Pages de jurisprudence sociale n°25
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URISPRUDENCE SOCIALE Publication du Barreau de Lyon - Mars 2007, n°25 SOMMAIRE A PROPOS DU CONTROLE PAR L’EMPLOYEUR DE LA MESSAGERIE PROFESSIONNELLE D’UN SALARIE Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13/10/05 Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 22/11/05 Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 11/01/06 Cinq ans après l’arrêt NIKON FRANCE (Cass. soc., 2 octobre 2001) posant le principe selon lequel l’employeur ne peut, sans violation de la liberté fondamentale que constitue l’intimité de la vie privée, prendre connaissance de messages personnels émis par un salarié ou reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ce même au cas où l’employeur aurait interdit l’utilisation non professionnelle dudit ordinateur, force est de constater que la jurisprudence demeure, en ce domaine, encore peu abondante. Par ailleurs, la publicité donnée à des interprétations erronées de cet arrêt a conduit au quotidien tant les employeurs que les salariés à avoir une vision erronée du droit en cette matière. Ainsi, de nombreux salariés ont déduit à tort de la jurisprudence de la Cour de cassation que le disque dur de leur ordinateur professionnel était un sanctuaire inviolable et que l’employeur ne pouvait prendre connaissance des messages échangés par l’intermédiaire de l’Intranet de l’entreprise. Or, comme l’a rappelé la CNIL dans le cadre du rapport BOUCHET, l’ordinateur est avant tout la propriété de l’entreprise, peu important le fait qu’il faille un code individualisé pour y accéder. Pour leur part, les DRH et les (Suite page 2)............................Christian BROCHARD Les outils issus des nouvelles technologies ont amplifié la porosité entre vie professionnelle et vie personnelle. Ils permettent tout à la fois la poursuite de l’empiétement du travail dans la sphère privée mais également du privé, voire de l’intime, au sein de l’entreprise et/ou pendant le temps de travail. L’ordinateur et les réseaux que l’entreprise met à la disposition des salariés créent des espaces virtuels permettant au salarié de travailler en dehors de l’entreprise mais aussi d’emporter une part de sa vie privée au travail et même de la laisser pendant son absence, dans l’environnement informatique professionnel. Cette dématérialisation, au moins partielle, vient bousculer les repères classiques et poser de nouvelles difficultés soumises aux juridictions : temps de travail, subordination, accident du travail, mesure des résultats. Pourtant en matière d’administration de la preuve, dans les trois arrêts commentés, tout comme dans la jurisprudence de la Cour de cassation, les juges semblent vouloir recourir à des solutions connues et rassurantes pour les juristes : principe du contradictoire, de loyauté et principe selon lequel le doute profite au salarié. I. Le nécessaire respect du contradictoire dans l’administration de la preuve. Dans son arrêt Nikon du 2 octobre 2001, la cour de cassation a interdit à (Suite page 2) ............................ Georges MEYER PROCÉDURE PRUD’HOMALE Déclaration d’appel - Destinataire Irrecevabilité CA Lyon, 28/06/05, CA Lyon, 30/11/05 MALADIE Contre-visite médicale patronale - Examen médical sommaire CPH Lyon, 15/04/05 DROIT DE RETRAIT DU SALARIÉ CA Lyon, 10/08/05 LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNEL Information du personnel du licenciement envisagé - Licenciement verbal (non) Licenciement vexatoire (oui) CA Lyon, 30/11/05 LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE Niveau d’appréciation des difficultés économiques CA Lyon, 14/03/06 LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE Mise en oeuvre des critères d’ordre CA Grenoble, 20/02/06 PRET DE MAIN D’OEUVRE Contrat de prestation de services et de sous-traitance en cascade CA Lyon, 17/01/06 DÉLÉGUÉS SYNDICAL Contestation de la désignation - Tribunal compétent territorialement TI Lyon, 09/05/05 CONVENTION COLLECTIVE Incidence de la mention de la convention collective sur le bulletin de paie C.A. Lyon, 13/09/05 RÉMUNÉRATION Dénonciation d’un usage - Effet de l’entrée en vigueur d’un accord collectif CA Chambéry, 22/11/05 Cass soc, 06/12/05 D É administrateurs réseaux sont tout particulièrement embarrassés quant à la procédure à suivre lorsque, suite à un incident informatique, il est découvert par hasard qu’un des collaborateurs de la société a transmis à un concurrent par mail des données confidentielles stratégiques. T La fixation de règles claires en la matière constitue par conséquent un enjeu essentiel, tout en étant simultanément un exercice difficile puisqu’il s’agit d’une zone de « friction » entre deux règles de valeur égale, à savoir le respect de la vie privée et le droit de propriété. Par un arrêt de principe du 17 mai 2005 (Klajer / Société Cathnet Science), la Cour de cassation a précisé sa position en posant pour règle que l’employeur ne peut consulter les fichiers personnels (et non plus les seuls mails) qu’un salarié stocke sur son ordinateur personnel qu’en sa présence ou celui-ci dûment appelé, sauf risque ou évènement particulier. C Dans les trois arrêts objet du présent débat contradictoire, la Cour d’appel de Lyon, faisant preuve d’une totale orthodoxie démontrée par la reprise systématique de l’attendu principal de l’arrêt Cathnet précité, s’est efforcé d’appliquer (avec plus ou moins de bonheur) le principe posé par la Cour de cassation. O I. L’employeur ne peut ouvrir les fichiers personnels d’un salarié contenus sur son disque dur qu’en sa présence ou celui-ci prévenu. N Dans l’arrêt du 13 octobre 2005, plusieurs salariés de la société intimée avaient été destinataires de messages pornographiques par l’Intranet de l’entreprise. Informé, l’employeur avait immédiatement procédé à une enquête au cours de laquelle il avait invité l’un des destinataires à lui laisser accéder au contenu de son disque dur. Le salarié avait alors donné son accord et le contrôle avait permis de mettre à jour la présence dans l’ordinateur de trois messages à caractère pornographique dont deux diffusés par le salarié, outre de nombreux logiciels personnels manifestement utilisés par celui-ci pendant son temps de travail. Dans l’arrêt du 11 juin 2006, l’employeur avait été informé par son administrateur réseau, à l’occasion d’une opération de maintenance, de la présence d’un message d’une taille inhabituelle, outre des pièces jointes volumineuses en provenance de la boîte aux lettres informatique d’une salariée et à destination d’une personne extérieure inconnue. L’employeur, sans en aviser sa collaboratrice, en avait alors pris connaissance et découvert qu’il s’agissait de documents confidentiels relatifs aux produits élaborés par la société. B A T R A D I C T O I R E Objectivement, le comportement de cette salariée apparaissait plus grave que celui du collaborateur mis en cause dans la première affaire. Or, la Cour d’appel de Lyon condamne fermement le second employeur qui n’avait pas invité sa collaboratrice à être présente lors de l’analyse de son disque dur et, par contre, valide la procédure suivie par le premier employeur qui avait recueilli l’accord de son salarié à l’opération de contrôle. A première vue, la position adoptée par la Cour d’appel est rigoureuse. Or, tel ne nous semble pas être le cas. En effet, dans l’arrêt du 11 janvier 2006, la Cour d’appel de Lyon a totalement négligé de démontrer que le mail l’employeur de prendre connaissance des courriels personnels de ses salariés, quand bien même il aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur qu’il met à leur disposition (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942). Au soutien de sa décision, rendue sur le triple fondement de l’article 8 de la CEDH (respect de la vie privée), de l’article 9 du Code civil (protection de la vie privée) et de l’article L. 120-2 du code du travail (proportionnalité de l’atteinte aux droits et libertés), la Cour a affirmé que le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée, même au temps et au lieu de travail, ce qui implique entre autre le secret des correspondances. Cela implique-t-il une sacralisation absolue d’un espace privé au sein du travail ? Non, a logiquement répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mai 2005, dont l’attendu de principe est repris par la Cour d’appel de Lyon dans les trois décisions commentées : sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition, qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé (Cass. soc. 17 mai 2005, Klajer). Cette solution n’est pas nouvelle : en 1991, la Cour de cassation exigeait loyauté et transparence de la part de l’employeur dans la mise en oeuvre des procédés de surveillance, en l’occurrence une caméra (Cass. soc., 20 novembre 1991, Neocel, n° 88-43.120). Et par une décision du 11 décembre 2001, elle n’autorisait la fouille des armoires individuelles hors la présence du salarié que dans le cas d’un risque ou d’un évènement particulier, prévu par le règlement intérieur (Cass. soc., 11 décembre 2001, n° 99-43.030). Une preuve obtenue en méconnaissance des règles précitées est nécessairement illicite et doit être écartée des débats (Cass. soc. 4 février 1998, RJS 4/98, n° 415 – s’agissant de l’intervention d’un détective privé). C’est ce que rappelle justement et avec fermeté la Cour d’appel de Lyon dans sa décision du 11 janvier 2006. Le contrôle effectué par l’employeur sur la messagerie de la salariée avait permis de découvrir un transfert d’informations jugées confidentielles vers un destinataire extérieur à l’entreprise. La salariée avait reconnu ce transfert mais contestait la nature confidentielle desdites informations. Pourtant, la Cour d’appel n’entre pas dans ce débat et, reprenant l’attendu dégagé par la Cour de cassation dans l’arrêt Klajer, juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que l’employeur ne justifiait d’aucun risque ou évènement particulier l’autorisant à prendre connaissance de sa messagerie. Une telle décision doit être approuvée. Il faut noter que, ni l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 2005, ni les arrêts de la Cour d’appel commentés, ne font référence au règlement intérieur pour le contrôle des outils informatiques, mais la question n’a peut-être pas été posée dans le débat. La question de l’intervention des représentants du personnel n’est pourtant pas neutre puisqu’aux termes de l’article L.432-2-1, le comité d’entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. Et, en l’absence de déclaration préalable, la mise en oeuvre d’un traitement automatisé d’information Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 2 adressé pouvait être considéré comme une correspondance personnelle du salarié et protégé à ce titre. De même, la Cour n’a pas précisé si le mail avait été adressé à partir d’une adresse mail personnelle du salarié et n’a même pas tenu compte du fait que la découverte du fait délictueux avait eu lieu non pas lors de la consultation du disque dur du salarié mais manifestement lors de l’analyse du serveur de l’entreprise. Or, il semble logique de considérer qu’à défaut de mention expresse telle que « personnel et confidentiel », un message adressé à partir d’une boîte professionnelle doit être présumé comme étant professionnel et par conséquent, peut être ouvert par l’employeur en l’absence du salarié dès lors que les arrêts NIKON et CATHNET ne visent que les messages clairement identifiés comme personnels. De même, le débat instauré dans le cadre de l’arrêt du 13 octobre 2005 nous semble totalement superfétatoire dès lors que le fichier ouvert dans le répertoire au nom de D. ne permettait pas d’en déduire qu’il s’agissait d’un fichier personnel au salarié, ce qui implique qu’à notre sens, l’employeur pouvait y accéder librement. En conclusion, il appartient au salarié qui