a été jugé légitime ;
Cass. soc. 3 avril 2001, n° 98-45.818).
Et, il appartient à l’employeur de justifier de la nécessité
dans laquelle il s’est trouvé.
Les décisions ici commentées n’ont abordé ce point, que
de manière incidente.
Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du
22 novembre 2005, l’ordinateur d’un salarié est identifié
comme étant à l’origine d’une saturation du réseau
informatique de l’entreprise ; il est analysé par le service
informatique qui y découvre des logiciels interdits. Ceuxci auraient été à l’origine des dysfonctionnements.
On regrette que le débat n’ait pas porté sur la question
de savoir si la saturation du réseau constituait la
circonstance exceptionnelle requise par la jurisprudence
précitée.
Il nous semble en effet que de simples perturbations du
réseau ne sont pas des circonstances permettant une
atteinte à un droit reconnu par les textes fondamentaux.
A fortiori s’agissant d’une simple opération de
maintenance.
Le risque particulier doit revêtir un caractère
exceptionnel, nécessitant une intervention urgente.
A cet égard, la CNIL considère que l’accès aux données
de nature personnelle ne peut être justifié que dans le cas
où « le bon fonctionnement des systèmes informatiques
ne pourrait être assuré par d’autres moyens moins
intrusifs ».
L’arrêt de la Cour d’appel du 22 novembre 2005 présente
cependant un autre intérêt qui concerne la fiabilité de la
preuve obtenue par l’employeur sans respect du principe
du contradictoire.
La Cour d’appel confirme le jugement ayant déclaré le
licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que
l’analyse de l’ordinateur s’était fait sans respecter le
principe du contradictoire et que le matériel n’avait pas
été analysé dans des conditions telles que les résultats
pouvaient être considérés comme incontestables.
Le doute devait, très logiquement, profiter au salarié.
Il nous semble essentiel de déterminer la finalité des
contrôles que l’employeur peut opérer sur l’ordinateur
du salarié (messageries et fichiers personnels), en sa
présence ou non.
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Si une telle limite est dépassée par un utilisateur, il nous
semble logique de considérer qu’il s’agit alors
incontestablement d’un « évènement particulier » rendant
licite un contrôle non contradictoire.
Celle-ci devrait être limitée à la prévention d’un risque grave
pour l’entreprise (atteinte à la sécurité du réseau, piratage,
protection des autres salariés contre la commission d’actes
illicites).
En tout cas, il convient d’espérer que la Cour de cassation
adoptera une définition de son exception suffisamment
large pour permettre aux entreprises d’éviter, en un trait
de temps, la perte irrémédiable de données qui constituent
bien souvent l’essentiel de leur richesse.
A cet égard, il convient de porter un regard circonspect sur
l’arrêt du 13 octobre 2005. La Cour d’appel valide le
licenciement du salarié en raison de l’utilisation privative et
abusive de son ordinateur professionnel pendant son temps
de travail, cette utilisation excédait manifestement le temps
de pause dont il disposait quotidiennement. Il est vrai que
dans cette espèce, le salarié avait donné son accord.
En conclusion, les principes posés par la Cour de cassation
semblent équilibrés puisqu’ils permettent à l’employeur
d’assurer un niveau de sécurité suffisant de son installation
informatique, tout en protégeant un espace privé pour le
salarié, à charge pour lui de le délimiter avec précision.
Il appartient aux Juridictions du fond de maintenir cet
équilibre en abordant les dossiers sans privilégier
systématiquement le respect de la vie privée, le droit de
propriété ayant également valeur constitutionnelle.
Rappelons également que le fait, pour un employeur, de
respecter la procédure est malheureusement insuffisant
pour lui assurer un plein succès prud’homal.
En effet, il lui appartient également de démontrer que le
salarié est bien l’auteur du message incriminé ou celui qui
a installé le logiciel sur son ordinateur.
Or, une telle preuve est bien évidemment très difficile, sauf
lorsque l’accès de l’ordinateur nécessite l’usage d’un code
personnel et confidentiel.
A défaut, l’employeur s’expose à se voir opposer le
principe selon lequel le doute bénéficie au salarié.
On souhaiterait la même sévérité des juges dans les débats
portant sur les heures supplémentaires lorsque les fichiers
ont été créés ou modifiés hors du temps de travail ou des
messages envoyés du domicile du salarié le dimanche soir…
En conclusions, dès lors qu’une interdiction générale et
absolue de toute utilisation des outils informatiques à titre
non professionnel ne paraît pas réaliste, il convient d’assurer
la préservation d’un espace privé au sein de l’entreprise. La
« portabilité » de l’outil de travail est un avantage auquel peu
d’entreprises souhaitent renoncer. Il n’est cependant pas
concevable de soustraire cette bulle privative à tout contrôle.
La référence dans la jurisprudence à des solutions classiques
et aux outils fondamentaux est plutôt rassurante et doit être
approuvée.
Note : on consultera avec intérêt le « guide pratique pour les
employeurs » (mais pratique aussi si l’on n’est pas
employeur…) établi par la CNIL et accessible sur le site
www.cnil.fr
Georges MEYER
Christian BROCHARD
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Avocat au barreau de Lyon.
Avocat au barreau de Lyon.
PRINCIPAUX ATTENDUS
…Attendu que sauf risque ou
évènement particulier, l’employeur ne
peut ouvrir les fichiers identifiés par
le salarié comme personnels contenus
sur le disque dur de l’ordinateur
mais à sa disposition qu’en présence
de ce dernier ou celui-ci dûment
appelé… (Cour d’appel de Lyon,
13/10/05, 22/11/05 et 11/01/06)
…Que Monsieur A. a accepté d’ouvrir
son ordinateur et qu’il a constaté la
présence sur le disque dur de celui-ci
de trois mémos à caractère
pornographique dont deux avaient
été renvoyés par ses soins à d’autres
personnes ainsi que de nombreux
fichiers non professionnels dans un
répertoire dénommé D.…
…Attendu qu’ainsi, l’accord du
salarié sur l’accès aux données de son
ordinateur valide les constatations de
fichiers non professionnels sur le
disque dur de l’ordinateur effectuées
en sa présence… (Cour d’appel de
Lyon 13/10/05)
…La Cour relève en premier lieu que
l’analyse
du
micro-ordinateur
incriminé s’est fait sans aucun
respect du contradictoire, que le
matériel n’a pas été analysé, ni
conservé dans des conditions telles
que les résultats pourraient être
considérés comme incontestables, et
que c’est à juste titre que le premier
juge a estimé qu’une expertise dans
ces conditions était sans objet…
…L’imputabilité à Monsieur B de
l’installation
sur
son
microordinateur de logiciels non autorisés
ou piratés à l’origine des pannes
informatiques survenues dans la
société, la Cour confirme le jugement
entrepris … (Cour d’appel de Lyon
22/11/05)
…Qu’il résulte, en l’espèce, du
témoignage et des copies d’écran
produits par la société X que
l’employeur a été informé par
l’administrateur
réseau
de
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 4
l’entreprise, à l’occasion d’une
opération de maintenance du
système de messagerie, de la présence
d’un message de très grande taille
avec des pièces jointes en provenance
de la boîte aux lettres de Madame C,
à destination d’une adresse externe
et qu’il a pris connaissance du
contenu de ce message ainsi que
d’autres messages émis par la
salariée sans en aviser préalablement
l’intéressée ; qu’aucun risque ou
évènement particulier ne justifiait
l’ouverture de cette correspondance à
caractère personnel de la salariée et
que la société X ne peut s’en prévaloir
à titre de preuve de la violation par
la salariée de ses obligations
contractuelles ; qu’en conséquence, le
licenciement de Madame C n’est pas
fondé sur une cause réelle et
sérieuse…
Cour d’appel de Lyon,
Chambre sociale, 13/10/05
Cour d’appel de Lyon,
Chambre sociale, 22/11/05
Cour d’appel de Lyon,
Chambre sociale, 11/01/06
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PROCEDURE PRUD’HOMALE
Appel - Déclaration d’appel – Destinataire Secrétariat-greffe – Irrecevabilité
É
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 28 juin 2005
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 30 novembre 2005
EXPOSE DES FAITS
Les deux espèces sont similaires.
Dans la première, l’appelant avait
adressé la déclaration d’appel au
Conseil
de
prud’hommes
à
l’attention du Président du bureau
de jugement et dans la seconde à
Messieurs les Conseillers.
Nulle part, il n’était fait mention du
secrétariat-greffe.
Les appels ont été déclarés
irrecevables.
OBSERVATIONS
Dura lex, sed lex.
En déclarant irrecevables des appels
formés par le biais d’une déclaration
qui n’était pas destinée directement
au secrétariat de la juridiction, la
Chambre sociale de la Cour d’appel
de Lyon a rappelé la nécessité du
strict respect des règles de
procédure et toute l’importance
qu’elle y attachait.
Attachement confirmé par le fait que
dans l’une des espèces, la Cour avait
soulevé d’office le moyen.
Aux termes de l’article R. 517-7 du
code du travail dans sa rédaction
antérieure au décret du 20 août
2004, l’appel est formé par une
déclaration faite au secrétariat de la
juridiction qui a rendu la décision.
Dans l’une des espèces soumises à la
Cour, la déclaration d’appel avait été
adressée
au
Conseil
de
prud’hommes mais à l’attention de
Monsieur le Président tandis que
dans l’autre le courrier était destiné à
Messieurs les Conseillers.
Retenant que nulle part, il n’était fait
mention du secrétariat-greffe, la
Cour a déclaré les appels
irrecevables.
En exigeant que la déclaration
d’appel vise expressément le
secrétariat-greffe, la Cour d’appel fait
une interprétation pour le moins
restrictive des dispositions de
l’article R. 517-7 et certains mauvais
esprits ne manqueront pas de voir
dans ces décisions un moyen facile
d’alléger le rôle encombré de la
Cour.
Mais pour autant ces décisions sontelles critiquables ? Nous ne le
pensons pas.
D’aucuns au nom de la sacro-sainte
équité ne manqueront pas d’être
choqués par leur sévérité alors que
la volonté des intéressés quant à
interjeter appel était sans équivoque.
