C-2015-4051-1fs Demers - Comité de déontologie policière

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C-2015-4051-1fs Demers - Comité de déontologie policière
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE
QUÉBEC
DOSSIER :
C-2015-4051-1 (13-0540 et 13-0542)
LE 25 AOÛT 2016
SOUS LA PRÉSIDENCE DE Me PIERRE GAGNÉ
LE COMMISSAIRE À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE
c.
Le sergent STÉPHANE DEMERS, matricule 7933
Membre de la Sûreté du Québec
DÉCISION AU FOND ET SUR SANCTION
CITATION
[1]
Le 10 juin 2015, le Commissaire à la déontologie policière (Commissaire) dépose
au Comité de déontologie policière (Comité) la citation suivante :
« Le Commissaire à la déontologie policière cite devant le Comité de déontologie
policière, le sergent Stéphane Demers, matricule 7933, membre de la Sûreté du
Québec, poste autoroutier de Québec :
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Lequel, à Québec, entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010 ainsi
qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, alors qu’il était dans l’exercice de
ses fonctions, ne s’est pas comporté de manière à préserver la confiance et
la considération que requiert sa fonction, commettant ainsi autant d’actes
dérogatoires prévus à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du
Québec (R.R.Q., c. P-13.1, r. 1) :
1. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
2. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Delta Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée.
Lequel, à Québec, entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010 ainsi
qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, alors qu’il était dans l’exercice de
ses fonctions, a abusé de son autorité, commettant ainsi autant d’actes
dérogatoires prévus à l’article 6 du Code de déontologie des policiers du
Québec (R.R.Q., c. P-13.1, r. 1) :
3. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
4. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Delta Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée.
Lequel, à Québec, entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010 ainsi
qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, alors qu’il était dans l’exercice de
ses fonctions, n’a pas respecté l’autorité de la loi et des tribunaux et n’a pas
collaboré à l’administration de la justice, commettant ainsi autant d’actes
dérogatoires prévus à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du
Québec (R.R.Q., c. P-13.1, r. 1) :
5. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
6. en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Delta Québec alors qu’il
y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée. »
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REMARQUES PRÉLIMINAIRES
[2]
Au début de l’audience, le procureur du policier informe le Comité que le
sergent Stéphane Demers, matricule 7933, membre de la Sûreté du Québec (SQ),
reconnaît avoir dérogé aux articles 5 (chef 1) et 7 (chef 5) du Code de déontologie des
policiers du Québec1 (Code).
[3]
À la suite de ce plaidoyer, la procureure du Commissaire demande au Comité la
permission de retirer les chefs 2, 3, 4 et 6 de la citation portée à l’encontre du
sergent Demers.
[4]
EN CONSÉQUENCE, le Comité :
[5]
PREND ACTE que le sergent cité a admis avoir eu une conduite dérogatoire aux
articles 5 et 7 du Code de déontologie des policiers du Québec;
Chef 1
[6]
DÉCIDE QUE la conduite du sergent STÉPHANE DEMERS, matricule 7933,
membre de la Sûreté du Québec, entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010
ainsi qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, constitue un acte dérogatoire
à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec, en ne se
comportant pas de manière à préserver la confiance et la considération que
requiert sa fonction, en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à
sa disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il y avait
des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
Chef 5
[7]
1
DÉCIDE QUE la conduite du sergent STÉPHANE DEMERS, matricule 7933,
membre de la Sûreté du Québec, entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010
ainsi qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, constitue un acte dérogatoire
à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec, en ne respectant
pas l’autorité de la loi et des tribunaux et en ne collaborant pas à l’administration
de la justice, en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à sa
disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il y avait des
occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
RLRQ, c. P-13.1, r. 1.
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[8]
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AUTORISE le retrait des chefs 2, 3, 4 et 6 de la citation déposés à l’encontre du
sergent STÉPHANE DEMERS, matricule 7933, membre de la Sûreté du
Québec.
FAITS
[9]
Le document intitulé « Exposé des faits, reconnaissance de responsabilité
déontologique et recommandations communes sur sanction »2, déposé de
consentement par les parties le 20 avril 2016, se lit comme suit :
« 1. Entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010 ainsi qu’entre le
8 avril 2011 et le 4 février 2012, l’intimé Stéphane Demers a occupé les
fonctions de sergent par intérim au service de sécurité de l’Assemblée
nationale.
2. L’intimé Stéphane Demers un policier au sein de la Sûreté du Québec
depuis le 27 mars 1989.
3. Dans le cadre de ses fonctions, pendant la période en litige et lorsqu’il était
le seul membre de la Sûreté du Québec en fonction, il avait la responsabilité
de la sécurité de l’Assemblée nationale.
4. Durant ces périodes et dans le cadre de ses fonctions, il a eu à travailler
sur les quarts de travail de jour, de soir et de nuit.