entend profiter confidentiellement de l’outil informatique mis à sa disposition de prendre la précaution de nommer les fichiers qu’il entend soustraire au contrôle de son employeur, de telle manière que leur caractère personnel soit évident. II. L’exception de risque ou évènement particulier Par cette formule quelque peu imprécise, la Cour de cassation a décidé de limiter dans certains cas le caractère contradictoire de la procédure. La Cour d’appel de Lyon suit la Juridiction Suprême sur ce point, comme le confirme l’arrêt du 22 novembre 2005. Dans cette affaire, la mise en place, sur le réseau de l’entreprise, d’un logiciel « piraté » avait abouti, par saturation de la bande passante, au blocage total du système informatique de l’entreprise. La Cour ne censure pas l’attitude de l’employeur qui a procédé à des vérifications au niveau du serveur puis au contrôle du disque dur de l’un des salariés sans son accord et hors sa présence. Certes, la Juridiction constate que l’analyse du microordinateur s’est déroulée sans respect du contradictoire mais n’en tire de conséquence que par rapport à la demande d’expertise du disque dur formée par l’employeur. Elle considère donc implicitement mais nécessairement que lorsqu’une panne importante survient, l’employeur peut intervenir de manière non contradictoire, y compris pour explorer des fichiers nécessairement personnels du salarié. Un tel principe nous semble devoir être validé. Par contre, il nous semble que cette exception aurait dû être retenue par la Cour dans l’arrêt du 11 janvier 2006. Comme l’a précisée la Juridiction, le responsable réseau au cours d’une opération de maintenance, avait découvert un fichier d’une taille anormale. A notre sens, ce fait constituait un « évènement p a r t i c u l i er » au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation susceptible d’autoriser l’employeur à agir de manière non contradictoire. Or, la Cour a totalement éludé ce débat pourtant essentiel. Sur le plan pratique, les entreprises seraient par conséquent avisées de « plafonner », dans leur charte informatique, la taille des fichiers pouvant être transférés ou joints à un mail personnel. nominative sera considérée comme étant fautive (Cass. soc. 7 juin 1995, pourvoi n° 91-44.919 et 91-44.921). Il nous paraît important de déterminer selon quelles modalités l’accord du salarié est obtenu et comment sont opérées les vérifications (en présence de tiers par exemple). Car, comme le précise la Cour d’appel dans son arrêt du 13 octobre 2005, l’accord du salarié sur l’accès aux données de son ordinateur valide les constatations faites par l’employeur en sa présence. Le règlement intérieur et/ou une charte informatique, soumis à la consultation des représentants du personnel ou à la négociation collective, nous paraissent être des outils indispensables de transparence. II. La dérogation au respect du contradictoire. La Cour de cassation n’a pas précisé ce qu’il fallait entendre par risque ou évènement particulier permettant à l’employeur de se dispenser de la présence du salarié. Compte tenu de la valeur constitutionnelle des droits en cause, il nous semble qu’il faille retenir une appréciation restrictive de ces notions, sur le fondement de l’article L. 120-2 du code du travail (s’agissant du contrôle des sacs personnels au sein de la chaîne de télévision M6, l’existence d’un risque d’attentats a été jugé légitime ; Cass. soc. 3 avril 2001, n° 98-45.818). Et, il appartient à l’employeur de justifier de la nécessité dans laquelle il s’est trouvé. Les décisions ici commentées n’ont abordé ce point, que de manière incidente. Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 novembre 2005, l’ordinateur d’un salarié est identifié comme étant à l’origine d’une saturation du réseau informatique de l’entreprise ; il est analysé par le service informatique qui y découvre des logiciels interdits. Ceuxci auraient été à l’origine des dysfonctionnements. On regrette que le débat n’ait pas porté sur la question de savoir si la saturation du réseau constituait la circonstance exceptionnelle requise par la jurisprudence précitée. Il nous semble en effet que de simples perturbations du réseau ne sont pas des circonstances permettant une atteinte à un droit reconnu par les textes fondamentaux. A fortiori s’agissant d’une simple opération de maintenance. Le risque particulier doit revêtir un caractère exceptionnel, nécessitant une intervention urgente. A cet égard, la CNIL considère que l’accès aux données de nature personnelle ne peut être justifié que dans le cas où « le bon fonctionnement des systèmes informatiques ne pourrait être assuré par d’autres moyens moins intrusifs ». L’arrêt de la Cour d’appel du 22 novembre 2005 présente cependant un autre intérêt qui concerne la fiabilité de la preuve obtenue par l’employeur sans respect du principe du contradictoire. La Cour d’appel confirme le jugement ayant déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que l’analyse de l’ordinateur s’était fait sans respecter le principe du contradictoire et que le matériel n’avait pas été analysé dans des conditions telles que les résultats pouvaient être considérés comme incontestables. Le doute devait, très logiquement, profiter au salarié. Il nous semble essentiel de déterminer la finalité des contrôles que l’employeur peut opérer sur l’ordinateur du salarié (messageries et fichiers personnels), en sa présence ou non. D É B A T C O N T R A D I C T O I R E Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 3 D É C I S I O N S Si une telle limite est dépassée par un utilisateur, il nous semble logique de considérer qu’il s’agit alors incontestablement d’un « évènement particulier » rendant licite un contrôle non contradictoire. Celle-ci devrait être limitée à la prévention d’un risque grave pour l’entreprise (atteinte à la sécurité du réseau, piratage, protection des autres salariés contre la commission d’actes illicites). En tout cas, il convient d’espérer que la Cour de cassation adoptera une définition de son exception suffisamment large pour permettre aux entreprises d’éviter, en un trait de temps, la perte irrémédiable de données qui constituent bien souvent l’essentiel de leur richesse. A cet égard, il convient de porter un regard circonspect sur l’arrêt du 13 octobre 2005. La Cour d’appel valide le licenciement du salarié en raison de l’utilisation privative et abusive de son ordinateur professionnel pendant son temps de travail, cette utilisation excédait manifestement le temps de pause dont il disposait quotidiennement. Il est vrai que dans cette espèce, le salarié avait donné son accord. En conclusion, les principes posés par la Cour de cassation semblent équilibrés puisqu’ils permettent à l’employeur d’assurer un niveau de sécurité suffisant de son installation informatique, tout en protégeant un espace privé pour le salarié, à charge pour lui de le délimiter avec précision. Il appartient aux Juridictions du fond de maintenir cet équilibre en abordant les dossiers sans privilégier systématiquement le respect de la vie privée, le droit de propriété ayant également valeur constitutionnelle. Rappelons également que le fait, pour un employeur, de respecter la procédure est malheureusement insuffisant pour lui assurer un plein succès prud’homal. En effet, il lui appartient également de démontrer que le salarié est bien l’auteur du message incriminé ou celui qui a installé le logiciel sur son ordinateur. Or, une telle preuve est bien évidemment très difficile, sauf lorsque l’accès de l’ordinateur nécessite l’usage d’un code personnel et confidentiel. A défaut, l’employeur s’expose à se voir opposer le principe selon lequel le doute bénéficie au salarié. On souhaiterait la même sévérité des juges dans les débats portant sur les heures supplémentaires lorsque les fichiers ont été créés ou modifiés hors du temps de travail ou des messages envoyés du domicile du salarié le dimanche soir… En conclusions, dès lors qu’une interdiction générale et absolue de toute utilisation des outils informatiques à titre non professionnel ne paraît pas réaliste, il convient d’assurer la préservation d’un espace privé au sein de l’entreprise. La « portabilité » de l’outil de travail est un avantage auquel peu d’entreprises souhaitent renoncer. Il n’est cependant pas concevable de soustraire cette bulle privative à tout contrôle. La référence dans la jurisprudence à des solutions classiques et aux outils fondamentaux est plutôt rassurante et doit être approuvée. Note : on consultera avec intérêt le « guide pratique pour les employeurs » (mais pratique aussi si l’on n’est pas employeur…) établi par la CNIL et accessible sur le site www.cnil.fr Georges MEYER Christian BROCHARD C O M M E N T É E S Avocat au barreau de Lyon. Avocat au barreau de Lyon. PRINCIPAUX ATTENDUS …Attendu que sauf risque ou évènement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mais à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé… (Cour d’appel de Lyon, 13/10/05, 22/11/05 et 11/01/06) …Que Monsieur A. a accepté d’ouvrir son ordinateur et qu’il a constaté la présence sur le disque dur de celui-ci de trois mémos à caractère pornographique dont deux avaient été renvoyés par ses soins à d’autres personnes ainsi que de nombreux fichiers non professionnels dans un répertoire dénommé D.… …Attendu qu’ainsi, l’accord du salarié sur l’accès aux données de son ordinateur valide les constatations de fichiers non professionnels sur le disque dur de l’ordinateur effectuées en sa présence… (Cour d’appel de Lyon 13/10/05) …La Cour relève en premier lieu que l’analyse du micro-ordinateur incriminé s’est fait sans aucun respect du contradictoire, que le matériel n’a pas été analysé, ni conservé dans des conditions telles que les résultats pourraient être considérés comme incontestables, et que c’est à juste titre que le premier juge a estimé qu’une expertise dans ces conditions était sans objet… …L’imputabilité à Monsieur B de l’installation sur son microordinateur de logiciels non autorisés ou piratés à l’origine des pannes informatiques survenues dans la société, la Cour confirme le jugement entrepris … (Cour d’appel de Lyon 22/11/05) …Qu’il résulte, en l’espèce, du témoignage et des copies d’écran produits par la société X que l’employeur a été informé par l’administrateur réseau de Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 4 l’entreprise, à l’occasion d’une opération de maintenance du système de messagerie, de la présence d’un message de très grande taille avec des pièces jointes en provenance de la boîte aux lettres de Madame C, à destination d’une adresse externe et qu’il a pris connaissance du contenu de ce message ainsi que d’autres messages émis par la salariée sans en aviser préalablement l’intéressée ; qu’aucun risque ou évènement particulier ne justifiait l’ouverture de cette correspondance à caractère personnel de la salariée et que la société X ne peut s’en prévaloir à titre de preuve de la violation par la salariée de ses obligations contractuelles ; qu’en conséquence, le licenciement de Madame C n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse… Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13/10/05 Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 22/11/05 Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 11/01/06 D PROCEDURE PRUD’HOMALE Appel - Déclaration d’appel – Destinataire Secrétariat-greffe – Irrecevabilité É Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 28 juin 2005 Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 30 novembre 2005 EXPOSE DES FAITS Les deux espèces sont similaires. Dans la première, l’appelant avait adressé la déclaration d’appel au Conseil de prud’hommes à l’attention du Président du bureau de jugement et dans la seconde à Messieurs les Conseillers. Nulle part, il n’était fait mention du secrétariat-greffe. Les appels ont été