C
dehors de toute nullité non alléguée
de cet acte, était irrecevable (Cour
d’appel de Montpellier, 30 avril
1992, Cahiers Prud’homaux, n°9 de
1992, jurisprudence p. 161).
Cette exigence concernant le
destinataire de la déclaration d’appel
se retrouve d’une manière générale
dans l’ensemble des formes de
l’appel et leur non respect entraîne
l’irrecevabilité de celui-ci. C’est ainsi
que les juridictions du second degré
sont très attentives à la validité du
pouvoir dont dispose celui qui a
formé la déclaration d’appel lorsque
ce dernier n’est pas avocat.
De même en ce qui concerne
l’identification du signataire de la
déclaration d’appel, bon nombre de
déclarations d’appel établies sur un
papier en-tête d’avocat, ont été
déclarées irrecevables au motif que
la signature était faite « pour ordre ».
Rappelons simplement qu’avec les
notifications de jugement sont
mentionnés les voies de recours et
les textes les régissant.
Pour mémoire ajoutons enfin que la
nouvelle rédaction de l’article
R. 517-7 depuis le décret du 20 août
2004 ne modifie en rien la portée
des décisions commentées.
Mais surtout le propre des règles de
procédure qui sont les garanties du
bon déroulement du procès est
d’être
par
essence
même,
d’application stricte.
Au lieu d’être formé au secrétariat de
la juridiction qui a rendu la décision,
l’appel est adressé au Greffe de la
Cour.
L’exigence reste la même.
La position de la Cour d’appel de
Lyon n’est pas isolée en la matière.
Déjà en 1992, la Cour d’appel de
Montpellier avait jugé qu’un appel
formé auprès d’un service non prévu
à l’article R. 517-7 du code du travail
équivalait à une absence d’acte et en
Michel PAGNON
Avocat honoraire
[email protected]
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PRINCIPAUX ATTENDUS
« Attendu qu’aux termes de l’article R. 517-7 alinéa 2 du Code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, l’appel est
formé par une déclaration de la partie ou tout mandataire fait ou adressé par pli recommandé au secrétariat de la
juridiction qui a rendu le jugement.
….
Que nulle part dans ce courrier, ni sur l’avis de réception, il n’est fait mention du secrétariat du Conseil de
prud’hommes .»
Cour d’appel,Chambre sociale, 28 juin 2005,
Bruere/SA Finadec
Cour d’appel,Chambre sociale, 30 novembre 2005,
Mihoub c/ Sodexo
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 5
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MALADIE
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Contre-visite médicale patronale - Examen Médical sommaire
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Conseil de prud’hommes de Lyon, 15 avril 2005
EXPOSE DES FAITS
OBSERVATIONS
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Messieurs J. et V. ont été arrêtés pour
maladie du 23 avril 2002 au 3 mai 2002.
S
Leur employeur, la société M., a fait
procéder à une contre-visite médicale
patronale par la Société S. qui a mandaté
le Docteur C. le 30 avril 2002.
L’employeur peut diligenter une contrevisite médicale s’il maintient tout ou
partie du salaire pendant la période de
maladie, et ce en application de :
- la loi du 19 janvier 1978 (loi sur la
mensualisation) ;
- la convention collective si ce texte
prévoit expressément une telle contrevisite.
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Ce dernier a conclu que les arrêts de
travail n'étaient plus médicalement
justifiés ce qui a conduit la société M. à
suspendre le versement des indemnités
complémentaires de maladie.
Messieurs J. et V. ont saisi le Conseil de
prud'hommes aux fins d'entendre
condamner leur employeur à leur payer
les indemnités complémentaires de
salaire dont le versement avait été
suspendu et des dommages et intérêts
pour préjudice moral.
Ils ont prétendu que leur employeur ne
pouvait se prévaloir de la contre-visite et
ont versé aux débats une décision
rendue le 18 janvier 2003 par le Conseil
Régional de l'Ordre des Médecins qui,
sur plainte des salariés, a prononcé à
l'encontre du Docteur C. une peine
disciplinaire d'interdiction d'exercer la
médecine pendant 3 ans dont 2 années
assorties d'un sursis en raison, semble t-il,
du fait que le médecin contrôleur aurait
procédé à un examen médical sommaire
contraire au respect du Code de
Déontologie, et à l’esprit et à l’art de la
médecine.
Suite à un appel interjeté par le Docteur
C., le 22 octobre 2003 le Conseil
National de l'Ordre des Médecins a
décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer
sur la plainte de Messieurs J. et V., les
faits étant couverts par la loi d'amnistie
du 6 août 2002.
Le Conseil des prud’hommes, présidé
par le juge départiteur, a jugé que
l’employeur était fondé à se prévaloir des
conclusions du Docteur C. aux motifs
principalement que la décision du
Conseil National de l'Ordre des Médecins
prise au visa de la loi d'amnistie du
6 août 2002 avait pour conséquence de
tenir pour avéré que les faits imputés au
Docteur C. ne constituaient pas des
manquements à l'honneur, à la probité
et aux bonnes moeurs.
Le Conseil des prud’hommes a
également rejeté la demande de
dommages et intérêts pour préjudice
moral, les salariés ne démontrant aucune
faute personnelle de leur employeur.
L’employeur a le libre choix du médecin
qu’il mandate. En pratique l’employeur
s’adresse généralement à des organismes
spécialisés.
Le salarié n'a pas à être prévenu de cette
contre-visite. Il ne peut exiger la
présence de son médecin traitant ou
celle du médecin de la sécurité sociale.
Le salarié ne peut refuser de se
soumettre à une contre-visite sans
commettre un manquement qui le prive
du
bénéfice
des
indemnités
complémentaires de maladie (Cass. soc.,
17 déc. 1986, n° 84-43.458, Bull. civ. V,
n° 604).
Toutefois, un salarié peut refuser au
médecin contrôleur la pratique d'un
examen clinique douloureux et lui
proposer de consulter son dossier
médical (Cass. soc., 13 fév. 1996, n° 9240.713, Bull. civ. V, n° 51).
A également un motif légitime de refuser
de se soumettre à la contre-visite
médicale, la salariée qui bénéficie à cette
date d'un avis d'inaptitude délivré par le
médecin du travail (Cass. soc., 10 fév.
1998, n° 95-41.600, Bull. civ. V, n° 74).
Le salarié perd également le bénéfice des
indemnités complémentaires si, absent
de son domicile sans motif légitime, il n'a
pu se soumettre à la contre-visite. (Cass.
soc., 27 avril. 1983 ,n° 81-40.387, Bull.
civ. V, n° 209).
Toutefois, une Cour d'appel ayant
constaté que le médecin contrôleur
n'avait pu entrer en contact avec le
salarié en raison de la défaillance de
l'interphone de ce dernier a justement
décidé que le salarié, qui n'avait commis
aucune négligence, pouvait prétendre au
rétablissement des allocations de maladie
(Cass. soc., 7 avril 1999, n° 1639 D,
Ratp/Vernevaux).
En conséquence, les immeubles équipés
de digicode risquent certainement de
poser quelques difficultés.
L'impossibilité d'exercer la contre-visite
médicale du fait du salarié ne peut être
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 6
considérée comme un comportement
fautif de nature à justifier une sanction
disciplinaire et/ou un licenciement.
La sanction de la contre-visite ne consiste
qu'en la suppression partielle ou totale
de l'indemnisation du salarié en arrêt de
travail pour maladie. (Cass. soc.,
27 juin 2000, n° 3040, Bull. civ. V,
n° 249).
Le salarié privé des indemnités
complémentaires pour l'avenir, peut
décider, soit de reprendre son travail,
soit de s'en tenir aux prescriptions de
son médecin traitant et refuser de
réintégrer son poste.
En cas de prolongation d'arrêt de travail
par le médecin traitant, postérieurement
à une contre-visite médicale patronale, le
salarié est rétabli dans son droit à
indemnités complémentaires.
Il incombe à l'employeur, s'il lui conteste
ce droit, de faire procéder à un nouveau
contrôle médical (Cass. soc., 5 mars
1997, n° 94-44.902, 94-44.903, Bull. civ.
V, n° 93).
La contre-visite médicale de l’employeur
ne doit pas être confondue avec le
contrôle opéré par les caisses de sécurité
sociale.
Depuis la loi n° 2003-1199 du
18 décembre 2003 (art 42) lorsque le
médecin contrôleur de l'employeur
conclut à l'absence de justification d'un
arrêt de travail pour maladie, il doit
transmettre son avis au service médical
du contrôle médical de la caisse de
sécurité sociale.
Si ce service conclut également, au vu de
cet avis, à l'absence de justification de
l'arrêt de travail, la caisse suspend le
versement des indemnités journalières
(art. L. 315-1 2e du code de la sécurité
sociale ; circulaire CNAM n° 111/2004
du 21 septembre 2004).
La question de la compatibilité de
l’exercice de la contre-visite médicale
patronale avec les dispositions du code
de déontologie médicale a posé des
difficultés.
A été invoquée la violation du principe
général du libre choix du praticien, mais
le Conseil constitutionnel n'a pas retenu
l'argument.
A été mis également en avant la violation
du secret médical, mais le médecin
contrôleur, comme tout médecin, est
astreint au secret médical.
L'avis qu'il transmet à l'employeur ne
renferme aucune indication relative à la
maladie du salarié. Son but est seulement
d'apprécier la réalité ou non de l'aptitude
à travailler du salarié (TGI Lille, 28
novembre 1974, D. 1975, jurisprudence
p. 301 ; Dr ouvrier 1975, p. 54).
L’idée que la contre-visite constituerait
une immixtion condamnable dans les
choix thérapeutiques effectués par le
médecin traitant n’a pas plus été retenue.
Le
médecin
contrôleur
établit
uniquement un diagnostic dont il tire les
conséquences du point de vue de l’arrêt
de travail qu’il juge fondé ou pas, étant
précisé que le médecin contrôleur n’a
pas accès au dossier médical du patient.
Le salarié qui conteste l'avis du médecin
contrôleur
devra
s'adresser
aux
tribunaux afin de prouver le bien fondé
de l'arrêt de travail prescrit par le
médecin traitant par le biais de
l'expertise judiciaire, au besoin en ayant
recours à la procédure de référé (Cass.
soc., Oct. 1982, JCP CI 1983, I 11716,
n° 11).