5. De 18 h jusqu’à 7 h, il était le plus haut gradé en service sur les lieux.
Durant les sessions intensives de l’Assemblée nationale, il était de plus haut
gradé de 23 h jusqu’à 7 h.
6. Pour ce qui est du fonctionnement et de la procédure relative à la sécurité
de l’Assemblée nationale, nous vous référons à l’annexe “A” qui est déposée
sous scellé.
7. L’unique sergent de la Sûreté du Québec présent sur les lieux effectuait
aux alentours de 19 h un “briefing” avec les gardiens-ouvriers. De plus, son
nom apparaissait sur le rapport journalier qui se trouvait à la console. Par
conséquent, les gardiens-ouvriers savaient toujours qui était le sergent
présent et responsable sur place.
2
Pièce CP-1.
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8. Un gardien-ouvrier est un employé de l’Assemblée nationale affecté à
diverses tâches reliées à la sécurité. Les gardiens-ouvriers ne sont pas
armés.
9. L’intimé Stéphane Demers avait également sous son autorité les
quatre gardiens-ouvriers qui se trouvaient sur les lieux. Ceux-ci devaient se
rapporter à lui. Dans l’éventualité où une personne souhaitait accéder à un
endroit bloqué par un accès contrôlé sans avoir une carte informatisée lui
permettant l’accès, le gardien-ouvrier devait obtenir préalablement
l’autorisation du sergent de la Sûreté du Québec en poste avant de donner
l’accès. Par la suite, le gardien-ouvrier pouvait, par mesure de sécurité,
“loguer” dans le système “Sphinx” que l’autorisation avait été donnée par le
sergent X de la Sûreté du Québec.
10. Compte tenu de sa fonction, de son grade et de ses responsabilités,
l’intimé Stéphane Demers reconnaît qu’il devait montrer l’exemple et être
dévoué à ses fonctions liées à la sécurité de l’Assemblée nationale.
11. Le 19 avril 2012, un article du journal le Soleil faisait étant qu’“[u]n agent
de sécurité du parlement aurait épié les chambres du Hilton”. Dans cet article,
nous pouvions y lire que cette personne était un agent de la Sûreté du
Québec.
12. À la suite de cette parution, il y a eu ouverture d’une enquête criminelle
effectuée par la Direction des normes professionnelles [DNP] de la Sûreté du
Québec.
13. Dans celle-ci, il a été conclu que l’agent dont il était question dans l’article
de journal était l’intimé Stéphane Demers.
14. Dans cette enquête, plusieurs témoins ont été rencontrés. Une trentaine
d’entre eux étaient des gardiens-ouvriers travaillant à l’Assemblée nationale
au moment des événements. Ces gardiens-ouvriers ont fourni des
déclarations dans le cadre de cette enquête.
15. À la conclusion de l’enquête de la Sûreté du Québec, aucune accusation
criminelle n’a été déposée contre l’intimé Stéphane Demers, mais il fait
cependant l’objet d’accusations disciplinaire qui sont présentement
pendantes.
16. Le 11 avril 2013, le Président de l’Assemblée nationale,
monsieur Jacques Chagnon, déposait une plainte au bureau du Commissaire
à la déontologie policière lequel décréta une enquête.
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17. L’enquêteur du Commissaire rencontra de nombreux témoins. Une
trentaine d’entre eux étaient des gardiens-ouvriers travaillant à l’Assemblée
nationale au moment des événements. Ces gardiens-ouvriers ont offert des
déclarations dans le cadre de cette enquête déontologique. La plupart de ces
déclarants sont les mêmes que ceux déjà rencontrés lors de l’enquête
criminelle de la Sûreté du Québec.
18. L’intimé Stéphane Demers admet qu’il a eu une conduite inappropriée et
inacceptable relativement à l’utilisation de la caméra # 81.
19. La caméra # 81 est décrite dans l’annexe “A”.
20. En effet, l’intimé Stéphane Demers a utilisé la caméra # 81 de
l’Assemblée nationale pour visionner et “zoomer” dans les chambres de l’hôtel
le Hilton en s’attardant principalement lorsqu’il pouvait constater la présence
d’occupants dans celles-ci.
21. Même si la caméra ne lui permettait pas de découvrir l’identité de ses
occupants en raison de la qualité de l’image, il pouvait, à tout le moins, voir
certaines de leurs caractéristiques physiques et leurs interactions lorsque les
rideaux de leur chambre n’étaient pas tirés.