déclarés irrecevables. OBSERVATIONS Dura lex, sed lex. En déclarant irrecevables des appels formés par le biais d’une déclaration qui n’était pas destinée directement au secrétariat de la juridiction, la Chambre sociale de la Cour d’appel de Lyon a rappelé la nécessité du strict respect des règles de procédure et toute l’importance qu’elle y attachait. Attachement confirmé par le fait que dans l’une des espèces, la Cour avait soulevé d’office le moyen. Aux termes de l’article R. 517-7 du code du travail dans sa rédaction antérieure au décret du 20 août 2004, l’appel est formé par une déclaration faite au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision. Dans l’une des espèces soumises à la Cour, la déclaration d’appel avait été adressée au Conseil de prud’hommes mais à l’attention de Monsieur le Président tandis que dans l’autre le courrier était destiné à Messieurs les Conseillers. Retenant que nulle part, il n’était fait mention du secrétariat-greffe, la Cour a déclaré les appels irrecevables. En exigeant que la déclaration d’appel vise expressément le secrétariat-greffe, la Cour d’appel fait une interprétation pour le moins restrictive des dispositions de l’article R. 517-7 et certains mauvais esprits ne manqueront pas de voir dans ces décisions un moyen facile d’alléger le rôle encombré de la Cour. Mais pour autant ces décisions sontelles critiquables ? Nous ne le pensons pas. D’aucuns au nom de la sacro-sainte équité ne manqueront pas d’être choqués par leur sévérité alors que la volonté des intéressés quant à interjeter appel était sans équivoque. C dehors de toute nullité non alléguée de cet acte, était irrecevable (Cour d’appel de Montpellier, 30 avril 1992, Cahiers Prud’homaux, n°9 de 1992, jurisprudence p. 161). Cette exigence concernant le destinataire de la déclaration d’appel se retrouve d’une manière générale dans l’ensemble des formes de l’appel et leur non respect entraîne l’irrecevabilité de celui-ci. C’est ainsi que les juridictions du second degré sont très attentives à la validité du pouvoir dont dispose celui qui a formé la déclaration d’appel lorsque ce dernier n’est pas avocat. De même en ce qui concerne l’identification du signataire de la déclaration d’appel, bon nombre de déclarations d’appel établies sur un papier en-tête d’avocat, ont été déclarées irrecevables au motif que la signature était faite « pour ordre ». Rappelons simplement qu’avec les notifications de jugement sont mentionnés les voies de recours et les textes les régissant. Pour mémoire ajoutons enfin que la nouvelle rédaction de l’article R. 517-7 depuis le décret du 20 août 2004 ne modifie en rien la portée des décisions commentées. Mais surtout le propre des règles de procédure qui sont les garanties du bon déroulement du procès est d’être par essence même, d’application stricte. Au lieu d’être formé au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision, l’appel est adressé au Greffe de la Cour. L’exigence reste la même. La position de la Cour d’appel de Lyon n’est pas isolée en la matière. Déjà en 1992, la Cour d’appel de Montpellier avait jugé qu’un appel formé auprès d’un service non prévu à l’article R. 517-7 du code du travail équivalait à une absence d’acte et en Michel PAGNON Avocat honoraire [email protected] I S I O N S C O M M E N T PRINCIPAUX ATTENDUS « Attendu qu’aux termes de l’article R. 517-7 alinéa 2 du Code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, l’appel est formé par une déclaration de la partie ou tout mandataire fait ou adressé par pli recommandé au secrétariat de la juridiction qui a rendu le jugement. …. Que nulle part dans ce courrier, ni sur l’avis de réception, il n’est fait mention du secrétariat du Conseil de prud’hommes .» Cour d’appel,Chambre sociale, 28 juin 2005, Bruere/SA Finadec Cour d’appel,Chambre sociale, 30 novembre 2005, Mihoub c/ Sodexo Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 5 É E S D MALADIE É Contre-visite médicale patronale - Examen Médical sommaire C Conseil de prud’hommes de Lyon, 15 avril 2005 EXPOSE DES FAITS OBSERVATIONS I Messieurs J. et V. ont été arrêtés pour maladie du 23 avril 2002 au 3 mai 2002. S Leur employeur, la société M., a fait procéder à une contre-visite médicale patronale par la Société S. qui a mandaté le Docteur C. le 30 avril 2002. L’employeur peut diligenter une contrevisite médicale s’il maintient tout ou partie du salaire pendant la période de maladie, et ce en application de : - la loi du 19 janvier 1978 (loi sur la mensualisation) ; - la convention collective si ce texte prévoit expressément une telle contrevisite. I O N S C O M M E N T É E S Ce dernier a conclu que les arrêts de travail n'étaient plus médicalement justifiés ce qui a conduit la société M. à suspendre le versement des indemnités complémentaires de maladie. Messieurs J. et V. ont saisi le Conseil de prud'hommes aux fins d'entendre condamner leur employeur à leur payer les indemnités complémentaires de salaire dont le versement avait été suspendu et des dommages et intérêts pour préjudice moral. Ils ont prétendu que leur employeur ne pouvait se prévaloir de la contre-visite et ont versé aux débats une décision rendue le 18 janvier 2003 par le Conseil Régional de l'Ordre des Médecins qui, sur plainte des salariés, a prononcé à l'encontre du Docteur C. une peine disciplinaire d'interdiction d'exercer la médecine pendant 3 ans dont 2 années assorties d'un sursis en raison, semble t-il, du fait que le médecin contrôleur aurait procédé à un examen médical sommaire contraire au respect du Code de Déontologie, et à l’esprit et à l’art de la médecine. Suite à un appel interjeté par le Docteur C., le 22 octobre 2003 le Conseil National de l'Ordre des Médecins a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la plainte de Messieurs J. et V., les faits étant couverts par la loi d'amnistie du 6 août 2002. Le Conseil des prud’hommes, présidé par le juge départiteur, a jugé que l’employeur était fondé à se prévaloir des conclusions du Docteur C. aux motifs principalement que la décision du Conseil National de l'Ordre des Médecins prise au visa de la loi d'amnistie du 6 août 2002 avait pour conséquence de tenir pour avéré que les faits imputés au Docteur C. ne constituaient pas des manquements à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs. Le Conseil des prud’hommes a également rejeté la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, les salariés ne démontrant aucune faute personnelle de leur employeur. L’employeur a le libre choix du médecin qu’il mandate. En pratique l’employeur s’adresse généralement à des organismes spécialisés. Le salarié n'a pas à être prévenu de cette contre-visite. Il ne peut exiger la présence de son médecin traitant ou celle du médecin de la sécurité sociale. Le salarié ne peut refuser de se soumettre à une contre-visite sans commettre un manquement qui le prive du bénéfice des indemnités complémentaires de maladie (Cass. soc., 17 déc. 1986, n° 84-43.458, Bull. civ. V, n° 604). Toutefois, un salarié peut refuser au médecin contrôleur la pratique d'un examen clinique douloureux et lui proposer de consulter son dossier médical (Cass. soc., 13 fév. 1996, n° 9240.713, Bull. civ. V, n° 51). A également un motif légitime de refuser de se soumettre à la contre-visite médicale, la salariée qui bénéficie à cette date d'un avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail (Cass. soc., 10 fév. 1998, n° 95-41.600, Bull. civ. V, n° 74). Le salarié perd également le bénéfice des indemnités complémentaires si, absent de son domicile sans motif légitime, il n'a pu se soumettre à la contre-visite. (Cass. soc., 27 avril. 1983 ,n° 81-40.387, Bull. civ. V, n° 209). Toutefois, une Cour d'appel ayant constaté que le médecin contrôleur n'avait pu entrer en contact avec le salarié en raison de la défaillance de l'interphone de ce dernier a justement décidé que le salarié, qui n'avait commis aucune négligence, pouvait prétendre au rétablissement des allocations de maladie (Cass. soc., 7 avril 1999, n° 1639 D, Ratp/Vernevaux). En conséquence, les immeubles équipés de digicode risquent certainement de poser quelques difficultés. L'impossibilité d'exercer la contre-visite médicale du fait du salarié ne peut être Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 6 considérée comme un comportement fautif de nature à justifier une sanction disciplinaire et/ou un licenciement. La sanction de la contre-visite ne consiste qu'en la suppression partielle ou totale de l'indemnisation du salarié en arrêt de travail pour maladie. (Cass. soc., 27 juin 2000, n° 3040, Bull. civ. V, n° 249). Le salarié privé des indemnités complémentaires pour l'avenir, peut décider, soit de reprendre son travail, soit de s'en tenir aux prescriptions de son médecin traitant et refuser de réintégrer son poste. En cas de prolongation d'arrêt de travail par le médecin traitant, postérieurement à une contre-visite médicale patronale, le salarié est rétabli dans son droit à indemnités complémentaires. Il incombe à l'employeur, s'il lui conteste ce droit, de faire procéder à un nouveau contrôle médical (Cass. soc., 5 mars 1997, n° 94-44.902, 94-44.903, Bull. civ. V, n° 93). La contre-visite médicale de l’employeur ne doit pas être confondue avec le contrôle opéré par les caisses de sécurité sociale. Depuis la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 (art 42) lorsque le médecin contrôleur de l'employeur conclut à l'absence de justification d'un arrêt de travail pour maladie, il doit transmettre son avis au service médical du contrôle médical de la caisse de sécurité sociale. Si ce service conclut également, au vu de cet avis, à l'absence de justification de l'arrêt de travail, la caisse suspend le versement des indemnités journalières (art. L. 315-1 2e du code de la sécurité sociale ; circulaire CNAM n° 111/2004 du 21 septembre 2004). La question de la compatibilité de l’exercice de la contre-visite médicale patronale avec les dispositions du code de déontologie médicale a posé des difficultés. A été invoquée la violation du principe général du libre choix du praticien, mais le Conseil constitutionnel n'a pas retenu l'argument. A été mis également en avant la violation du secret médical, mais le médecin contrôleur, comme tout médecin, est astreint au secret médical. L'avis qu'il transmet à l'employeur ne renferme aucune indication relative à la maladie du salarié. Son but est seulement d'apprécier la réalité ou non de l'aptitude à travailler du salarié (TGI Lille, 28 novembre 1974, D. 1975, jurisprudence p. 301 ; Dr ouvrier 1975, p. 54). L’idée que la contre-visite constituerait une immixtion condamnable dans les choix thérapeutiques effectués par le médecin traitant n’a pas plus été retenue. Le médecin contrôleur établit uniquement un diagnostic dont il tire les conséquences du point de vue de l’arrêt de travail qu’il juge fondé ou pas, étant précisé que le médecin contrôleur n’a pas accès au dossier médical du patient. Le salarié qui conteste l'avis du médecin contrôleur devra s'adresser aux tribunaux afin de prouver le bien fondé de l'arrêt de travail prescrit par le médecin traitant par le biais de l'expertise judiciaire, au besoin en ayant recours à la procédure de référé (Cass. soc., Oct. 1982, JCP CI 1983, I 11716, n° 11). Toutefois, le terme de l'arrêt de travail sera bien souvent échu avant l'achèvement de la procédure judiciaire. Le présent jugement est intéressant car il examine une situation assez rare, à savoir le cas où un salarié a porté plainte à l’Ordre des médecins à l’encontre du médecin contrôleur mandaté par l'employeur. Il est difficile toutefois d’en apprécier toute la portée en l’absence des éléments de fait en notre possession. On peut noter la gravité de la sanction prise par le Conseil Régional de l’Ordre des Médecins concernant une visite médicale qui aurait été sommaire. En dehors de la particularité