Toutefois, le terme de l'arrêt de travail
sera bien souvent échu avant
l'achèvement de la procédure judiciaire.
Le présent jugement est intéressant car
il examine une situation assez rare, à
savoir le cas où un salarié a porté plainte
à l’Ordre des médecins à l’encontre du
médecin contrôleur mandaté par
l'employeur.
Il est difficile toutefois d’en apprécier
toute la portée en l’absence des éléments
de fait en notre possession.
On peut noter la gravité de la
sanction prise par le Conseil
Régional de l’Ordre des
Médecins concernant une
visite médicale qui aurait été
sommaire.
En dehors de la particularité
liée à l’application, en
l’espèce, de la loi d’amnistie
du 6 août 2002 qui s’applique
sauf si les fautes en cause sont
contraires à l’honneur, à la
probité et aux bonnes moeurs,
ce jugement permet toutefois
de conclure que :
- une sanction disciplinaire
prise à l’encontre du médecin
contrôleur par le Conseil de
l’Ordre empêche l’employeur
de se prévaloir de la contrevisite en cause,
- en l’absence de faute
personnelle, l’employeur ne
peut
être
tenu
pour
responsable à l’égard des
salariés, des agissements du
médecin qu’il a mandaté pour
effectuer la contre-visite.
Reste à savoir ce qu'il faut
entendre par "visite médicale
sommaire" dans le cadre d'une
contre-visite
médicale
patronale.
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PRINCIPAUX ATTENDUS
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« … Le salarié a contesté l’avis du Médecin
Contrôleur et a saisi le Conseil Départemental de
l’Ordre des Médecins du RHÔNE qui, le 18
Janvier 2003, a prononcé à l’encontre du
Docteur C. une peine disciplinaire d’interdiction
temporaire d’exercer la médecine.
C
Sur appel du Docteur C., la section disciplinaire
du Conseil National de l’Ordre des Médecins a,
par décision définitive du 22 Octobre 2003 jugé
que « les faits étaient couverts par l’amnistie (…),
la décision du 18 Janvier 2003 est annulée et les
plaintes de Messieurs J. et V. sont rejetées »…
S
«… Cette décision, prise au visa de l’article 11 de
la loi d’amnistie du 6 Août 2002, a pour
conséquence de tenir pour avérés que les faits
imputés au Docteur C. par Messieurs J. et V. ne
constituent pas des manquements à l’honneur, à
la probité ou aux bonnes m?urs. Dès lors, même
si Messieurs J. et V. ont pu reprocher au médecin
contrôleur de s’être borné à un examen médical
sommaire, cet examen ne présente pas le
caractère d’une faute passible d’une sanction
disciplinaire et les conclusions tirées de l’examen
par le Docteur C. ne sont pas remises en cause…
… La Société M. est donc fondée à se prévaloir
des conclusions de la société S. qui, en suite de la
contre visite faite par le Docteur C., l’informe du
caractère non justifié de l’arrêt de travail délivré
au salarié par son médecin traitant… ».
Véronique MASSOTPELLET
Avocat au barreau de Lyon
[email protected]
CPH de Lyon,
15 avril 2005
Vial c/ SA Moteurs Leroy Somer
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DROIT DE RETRAIT DU SALARIE
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Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 10 août 2005
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EXPOSE DES FAITS
Monsieur J., magasinier, est licencié
pour faute grave au motif du refus
réitéré opposé à son responsable de
réaliser le déchargement d’un camion.
Il invoque pour contester cette
rupture les dispositions des articles
L. 231-8 et suivants du code du travail
qui autorisent un salarié à se retirer
d’une situation de travail dont il a un
motif raisonnable de penser qu’elle
présente un danger grave pour sa vie
ou sa santé et qui interdisent toutes
sanctions à son égard du fait de ce
retrait.
La Cour considère que ce dernier ne
justifiant nullement son retrait de la
situation de travail, a par son refus
réitéré sans motif valable d’exécuter
l’ordre de déchargement, commis une
faute grave de nature à rendre
impossible la poursuite de la relation
contractuelle même pendant la durée
limitée du préavis.
OBSERVATIONS
L’obligation pour le salarié d’exécuter
les tâches qui lui sont confiées ne doit
pas constituer une restriction à la mise
en oeuvre de la prévention des risques
professionnels,
et
l’affirmation
expresse d’un droit de retrait d’une
situation que ce dernier est
raisonnablement en mesure de penser
qu’elle présente un danger grave et
imminent favorise une meilleure
prévention.
Cette décision permet de rappeler
qu’en
cas
de
contestation,
l’appréciation de l’exercice de ce droit
de retrait relève du pouvoir souverain
des Juges du fond.
C’est ainsi que la Cour procède à
l’analyse des témoignages versés aux
débats, tant par le salarié que
l’employeur, pour considérer que le
salarié n’était pas en l’espèce justifié à
se prévaloir d’une situation de danger
pour refuser d’exécuter l’ordre de
déchargement donné.
La Cour souligne notamment la
spécificité de l’appareil de levage mis
à disposition pour réaliser la tâche
demandée et permettant de sécuriser
l’opération de manutention (mat du
chariot élévateur protégeant des
chutes de cartons).
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L’analyse de la Cour demeure
néanmoins surprenante à deux titres :
-D’une part parce qu’elle conclut, du
fait
même
de
l’appareil
de
manutention mis à disposition, à
l’absence de danger grave imminent
inhérent
à
l’opération
de
déchargement, soit à l’absence d’un
réel danger,
- D’autre part, en relevant que le
salarié n’a à aucun moment motivé son
refus par un danger potentiel, soit
induit la nécessité pour l’intéressé de
signaler à l’employeur la situation de
travail qu’il estime dangereuse.
En effet, l’exercice du droit de retrait
fixé aux articles L. 231-8 et suivants du
code du travail a pour spécificité de
ne pas requérir l’existence d’une
situation objective de danger grave et
imminent, mais est justifié dès que le
salarié concerné a un motif
raisonnable de penser que la situation
présente un danger grave et imminent.
Constater l’absence d’un danger
réellement grave et imminent ne
devrait donc pas suffire à dénier un
exercice légitime du droit de retrait.
Le salarié disposant d’un droit à
l’erreur, l’appréciation de la situation
de travail, et donc de la légitimité ou
non de l’exercice du droit de retrait,
doit l’être également eu égard à son
expérience, sa qualification, son âge,
voire sa santé.
De même, considérer que le salarié ne
peut légitimement exercer son droit
de retrait s’il n’a pas signalé à son
employeur l’existence du danger
revient à considérer l’alerte comme
une condition d’exercice du droit de
retrait, et non plus seulement comme
un droit.
Or la combinaison des dispositions
législatives (articles L. 231-8 et L. 2318-1 du code du travail) ne fait pas
clairement apparaître si l’exercice du
droit
de
retrait
doit
être
obligatoirement accompagné d’un
signalement.
Reste que le salarié semble bien
évidemment avoir intérêt à informer
de l’existence de ce danger, non
PRINCIPAUX ATTENDUS
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« Qu’il y a lieu d’abord de constater qu’à aucun moment, le
11 avril 2002, Monsieur J. n’a motivé son refus de
décharger le camion par un danger potentiel inhérent à ce
déchargement, ayant seulement fait valoir qu’il n’avait pas
à supporter les inconvénients d’un mauvais chargement
d’origine ;
seulement
pour
éviter
que
l’employeur puisse le cas échéant lui
faire reproche de l’absence de
signalement en soi, mais plus encore
de façon à ce que sa responsabilité ne
puisse être engagée si un accident de
travail touchant un autre salarié
survenait.
Néanmoins, en l’espèce il peut être
relevé que l’énoncé de la lettre de
licenciement, repris aux termes de la
décision, ne portait nullement grief de
l’absence de signalement, lequel ne
constituait dès lors pas en soi un motif
de rupture.
Il n’est pas vain d’observer les
éventuelles conséquences pouvant
résulter d’une appréciation rigoureuse,
l’exercice du droit de retrait devant
permettre d’assurer en pratique une
collaboration efficace du salarié à la
mise en oeuvre de la prévention des
risques professionnels.
Laurence SEGURA-LLORENS
Avocat au barreau de Lyon
[email protected]
Qu’en second lieu, il résulte des témoignages concordants
produits par l’employeur que l’opération des
déchargements ne présentait pas de danger grave
imminent compte tenu du type de chariot élévateur utilisé
pour l’intervention ;
Que par ailleurs le prétendu risque lié à la présence de
liquide sur le sol du camion n’est pas avéré ;
Que dans ces conditions, Monsieur J. ne saurait justifier
son retrait de la situation de travail en cause ; »
Que ses explications sont restées les mêmes lors de
l’entretien préalable au licenciement ainsi que le relate le
chef d’entreprise dans une attestation également versée aux
débats ;
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale,
10 août 2005
SNC HIMM c/ Jourdan
LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNEL
Information du personnel du licenciement envisagé – Licenciement verbal (non) –
Cause réelle et sérieuse (oui) – Licenciement vexatoire (oui)
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 30 novembre 2005
EXPOSE DES FAITS
Un salarié, employé en qualité de
comptable / responsable – statut
cadre – est convoqué à un entretien
préalable à son
licenciement
disciplinaire envisagé pour des fautes
professionnelles.
Après l’entretien préalable, mais avant
la notification du licenciement,
l’employeur,
par
courriers
électroniques, a informé l’ensemble
du personnel qu’il mettait un terme
au contrat de travail de l’intéressé en
précisant, sans le détailler, le motif de
sa décision.
Après lui avoir finalement proposé
une rétrogradation disciplinaire à un
poste
d’employé
administratif,
laquelle a cependant été refusée,
l’employeur a licencié le salarié pour
fautes professionnelles, moyennant
paiement des indemnités de rupture.
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 8
Le salarié a alors saisi le Conseil de
prud’hommes de Lyon d’une
demande tendant à voir l’employeur
condamné à lui payer des dommages
et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse et des
dommages
et
intérêts
pour
licenciement vexatoire, excipant
notamment, au soutien de sa
contestation du caractère réel et
sérieux du licenciement, d’un
licenciement « …v e r b a l…» résultant de
l’information faite au personnel avant
notification de la rupture.