22. S’ils avaient témoigné devant le Comité, la plupart des gardiens-ouvriers
auraient déclaré, de par les manœuvres de l’intimé Stéphane Demers, que
celui-ci recherchait de la nudité ou des activités sexuelles chez les occupants
de l’hôtel le Hilton. Il y aurait eu notamment messieurs S. D., R. C., P. G.,
A. M. et mesdames J. C., A. B. et M. L.
23. D’ailleurs, certains ont pu voir de telles images provenant des
visionnements de l’intimé Stéphane Demers. Il y a notamment madame J. C.
et messieurs P. G., S. B., N. M. et A. M. qui auraient témoigné en ce sens s’ils
avaient offert leurs versions des faits devant le Comité, pour ne nommer que
ceux-ci.
24. S’il avait témoigné devant le Comité, le gardien-ouvrier monsieur P. G.
aurait déclaré, relativement aux déplacements de la caméra # 81 vers l’hôtel
le Hilton par l’intimé Stéphane Demers, qu’il “faisait tous les étages. Quand il y
avait de la lumière et que ça bougeait, il s’arrêtait et zoomait à cet endroit. Ça
pouvait durer 2 à 3 minutes et par la suite, il allait vérifier ailleurs” [sic].
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25. L’intimé Stéphane Demers reconnaît également que cette conduite
inappropriée et inacceptable a été répétée, à de nombreuses reprises, dans
plusieurs quarts de travail et parfois, même, plusieurs fois par quart de travail.
De plus, s’il avait témoigné devant le Comité, le gardien-ouvrier,
monsieur S. D., aurait déjà qualifié la caméra # 81 de “dada du
sergent Demers”. Au surplus, plusieurs gardiens-ouvriers auraient témoigné
devant le Comité que c’était devenu le “running gag” en expliquant que
lorsque l’intimé Stéphane Demers travaillait de soir, il était certain qu’il y avait
des “déplacements” vers le Hilton.
26. De plus, l’intimé Stéphane Demers admet que des collègues de travail
l’ont confronté relativement à cette problématique. S’ils avaient témoigné
devant le Comité, certains l’auraient fait à l’effet qu’ils lui auraient exprimé leur
malaise face à ses agissements et d’autres, lui auraient demandé de les
cesser. D’ailleurs, le gardien-ouvrier A. M., s’il était venu témoigner devant le
Comité, aurait déclaré avoir mentionné à l’intimé Stéphane Demers qu’il
n’aime pas ses agissements et qu’il trouvait qu’il utilisait à mauvais escient la
caméra # 81 trop souvent. Selon monsieur A.M, l’intimé lui aurait répondu :
“Non, non, j’assume, il n’y aura pas de problème”.
27. Également, les gardiens-ouvriers, monsieur S. D. et madame F. G., s’ils
avaient témoigné devant le Comité, auraient été de ceux qui auraient exprimé
leur malaise face aux agissements.
28. Compte tenu du fonctionnement des caméras, certains ont même craint
d’être soupçonnés d’être l’auteur de ces agissements et par conséquent, ont
craint de perdre leur emploi en raison des agissements de l’intimé Stéphane
Demers.
29. D’ailleurs, dans le but de se protéger, certaines gardiens-ouvrier ont
“logué” des commentaires dans le système “Sphinx” à l’effet que ce n’était pas
eux qui utilisaient la caméra # 81 vers les chambres de l’hôtel le Hilton. Parmi
ceux-ci, il y a notamment Mesdames A. B., M. L., J. C., D. B. et
Messieurs G. M., A. S., K. S. et R. C.
30. Il y a certains gardiens-ouvriers qui ont averti l’intimé Stéphane Demers à
l’effet qu’ils avaient eu comme directive de “loguer” une inscription dans le
système “Sphinx” toutes les fois qu’il déplaçait la caméra vers les chambres
de l’hôtel le Hilton pour se protéger compte tenu du paragraphe M de
l’annexe “A”.
31. Trois gardiens-ouvriers qui ont utilisé la caméra # 81 vers les chambres de
l’hôtel le Hilton de la même manière que l’intimé Stéphane Demers le faisait,
ont perdu leur emploi dans le cadre de ces mêmes événements, l’autorité de
l’Assemblée nationale n’ayant pas accepté ces agissements.
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32. D’ailleurs, l’ex-gardien-ouvrier J.-L. B. aurait témoigné à l’effet qu’il a
effectivement fait des visionnements sans se cacher car, il a déjà déclaré que
selon lui, “la situation était connue[. D]es personnes comme le
sergent Demers avaient été avisées sans avoir de conséquence”.
33. Tel qu’il appert ci-après, certains témoins auraient témoigné devant le
Comité à l’effet que l’intimé Stéphane Demers aurait banalisé la gravité de ses
agissements avec la caméra # 81.
34. En effet, l’ex-gardien-ouvrier R. C. aurait témoigné à l’effet que :
- l’intimé Stéphane Demers lui aurait déjà demandé si ses
déplacements de caméra dérangeaient quelqu’un;
- à cela, il aurait répondu que lui cela le dérangerait;
- l’intimé aurait répliqué qu’il vivrait avec les conséquences.