liée à l’application, en l’espèce, de la loi d’amnistie du 6 août 2002 qui s’applique sauf si les fautes en cause sont contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes moeurs, ce jugement permet toutefois de conclure que : - une sanction disciplinaire prise à l’encontre du médecin contrôleur par le Conseil de l’Ordre empêche l’employeur de se prévaloir de la contrevisite en cause, - en l’absence de faute personnelle, l’employeur ne peut être tenu pour responsable à l’égard des salariés, des agissements du médecin qu’il a mandaté pour effectuer la contre-visite. Reste à savoir ce qu'il faut entendre par "visite médicale sommaire" dans le cadre d'une contre-visite médicale patronale. D PRINCIPAUX ATTENDUS É « … Le salarié a contesté l’avis du Médecin Contrôleur et a saisi le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins du RHÔNE qui, le 18 Janvier 2003, a prononcé à l’encontre du Docteur C. une peine disciplinaire d’interdiction temporaire d’exercer la médecine. C Sur appel du Docteur C., la section disciplinaire du Conseil National de l’Ordre des Médecins a, par décision définitive du 22 Octobre 2003 jugé que « les faits étaient couverts par l’amnistie (…), la décision du 18 Janvier 2003 est annulée et les plaintes de Messieurs J. et V. sont rejetées »… S «… Cette décision, prise au visa de l’article 11 de la loi d’amnistie du 6 Août 2002, a pour conséquence de tenir pour avérés que les faits imputés au Docteur C. par Messieurs J. et V. ne constituent pas des manquements à l’honneur, à la probité ou aux bonnes m?urs. Dès lors, même si Messieurs J. et V. ont pu reprocher au médecin contrôleur de s’être borné à un examen médical sommaire, cet examen ne présente pas le caractère d’une faute passible d’une sanction disciplinaire et les conclusions tirées de l’examen par le Docteur C. ne sont pas remises en cause… … La Société M. est donc fondée à se prévaloir des conclusions de la société S. qui, en suite de la contre visite faite par le Docteur C., l’informe du caractère non justifié de l’arrêt de travail délivré au salarié par son médecin traitant… ». Véronique MASSOTPELLET Avocat au barreau de Lyon [email protected] CPH de Lyon, 15 avril 2005 Vial c/ SA Moteurs Leroy Somer I I O N S C O DROIT DE RETRAIT DU SALARIE M Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 10 août 2005 M EXPOSE DES FAITS Monsieur J., magasinier, est licencié pour faute grave au motif du refus réitéré opposé à son responsable de réaliser le déchargement d’un camion. Il invoque pour contester cette rupture les dispositions des articles L. 231-8 et suivants du code du travail qui autorisent un salarié à se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave pour sa vie ou sa santé et qui interdisent toutes sanctions à son égard du fait de ce retrait. La Cour considère que ce dernier ne justifiant nullement son retrait de la situation de travail, a par son refus réitéré sans motif valable d’exécuter l’ordre de déchargement, commis une faute grave de nature à rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle même pendant la durée limitée du préavis. OBSERVATIONS L’obligation pour le salarié d’exécuter les tâches qui lui sont confiées ne doit pas constituer une restriction à la mise en oeuvre de la prévention des risques professionnels, et l’affirmation expresse d’un droit de retrait d’une situation que ce dernier est raisonnablement en mesure de penser qu’elle présente un danger grave et imminent favorise une meilleure prévention. Cette décision permet de rappeler qu’en cas de contestation, l’appréciation de l’exercice de ce droit de retrait relève du pouvoir souverain des Juges du fond. C’est ainsi que la Cour procède à l’analyse des témoignages versés aux débats, tant par le salarié que l’employeur, pour considérer que le salarié n’était pas en l’espèce justifié à se prévaloir d’une situation de danger pour refuser d’exécuter l’ordre de déchargement donné. La Cour souligne notamment la spécificité de l’appareil de levage mis à disposition pour réaliser la tâche demandée et permettant de sécuriser l’opération de manutention (mat du chariot élévateur protégeant des chutes de cartons). Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 7 E N T É E S D É C I S I O N S L’analyse de la Cour demeure néanmoins surprenante à deux titres : -D’une part parce qu’elle conclut, du fait même de l’appareil de manutention mis à disposition, à l’absence de danger grave imminent inhérent à l’opération de déchargement, soit à l’absence d’un réel danger, - D’autre part, en relevant que le salarié n’a à aucun moment motivé son refus par un danger potentiel, soit induit la nécessité pour l’intéressé de signaler à l’employeur la situation de travail qu’il estime dangereuse. En effet, l’exercice du droit de retrait fixé aux articles L. 231-8 et suivants du code du travail a pour spécificité de ne pas requérir l’existence d’une situation objective de danger grave et imminent, mais est justifié dès que le salarié concerné a un motif raisonnable de penser que la situation présente un danger grave et imminent. Constater l’absence d’un danger réellement grave et imminent ne devrait donc pas suffire à dénier un exercice légitime du droit de retrait. Le salarié disposant d’un droit à l’erreur, l’appréciation de la situation de travail, et donc de la légitimité ou non de l’exercice du droit de retrait, doit l’être également eu égard à son expérience, sa qualification, son âge, voire sa santé. De même, considérer que le salarié ne peut légitimement exercer son droit de retrait s’il n’a pas signalé à son employeur l’existence du danger revient à considérer l’alerte comme une condition d’exercice du droit de retrait, et non plus seulement comme un droit. Or la combinaison des dispositions législatives (articles L. 231-8 et L. 2318-1 du code du travail) ne fait pas clairement apparaître si l’exercice du droit de retrait doit être obligatoirement accompagné d’un signalement. Reste que le salarié semble bien évidemment avoir intérêt à informer de l’existence de ce danger, non PRINCIPAUX ATTENDUS C O M M E N T É E S « Qu’il y a lieu d’abord de constater qu’à aucun moment, le 11 avril 2002, Monsieur J. n’a motivé son refus de décharger le camion par un danger potentiel inhérent à ce déchargement, ayant seulement fait valoir qu’il n’avait pas à supporter les inconvénients d’un mauvais chargement d’origine ; seulement pour éviter que l’employeur puisse le cas échéant lui faire reproche de l’absence de signalement en soi, mais plus encore de façon à ce que sa responsabilité ne puisse être engagée si un accident de travail touchant un autre salarié survenait. Néanmoins, en l’espèce il peut être relevé que l’énoncé de la lettre de licenciement, repris aux termes de la décision, ne portait nullement grief de l’absence de signalement, lequel ne constituait dès lors pas en soi un motif de rupture. Il n’est pas vain d’observer les éventuelles conséquences pouvant résulter d’une appréciation rigoureuse, l’exercice du droit de retrait devant permettre d’assurer en pratique une collaboration efficace du salarié à la mise en oeuvre de la prévention des risques professionnels. Laurence SEGURA-LLORENS Avocat au barreau de Lyon [email protected] Qu’en second lieu, il résulte des témoignages concordants produits par l’employeur que l’opération des déchargements ne présentait pas de danger grave imminent compte tenu du type de chariot élévateur utilisé pour l’intervention ; Que par ailleurs le prétendu risque lié à la présence de liquide sur le sol du camion n’est pas avéré ; Que dans ces conditions, Monsieur J. ne saurait justifier son retrait de la situation de travail en cause ; » Que ses explications sont restées les mêmes lors de l’entretien préalable au licenciement ainsi que le relate le chef d’entreprise dans une attestation également versée aux débats ; Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 10 août 2005 SNC HIMM c/ Jourdan LICENCIEMENT POUR MOTIF PERSONNEL Information du personnel du licenciement envisagé – Licenciement verbal (non) – Cause réelle et sérieuse (oui) – Licenciement vexatoire (oui) Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 30 novembre 2005 EXPOSE DES FAITS Un salarié, employé en qualité de comptable / responsable – statut cadre – est convoqué à un entretien préalable à son licenciement disciplinaire envisagé pour des fautes professionnelles. Après l’entretien préalable, mais avant la notification du licenciement, l’employeur, par courriers électroniques, a informé l’ensemble du personnel qu’il mettait un terme au contrat de travail de l’intéressé en précisant, sans le détailler, le motif de sa décision. Après lui avoir finalement proposé une rétrogradation disciplinaire à un poste d’employé administratif, laquelle a cependant été refusée, l’employeur a licencié le salarié pour fautes professionnelles, moyennant paiement des indemnités de rupture. Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 8 Le salarié a alors saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon d’une demande tendant à voir l’employeur condamné à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, excipant notamment, au soutien de sa contestation du caractère réel et sérieux du licenciement, d’un licenciement « …v e r b a l…» résultant de l’information faite au personnel avant notification de la rupture. Par arrêt du 30 novembre 2005, pour l’essentiel confirmatif, la Cour d’appel de Lyon a jugé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais condamné l’employeur à payer au salarié une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, notamment aux motifs suivants : « …Attendu que les courriers électroniques adressés à l’ensemble du personnel les 28 août et 9 septembre 2002 ne constituaient pas la notification individuelle à F… d’une décision irrévocable de rompre son contrat de travail ; qu’en effet, quatre jours seulement après le premier de ces courriers, A… a adressé à F… une proposition de modification disciplinaire de son contrat de travail, démontrant qu’il existait une alternative à la rupture ; que le moyen pris d’un licenciement non motivé, antérieur à la lettre du 17 septembre 2002 est donc inopérant ; […] Attendu que le fait de porter à la connaissance du personnel, sans motif légitime, les agissements d’un salarié nommément désigné, constitue une atteinte à la dignité de celui-ci, de nature à lui causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi ; qu’il en est ainsi en l’espèce, des deux courriers électroniques adressés à l’ensemble du personnel avant la notification de son licenciement à F… ; qu’en revanche, il y a lieu de tenir compte de ce que les informations divulguées par A… étaient exactes et le licenciement justifié pour réduire le montant des dommages et intérêts alloués à F… par le Conseil de prud’hommes, excessif au regard du préjudice moral effectivement causé au salarié ; qu’une indemnité de 10.000 euros sera allouée à ce dernier… ». OBSERVATIONS L’arrêt ainsi rendu est l’occasion de rappeler la ligne jurisprudentielle dans le cadre de laquelle, d’ailleurs, il s’inscrit. I – Informer le personnel du licenciement d’un salarié ne vaut pas rupture verbale du contrat de travail de l’intéressé… 1° - La consommation de la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, suppose que ce dernier notifie sa décision à l’intéressé. Les dispositions combinées des articles L. 122-14-1 et L. 122-14-2 du code du travail imposent à cet effet à l’employeur, on le rappellera, d’expédier au salarié une lettre motivée par voie recommandée avec avis de réception. Le salarié peut donc se considérer licencié, légitimement ou pas mais en tout cas définitivement, lorsque l’employeur porte à sa connaissance que son contrat de travail est rompu. 