Par arrêt du 30 novembre 2005, pour
l’essentiel confirmatif, la Cour d’appel
de Lyon a jugé le licenciement fondé
sur une cause réelle et sérieuse, mais
condamné l’employeur à payer au
salarié une somme de 10.000 euros à
titre de dommages et intérêts pour
licenciement vexatoire, notamment
aux motifs suivants :
« …Attendu que les courriers
électroniques adressés à l’ensemble
du personnel les 28 août et
9 septembre 2002 ne constituaient
pas la notification individuelle à F…
d’une décision irrévocable de
rompre son contrat de travail ;
qu’en effet, quatre jours seulement
après le premier de ces courriers,
A… a adressé à F… une proposition
de modification disciplinaire de son
contrat de travail, démontrant qu’il
existait une alternative à la rupture
; que le moyen pris d’un
licenciement non motivé, antérieur
à la lettre du 17 septembre 2002 est
donc inopérant ; […]
Attendu que le fait de porter à la
connaissance du personnel, sans
motif légitime, les agissements d’un
salarié
nommément
désigné,
constitue une atteinte à la dignité de
celui-ci, de nature à lui causer un
préjudice distinct de celui résultant
de la perte de son emploi ; qu’il en
est ainsi en l’espèce, des deux
courriers électroniques adressés à
l’ensemble du personnel avant la
notification de son licenciement à
F… ; qu’en revanche, il y a lieu de
tenir compte de ce que les
informations divulguées par A…
étaient exactes et le licenciement
justifié pour réduire le montant des
dommages et intérêts alloués à F…
par le Conseil de prud’hommes,
excessif au regard du préjudice
moral effectivement causé au
salarié ; qu’une indemnité de 10.000
euros sera allouée à ce dernier… ».
OBSERVATIONS
L’arrêt ainsi rendu est l’occasion de
rappeler la ligne jurisprudentielle dans
le cadre de laquelle, d’ailleurs, il
s’inscrit.
I – Informer le personnel du
licenciement d’un salarié ne vaut pas
rupture verbale du contrat de travail
de l’intéressé…
1° - La consommation de la rupture du
contrat de travail à l’initiative de
l’employeur, suppose que ce dernier
notifie sa décision à l’intéressé.
Les dispositions combinées des articles
L. 122-14-1 et L. 122-14-2 du code du
travail imposent à cet effet à
l’employeur, on le rappellera,
d’expédier au salarié une lettre
motivée par voie recommandée avec
avis de réception.
Le salarié peut donc se considérer
licencié, légitimement ou pas mais en
tout cas définitivement, lorsque
l’employeur porte à sa connaissance
que son contrat de travail est rompu.
2° - On peut s’interroger, ce faisant,
sur les effets sur le contrat de travail
de l’intéressé de l’information de tiers,
en l’espèce du personnel, du
licenciement décidé.
Le salarié a en effet tout intérêt, dans
le cadre de sa contestation judiciaire a
posteriori, à soutenir qu’une telle
information vaut rupture verbale de
son contrat de travail et, partant,
licenciement sans cause réelle et
sérieuse.
Au demeurant, l’information du
personnel du licenciement décidé ne
caractérise factuellement pas, au fond,
que l’employeur ait porté à la
connaissance du salarié sa décision de
le licencier.
Juridiquement, on pourra ici se
reporter
à
un
précédent
jurisprudentiel selon lequel un
courrier électronique informant des
collaborateurs d’un licenciement « …
ne saurait être la notification du
licenciement étant relevé d’une part
qu’il ne se prononce pas sur l’initiative
de la rupture, d’autre part qu’il
n’émane pas d’une autorité ayant
compétence pour prononcer un
licenciement… » (Cour d’appel de
Paris, 15 janvier 2004, RJS 3/04,
n° 299).
Bref, on approuvera, en l’espèce, la
Cour d’appel de Lyon d’avoir rejeté le
moyen du salarié tendant à analyser
l’information donnée au personnel de
son licenciement comme une rupture
verbale de son contrat de travail.
II - … Mais peut en revanche justifier
l’allocation de dommages et intérêts
pour licenciement vexatoire.
circonstances vexatoires ou brutales
d’un licenciement, nonobstant sa
légitimité ou son illégitimité en termes
de cause réelle et sérieuse ou de faute
grave, sont justifiables de dommages
et intérêts, souverainement fixés par
les juges du fond, réparant un
préjudice moral distinct de celui
résultant de la perte de l’emploi (Cass.
soc. 24 février 1988, n° 664 D ; Cass.
soc. 17 juillet 1996, n° 3507, Bull. Civ.
V, n° 290 ; Cass. soc. 9 juillet 2000, RJS
11/00, n° 1073 ; Cass. soc.
27 novembre 2001, RJS 2/02, n° 153).
La Cour de cassation a précisément
jugé, au visa de l’article 9 du code civil
relatif au droit au respect de la vie
privée et de l’article L. 120-2 du code
du travail relatif aux droits des
personnes et aux libertés individuelles
et collectives, que « …le fait de porter
à la connaissance du personnel, sans
motif légitime, les agissements d’un
salarié nommément désigné, constitue
une atteinte à la dignité de celui-ci de
nature à lui causer un préjudice
distinct de celui résultant de la perte
de son emploi… » (Cass. soc.,
25 février 2003, n° 507 FS-PB, RJS 5/03
n° 581).
2° - Les principes jurisprudentiels ainsi
rappelés commandaient, dès lors, la
solution en l’espèce dégagée par la
Cour d’appel de Lyon.
On en déduira que l’employeur qui
décide de licencier un salarié doit par
principe s’interdire de publiciser sa
décision, a fortiori lorsque l’intéressé
continue de travailler, selon que la
procédure de licenciement ou le
préavis de rupture est en cours.
En cas de contrainte, par exemple
organisationnelle ou commerciale, il
ne
diffusera
que
strictement
limitativement l’information de sa
décision, en conciliant l’intérêt de
l’entreprise et le droit au respect de la
vie privée et la dignité du salarié.
Ce ne sont après tout là que des
recommandations relevant de la
loyauté et plus, de l’éthique.
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Christophe BIDAL
Avocat au Barreau de Lyon
SCP Joseph AGUERA & Associés
[email protected]
1° - On sait, depuis longtemps, que les
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LICENCIEMENT ECONOMIQUE
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Niveau d’appréciation des difficultés économiques
Cour d’appel de Lyon, 14 mars 2006
EXPOSE DES FAITS
Le 21 janvier 2002 Monsieur H.,
Directeur marketing, démissionne du
poste qu’il occupait depuis plus de
deux ans au sein de la Société E.,
société dont l’activité principale est
l’édition de contenus interactifs pour le
grand public notamment l’édition de
CD ROM, DVD ROM et autres logiciels
de loisirs ou de soutien scolaire, pour
être embauché, dès le lendemain ,
comme directeur commercial avec
reprise de son ancienneté, par la
société I., société filiale du même
groupe, et dont l’activité est la
communication audiovisuelle et plus
particulièrement la création et la
production de programmes de films
pour la communication des entreprises.
Neuf mois plus tard, il est victime d’un
licenciement économique, son poste
étant supprimé au sein de la Société I.,
aux motifs qu’une réorganisation de
l’entreprise est indispensable en raison
des difficultés économiques qu’elle
rencontre.
Elle a invoqué une nette dégradation
du marché de la communication
événementielle, audiovisuelle et multi
média
dans
une
conjoncture
économique difficile, un climat
international perturbé, outre le recul de
51% de son chiffre d’affaires réduisant
d’autant la charge de travail des
services commerciaux de la société.
Dans ce contexte une recherche de
reclassement au sein du groupe a été
entreprise
mais
s’est
révélée
infructueuse et dès lors afin de
sauvegarder sa compétitivité, elle a été
dans l’obligation d’adapter ses effectifs
et ses charges au chiffre d’affaires et
donc de supprimer le poste de
Monsieur H.
Quinze mois plus tard le Tribunal de
commerce de Lyon prononce la
liquidation judiciaire de la société.
Considérant que la société I. ne
justifiait ni d’une réorganisation
nécessaire à la sauvegarde de sa
compétitivité, ni de difficultés
économiques générales dans le secteur
d’activité du groupe auquel elle
appartient, ni d’une recherche sérieuse
et individualisée de reclassement,
Monsieur H a contesté la légitimité de
son licenciement devant le Conseil de
prud’hommes de Lyon.
Son licenciement a été déclaré sans
cause réelle et sérieuse.
Le mandataire liquidateur de la société
I. a relevé appel du jugement
essentiellement aux motifs que les
difficultés économiques de la société
n’étaient pas sérieusement contestables
et que les deux sociétés du groupe
intervenant dans des
secteurs
d’activité
totalement
distincts
l’appréciation
des
difficultés
économiques ne devaient se faire qu’à
la lumière des chiffres et résultats de la
seule société I.
A titre subsidiaire, pour la première fois
en cause d’appel la société mère du
groupe était appelée en cause par le
liquidateur aux fins de justifier des
recherches et impossibilité de
reclassement et de relever et garantir
des sommes fixées au passif de la
liquidation de la société I.
La Cour d’appel de Lyon n’a pas eu à
analyser la demande subsidiaire, ni la
question relative à l’obligation de
reclassement, car elle a confirmé le
jugement retenant comme cadre
d’appréciation
des
difficultés
économiques le groupe. Ainsi, la lettre
de licenciement qui n’était motivée
qu’en référence aux difficultés de la
société I. ne correspondait pas aux
exigences légales.
Elle a également souligné que le motif
relatif à la sauvegarde de la
compétitivité ne pouvait pas être
retenu car s’il était invoqué dans la
lettre de licenciement, « il n’était pas
indiqué à cette fin de véritable
réorganisation ».
juin 1992 n° 89-42.792, Bull. civ. V,
n° 403 ; 26 oct. 2005, n°0-41.972, RJS
2/09, n°180. Comm. Ph. WAQUET
p.89).
La Cour devait donc déterminer si les
deux sociétés du groupe appartenaient
ou non au même secteur d’activité.
L’analyse doit se faire au cas par cas, le
secteur d’activité du groupe étant celui
qui correspond à la branche d’activité
dont relève l’entreprise qui invoque
des difficultés économiques.