35. Le gardien-ouvrier, monsieur S. D. déjà a déclaré que l’intimé Stéphane
Demers lui aurait personnellement déclaré que : “s’ils ne sont pas contents, ils
n’ont qu’à me retourner comme enquêteur”. S’il avait témoigné devant le
Comité, monsieur S. D. aurait repris ses mêmes propos.
36. Le gardien-ouvrier monsieur C. D. aurait déjà déclaré avoir lui aussi avisé
l’intimé Stéphane Demers que les gardiens-ouvriers “loguaient” l’information
lorsqu’il “allait” dans les chambres du Hilton. À cela, l’intimé Stéphane Demers
aurait répondu : “Ce n’est pas grave, s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à
me remettre l’autre bord à mon poste d’enquêteur. Je ne suis que par intérim
et je ne suis pas obligé de faire des nuits” [sic]. Si Monsieur C. D. avait
témoigné devant le Comité, son témoignage aurait reflété ses propos.
37. Monsieur C. D. a également déjà déclaré avoir questionné l’intimé
Stéphane Demers sur ce qu’il ferait s’il voyait dans une des chambres du
Hilton un meurtre ou un viol. La réponse de l’intimé Stéphane Demers aurait
été : “Rien parce que c’est une question de [monsieur C. D. croit que l’intimé a
utilisé le mot ‛moralité’] et que nous n’avons pas le droit de regarder là.” [sic].
Si Monsieur C. D. avait témoigné devant le Comité, son témoignage aurait été
en ce sens.
38. Certains gardiens-ouvriers n’ont pas dénoncé la situation de peur de
perdre leur emploi, entre autres, parce qu’ils n’avaient que le statut
d’occasionnel. Le gardien-ouvrier, monsieur M. T., a déjà répondu à la
question “Pourquoi il n’a pas rapporté cette situation à un supérieur” ce qui
suit : “Mon supérieur immédiat était celui qui faisait ces infractions [...]. Je
n’étais qu’un employé.”. À la même question, le gardien-ouvrier,
monsieur P. G., a déjà déclaré : “C’est par peur et en sachant que d’autre
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l’avait fait et ça n’avait rien donné. II faut comprendre que ces personnes
étaient nos ‛boss’ et j’avais peur de perdre ma ‛job’’” [sic]. Si ces deux
gardiens-ouvriers avaient témoigné devant le Comité, ils l’auraient fait en ce
sens.
39. S’ils avaient témoigné devant le Comité, près d’une trentaine de gardiensouvriers auraient déclaré qu’ils avaient avec l’intimé Stéphane Demers une
bonne relation professionnelle.
40. L’intimé Stéphane Demers n’a aucun antécédent déontologique à ce jour.
41. L’intimé Stéphane Demers a eu le temps de prendre connaissance, de
réfléchir et de comprendre la portée du présent document avant de le signer.
42. Il a pris le temps de consulter toutes les personnes qu’il a jugé nécessaire,
y compris son procureur, avant de signer le présent document.
43. L’intimé Stéphane Demers se déclare satisfait du présent document et
accepte de le signer de façon libre et volontaire.
44. D’autre part, les procureurs des parties font valoir que cette
reconnaissance de responsabilité a le mérite d’abréger les débats et d’éviter
un déplacement de nombreux témoins.
45. En tenant compte de l’ensemble des circonstances et de la
reconnaissance d’avoir enfreint les articles 5 (chef 1) et 7 (chef 5) du Code de
déontologie des policiers du Québec, les parties considèrent adéquate
l’imposition d’une période de suspension de huit (8) jours ouvrables sans
traitement pour chacun de ces deux chefs et ce, de manière consécutive, le
tout totalisant une période de seize (16) jours ouvrables.
46. Cette sanction sert les intérêts de la justice et apparaît juste et raisonnable
dans les circonstances.
47. Les parties soumettent que le Comité de déontologie policière devrait
entériner la recommandation commune des parties. » (sic)
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION
[10] Le Comité, conformément à l’article 229 de la Loi sur la police3 (Loi), ordonne
que l’annexe A4 soit déposée sous scellés et rend une ordonnance de non-publication
et de non-diffusion pour des raisons de sécurité nationale à l’égard de cette pièce.
3
4
RLRQ, c. P-13.1.
Pièce CP-2 sous scellés.
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ARGUMENTATION DES PARTIES
[11] Le 20 avril 2016, les procureurs des parties ont plaidé une première fois
concernant la recommandation commune sur sanction.
[12] La procureure du Commissaire informe alors le Comité qu’elle a considéré que la
conduite du sergent Demers était inacceptable et inappropriée. Elle a également
considéré que le sergent Demers était habituellement le plus haut gradé sur les lieux,
du moins la nuit. Elle a considéré le fait que le sergent Demers était un policier
d’expérience.