2° - On peut s’interroger, ce faisant, sur les effets sur le contrat de travail de l’intéressé de l’information de tiers, en l’espèce du personnel, du licenciement décidé. Le salarié a en effet tout intérêt, dans le cadre de sa contestation judiciaire a posteriori, à soutenir qu’une telle information vaut rupture verbale de son contrat de travail et, partant, licenciement sans cause réelle et sérieuse. Au demeurant, l’information du personnel du licenciement décidé ne caractérise factuellement pas, au fond, que l’employeur ait porté à la connaissance du salarié sa décision de le licencier. Juridiquement, on pourra ici se reporter à un précédent jurisprudentiel selon lequel un courrier électronique informant des collaborateurs d’un licenciement « … ne saurait être la notification du licenciement étant relevé d’une part qu’il ne se prononce pas sur l’initiative de la rupture, d’autre part qu’il n’émane pas d’une autorité ayant compétence pour prononcer un licenciement… » (Cour d’appel de Paris, 15 janvier 2004, RJS 3/04, n° 299). Bref, on approuvera, en l’espèce, la Cour d’appel de Lyon d’avoir rejeté le moyen du salarié tendant à analyser l’information donnée au personnel de son licenciement comme une rupture verbale de son contrat de travail. II - … Mais peut en revanche justifier l’allocation de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire. circonstances vexatoires ou brutales d’un licenciement, nonobstant sa légitimité ou son illégitimité en termes de cause réelle et sérieuse ou de faute grave, sont justifiables de dommages et intérêts, souverainement fixés par les juges du fond, réparant un préjudice moral distinct de celui résultant de la perte de l’emploi (Cass. soc. 24 février 1988, n° 664 D ; Cass. soc. 17 juillet 1996, n° 3507, Bull. Civ. V, n° 290 ; Cass. soc. 9 juillet 2000, RJS 11/00, n° 1073 ; Cass. soc. 27 novembre 2001, RJS 2/02, n° 153). La Cour de cassation a précisément jugé, au visa de l’article 9 du code civil relatif au droit au respect de la vie privée et de l’article L. 120-2 du code du travail relatif aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, que « …le fait de porter à la connaissance du personnel, sans motif légitime, les agissements d’un salarié nommément désigné, constitue une atteinte à la dignité de celui-ci de nature à lui causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi… » (Cass. soc., 25 février 2003, n° 507 FS-PB, RJS 5/03 n° 581). 2° - Les principes jurisprudentiels ainsi rappelés commandaient, dès lors, la solution en l’espèce dégagée par la Cour d’appel de Lyon. On en déduira que l’employeur qui décide de licencier un salarié doit par principe s’interdire de publiciser sa décision, a fortiori lorsque l’intéressé continue de travailler, selon que la procédure de licenciement ou le préavis de rupture est en cours. En cas de contrainte, par exemple organisationnelle ou commerciale, il ne diffusera que strictement limitativement l’information de sa décision, en conciliant l’intérêt de l’entreprise et le droit au respect de la vie privée et la dignité du salarié. Ce ne sont après tout là que des recommandations relevant de la loyauté et plus, de l’éthique. D É C I S I O N S C O M M E N T É Christophe BIDAL Avocat au Barreau de Lyon SCP Joseph AGUERA & Associés [email protected] 1° - On sait, depuis longtemps, que les Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 9 E S D LICENCIEMENT ECONOMIQUE É C I S I O N S C O M M E N T É E S Niveau d’appréciation des difficultés économiques Cour d’appel de Lyon, 14 mars 2006 EXPOSE DES FAITS Le 21 janvier 2002 Monsieur H., Directeur marketing, démissionne du poste qu’il occupait depuis plus de deux ans au sein de la Société E., société dont l’activité principale est l’édition de contenus interactifs pour le grand public notamment l’édition de CD ROM, DVD ROM et autres logiciels de loisirs ou de soutien scolaire, pour être embauché, dès le lendemain , comme directeur commercial avec reprise de son ancienneté, par la société I., société filiale du même groupe, et dont l’activité est la communication audiovisuelle et plus particulièrement la création et la production de programmes de films pour la communication des entreprises. Neuf mois plus tard, il est victime d’un licenciement économique, son poste étant supprimé au sein de la Société I., aux motifs qu’une réorganisation de l’entreprise est indispensable en raison des difficultés économiques qu’elle rencontre. Elle a invoqué une nette dégradation du marché de la communication événementielle, audiovisuelle et multi média dans une conjoncture économique difficile, un climat international perturbé, outre le recul de 51% de son chiffre d’affaires réduisant d’autant la charge de travail des services commerciaux de la société. Dans ce contexte une recherche de reclassement au sein du groupe a été entreprise mais s’est révélée infructueuse et dès lors afin de sauvegarder sa compétitivité, elle a été dans l’obligation d’adapter ses effectifs et ses charges au chiffre d’affaires et donc de supprimer le poste de Monsieur H. Quinze mois plus tard le Tribunal de commerce de Lyon prononce la liquidation judiciaire de la société. Considérant que la société I. ne justifiait ni d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, ni de difficultés économiques générales dans le secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ni d’une recherche sérieuse et individualisée de reclassement, Monsieur H a contesté la légitimité de son licenciement devant le Conseil de prud’hommes de Lyon. Son licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse. Le mandataire liquidateur de la société I. a relevé appel du jugement essentiellement aux motifs que les difficultés économiques de la société n’étaient pas sérieusement contestables et que les deux sociétés du groupe intervenant dans des secteurs d’activité totalement distincts l’appréciation des difficultés économiques ne devaient se faire qu’à la lumière des chiffres et résultats de la seule société I. A titre subsidiaire, pour la première fois en cause d’appel la société mère du groupe était appelée en cause par le liquidateur aux fins de justifier des recherches et impossibilité de reclassement et de relever et garantir des sommes fixées au passif de la liquidation de la société I. La Cour d’appel de Lyon n’a pas eu à analyser la demande subsidiaire, ni la question relative à l’obligation de reclassement, car elle a confirmé le jugement retenant comme cadre d’appréciation des difficultés économiques le groupe. Ainsi, la lettre de licenciement qui n’était motivée qu’en référence aux difficultés de la société I. ne correspondait pas aux exigences légales. Elle a également souligné que le motif relatif à la sauvegarde de la compétitivité ne pouvait pas être retenu car s’il était invoqué dans la lettre de licenciement, « il n’était pas indiqué à cette fin de véritable réorganisation ». juin 1992 n° 89-42.792, Bull. civ. V, n° 403 ; 26 oct. 2005, n°0-41.972, RJS 2/09, n°180. Comm. Ph. WAQUET p.89). La Cour devait donc déterminer si les deux sociétés du groupe appartenaient ou non au même secteur d’activité. L’analyse doit se faire au cas par cas, le secteur d’activité du groupe étant celui qui correspond à la branche d’activité dont relève l’entreprise qui invoque des difficultés économiques. La Cour explique que peu importe que les clientèles soient distinctes et les produits proposés différents, si les deux sociétés interviennent dans la même branche d’activité, en l’espèce la production audiovisuelle et multi média, le périmètre pertinent d’appréciation des difficultés économiques est le groupe. La Cour de cassation avait déjà jugé «que la distribution en grande surface à dominante alimentaire constitue un secteur d’activité unique pour l’application de l’article L. 321-1 du code du travail sans avoir à rechercher à quel secteur d’activité du groupe (production, commercialisation, logistique) appartenait la société demanderesse au pourvoi (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 95-41.513, Sté Base de Peynier c/ Perrira). En revanche, contrairement à ce qu’elle a fait pour l’obligation de reclassement, la configuration du groupe servant de cadre d’appréciation du motif économique n’est pas déterminée par la jurisprudence. OBSERVATIONS Cet arrêt nous donne l’occasion de faire le point sur la jurisprudence relative au niveau d’appréciation des difficultés économiques. Les difficultés économiques s’apprécient au niveau de groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés situées sur le territoire national (Cass. soc., 14 janv. 2004 ; Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 02-40.293. Rappelons qu’en présence d’entreprises à structure simple, l’existence de difficultés économiques s’apprécie au niveau de l’entreprise et non de l’établissement si elle compte plusieurs établissements distincts (Cass. soc., 17 Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 0 La Cour de cassation s’en tient au secteur d’activité du groupe même si ce secteur n’est pas celui du groupe qui détient 39 % des parts de l’entreprise dans laquelle le licenciement a eu lieu (Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-44.61). La Cour d’appel de Lyon s’est livrée à une application classique de la jurisprudence qui n’entend pas avoir une analyse restrictive du niveau d’appréciation du motif économique. Eladia DELGADO SCP DELGADO-PLET-MEYER D PRINCIPAUX ATTENDUS « Qu’il est constant en l’espèce que la société I. exerçait une activité dans le domaine de 1a communication audiovisuelle, plus particulièrement la création et la production de programmes et films pour la communication des entreprises et que la société E. a pour activité principale l’édition de contenu interactif pour le grand public, notamment l’édition de CD ROM, DVD ROM et autres logiciels de loisirs ou de soutien scolaire; Que si ces deux sociétés ont des clientèles distinctes auxquelles elles proposent des produits nécessairement différents il n’en demeure pas moins qu’elles interviennent dans le même secteur d’activité ou la même branche d’activité, à savoir la production audiovisuelle et multi média; Que dans ces conditions, le cadre d’appréciation des difficultés économiques était bien le groupe E. et que la lettre de licenciement du 19 décembre 2002 qui aborde seulement les difficultés de la société I. ne correspond pas aux exigences légales... » É C I Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 14 mars 2006 Dubois c/ Hilaire S LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE I Mise en oeuvre des critères d’ordre - Notion de catégorie professionnelle O Cour d’appel de Grenoble, Chambre sociale, 20 février 2006 EXPOSE DES FAITS Monsieur B., directeur des ventes, fait l’objet d’une mesure de licenciement pour motif économique dont il conteste la légitimité devant la juridiction prud’homale. L’intéressé remet en cause tant le motif économique que le respect de l’obligation de reclassement et conteste l’application des critères d’ordre des licenciements. Débouté de sa demande par le Conseil de prud’hommes de Vienne, le salarié interjette appel. La Cour d’appel de Grenoble confirme le jugement de première instance en rejetant notamment les prétentions de l’appelant relatives aux critères d’ordre de licenciement au motif qu’il était le seul à appartenir à sa catégorie professionnelle et qu’en l’absence de choix à opérer l’employeur n’avait pas à mettre en oeuvre les critères d’ordre de licenciement. OBSERVATIONS Dans cette espèce, le salarié faisait notamment valoir, à l’appui de ses demandes, que l’employeur n’avait pas mis en oeuvre les critères déterminant l’ordre des licenciements, ce qui rappelons-le, n’a pas pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais conduit à l’indemnisation du salarié en fonction du préjudice résultant pour lui de la perte injustifiée de son emploi. L’employeur, quant à lui, arguait de ce que le choix du salarié susceptible d’être concerné par la mesure de licenciement s’opérant