La Cour explique que peu importe que
les clientèles soient distinctes et les
produits proposés différents, si les
deux sociétés interviennent dans la
même branche d’activité, en l’espèce
la production audiovisuelle et multi
média,
le
périmètre
pertinent
d’appréciation
des
difficultés
économiques est le groupe.
La Cour de cassation avait déjà jugé
«que la distribution en grande surface à
dominante alimentaire constitue un
secteur d’activité unique pour
l’application de l’article L. 321-1 du
code du travail sans avoir à rechercher
à quel secteur d’activité du groupe
(production, commercialisation, logistique)
appartenait la société demanderesse au
pourvoi (Cass. soc., 30 avril 1997, n°
95-41.513, Sté Base de Peynier c/
Perrira).
En revanche, contrairement à ce qu’elle
a fait pour
l’obligation de
reclassement, la configuration du
groupe servant de cadre d’appréciation
du motif économique n’est pas
déterminée par la jurisprudence.
OBSERVATIONS
Cet arrêt nous donne l’occasion de
faire le point sur la jurisprudence
relative au niveau d’appréciation des
difficultés économiques.
Les difficultés économiques s’apprécient
au niveau de groupe ou du secteur
d’activité du groupe auquel appartient
l’entreprise concernée sans qu’il y ait
lieu de réduire le groupe aux sociétés
situées sur le territoire national (Cass.
soc., 14 janv. 2004 ; Cass. soc., 10
décembre 2003, n° 02-40.293.
Rappelons qu’en présence d’entreprises à
structure simple, l’existence de
difficultés économiques s’apprécie au
niveau de l’entreprise et non de
l’établissement si elle compte plusieurs
établissements distincts (Cass. soc., 17
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 0
La Cour de cassation s’en tient au
secteur d’activité du groupe même si
ce secteur n’est pas celui du groupe
qui détient 39 % des parts de
l’entreprise
dans
laquelle
le
licenciement a eu lieu (Cass. soc.,
21 septembre 2005, n° 03-44.61).
La Cour d’appel de Lyon s’est livrée à
une application classique de la
jurisprudence qui n’entend pas avoir
une analyse restrictive du niveau
d’appréciation du motif économique.
Eladia DELGADO
SCP DELGADO-PLET-MEYER
D
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Qu’il est constant en l’espèce que la société I. exerçait une activité dans le domaine de 1a communication audiovisuelle,
plus particulièrement la création et la production de programmes et films pour la communication des entreprises et que la
société E. a pour activité principale l’édition de contenu interactif pour le grand public, notamment l’édition de CD ROM, DVD
ROM et autres logiciels de loisirs ou de soutien scolaire;
Que si ces deux sociétés ont des clientèles distinctes auxquelles elles proposent des produits nécessairement différents il n’en
demeure pas moins qu’elles interviennent dans le même secteur d’activité ou la même branche d’activité, à savoir la
production audiovisuelle et multi média;
Que dans ces conditions, le cadre d’appréciation des difficultés économiques était bien le groupe E. et que la lettre de
licenciement du 19 décembre 2002 qui aborde seulement les difficultés de la société I. ne correspond pas aux exigences
légales... »
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Cour d’appel de Lyon,
Chambre sociale, 14 mars 2006
Dubois c/ Hilaire
S
LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE
I
Mise en oeuvre des critères d’ordre - Notion de catégorie professionnelle
O
Cour d’appel de Grenoble, Chambre sociale, 20 février 2006
EXPOSE DES FAITS
Monsieur B., directeur des ventes, fait
l’objet d’une mesure de licenciement
pour motif économique dont il
conteste la légitimité devant la
juridiction prud’homale.
L’intéressé remet en cause tant le
motif économique que le respect de
l’obligation de reclassement et
conteste l’application des critères
d’ordre des licenciements.
Débouté de sa demande par le Conseil
de prud’hommes de Vienne, le salarié
interjette appel.
La Cour d’appel de Grenoble confirme
le jugement de première instance en
rejetant notamment les prétentions de
l’appelant relatives aux critères
d’ordre de licenciement au motif qu’il
était le seul à appartenir à sa catégorie
professionnelle et qu’en l’absence de
choix à opérer l’employeur n’avait pas
à mettre en oeuvre les critères d’ordre
de licenciement.
OBSERVATIONS
Dans cette espèce, le salarié faisait
notamment valoir, à l’appui de ses
demandes, que l’employeur n’avait pas
mis en oeuvre les critères déterminant
l’ordre des licenciements, ce qui
rappelons-le,
n’a
pas
pour
conséquence de priver le licenciement
de cause réelle et sérieuse, mais
conduit à l’indemnisation du salarié en
fonction du préjudice résultant pour
lui de la perte injustifiée de son
emploi.
L’employeur, quant à lui, arguait de ce
que le choix du salarié susceptible
d’être concerné par la mesure de
licenciement s’opérant au sein de
chaque catégorie professionnelle, il ne
lui appartenait pas d’appliquer les
critères d’ordre de licenciement,
Monsieur B. étant le seul dans sa
catégorie.
C’est cette analyse qui a prévalu
auprès de la Cour d’appel de
Grenoble, laquelle pour trancher le
litige, a fait porter son appréciation sur
la catégorie professionnelle à laquelle
appartenait l’intéressé et s’est
nécessairement appuyée sur la
définition qui en a été donnée par la
Cour de cassation dans son arrêt dit
«La Samaritaine », du 13 février 1997 :
«la notion de catégorie professionnelle
qui sert de base à l’établissement de
l’ordre des licenciements, concerne
l’ensemble des salariés qui exercent,
au sein de l’entreprise, des fonctions
de même nature supposant une
formation professionnelle commune ».
(Cass. soc., 13 février 1997, n°9516.648).
La transposition de cette définition au
cas d’espèce n’a pas semblé poser de
difficulté particulière, le débat portant
essentiellement sur le point de savoir
si Monsieur B. embauché initialement
comme directeur des ventes, avait
conservé cette qualification à la date
de mise en oeuvre des critères.
Cette transposition peut néanmoins,
bien souvent, s’avérer mal aisée dès
lors que, s’il est relativement facile
d’identifier
«une
formation
professionnelle commune », il n’en est
pas de même s’agissant «des fonctions
de même nature ».
Ainsi, qu’en aurait-il été de la
détermination de la catégorie
professionnelle si au côté de Monsieur
B., directeur des ventes, avait été
employé un directeur commercial,
avec des responsabilités peut être plus
étendues, mais des fonctions de nature
somme toute assez semblable ?
L’employeur aurait-il dû alors
constituer
une
catégorie
professionnelle
composée
du
directeur des ventes et du directeur
commercial, voire de tout salarié
assumant des responsabilités dans le
domaine commercial ?
La réponse à ses interrogations peut,
semble-t-il, être recherchée au sein de
la convention collective applicable à
l’entreprise.
La Cour de cassation, dans un arrêt, en
date du 16 février 2005, a, en effet,
précisé qu’il fallait entendre par
catégorie professionnelle, celle dont
relève le salarié au sein de la
convention collective (Cass. soc.,
16 février 2005, n°02-45.753).
Si l’attendu principal de cet arrêt est
particulièrement laconique, l’examen
des éléments de l’espèce est quant à
lui riche d’enseignements.
L’employeur n’avait pas procédé à la
mise en oeuvre des critères
considérant que le salarié en cause
était le seul de sa catégorie
professionnelle, puisque le seul à
bénéficier de son coefficient.
Il a été sanctionné par la Cour d’appel
au
motif
que
la
catégorie
professionnelle au sein de laquelle
devait porter les critères d’ordre était
celle des ouvriers de filature, soit une
catégorie beaucoup plus large que
celle retenue par l’employeur et non
visée par la convention collective.
La Cour de cassation censure l’arrêt
d’appel en disposant que seule la
définition conventionnelle de la
catégorie devait s’imposer.
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 1
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Ce faisant, elle se livre à une
application
particulièrement
restrictive de la notion de catégorie
professionnelle en considérant qu’elle
est constituée par l’ensemble des
salariés titulaires du même coefficient
conventionnel.
Cette approche, très limitative, n’est
pas en soi choquante ou surprenante
dès lors que parmi les critères figure,
notamment, celui des qualités
professionnelles,
lesquelles
ne
peuvent être comparées qu’entre des
salariés exerçant le même métier, à
un niveau de qualification équivalent.
Philippe GAUTIER
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet J. BARTHELEMY et Associés
[email protected]
de clients en sa qualité de responsable
commercial ;
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Attendu que M. B., embauché en
qualité de directeur des ventes,
soutient qu’à la suite d’une
modification de son contrat de travail
par avenant en date du 30 juin 2000,
il a été affecté à des fonctions
d’attaché commercial ; que c’est au
regard de cette catégorie que les
critères d’ordre du licenciement
devaient être appliqués ;
Attendu que le statut de M. B. a été
maintenu à la suite de l’avenant
précité ; qu’au moment de son
licenciement son salaire mensuel était
de 4 682,43 euros alors que celui des
deux attachés commerciaux était
respectivement de 2 820,33 euros et
de 2 314,33 euros ; qu’il apparaît, de
même, que M. B. a continué à être
destinataire de courriers internes ou
Qu’ainsi il ressort de l’ensemble de ces
éléments que M. B. occupait les
fonctions de directeur des ventes ;
qu’il n’est pas contesté qu’il était le
seul relevant de cette catégorie au sein
de l’entreprise ;
Attendu que l’employeur n’ayant pas
de choix à faire au sein de la
catégorie professionnelle dont M. B.
était le seul représentant, il n’y avait
pas lieu de mettre en oeuvre les
critères d’ordre du licenciement ;
Qu’en conséquence il convient de
débouter B. de ses demandes à ce
titre. »
Cour d’appel de Grenoble,
Chambre sociale, 20 février 2006
SARL Biasi France c/ Mr BOURCHY
PR E T DE M A I N D’ O E U V R E I L L I C I T E
N
Contrats de prestation de services et de sous-traitance en cascade
S
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 17 janvier 2006
EXPOSE DES FAITS
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Monsieur M. , employé en qualité d’agent
de propreté à temps partiel par une
entreprise de nettoyage (la société N),
saisit le Conseil de prud’hommes de Lyon
aux fins de faire reconnaître l’existence
d’un contrat de travail d’employé
d’immeuble à temps plein avec le
syndicat
des
copropriétaires
de
l’immeuble au sein duquel il travaillait.