[13] Le Commissaire a également noté qu’il ne s’agissait pas d’un événement isolé et
il a constaté une certaine désinvolture de la part du sergent Demers à l’égard de son
comportement.
[14] Par ailleurs, le Commissaire admet l’absence d’antécédents déontologiques de
M. Demers.
[15] De plus, le Commissaire a communiqué avec le plaignant, M. Jacques Chagnon,
et celui-ci se dit en accord avec la proposition de sanction suggérée par les parties.
[16] Enfin, la procureure du Commissaire soutient que la proposition est conforme à
la jurisprudence du Comité en matière d’atteinte à la vie privée et d’atteinte à la dignité
humaine.
[17]
Elle dépose des décisions5 à l’appui de la recommandation.
[18] Le procureur du policier indique que la sanction proposée se situe dans la
fourchette des sanctions imposées par le Comité pour des atteintes à la vie privée et à
la dignité humaine.
5
Pour le Commissaire : Commissaire c. Bernier, 2006 CanLII 81670 (QC CDP) (20 jours de
suspension pour avoir détenu une personne nue); Commissaire c. Gauthier, C.D.P., C-92-1154-3,
19 mai 1993 (10 jours de suspension pour avoir consulté le CRPQ à des fins personnelles); Simard c.
Amyot, 2009 QCCS 5509 (5 jours de suspension pour avoir consulté le CRPQ à des fins personnelles);
Commissaire c. Guérette, 2004 CanLII 72774 (QC CDP) (10 jours de suspension pour avoir consulté le
CRPQ à des fins personnelles); St-Martin c. Larochelle, 2015 QCCQ 1145 (Destitution pour avoir
consulté à de nombreuses reprises le CRPQ à des fins personnelles, le policier a plaidé coupable à des
infractions criminelles à ce sujet).
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[19] Il réfère le Comité à des décisions6 dont les sanctions varient de l’avertissement
à la suspension de vingt jours dans les dossiers où il n’y a pas eu de plaidoyer de
culpabilité et de la réprimande à la suspension de dix jours dans le cas de plaidoyer de
culpabilité.
[20] Lors de l’audition du 20 avril 2016, le Comité a fait part aux parties de sa
perplexité au regard de la recommandation commune sur sanction.
[21] Conformément aux enseignements des tribunaux supérieurs7, le Comité
expliquait aux parties, par une lettre du 9 mai 2016, que des doutes persistaient et qu’il
prévoyait s’écarter de la recommandation qui lui avait été faite.
[22] Le Comité estimait que la recommandation ne tenait pas suffisamment compte
de la gravité objective des infractions commises, de la récurrence de celles-ci sur une
période d’un an et demi et du fait que le sergent Demers banalisait la gravité de ses
agissements, alors qu’il occupait le poste le plus haut gradé en service.
6
Pour le policier : (Décisions sans plaidoyer de culpabilité) Commissaire c. Bonneville, 2002
CanLII 49264 (QC CDP) (Avertissement); Commissaire c. Lemay, 2002 CanLII 49254 (QC CDP)
(Réprimande); Commissaire c. Gauvin, 2008 CanLII 29836 (QC CDP) (Blâme); Commissaire c. Drouin,
2000 CanLII 22259 (QC CDP) (Blâme); Commissaire c. Trudelle, 2002 CanLII 49252 (QC CDP) (Blâme);
Commissaire c. Drapeau, 2000 CanLII 22193 (QC CDP) (2 jours de suspension); Commissaire c. Dubuc,
2000 CanLII 22243 (QC CDP) (3 jours de suspension); Commissaire c. Dompierre, 2002 CanLII 49298
(QC CDP) (3 jours de suspension); Commissaire c. Blémur, 2005 CanLII 59864 (QC CDP) (3 jours de
suspension); Commissaire c. CS, 2011 CanLII 80203 (QC CDP) (5 jours de suspension); Commissaire c.
Vanier, 2001 CanLII 27861 (QC CDP) (5 jours de suspension); Commissaire c. Green, 2007 CanLII
82521 (QC CDP) (5 jours de suspension); Trudeau c. Monty, 2003 CanLII 5844 (QC CQ) (5 jours de
suspension); Commissaire c. Isaac, 2008 CanLII 61758 (QC CDP) (5 mois d’inhabileté); Commissaire c.