au sein de chaque catégorie professionnelle, il ne lui appartenait pas d’appliquer les critères d’ordre de licenciement, Monsieur B. étant le seul dans sa catégorie. C’est cette analyse qui a prévalu auprès de la Cour d’appel de Grenoble, laquelle pour trancher le litige, a fait porter son appréciation sur la catégorie professionnelle à laquelle appartenait l’intéressé et s’est nécessairement appuyée sur la définition qui en a été donnée par la Cour de cassation dans son arrêt dit «La Samaritaine », du 13 février 1997 : «la notion de catégorie professionnelle qui sert de base à l’établissement de l’ordre des licenciements, concerne l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ». (Cass. soc., 13 février 1997, n°9516.648). La transposition de cette définition au cas d’espèce n’a pas semblé poser de difficulté particulière, le débat portant essentiellement sur le point de savoir si Monsieur B. embauché initialement comme directeur des ventes, avait conservé cette qualification à la date de mise en oeuvre des critères. Cette transposition peut néanmoins, bien souvent, s’avérer mal aisée dès lors que, s’il est relativement facile d’identifier «une formation professionnelle commune », il n’en est pas de même s’agissant «des fonctions de même nature ». Ainsi, qu’en aurait-il été de la détermination de la catégorie professionnelle si au côté de Monsieur B., directeur des ventes, avait été employé un directeur commercial, avec des responsabilités peut être plus étendues, mais des fonctions de nature somme toute assez semblable ? L’employeur aurait-il dû alors constituer une catégorie professionnelle composée du directeur des ventes et du directeur commercial, voire de tout salarié assumant des responsabilités dans le domaine commercial ? La réponse à ses interrogations peut, semble-t-il, être recherchée au sein de la convention collective applicable à l’entreprise. La Cour de cassation, dans un arrêt, en date du 16 février 2005, a, en effet, précisé qu’il fallait entendre par catégorie professionnelle, celle dont relève le salarié au sein de la convention collective (Cass. soc., 16 février 2005, n°02-45.753). Si l’attendu principal de cet arrêt est particulièrement laconique, l’examen des éléments de l’espèce est quant à lui riche d’enseignements. L’employeur n’avait pas procédé à la mise en oeuvre des critères considérant que le salarié en cause était le seul de sa catégorie professionnelle, puisque le seul à bénéficier de son coefficient. Il a été sanctionné par la Cour d’appel au motif que la catégorie professionnelle au sein de laquelle devait porter les critères d’ordre était celle des ouvriers de filature, soit une catégorie beaucoup plus large que celle retenue par l’employeur et non visée par la convention collective. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en disposant que seule la définition conventionnelle de la catégorie devait s’imposer. Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 1 N S C O M M E N T É E S D É C I S I O Ce faisant, elle se livre à une application particulièrement restrictive de la notion de catégorie professionnelle en considérant qu’elle est constituée par l’ensemble des salariés titulaires du même coefficient conventionnel. Cette approche, très limitative, n’est pas en soi choquante ou surprenante dès lors que parmi les critères figure, notamment, celui des qualités professionnelles, lesquelles ne peuvent être comparées qu’entre des salariés exerçant le même métier, à un niveau de qualification équivalent. Philippe GAUTIER Avocat au Barreau de Lyon Cabinet J. BARTHELEMY et Associés [email protected] de clients en sa qualité de responsable commercial ; PRINCIPAUX ATTENDUS « Attendu que M. B., embauché en qualité de directeur des ventes, soutient qu’à la suite d’une modification de son contrat de travail par avenant en date du 30 juin 2000, il a été affecté à des fonctions d’attaché commercial ; que c’est au regard de cette catégorie que les critères d’ordre du licenciement devaient être appliqués ; Attendu que le statut de M. B. a été maintenu à la suite de l’avenant précité ; qu’au moment de son licenciement son salaire mensuel était de 4 682,43 euros alors que celui des deux attachés commerciaux était respectivement de 2 820,33 euros et de 2 314,33 euros ; qu’il apparaît, de même, que M. B. a continué à être destinataire de courriers internes ou Qu’ainsi il ressort de l’ensemble de ces éléments que M. B. occupait les fonctions de directeur des ventes ; qu’il n’est pas contesté qu’il était le seul relevant de cette catégorie au sein de l’entreprise ; Attendu que l’employeur n’ayant pas de choix à faire au sein de la catégorie professionnelle dont M. B. était le seul représentant, il n’y avait pas lieu de mettre en oeuvre les critères d’ordre du licenciement ; Qu’en conséquence il convient de débouter B. de ses demandes à ce titre. » Cour d’appel de Grenoble, Chambre sociale, 20 février 2006 SARL Biasi France c/ Mr BOURCHY PR E T DE M A I N D’ O E U V R E I L L I C I T E N Contrats de prestation de services et de sous-traitance en cascade S Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 17 janvier 2006 EXPOSE DES FAITS C O M M E N T É E S Monsieur M. , employé en qualité d’agent de propreté à temps partiel par une entreprise de nettoyage (la société N), saisit le Conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail d’employé d’immeuble à temps plein avec le syndicat des copropriétaires de l’immeuble au sein duquel il travaillait. Etaient également mis en cause la société d’exploitation de l’immeuble (société GC), le syndic (la société G), et la société prestataire de services (la société E), en raison de leur implication dans divers contrats commerciaux conclus en cascade : • Le syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic (la société G), avait conclu avec la société E un contrat d’entretien et de nettoyage de l’immeuble ; • La société GC, locataire principale de l’immeuble et exploitant ce dernier dans le cadre de locations de logements à des étudiants, avait conclu avec la même société E une convention d’assistance technique pour les services para-hôteliers proposés aux occupants de l’immeuble ; • La société E sous-traitait à la société N les prestations para-hôtelières et l’entretien de l’immeuble, ces tâches étant réalisées par Monsieur M., salarié de la société N. Le Conseil de prud’hommes de Lyon a reconnu l’existence d’une opération de marchandage illicite de main-d’oeuvre à l’encontre de la société N et de la société GC, et condamné ces dernières, en qualité de co-employeurs, au paiement de rappels de salaire (sur la base de la convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeuble) et dommages et intérêts au bénéfice du salarié. Ces deux sociétés interjetaient appel de la décision. Dans son arrêt du 17 janvier 2006, la Cour d’appel de Lyon confirme le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes en s’attachant à la réalité de la prestation fournie et du détenteur réel du pouvoir hiérarchique, et étend la responsabilité du fait de délit de marchandage à l’ensemble des parties mises en cause : « Le délit de marchandage prévu par l’article L.1251 du code du travail est par conséquent caractérisé, puisqu’il y a eu prêt de main-d’oeuvre par la société N qui, moyennant rémunération, s’est contentée de mettre à la disposition de la société GC et de la société G, personnellement ou en sa qualité de syndic du syndicat des copropriétaires de l’immeuble (..) son salarié qu’elle a placé sous leur autorité en abandonnant tout pouvoir de contrôle et de direction sur ce dernier et que ce prêt de main-d’oeuvre a eu pour effet de permettre à ses bénéficiaires d’éluder l’application des dispositions légales et conventionnelles concernant les gardiens, concierges et employés d’immeuble (…). Il convient, également, de retenir la responsabilité de la société E qui a Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 2 conclu un contrat de sous-traitance fictif et, celle de la société N, qui a accepté de jouer le rôle d’employeur apparent (..) ». OBSERVATIONS Le contrat de prestation de services et le contrat de sous-traitance sont prévus par le code civil et l'objet de la décision rendue par la Cour d’appel de Lyon n'est pas de remettre en cause leur existence, mais de sanctionner les dérives de certaines pratiques consistant à conclure de tels contrats ayant pour effet de détourner la réglementation concernant les contrats de travail. L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon illustre l’analyse pragmatique faite par les juridictions du fond qui, souveraines pour vérifier que les contrats d’entreprise ne sont pas conclus pour détourner les règles de droit du travail, sont amenées à examiner un faisceau d'éléments. 1. Au terme de sa décision, rendue dans le cadre d’une procédure civile et au visa de l’article L. 125-1 du code du travail, la Cour d’appel considère que l’objet des divers contrats commerciaux conclus n’était pas la réalisation de prestations de service, mais la dissimulation, sous une apparence commerciale, de relations qui auraient dû s’inscrire dans le cadre d’un contrat de travail de gardien d’immeuble. La méthode d’analyse utilisée par la Cour l’amène à examiner d’une part les conventions de prestations de services conclues, et d’autre part, les relations de fait existant entre l’employeur/soustraitant, le salarié et les co-contractants, signataires des conventions prestations de services. de Pour qualifier juridiquement ces apparentes relations commerciales de délit de marchandage, la Cour d’appel relève : • Que les conventions conclues avaient pour unique objet la mise à disposition d’un salarié dans un but lucratif ; • Qu’elles ont eu pour effet d’écarter l’application des dispositions conventionnelles relatives aux gardiens, concierges et employés d’immeuble, au préjudice du salarié, • Que le pouvoir de direction était en réalité exercé par la société d’exploitation de l’immeuble et le syndic. La Cour d’appel fait en l’espèce une stricte application des dispositions de l’article L. 125-1 du code du travail et des critères et conséquences juridiques dégagés par la Cour de cassation pour établir le prêt illicite de main-d’oeuvre et le délit de marchandage (Cass. soc., 17 juin 2005, n° 03-13.707). La Cour d’appel relève par ailleurs des indices de fait supplémentaires, permettant de caractériser indubitablement l’existence d’une « fausse sous-traitance »: le salarié travaillait d’ores et déjà sur le site de l’immeuble et y occupait un logement à loyer réduit, lorsque le contrat de soustraitance par lequel la société E confiait à la société N la réalisation des prestations para-hôtelières et d’entretien de l’immeuble était conclu. La Cour considère ainsi que les contrats de sous-traitance conclus « en cascade » présentaient un caractère fictif, et qu’en conséquence, le lien de subordination avait été transféré aux entreprises bénéficiaires du prêt de main d’oeuvre, de telle sorte que le contrat de travail, liant l’entreprise de propreté au salarié, constitue une relation de travail fictive. 