Etaient également mis en cause la société
d’exploitation de l’immeuble (société
GC), le syndic (la société G), et la société
prestataire de services (la société E), en
raison de leur implication dans divers
contrats commerciaux conclus en
cascade :
• Le syndicat des copropriétaires,
représenté par son syndic (la société G),
avait conclu avec la société E un contrat
d’entretien et de nettoyage de
l’immeuble ;
• La société GC, locataire principale de
l’immeuble et exploitant ce dernier dans
le cadre de locations de logements à des
étudiants, avait conclu avec la même
société E une convention d’assistance
technique pour les services para-hôteliers
proposés aux occupants de l’immeuble ;
• La société E sous-traitait à la société N
les prestations para-hôtelières et
l’entretien de l’immeuble, ces tâches
étant réalisées par Monsieur M., salarié de
la société N.
Le Conseil de prud’hommes de Lyon a
reconnu l’existence d’une opération de
marchandage illicite de main-d’oeuvre à
l’encontre de la société N et de la société
GC, et condamné ces dernières, en
qualité de co-employeurs, au paiement de
rappels de salaire (sur la base de la
convention collective nationale des
gardiens, concierges et employés
d’immeuble) et dommages et intérêts au
bénéfice du salarié.
Ces deux sociétés interjetaient appel de
la décision.
Dans son arrêt du 17 janvier 2006, la
Cour d’appel de Lyon confirme le
jugement rendu par le Conseil de
prud’hommes en s’attachant à la réalité
de la prestation fournie et du détenteur
réel du pouvoir hiérarchique, et étend la
responsabilité du fait de délit de
marchandage à l’ensemble des parties
mises en cause : « Le délit de
marchandage prévu par l’article L.1251 du code du travail est par conséquent
caractérisé, puisqu’il y a eu prêt de
main-d’oeuvre par la société N qui,
moyennant
rémunération,
s’est
contentée de mettre à la disposition de
la société GC et de la société G,
personnellement ou en sa qualité de
syndic du syndicat des copropriétaires
de l’immeuble (..) son salarié qu’elle a
placé
sous
leur
autorité
en
abandonnant tout pouvoir de contrôle
et de direction sur ce dernier et que ce
prêt de main-d’oeuvre a eu pour effet
de permettre à ses bénéficiaires d’éluder
l’application des dispositions légales et
conventionnelles
concernant
les
gardiens, concierges et employés
d’immeuble (…).
Il convient, également, de retenir la
responsabilité de la société E qui a
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 2
conclu un contrat de sous-traitance fictif
et, celle de la société N, qui a accepté de
jouer le rôle d’employeur apparent (..) ».
OBSERVATIONS
Le contrat de prestation de services et le
contrat de sous-traitance sont prévus par
le code civil et l'objet de la décision
rendue par la Cour d’appel de Lyon n'est
pas de remettre en cause leur existence,
mais de sanctionner les dérives de
certaines pratiques consistant à conclure
de tels contrats ayant pour effet de
détourner la réglementation concernant
les contrats de travail.
L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon illustre
l’analyse pragmatique faite par les
juridictions du fond qui, souveraines pour
vérifier que les contrats d’entreprise ne
sont pas conclus pour détourner les
règles de droit du travail, sont amenées à
examiner un faisceau d'éléments.
1. Au terme de sa décision, rendue dans
le cadre d’une procédure civile et au visa
de l’article L. 125-1 du code du travail, la
Cour d’appel considère que l’objet des
divers contrats commerciaux conclus
n’était pas la réalisation de prestations de
service, mais la dissimulation, sous une
apparence commerciale, de relations qui
auraient dû s’inscrire dans le cadre d’un
contrat de travail de gardien d’immeuble.
La méthode d’analyse utilisée par la Cour
l’amène à examiner d’une part les
conventions de prestations de services
conclues, et d’autre part, les relations de
fait existant entre l’employeur/soustraitant, le salarié et les co-contractants,
signataires
des
conventions
prestations de services.
de
Pour qualifier juridiquement ces
apparentes relations commerciales de
délit de marchandage, la Cour d’appel
relève :
• Que les conventions conclues avaient
pour unique objet la mise à disposition
d’un salarié dans un but lucratif ;
• Qu’elles ont eu pour effet d’écarter
l’application
des
dispositions
conventionnelles relatives aux gardiens,
concierges et employés d’immeuble, au
préjudice du salarié,
• Que le pouvoir de direction était en
réalité
exercé
par
la
société
d’exploitation de l’immeuble et le syndic.
La Cour d’appel fait en l’espèce une
stricte application des dispositions de
l’article L. 125-1 du code du travail et des
critères et conséquences juridiques
dégagés par la Cour de cassation pour
établir le prêt illicite de main-d’oeuvre et
le délit de marchandage (Cass. soc., 17
juin 2005, n° 03-13.707).
La Cour d’appel relève par ailleurs
des indices de fait supplémentaires,
permettant
de
caractériser
indubitablement
l’existence
d’une
« fausse sous-traitance »: le salarié
travaillait d’ores et déjà sur le site de
l’immeuble et y occupait un logement à
loyer réduit, lorsque le contrat de soustraitance par lequel la société E confiait à
la société N la réalisation des prestations
para-hôtelières et d’entretien de
l’immeuble était conclu.
La Cour considère ainsi que les contrats
de sous-traitance conclus « en cascade »
présentaient un caractère fictif, et qu’en
conséquence, le lien de subordination
avait été transféré aux entreprises
bénéficiaires du prêt de main d’oeuvre,
de telle sorte que le contrat de travail,
liant l’entreprise de propreté au salarié,
constitue une relation de travail fictive.
2. Pour réparer le préjudice subi par le
salarié, la Cour d’appel condamne in
solidum les cinq parties impliquées et
ordonne :
• le rétablissement rétroactivement et
pour l’avenir des droits du salarié,
notamment par l’application des
dispositions légales et conventionnelles
qui avaient été illégitimement écartées du
fait de l’opération illicite : compte tenu
des fonctions réellement exercées par le
salarié, la Cour d’appel a jugé que ce
dernier devait bénéficier des dispositions
de la convention collective nationale des
gardiens, concierges et employés
d’immeuble ;
• l’octroi de dommages et intérêts
réparant le préjudice, tant matériel que
moral, subi par le salarié du fait du
caractère fictif de la relation de travail.
D
La Cour d’appel se montre pour autant
clémente à l’égard du syndicat des
copropriétaires, puisqu’aux termes de la
décision rendue, ce dernier est
entièrement relevé et garanti des
condamnations prononcées, en raison de
l’absence de tout « comportement fautif »
de sa part.
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La Cour considère en effet que le
syndicat des copropriétaires a joué un
rôle totalement passif, relevant une
absence d’intention de participer à la
réalisation de l’opération illicite de prêt
de main d’oeuvre :
S
« Il n’existe aucun élément permettant de
caractériser un comportement fautif du
syndicat des copropriétaires, qui a confié
à la société E l’entretien des parties
communes et des équipements collectifs,
qui n’a donné aucune instruction à son
syndic sur les prestations imposées à
Monsieur M. et qui n’est pas concerné
par l’exploitation de la résidence
étudiante(…). »
Floriane DI SALVO
Avocat au Barreau de Lyon
SCP FROMONT-BRIENS & Associés
[email protected]
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DELEGUE SYNDICAL
O
Contestation de la désignation -
M
Tribunal compétent territorialement
Tribunal d’instance Lyon, 9 mai 2005
EXPOSE DES FAITS
Contestant la désignation d’un délégué
syndical, l’employeur porte le litige
devant le Tribunal du lieu où la
désignation a été faite, à savoir le siège
social de l’entreprise.
Le salarié soulève l’incompétence
territoriale du Tribunal d’instance de
Lyon au profit de celui dans le ressort
duquel se trouve situé l’établissement où
il travaille.
Le Tribunal rejette cette exception
d’incompétence.
OBSERVATIONS
La question soumise au Tribunal
d’instance de Lyon était digne d’intérêt
dans la mesure où aucun texte ne définit
les règles de compétence territoriale en
matière de contestation de désignation
d’un délégué syndical, l’article L. 412-15
du code du travail se bornant à indiquer
que ces contestations relèvent de la
compétence du Tribunal d’instance.
La jurisprudence a longtemps hésité
entre la compétence du lieu où la
désignation devait prendre effet et celui
du siège de l’entreprise où a été notifiée
la désignation.
L’arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la
Cour de cassation met fin à cette
difficulté : les contestations relatives aux
conditions de désignation des délégués
syndicaux sont de la compétence du
Tribunal d’instance du lieu où la
désignation est destinée à prendre effet
(Cass. soc., 7 octobre 1998, n°3813, P.
Dumont c/ Société entreprise ferroviaire
SAFEN et autres).
C’est dans ce sens qu’a tranché le
Tribunal d’instance de Lyon qui a rejeté
l’exception d’incompétence soulevée par
le défendeur en estimant que la
désignation prenait effet au niveau de
l’entreprise.
La singularité de l’espèce tenait au fait
que le salarié travaillait au sein d’un
établissement extérieur au siège de
l’entreprise mais cet établissement
comptait moins de cinquante salariés.
De ce fait, la désignation ne pouvait
prendre effet au sein de l’établissement
mais au niveau de l’entreprise et très
logiquement le Tribunal a retenu sa
compétence.
Cette désignation est l’occasion de
rappeler la distinction qu’il convient de
faire entre les règles de fond et celles de
forme.
La notification de la désignation n’est
opposable à l’employeur que si elle a été
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 3
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faite au siège de l’entreprise. En
revanche, la contestation de cette
désignation doit être présentée
devant le Tribunal d’instance du lieu
où la désignation doit prendre effet.
S
En application des articles L. 412-13, R.
412-1 et R. 412-3 du code du travail, le
nombre des délégués syndicaux de
chaque section est fixé, soit par
entreprise, soit par établissement
distinct d’au moins cinquante salariés.