Bergeron, 2002 CanLII 49244 (QC CDP) (10 jours de suspension); Commissaire c. Panneton, 2005
CanLII 59857 (QC CDP) (10 jours de suspension); Commissaire c. Guérette, 2004 CanLII 59935 (QC
CDP) (10 jours de suspension); Commissaire c. Bernier, 2006 CanLII 81670 (QC CDP) (20 jours de
suspension). (Décisions à la suite d’un plaidoyer de culpabilité) Commissaire c. Denis, 2000 CanLII
22258 (QC CDP) (Réprimande); Commissaire c. Auger, 2007 CanLII 82495 (QC CDP) (Blâme);
Commissaire c. Sirois, 2013 QCCDP 32 (CanLII) (Blâme); Commissaire c. Fillion, 2011 CanLII 25477
(QC CDP) (1 jour de suspension); Commissaire c. Hargassner, 2003 CanLII 57315 (QC CDP) (1 jour de
suspension); Commissaire c. Sarrazin, 2002 CanLII 49318 (QC CDP) (1 jour de suspension);
Commissaire c. Demers, 2007 CanLII 82503 (QC CDP) (2 jours de suspension); Commissaire c.
Fournier, 2005 CanLII 59871 (QC CDP) (2 jours de suspension); Commissaire c. Desrochers, 2002
CanLII 49281 (QC CDP) (2 jours de suspension); Commissaire c. Gagné, 2005 CanLII 79049 (QC CDP)
(5 jours de suspension); Commissaire c. Ré, 2005 CanLII 59870 (QC CDP) (10 jours de suspension).
7
Douglas c. R., 2002 CanLII 32492 (QC CA); Bazinet c. R., 2008 QCCA 165; Côté c. R., 2007 QCCA
1533.
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[23]
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De plus, le Comité référait les parties à une décision impliquant du voyeurisme8.
[24] Finalement, le Comité fixait une date d’audience afin de permettre aux parties de
faire leurs représentations relativement aux préoccupations du Comité.
[25] Lors de cette audience, la procureure du Commissaire souligne que, dans la
décision Kermelly, il s’agissait, comme dans le présent cas, d’un employé-cadre qui
observait des jeunes filles qui se dévêtaient.
[26] Le sergent Demers observait des personnes dans les chambres de l’hôtel.
D’ailleurs, un DVD sera déposé pour illustrer la mauvaise qualité des images
disponibles.
[27] Alors que M. Kermelly avait rédigé des documents, fait de fausses déclarations
et témoigné pour tenter de se disculper, le sergent Demers a signé l’exposé des faits et
la reconnaissance de responsabilité déontologique.
[28] Alors que M. Kermelly travaillait avec les jeunes filles qu’il épiait, le
sergent Demers ne pouvait voir que des silhouettes.
[29] La procureure du Commissaire ajoute que, contrairement à M. Kermelly qui était
dans une relation employeur/employé, le sergent Demers n’est pas l’employé de
l’Assemblée nationale, mais de la SQ.
[30] Elle ajoute que la reconnaissance des faits par le sergent Demers a pour effet
d’abréger les débats. Ce qui est particulièrement vrai dans le présent dossier puisque
l’audition était prévue pour une vingtaine de jours. Le Commissaire avait
quarante témoins à faire entendre devant le Comité.
[31] Dans le cadre d’une autre audition concernant d’autres policiers visés par des
citations émises relativement aux mêmes faits, la procureure du Commissaire a
constaté que les gardiens-ouvriers assignés n’étaient pas à l’aise pour témoigner de
ces événements. La reconnaissance par le sergent Demers permet d’épargner des
témoignages désagréables et douloureux à ces gardiens-ouvriers.
8
Kermelly c. Wabush, 2009 QCCRT 386 (CanLII).
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[32] La procureure du Commissaire réitère le fait que le plaignant, en l’occurrence le
président de l’Assemblée nationale, M. Jacques Chagnon, a été consulté sur la
sanction. Il était rassuré de voir que le sergent Demers assumait ses responsabilités et
il était d’accord avec la sanction proposée.
[33] Elle souligne que le document « Exposé des faits, reconnaissance de
responsabilité déontologique et recommandations communes sur sanction » a été
rédigé par le Commissaire et que le sergent Demers a consenti à le signer.
[34] Elle termine en mentionnant qu’il est vrai que, pendant qu’il observait des gens,
le sergent Demers ne faisait pas le travail pour lequel il était rémunéré. Toutefois, elle
fait remarquer qu’une partie de cette réalité relève de la relation employeur/employé et il
reviendra au processus disciplinaire de la SQ d’y remédier.
[35] Pour sa part, le procureur du policier dépose un DVD montrant des exemples de
visionnements de la caméra no 81 de l’Assemblée nationale9. Conformément à
l’article 229 de la Loi, le Comité a ordonné que cette pièce soit déposée sous scellés et
a rendu une ordonnance de non-publication et de non-diffusion pour des raisons de
sécurité nationale.
[36] Le procureur du policier dépose ensuite la médaille de la police pour services
distingués10 décernée le 16 juillet 2010 au sergent Demers en reconnaissance de
vingt années de conduite exemplaire au service de l’ordre public au Canada.