2. Pour réparer le préjudice subi par le salarié, la Cour d’appel condamne in solidum les cinq parties impliquées et ordonne : • le rétablissement rétroactivement et pour l’avenir des droits du salarié, notamment par l’application des dispositions légales et conventionnelles qui avaient été illégitimement écartées du fait de l’opération illicite : compte tenu des fonctions réellement exercées par le salarié, la Cour d’appel a jugé que ce dernier devait bénéficier des dispositions de la convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeuble ; • l’octroi de dommages et intérêts réparant le préjudice, tant matériel que moral, subi par le salarié du fait du caractère fictif de la relation de travail. D La Cour d’appel se montre pour autant clémente à l’égard du syndicat des copropriétaires, puisqu’aux termes de la décision rendue, ce dernier est entièrement relevé et garanti des condamnations prononcées, en raison de l’absence de tout « comportement fautif » de sa part. É C La Cour considère en effet que le syndicat des copropriétaires a joué un rôle totalement passif, relevant une absence d’intention de participer à la réalisation de l’opération illicite de prêt de main d’oeuvre : S « Il n’existe aucun élément permettant de caractériser un comportement fautif du syndicat des copropriétaires, qui a confié à la société E l’entretien des parties communes et des équipements collectifs, qui n’a donné aucune instruction à son syndic sur les prestations imposées à Monsieur M. et qui n’est pas concerné par l’exploitation de la résidence étudiante(…). » Floriane DI SALVO Avocat au Barreau de Lyon SCP FROMONT-BRIENS & Associés [email protected] I I O N S C DELEGUE SYNDICAL O Contestation de la désignation - M Tribunal compétent territorialement Tribunal d’instance Lyon, 9 mai 2005 EXPOSE DES FAITS Contestant la désignation d’un délégué syndical, l’employeur porte le litige devant le Tribunal du lieu où la désignation a été faite, à savoir le siège social de l’entreprise. Le salarié soulève l’incompétence territoriale du Tribunal d’instance de Lyon au profit de celui dans le ressort duquel se trouve situé l’établissement où il travaille. Le Tribunal rejette cette exception d’incompétence. OBSERVATIONS La question soumise au Tribunal d’instance de Lyon était digne d’intérêt dans la mesure où aucun texte ne définit les règles de compétence territoriale en matière de contestation de désignation d’un délégué syndical, l’article L. 412-15 du code du travail se bornant à indiquer que ces contestations relèvent de la compétence du Tribunal d’instance. La jurisprudence a longtemps hésité entre la compétence du lieu où la désignation devait prendre effet et celui du siège de l’entreprise où a été notifiée la désignation. L’arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la Cour de cassation met fin à cette difficulté : les contestations relatives aux conditions de désignation des délégués syndicaux sont de la compétence du Tribunal d’instance du lieu où la désignation est destinée à prendre effet (Cass. soc., 7 octobre 1998, n°3813, P. Dumont c/ Société entreprise ferroviaire SAFEN et autres). C’est dans ce sens qu’a tranché le Tribunal d’instance de Lyon qui a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le défendeur en estimant que la désignation prenait effet au niveau de l’entreprise. La singularité de l’espèce tenait au fait que le salarié travaillait au sein d’un établissement extérieur au siège de l’entreprise mais cet établissement comptait moins de cinquante salariés. De ce fait, la désignation ne pouvait prendre effet au sein de l’établissement mais au niveau de l’entreprise et très logiquement le Tribunal a retenu sa compétence. Cette désignation est l’occasion de rappeler la distinction qu’il convient de faire entre les règles de fond et celles de forme. La notification de la désignation n’est opposable à l’employeur que si elle a été Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 3 M E N T É E S D É faite au siège de l’entreprise. En revanche, la contestation de cette désignation doit être présentée devant le Tribunal d’instance du lieu où la désignation doit prendre effet. S En application des articles L. 412-13, R. 412-1 et R. 412-3 du code du travail, le nombre des délégués syndicaux de chaque section est fixé, soit par entreprise, soit par établissement distinct d’au moins cinquante salariés. Michel PAGNON Avocat honoraire [email protected] O N S C O M M E N T É E S Tribunal d’instance de Lyon 9 mai 2005 Société Alteca c/ Lefevre CONVENTION COLLECTIVE Incidence de la mention de la convention collective sur le bulletin de paie Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale, 13 septembre 2005 EXPOSE DES FAITS I moins de cinquante salariés, la désignation de M. Lefevre a pris effet au niveau de l’entreprise dont le siège social est situé à Lyon, de telle sorte que la présente juridiction est compétente pour trancher le litige en vertu de l’article L. 412-15 du même code. L’établissement de Quetigny comptant C I PRINCIPAUX ATTENDUS Le contrat de travail d’une salariée édictait expressément qu’aucune convention collective n’était applicable dans l’entreprise. Cette dernière, étant placée dans une situation de liquidation judiciaire, a été amenée à licencier la salariée, sachant que le mandataire liquidateur mentionna sur le bulletin de la salariée concernée la référence d’une convention collective. Sur la base de cette mention, d’une part, et sur le fait que certains salariés de la société bénéficiaient de l’application de la convention collective, d’autre part, la salariée revendique l’application de ladite convention collective et des conséquences financières qui en découlent. La Cour d’appel de Lyon déboute la demanderesse en considérant que la mention d’une convention collective sur le bulletin de paie de salariés ne peut avoir d’effet que dans les rapports de ceux-ci avec leur employeur, et que les seuls bulletins de paie délivrés par le mandataire liquidateur, à une époque où l’activité de la société avait cessé, ne peut valoir reconnaissance sans équivoque de l’application d’une convention collective. soumise, compte tenu de son activité principale, à aucune convention collective. générait, notamment, un rappel de salaires et un rappel de prime d’ancienneté. Sans remettre en cause, selon notre analyse, ce principe, la Cour d’appel de Lyon, dans sa décision du 13 septembre 2005, introduit une précision qui doit être rattachée aux circonstances spécifiques de l’affaire. Le principe d’égalité de traitement, actuellement excessivement « sollicité » selon le Président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, aurait, sans nul doute, pu faire l’objet d’un débat dans le cadre de la présente affaire. En effet, elle considère que la mention de la convention collective sur le bulletin de paie ne peut valoir reconnaissance de plein droit de l’application de la convention collective dans les relations individuelles que si cela est non équivoque. Il convient à ce titre de rappeler en l’espèce que, pour le moins, deux éléments pouvaient mettre en évidence le caractère particulièrement équivoque. En effet, le contrat de travail de la salariée prévoyait expressément qu’aucune convention collective n’était applicable, d’une part, et la mention de la convention collective n’apparaissait que sur les derniers bulletins de paie de la salariée réalisés par le mandataire liquidateur à une date où l’activité de la société avait cessé, d’autre part. Si toute différence de rémunération n’est pas interdite, l’entreprise aurait dû alors se fonder sur des raisons objectives, matériellement vérifiables, pour justifier l’application, à certains salariés, de la convention collective (du fait d’une mention sur leurs fiches de paie), et de sa non application pour d’autres. Il n’en demeure pas moins que l’appréciation du caractère équivoque ne sera pas aisée. Ceci est d’autant plus vrai que de nombreux praticiens tentent, aujourd’hui, sur la base de l’article L. 120-2 du code du travail, de différentes dispositions constitutionnelles et d’une interprétation particulièrement volontariste de la Cour de cassation, d’étendre ce principe d’égalité de traitement. OBSERVATIONS Dans le cadre d’un premier attendu synthétique et précis, la Cour d’appel rappelle qu’une convention collective est applicable dans une entreprise en fonction de l’activité principale de cette dernière et que le code APE ne constitue qu’une présomption et ne peut prévaloir sur l’activité réelle de l’entreprise. L’entreprise n’étant soumise de plein droit à aucune convention collective, la Cour d’appel était donc amenée à se prononcer sur l’incidence de la mention d’une convention collective sur les bulletins de paie. A l’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation, il apparaît que la mention d’une convention collective sur un bulletin de paie vaut reconnaissance de l’application de cette convention à l’égard du salarié, même si l’entreprise n’est Sur la question de l’incidence de la mention de la convention collective sur les bulletins de paie d’autres salariés, la Cour d’appel indique, sans ambiguïté, que cela ne peut avoir d’effet que dans les rapports de ces salariés avec l’employeur et que cela n’ouvre aucun droit à la demanderesse. Cette décision doit, à notre sens, être approuvée, sous réserve d’un éventuel débat qui, a priori, n’a pas eu lieu devant la Cour d’appel, relatif à l’égalité de traitement (voir à la non discrimination). Si, dans le cadre de la présente analyse, nous écarterons la discrimination qui suppose l’existence d’un motif illicite de la part de son auteur, on peut légitimement s’interroger sur la question du principe d’égalité de traitement. En effet, dans le cas d’espèce, l’application de la convention collective Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 4 Les éléments de l’espèce tels que présentés dans l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour d’appel de Lyon ne permettent pas d’apprécier le positionnement des parties au regard du principe d’égalité de traitement. Si le fondement textuel de ce principe demeure discuté, le débat sur cette question aurait, sans nul doute, été intéressant devant la Cour d’appel de Lyon. La reconnaissance même, le périmètre du principe d’égalité de traitement, ne manqueront pas, dans l’avenir, de susciter de nombreux débats, sachant que, d’ores et déjà, de nombreux auteurs se penchent sur la question des différentes justifications (objectives et naturellement vérifiables) qui pourraient valider une différence de traitement pour des salariés se trouvant dans une situation identique. Philippe CLEMENT Avocat au barreau de Lyon SCP FROMONT-BRIENS & Associés [email protected] PRINCIPAUX ATTENDUS « Attendu, enfin, que dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de la convention correspondant à l’activité principale de l’entreprise qui l’emploie, peut demander l’application de la convention collective mentionnée sur son bulletin de paie ; qu’en l’espèce, cependant, la mention de la convention collective nationale de commerces de gros sur les seuls bulletins de paie délivré à Elisabeth T. par le mandataire liquidateur, à une époque où l’activité de l’EURL B. avait cessé, ne peut valoir reconnaissance, sans équivoque, de l’application de cette convention ; que la mention de la même convention collective sur les bulletins de paie d’autres salariés ne peut avoir d’effet, le cas échéant, que dans les rapports de ceuxci avec leur employeur ; que cette mention n’ouvre aucun droit en faveur d’Elisabeth T. ». CA Lyon, Chambre sociale, 13 septembre 2005, Tanquerel c/ Guyon et autre Dénonciation d’un usage Effet de l’entrée en vigueur d’un accord collectif ayant le même objet qu’un usage d’entreprise Cour d’appel de Chambéry, 22 novembre 2005 Cour de cassation, 6 décembre 2005 La Cour d’appel de Chambéry et la Chambre sociale de la Cour de cassation ont été amenées, à quelques jours d’intervalle, à se prononcer sur un recours effectué par un employeur (la société Clinique D.) à l’encontre d’un même jugement rendu le 28 octobre 2003 par le Conseil de prud’hommes d’Annecy. Cette situation, pour le moins insolite, mérite quelques explications. Durant plusieurs années, la Clinique D. a versé, en vertu d’un usage, à ses salariés, en sus de leur salaire de base, une prime dite « à valoir ». Afin de limiter le surcoût lié à l’entrée en vigueur, au niveau de la branche d’activité, d’une nouvelle grille de rémunération minimale, la Clinique D. a conclu, le 20 septembre 2002, un accord d’entreprise, aux termes duquel la prime dite « à valoir » devenait « un complément de salaire correspondant à la