Michel PAGNON
Avocat honoraire
[email protected]
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Tribunal d’instance de Lyon
9 mai 2005
Société Alteca c/ Lefevre
CONVENTION COLLECTIVE
Incidence de la mention de la convention collective sur le bulletin de paie
Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13 septembre 2005
EXPOSE DES FAITS
I
moins de cinquante salariés, la
désignation de M. Lefevre a pris effet au
niveau de l’entreprise dont le siège
social est situé à Lyon, de telle sorte que
la présente juridiction est compétente
pour trancher le litige en vertu de
l’article L. 412-15 du même code.
L’établissement de Quetigny comptant
C
I
PRINCIPAUX ATTENDUS
Le contrat de travail d’une salariée édictait
expressément qu’aucune convention
collective n’était applicable dans
l’entreprise.
Cette dernière, étant placée dans une
situation de liquidation judiciaire, a été
amenée à licencier la salariée, sachant que
le mandataire liquidateur mentionna sur
le bulletin de la salariée concernée la
référence d’une convention collective.
Sur la base de cette mention, d’une part,
et sur le fait que certains salariés de la
société bénéficiaient de l’application de
la convention collective, d’autre part, la
salariée revendique l’application de ladite
convention
collective
et
des
conséquences financières qui en
découlent.
La Cour d’appel de Lyon déboute la
demanderesse en considérant que la
mention d’une convention collective sur
le bulletin de paie de salariés ne peut
avoir d’effet que dans les rapports de
ceux-ci avec leur employeur, et que les
seuls bulletins de paie délivrés par le
mandataire liquidateur, à une époque où
l’activité de la société avait cessé, ne peut
valoir reconnaissance sans équivoque de
l’application d’une convention collective.
soumise, compte tenu de son activité
principale, à aucune convention
collective.
générait, notamment, un rappel de
salaires et un rappel de prime
d’ancienneté.
Sans remettre en cause, selon notre
analyse, ce principe, la Cour d’appel de
Lyon, dans sa décision du 13 septembre
2005, introduit une précision qui doit être
rattachée aux circonstances spécifiques
de l’affaire.
Le principe d’égalité de traitement,
actuellement excessivement « sollicité »
selon le Président de la Chambre sociale
de la Cour de cassation, aurait, sans nul
doute, pu faire l’objet d’un débat dans le
cadre de la présente affaire.
En effet, elle considère que la mention de
la convention collective sur le bulletin de
paie ne peut valoir reconnaissance de
plein droit de l’application de la
convention collective dans les relations
individuelles que si cela est non
équivoque.
Il convient à ce titre de rappeler en
l’espèce que, pour le moins, deux
éléments pouvaient mettre en évidence le
caractère particulièrement équivoque.
En effet, le contrat de travail de la salariée
prévoyait
expressément qu’aucune
convention collective n’était applicable,
d’une part, et la mention de la convention
collective n’apparaissait que sur les
derniers bulletins de paie de la salariée
réalisés par le mandataire liquidateur à
une date où l’activité de la société avait
cessé, d’autre part.
Si toute différence de rémunération n’est
pas interdite, l’entreprise aurait dû alors
se fonder sur des raisons objectives,
matériellement vérifiables, pour justifier
l’application, à certains salariés, de la
convention collective (du fait d’une
mention sur leurs fiches de paie), et de sa
non application pour d’autres.
Il n’en demeure pas moins que
l’appréciation du caractère équivoque ne
sera pas aisée.
Ceci est d’autant plus vrai que de
nombreux praticiens tentent, aujourd’hui,
sur la base de l’article L. 120-2 du code
du travail, de différentes dispositions
constitutionnelles et d’une interprétation
particulièrement volontariste de la Cour
de cassation, d’étendre ce principe
d’égalité de traitement.
OBSERVATIONS
Dans le cadre d’un premier attendu
synthétique et précis, la Cour d’appel
rappelle qu’une convention collective est
applicable dans une entreprise en
fonction de l’activité principale de cette
dernière et que le code APE ne constitue
qu’une présomption et ne peut prévaloir
sur l’activité réelle de l’entreprise.
L’entreprise n’étant soumise de plein
droit à aucune convention collective, la
Cour d’appel était donc amenée à se
prononcer sur l’incidence de la mention
d’une convention collective sur les
bulletins de paie.
A l’analyse de la jurisprudence de la Cour
de cassation, il apparaît que la mention
d’une convention collective sur un
bulletin de paie vaut reconnaissance de
l’application de cette convention à l’égard
du salarié, même si l’entreprise n’est
Sur la question de l’incidence de la
mention de la convention collective sur
les bulletins de paie d’autres salariés, la
Cour d’appel indique, sans ambiguïté, que
cela ne peut avoir d’effet que dans les
rapports de ces salariés avec l’employeur
et que cela n’ouvre aucun droit à la
demanderesse.
Cette décision doit, à notre sens, être
approuvée, sous réserve d’un éventuel
débat qui, a priori, n’a pas eu lieu devant
la Cour d’appel, relatif à l’égalité de
traitement (voir à la non discrimination).
Si, dans le cadre de la présente analyse,
nous écarterons la discrimination qui
suppose l’existence d’un motif illicite de
la part de son auteur, on peut
légitimement s’interroger sur la question
du principe d’égalité de traitement.
En effet, dans le cas d’espèce,
l’application de la convention collective
Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 4
Les éléments de l’espèce tels que
présentés dans l’arrêt de la Chambre
sociale de la Cour d’appel de Lyon ne
permettent
pas
d’apprécier
le
positionnement des parties au regard du
principe d’égalité de traitement.
Si le fondement textuel de ce principe
demeure discuté, le débat sur cette
question aurait, sans nul doute, été
intéressant devant la Cour d’appel de
Lyon.
La reconnaissance même, le périmètre du
principe d’égalité de traitement, ne
manqueront pas, dans l’avenir, de susciter
de nombreux débats, sachant que, d’ores
et déjà, de nombreux auteurs se penchent
sur la question des différentes
justifications (objectives et naturellement
vérifiables) qui pourraient valider une
différence de traitement pour des salariés
se trouvant dans une situation identique.
Philippe CLEMENT
Avocat au barreau de Lyon
SCP FROMONT-BRIENS & Associés
[email protected]
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Attendu, enfin, que dans les relations individuelles, le
salarié, à défaut de se prévaloir de la convention
correspondant à l’activité principale de l’entreprise qui
l’emploie, peut demander l’application de la convention
collective mentionnée sur son bulletin de paie ; qu’en
l’espèce, cependant, la mention de la convention collective
nationale de commerces de gros sur les seuls bulletins de
paie délivré à Elisabeth T. par le mandataire liquidateur, à
une époque où l’activité de l’EURL B. avait cessé, ne peut
valoir reconnaissance, sans équivoque, de l’application de
cette convention ; que la mention de la même convention
collective sur les bulletins de paie d’autres salariés ne peut
avoir d’effet, le cas échéant, que dans les rapports de ceuxci avec leur employeur ; que cette mention n’ouvre aucun
droit en faveur d’Elisabeth T. ».
CA Lyon,
Chambre sociale, 13 septembre 2005,
Tanquerel c/ Guyon et autre
Dénonciation d’un usage
Effet de l’entrée en vigueur d’un accord collectif ayant le même objet qu’un usage d’entreprise
Cour d’appel de Chambéry, 22 novembre 2005
Cour de cassation, 6 décembre 2005
La Cour d’appel de Chambéry et la
Chambre sociale de la Cour de cassation
ont été amenées, à quelques jours
d’intervalle, à se prononcer sur un
recours effectué par un employeur (la
société Clinique D.) à l’encontre d’un
même jugement rendu le 28 octobre
2003 par le Conseil de prud’hommes
d’Annecy.
Cette situation, pour le moins insolite,
mérite quelques explications.
Durant plusieurs années, la Clinique D. a
versé, en vertu d’un usage, à ses salariés,
en sus de leur salaire de base, une prime
dite « à valoir ».
Afin de limiter le surcoût lié à l’entrée
en vigueur, au niveau de la branche
d’activité, d’une nouvelle grille de
rémunération minimale, la Clinique D. a
conclu, le 20 septembre 2002, un accord
d’entreprise, aux termes duquel la prime
dite « à valoir » devenait « un
complément de salaire correspondant à
la différence entre le salaire en vigueur
au sein de la clinique et celui résultant
de l’application de la nouvelle
convention collective ».
L’intégration dans le salaire de base de
la prime dite « à valoir » équivalait, bien
évidemment, à la suppression de cet
avantage pour les salariés qui avaient,
avant le 1er mai 2002, une rémunération
inférieure à celle prévue par la nouvelle
convention collective unique de
l’hospitalisation privée.
Quatre-vingt-quinze salariés (auquel s’est
joint le « syndicat CFDT-santé sociaux de
la Haute-Savoie ») ont donc décidé de
saisir le Conseil de prud’hommes
d’Annecy aux fins d’obtenir des rappels
de
rémunération
en
contestant
l’intégration par la Clinique dans leur
salaire de base de leur ancienne prime.
Par un jugement en date du 28 octobre
2003, le Conseil de prud’hommes
d’Annecy leur a intégralement donné
satisfaction.
En tenant sans doute compte du
montant des demandes de rappel de
salaire formulées par les salariés
(inférieures au seuil d’appel), le Conseil
de prud’hommes d’Annecy a même
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REMUNERATION
EXPOSE DES FAITS
D
considéré son jugement, comme étant
rendu en première et dernière instance.
Dans la mesure où les rappels de salaire
réclamés par les salariés reposaient, en
réalité, sur une demande indéterminée
(problème de la régularité de la
dénonciation d’un usage), la Clinique D.
a toutefois décidé, à juste titre,
d’interjeter appel de cette décision.
Afin d’éviter toute désillusion sur la
recevabilité de son appel, la Clinique D.
a également souhaité, par mesure de
prudence, interjeter un pourvoi en
cassation.
Par un arrêt en date du 22 novembre
2005, la Cour d’appel de Chambéry a, en
premier, statué et a confirmé la décision
du Conseil de prud’hommes aux motifs
que la prime dite « à valoir » résultait, au
sein de la Clinique D., d’un usage
générateur d’un avantage acquis dont le
régime ne pouvait pas être modifié par
l’entrée en vigueur d’un accord collectif.
Toutefois, parallèlement à la procédure
d’appel, le recours de la société devant
la Chambre sociale de la Cour de
cassation a suivi son cours.