[37] Il dépose également des articles de journaux11 faisant état de gestes de bravoure
du sergent Demers au cours de sa carrière.
[38] Il dépose aussi en liasse différentes correspondances de remerciements et de
félicitations adressées au sergent Demers12, responsable de la sécurité, lors
d’événements à l’Assemblée nationale.
[39] Enfin, il dépose une lettre d’appréciation13 du lieutenant Christian Auger,
matricule 9369, supérieur du sergent Demers.
9
10
11
12
13
Pièce CP-3 sous scellés.
Pièce CP-4.
Pièce CP-5.
Pièce CP-6.
Pièce CP-7.
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[40] Il souligne que le rôle du Comité n’est pas de substituer ce qu’il considère être
une sanction juste et raisonnable à ce qui a été négocié par les parties. Il s’agit plutôt
de déterminer si la suggestion commune est raisonnable ou non. Il réfère le Comité à
quelques décisions14.
[41] Il ajoute que le sergent Demers n’est pas accusé de voyeurisme, mais plutôt
d’avoir porté atteinte à la vie privée des occupants de chambres d’hôtel.
[42]
À cet effet, il réfère à l’affaire Vanier15, où on peut lire :
« [11] Dans le présent cas, le Comité est d’avis que la gravité de l’inconduite
de l’agent Vanier milite en faveur d’une suspension comme sanction.
[12] La fouille s’est avérée humiliante et pénible pour monsieur Touzel. En
effet, il était à l’extérieur, à la vue de quiconque, dont monsieur Vachon qui est
sorti du bar et l’a vu pendant une à deux minutes, le pantalon baissé, avant de
retourner dans son établissement.
[13] De plus, à la demande de l’agent Vanier, il a dû écarter ses fesses et
soulever ses testicules, et ce, en présence des agents Spinnou et Ruel.
[14] Il convient de citer l’arrêt Debot, où la Cour suprême a dit, sous la plume
de madame la juge Wilson : “Plus la fouille est envahissante, plus l’atteinte à
la dignité de la personne est grande”. » (Référence omise)
[43] Alors que, dans le cas présent, les vidéos ne permettent pas d’identifier les
personnes ou leurs caractéristiques sexuelles de façon précise. On ne voit que les
silhouettes des personnes.
[44] Il réfère aussi le Comité à l’affaire Bernier16, où le Comité a imposé une
suspension sans solde de vingt jours à un caporal pour une détention à nu. Deux autres
agents ont, pour leur part, été suspendus quatre jours sans solde pour la même
inconduite. Il souligne notamment le passage suivant :
14
Dumont c. R., 2013 QCCA 576; Douglas c. R., 2002 CanLII 32492 (QC CA); Piché c. Simard, 2010
QCCQ 5557.
15
Commissaire c. Vanier, 2001 CanLII 27861 (QC CDP).
16
Commissaire c. Bernier, 2006 CanLII 81670 (QC CDP).
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« [72] En agissant ainsi envers M. Joseph au mépris de ses droits
fondamentaux, le caporal Couturier a non seulement abusé de son autorité, il
s’est placé au dessus de la loi : sans le moindre égard au respect de sa
dignité, à son droit de bénéficier de conditions de détention humaines et à
celui de recourir à l’assistance d’un avocat qui aurait pu mettre un terme à
cette détention dégradante. » (sic)
[45] Le procureur du policier rappelle que le sergent Demers a fait l’objet d’une
enquête criminelle pour voyeurisme, mais qu’il n’y a pas eu d’accusations déposées.
[46] Il rappelle encore une fois que le sergent Demers n’est pas accusé de
voyeurisme, mais d’avoir porté atteinte à la vie privée des occupants de chambres de
l’hôtel Hilton Québec. Il s’agit donc plutôt de curiosité malsaine que de voyeurisme.
[47]
Quoi qu’il en soit, le geste est inacceptable et le sergent Demers l’a reconnu.
[48] Quant au fait que trois gardiens-ouvriers aient été congédiés, il fait siens les
propos de la procureure du Commissaire à ce sujet ajoutant que nous ne connaissons
pas tous les faits entourant ces congédiements.
[49] Il mentionne également que le citoyen qui a déposé la plainte, soit le président
de l’Assemblée nationale, est satisfait de la sanction proposée par les parties.
[50] Le procureur du policier indique que le sergent Demers, malgré l’absence de
preuve matérielle contre lui, a jugé opportun de reconnaître sa responsabilité
déontologique. Il a donc fait une introspection salutaire.
[51] Finalement, les pièces CP-4 à CP-7 démontrent que le sergent Demers est un
bon policier.
[52] Le procureur du policier termine en mentionnant que la sentence proposée se
situe dans les limites raisonnables et devrait être suivie par le Comité.