différence entre le salaire en vigueur au sein de la clinique et celui résultant de l’application de la nouvelle convention collective ». L’intégration dans le salaire de base de la prime dite « à valoir » équivalait, bien évidemment, à la suppression de cet avantage pour les salariés qui avaient, avant le 1er mai 2002, une rémunération inférieure à celle prévue par la nouvelle convention collective unique de l’hospitalisation privée. Quatre-vingt-quinze salariés (auquel s’est joint le « syndicat CFDT-santé sociaux de la Haute-Savoie ») ont donc décidé de saisir le Conseil de prud’hommes d’Annecy aux fins d’obtenir des rappels de rémunération en contestant l’intégration par la Clinique dans leur salaire de base de leur ancienne prime. Par un jugement en date du 28 octobre 2003, le Conseil de prud’hommes d’Annecy leur a intégralement donné satisfaction. En tenant sans doute compte du montant des demandes de rappel de salaire formulées par les salariés (inférieures au seuil d’appel), le Conseil de prud’hommes d’Annecy a même É C I REMUNERATION EXPOSE DES FAITS D considéré son jugement, comme étant rendu en première et dernière instance. Dans la mesure où les rappels de salaire réclamés par les salariés reposaient, en réalité, sur une demande indéterminée (problème de la régularité de la dénonciation d’un usage), la Clinique D. a toutefois décidé, à juste titre, d’interjeter appel de cette décision. Afin d’éviter toute désillusion sur la recevabilité de son appel, la Clinique D. a également souhaité, par mesure de prudence, interjeter un pourvoi en cassation. Par un arrêt en date du 22 novembre 2005, la Cour d’appel de Chambéry a, en premier, statué et a confirmé la décision du Conseil de prud’hommes aux motifs que la prime dite « à valoir » résultait, au sein de la Clinique D., d’un usage générateur d’un avantage acquis dont le régime ne pouvait pas être modifié par l’entrée en vigueur d’un accord collectif. Toutefois, parallèlement à la procédure d’appel, le recours de la société devant la Chambre sociale de la Cour de cassation a suivi son cours. Les salariés et le syndicat CFDT n’ayant, a priori, pas pris le soin de soulever l’irrecevabilité du pourvoi, la Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi rendu, le 6 décembre 2005, un arrêt avec un contenu totalement contraire à celui de la Cour d’appel de Chambery. Dans sa décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation a, en effet, décidé de casser le jugement du Conseil de prud’hommes d’Annecy (entraînant, en conséquence, l’annulation de l’arrêt rendu le 22 novembre 2005 par la CA de Chambéry (art. 625 NCPC) en considérant que l’entrée en vigueur de l’accord d’entreprise du 20 septembre 2002 avait automatiquement mis fin à l’usage prévoyant le versement aux salariés de leur prime «à valoir » en sus de leur salaire de base. OBSERVATIONS Indépendamment de l’imbroglio procédural qui est loin d’être dépourvu d’intérêt pour les praticiens, les arrêts contradictoires rendus par la Cour d’appel de Chambéry et la Cour de cassation nous donnent l’occasion de rappeler les règles actuellement applicables en matière de dénonciation d’usage. Le régime juridique de l’existence et de la dénonciation des usages est exclusivement d’origine jurisprudentielle (le code du travail ne faisant que ponctuellement référence aux usages sans pour autant les réglementer). En l’espèce, il n’était pas discuté que le versement, en sus de leur salaire de base, des primes dites « à valoir » aux salariés résultait, antérieurement à l’entrée en vigueur de l’accord du 20 septembre 2002, uniquement d’un usage d’entreprise. Seules la régularité et les conséquences de la disparition de cet usage étaient contestées par les salariés et le syndicat CFDT. La Jurisprudence admet parfaitement la possibilité pour les employeurs de remettre en cause les usages en vigueur au sein de leur entreprise. La Cour de cassation considère, ainsi, que les avantages tirés des usages n’étant pas incorporés aux contrats de travail, les employeurs peuvent parfaitement procéder à leur dénonciation sans demander l’accord des salariés concernés (notamment, en ce sens : Cass. soc., 13 février 1996, n°93-42.309 ; Cass. soc., 10 février 1998, n°95-42.543 ; Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 04-44.995…). Cette dénonciation peut, selon la Cour de cassation, résulter, soit d’une décision unilatérale de l’employeur (à condition toutefois de respecter les trois conditions cumulatives suivantes : information des institutions représentatives du personnel, information individuelle des salariés concernés et respect d’un délai de prévenance suffisant (notamment, en ce sens : Cass. soc., 25 février 1988, n°8540.821 ; Cass. soc., 13 février 1996, n°93-42.309) soit de l’entrée en vigueur d’une convention ou d’un accord collectif ayant le même objet (notamment, en ce sens : Cass. soc., S I O N S C O M M E N T É E S Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 5 D É C I S I O N S C O M M E N T É E S 9 juillet 1996, n°94-42.773 ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n°02-47.507). jusqu’à présent, par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans le cas qui nous intéresse, il est évident que l’accord collectif conclu le 20 septembre 2002 au sein de la Clinique D. avait le même objet que l’usage d’entreprise dont se prévalaient les demandeurs à l’instance (à savoir les primes dites « à valoir »). La position de la Cour de cassation peut toutefois s’expliquer par le fait que les usages sont, par nature, supplétifs de la volonté des parties et que les accords d’entreprise sont, à l’inverse, négociés entre les partenaires sociaux. C’est donc en toute logique que la Chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 6 décembre 2005, appliqué sa jurisprudence traditionnelle en considérant que, dès son entrée en vigueur, cet accord collectif avait automatiquement remplacé l’usage d’entreprise antérieur, sans que les salariés ne puissent invoquer une quelconque modification de leur contrat de travail. Pour autant, dans son arrêt en date du 22 novembre 2005, la Cour d’appel de Chambéry avait préalablement choisi de prendre le contre-pied de la jurisprudence de la Cour de cassation en retenant une solution différente. La Cour d’appel de Chambéry a, en effet, considéré que l’entrée en vigueur de l’accord du 20 septembre 2002 n’avait entraîné aucune conséquence sur l’application de l’usage litigieux et que, dans la mesure où celui-ci était générateur d’un avantage acquis pour les salariés concernés, la clinique D. ne pouvait procéder à sa dénonciation qu’individuellement. La référence par la Cour d’appel de Chambéry aux notions « d’avantages acquis » et de « dénonciation individuelle » est particulièrement ambiguë et sibylline. Faut-il comprendre que, selon la Cour d’appel de Chambéry, si la clinique D. avait bien la possibilité de remettre en cause unilatéralement l’usage litigieux, elle ne pouvait, toutefois, le faire qu’après avoir procédé à une information individuelle des salariés concernés ? Si tel est effectivement le cas, la décision de la Cour d’appel de Chambéry pourrait parfaitement être admise sur le plan juridique, même si elle est contraire à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. En effet, dans la mesure où, comme l’a fort justement souligné la Cour d’appel de Chambéry, les règles de l’article L. 132-8 du code du travail ne sont pas applicables à l’usage (la Cour de cassation partageant d’ailleurs cette solution) aucun texte légal ne prévoit la possibilité de les supprimer par voie d’accord de substitution. La solution retenue par la Cour d’appel de Chambéry ne serait donc pas moins fondée juridiquement que celle prise, Pour autant, il faut bien admettre que l’encadrement des règles relatives à la dénonciation des usages est destiné à protéger les salariés contre d’éventuelles pertes brutales d’avantages (notamment pécuniaires). Or, l’application de la solution retenue par la Cour de cassation peut, parfois, entraîner, pour les salariés, la perte d’un avantage sans avoir pu antérieurement l’anticiper (exemple d’un salarié perdant d’un mois sur l’autre une prime en raison de l’entrée en vigueur d’un nouvel accord collectif). En pratique, les salariés ne sont d’ailleurs pas toujours bien informés du contenu des accords collectifs conclus par leurs représentants au sein de leur entreprise. L’exigence systématique, lors de la suppression d’un avantage résultant d’un usage, d’une information individuelle des salariés bénéficiaires et, le cas échéant, d’un délai de prévenance suffisant, pourrait donc parfaitement être justifiée. Mais, la Cour d’appel de Chambéry n’at-elle pas souhaité aller au-delà en décidant même que la clinique D. ne pouvait pas remettre en cause l’usage du versement de la prime « à valoir » sans obtenir, préalablement, l’accord de chacun des salariés concernés ? En effet, en indiquant expressément que la prime « à valoir » était acquise aux salariés, la Cour d’appel de Chambéry a semblé considérer que sa suppression ne pouvait être réalisée qu’avec leur consentement. D’un autre côté, la Cour d’appel a également admis la possibilité pour la clinique de dénoncer individuellement l’usage litigieux. Or, la dénonciation est, par définition, un acte unilatéral. Il n’est donc pas certain que la Cour d’appel de Chambéry ait souhaité remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation sur les effets de la dénonciation des usages, sur les contrats de travail des salariés. Un tel revirement de jurisprudence rendrait pratiquement impossible la remise en cause par les employeurs des avantages accordés au titre des usages et remettrait complètement en cause à la fois la hiérarchie des normes en donnant aux usages une valeur juridique supérieure à celle des accords et conventions collectives (puisqu’un avantage résultant d’un usage ne pourrait pas être remis en cause par un accord ou une convention) et la distinction faite traditionnellement en Droit du travail entre le statut collectif et le statut individuel des salariés. Jean-Jacques FOURNIER Avocat au barreau de Lyon SCP FROMONT-BRIENS & Associés [email protected] PRINCIPAUX ATTENDUS « Il n'est pas contesté que « la prime à valoir » ne résulte ni d'une convention collective, ni d'un accord d'entreprise, mais d'un usage générateur d'un avantage acquis. Sa dénonciation n'est, ainsi, pas soumise aux règles de l'article L. 132-8 du code du travail et aucun accord de substitution ne peut en modifier le régime : il ne peut être dénoncé qu'individuellement s'il entraîne la remise en cause de cet avantage acquis ». Cour d'appel de Chambéry, Chambre sociale, 22 novembre 2005, SA Clinique D'Argonay c/ Alaimo et autres « Attendu, cependant, que lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un usage d'entreprise est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, cet accord a pour effet de mettre fin à cet usage ; D'où il suit qu'en statuant, comme il l'a fait, alors qu'en l'absence de disposition contraire de la convention de branche applicable, l'accord d'entreprise qui détermine les conditions de détermination du complément de salaire remplaçant la prime à valoir, compte tenu des nouvelles rémunérations indiciaires, a remplacé l'usage d'entreprise qui avait le même objet, le Conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés ». Cour de Cassation, Chambre sociale, 6 décembre 2005, SA Clinique D'Argonay c/ Alaimo et autres Publication : Ordre des Avocats au Barreau de Lyon et Le Tout Lyon Directeur de la Publication Adrien Charles DANA, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats au Barreau de Lyon Président d’honneur du comité de rédaction : Gérard VENET, avocat Honoraire au Barreau de Lyon Directeurs de la rédaction : Yves FROMONT, Pierre MASANOVIC, Avocats au Barreau de Lyon Les pages de JURISPRUDENCE SOCIALE, n°25 mars 2007 - Page 1 6