Les salariés et le syndicat CFDT n’ayant,
a priori, pas pris le soin de soulever
l’irrecevabilité du pourvoi, la Chambre
sociale de la Cour de cassation a ainsi
rendu, le 6 décembre 2005, un arrêt
avec un contenu totalement contraire à
celui de la Cour d’appel de Chambery.
Dans sa décision, la Chambre sociale de
la Cour de cassation a, en effet, décidé
de casser le jugement du Conseil de
prud’hommes d’Annecy (entraînant, en
conséquence, l’annulation de l’arrêt
rendu le 22 novembre 2005 par la CA de
Chambéry (art. 625 NCPC) en
considérant que l’entrée en vigueur de
l’accord d’entreprise du 20 septembre
2002 avait automatiquement mis fin à
l’usage prévoyant le versement aux
salariés de leur prime «à valoir » en sus
de leur salaire de base.
OBSERVATIONS
Indépendamment
de
l’imbroglio
procédural qui est loin d’être dépourvu
d’intérêt pour les praticiens, les arrêts
contradictoires rendus par la Cour
d’appel de Chambéry et la Cour de
cassation nous donnent l’occasion de
rappeler les règles actuellement
applicables en matière de dénonciation
d’usage.
Le régime juridique de l’existence et de
la dénonciation des usages est
exclusivement d’origine jurisprudentielle
(le code du travail ne faisant que
ponctuellement référence aux usages
sans pour autant les réglementer).
En l’espèce, il n’était pas discuté que le
versement, en sus de leur salaire de base,
des primes dites « à valoir » aux salariés
résultait, antérieurement à l’entrée en
vigueur de l’accord du 20 septembre
2002,
uniquement
d’un
usage
d’entreprise.
Seules la régularité et les conséquences
de la disparition de cet usage étaient
contestées par les salariés et le syndicat
CFDT.
La Jurisprudence admet parfaitement la
possibilité pour les employeurs de
remettre en cause les usages en vigueur
au sein de leur entreprise.
La Cour de cassation considère, ainsi,
que les avantages tirés des usages n’étant
pas incorporés aux contrats de travail,
les employeurs peuvent parfaitement
procéder à leur dénonciation sans
demander
l’accord
des
salariés
concernés (notamment, en ce sens :
Cass. soc., 13 février 1996, n°93-42.309 ;
Cass. soc., 10 février 1998, n°95-42.543 ;
Cass.
soc.,
6
juillet
2005,
n° 04-44.995…).
Cette dénonciation peut, selon la Cour
de cassation, résulter, soit d’une décision
unilatérale de l’employeur (à condition
toutefois de respecter les trois
conditions cumulatives suivantes :
information
des
institutions
représentatives
du
personnel,
information individuelle des salariés
concernés et respect d’un délai de
prévenance suffisant (notamment, en ce
sens : Cass. soc., 25 février 1988, n°8540.821 ; Cass. soc., 13 février 1996,
n°93-42.309) soit de l’entrée en vigueur
d’une convention ou d’un accord
collectif ayant le même objet
(notamment, en ce sens : Cass. soc.,
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9 juillet 1996, n°94-42.773 ; Cass. soc.,
26 janvier 2005, n°02-47.507).
jusqu’à présent, par la Chambre sociale
de la Cour de cassation.
Dans le cas qui nous intéresse, il est
évident que l’accord collectif conclu le
20 septembre 2002 au sein de la Clinique
D. avait le même objet que l’usage
d’entreprise dont se prévalaient les
demandeurs à l’instance (à savoir les
primes dites « à valoir »).
La position de la Cour de cassation peut
toutefois s’expliquer par le fait que les
usages sont, par nature, supplétifs de la
volonté des parties et que les accords
d’entreprise sont, à l’inverse, négociés
entre les partenaires sociaux.
C’est donc en toute logique que la
Chambre sociale de la Cour de cassation
a, dans son arrêt du 6 décembre 2005,
appliqué sa jurisprudence traditionnelle
en considérant que, dès son entrée en
vigueur, cet accord collectif avait
automatiquement remplacé l’usage
d’entreprise antérieur, sans que les
salariés ne puissent invoquer une
quelconque modification de leur contrat
de travail.
Pour autant, dans son arrêt en date du
22 novembre 2005, la Cour d’appel de
Chambéry avait préalablement choisi de
prendre
le
contre-pied
de
la
jurisprudence de la Cour de cassation en
retenant une solution différente.
La Cour d’appel de Chambéry a, en effet,
considéré que l’entrée en vigueur de
l’accord du 20 septembre 2002 n’avait
entraîné aucune conséquence sur
l’application de l’usage litigieux et que,
dans la mesure où celui-ci était
générateur d’un avantage acquis pour les
salariés concernés, la clinique D. ne
pouvait procéder à sa dénonciation
qu’individuellement.
La référence par la Cour d’appel de
Chambéry aux notions « d’avantages
acquis » et de « dénonciation
individuelle » est particulièrement
ambiguë et sibylline.
Faut-il comprendre que, selon la Cour
d’appel de Chambéry, si la clinique D.
avait bien la possibilité de remettre en
cause unilatéralement l’usage litigieux,
elle ne pouvait, toutefois, le faire
qu’après avoir procédé à une
information individuelle des salariés
concernés ?
Si tel est effectivement le cas, la décision
de la Cour d’appel de Chambéry pourrait
parfaitement être admise sur le plan
juridique, même si elle est contraire à la
jurisprudence actuelle de la Cour de
cassation.
En effet, dans la mesure où, comme l’a
fort justement souligné la Cour d’appel
de Chambéry, les règles de l’article
L. 132-8 du code du travail ne sont pas
applicables à l’usage (la Cour de
cassation partageant d’ailleurs cette
solution) aucun texte légal ne prévoit la
possibilité de les supprimer par voie
d’accord de substitution.
La solution retenue par la Cour d’appel
de Chambéry ne serait donc pas moins
fondée juridiquement que celle prise,
Pour autant, il faut bien admettre que
l’encadrement des règles relatives à la
dénonciation des usages est destiné à
protéger
les
salariés
contre
d’éventuelles
pertes
brutales
d’avantages (notamment pécuniaires).
Or, l’application de la solution retenue
par la Cour de cassation peut, parfois,
entraîner, pour les salariés, la perte d’un
avantage sans avoir pu antérieurement
l’anticiper (exemple d’un salarié
perdant d’un mois sur l’autre une prime
en raison de l’entrée en vigueur d’un
nouvel accord collectif).
En pratique, les salariés ne sont
d’ailleurs pas toujours bien informés du
contenu des accords collectifs conclus
par leurs représentants au sein de leur
entreprise.
L’exigence systématique, lors de la
suppression d’un avantage résultant
d’un
usage,
d’une
information
individuelle des salariés bénéficiaires et,
le cas échéant, d’un délai de
prévenance suffisant, pourrait donc
parfaitement être justifiée.
Mais, la Cour d’appel de Chambéry n’at-elle pas souhaité aller au-delà en
décidant même que la clinique D. ne
pouvait pas remettre en cause l’usage
du versement de la prime « à valoir »
sans obtenir, préalablement, l’accord de
chacun des salariés concernés ?
En effet, en indiquant expressément
que la prime « à valoir » était acquise
aux salariés, la Cour d’appel de
Chambéry a semblé considérer que sa
suppression ne pouvait être réalisée
qu’avec leur consentement.
D’un autre côté, la Cour d’appel a
également admis la possibilité pour la
clinique de dénoncer individuellement
l’usage litigieux.
Or, la dénonciation est, par définition,
un acte unilatéral.
Il n’est donc pas certain que la Cour
d’appel de Chambéry ait souhaité
remettre en cause la jurisprudence de
la Cour de cassation sur les effets de la
dénonciation des usages, sur les
contrats de travail des salariés.
Un tel revirement de jurisprudence
rendrait pratiquement impossible la
remise en cause par les employeurs des
avantages accordés au titre des usages
et remettrait complètement en cause à
la fois la hiérarchie des normes en
donnant aux usages une valeur
juridique supérieure à celle des accords
et conventions collectives (puisqu’un
avantage résultant d’un usage ne pourrait
pas être remis en cause par un accord ou
une convention) et la distinction faite
traditionnellement en Droit du travail
entre le statut collectif et le statut
individuel des salariés.
Jean-Jacques FOURNIER
Avocat au barreau de Lyon
SCP FROMONT-BRIENS & Associés
[email protected]
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Il n'est pas contesté que « la prime à
valoir » ne résulte ni d'une convention
collective, ni d'un accord d'entreprise,
mais d'un usage générateur d'un
avantage acquis.
Sa dénonciation n'est, ainsi, pas
soumise aux règles de l'article L. 132-8
du code du travail et aucun accord de
substitution ne peut en modifier le
régime : il ne peut être dénoncé
qu'individuellement s'il entraîne la
remise en cause de cet avantage
acquis ».
Cour d'appel de Chambéry,
Chambre sociale,
22 novembre 2005,
SA Clinique D'Argonay c/ Alaimo
et autres
« Attendu, cependant, que lorsqu'un
accord collectif ayant le même objet
qu'un usage d'entreprise est conclu
entre l'employeur et une ou plusieurs
organisations
syndicales
représentatives dans l'entreprise, cet
accord a pour effet de mettre fin à cet
usage ;
D'où il suit qu'en statuant, comme il
l'a fait, alors qu'en l'absence de
disposition contraire de la convention
de branche applicable, l'accord
d'entreprise
qui
détermine
les
conditions de détermination du
complément de salaire remplaçant la
prime à valoir, compte tenu des
nouvelles rémunérations indiciaires, a
remplacé l'usage d'entreprise qui avait
le même objet, le Conseil de
prud'hommes a violé les textes
susvisés ».
Cour de Cassation,
Chambre sociale,
6 décembre 2005,
SA Clinique D'Argonay c/ Alaimo
et autres
Publication : Ordre des Avocats au Barreau de Lyon et Le Tout Lyon
Directeur de la Publication Adrien Charles DANA, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lyon
Président d’honneur du comité de rédaction : Gérard VENET, avocat Honoraire au Barreau de Lyon
Directeurs de la rédaction : Yves FROMONT, Pierre MASANOVIC, Avocats au Barreau de Lyon
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