MOTIFS DE LA DÉCISION SUR SANCTION
[53] L’article 235 de la Loi précise que, au moment d’imposer une sanction, le Comité
doit prendre en considération la gravité de l’inconduite, tenir compte des circonstances
et considérer la teneur du dossier de déontologie du policier cité qui, dans l’espèce, est
sans faute.
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[54] Les objectifs d’une sanction disciplinaire sont de protéger le public, de dissuader
le professionnel de recommencer et de décourager les autres d’agir de la même
façon17. La sanction doit viser à protéger la société tout en respectant les droits du
professionnel18.
[55] Ces mêmes principes sont repris par le juge Pierre Tessier de la Cour
supérieure, dans son Guide du Comité de discipline19 :
« La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : au
premier chef la protection du public puis la dissuasion du professionnel de
récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui
pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit du
professionnel visé d’exercer sa profession. » (Soulignement du Comité)
[56] Dans le cas présent, le Comité est appelé à sanctionner le sergent Demers qui a
reconnu sa responsabilité déontologique aux chefs 1 et 5 de la citation pour avoir porté
atteinte à la vie privée en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance, l’intérieur de
chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il y avait des occupants.
[57] De plus, les parties ont soumis une recommandation commune de sanction au
Comité.
[58] Tel qu’il est mentionné plus haut, le Comité a fait part aux parties de ses
réticences à l’égard de la recommandation commune et leur a donné l’occasion de faire
des représentations à ce sujet.
[59] Le Comité n’est pas lié par la suggestion commune des parties. Il ne peut
cependant l’écarter que si elle est déraisonnable, contraire à l’intérêt public et
susceptible de déconsidérer l’administration de la justice20.
[60] Avec égards, le Comité est d’avis que la suggestion commune qui lui a été
présentée dans le présent dossier est déraisonnable, contraire à l’intérêt public et
susceptible de déconsidérer l’administration de la justice pour les raisons qui suivent.
17
Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, paragr. 67 et Pierre Bernard, La
sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions, dans Développements récents en déontologie, droit
professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 87-88.
18
Nolet c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 1996 CanLII 12337 (QC TP).
19
Barreau du Québec, Guide du Comité de discipline, avril 1990, p. 75-76.
20
Mailhot c. R., 2013 QCCA 870 (CanLII).
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[61] Afin de sanctionner de façon juste, appropriée et proportionnellement à la faute
dans le présent dossier, le Comité doit s’attarder aux éléments constituant la gravité
objective et subjective de la faute.
[62] Les critères objectifs sont ceux directement reliés à l’inconduite. Ainsi, la nature
de l’infraction, sa gravité et la relation de celle-ci avec l’exercice de la fonction de
policier constituent autant de circonstances aggravantes ou atténuantes permettant de
situer le degré de gravité objective de l’inconduite.
[63] De plus, l’analyse des circonstances particulières entourant la commission de
l’inconduite permet également de déterminer la gravité objective.
[64]
À ce sujet, le Comité retient de l’exposé des faits les éléments suivants :
-
Pendant la période entre le 1er avril 2010 et le 31 décembre 2010 ainsi
qu’entre le 8 avril 2011 et le 4 février 2012, le sergent Demers était sergent
par intérim au service de sécurité de l’Assemblée nationale;
-
Lorsqu’il travaillait sur le quart de nuit, il était le plus haut gradé en service sur
les lieux;
-
Le sergent Demers avait sous son autorité quatre gardiens-ouvriers qui se
trouvaient sur les lieux;
-
Compte tenu de sa fonction et de son grade, le sergent Demers devait donner
l’exemple et être dévoué à ses fonctions liées à la sécurité de l’Assemblée
nationale;
-
Le sergent Demers a utilisé la caméra no 81 de l’Assemblée nationale pour
visionner dans les chambres de l’hôtel Hilton Québec lorsqu’il pouvait
constater la présence d’occupants;
-
La plupart des gardiens-ouvriers ont déclaré que le sergent Demers
recherchait de la nudité ou des activités sexuelles chez les occupants de
l’hôtel;
-
Ces conduites inappropriées et inacceptables ont été répétées à de
nombreuses reprises, dans plusieurs quarts de travail et parfois même,
plusieurs fois par quart de travail;
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-
Le sergent Demers a été confronté par des collègues de travail relativement à
ce que l’exposé des faits appelle pudiquement une problématique et certains
lui ont demandé de cesser ses agissements;
-
Face aux malaises exprimés par ces collègues, le sergent Demers répondait
« Non, non, j’assume, il n’y aura pas de problème », « Ce n’est pas grave,
s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à me retourner comme enquêteur » ou
qu’il vivrait avec les conséquences;
-
Certains des collègues de travail du sergent Demers, craignant de perdre leur
emploi en raison de ces agissements, ont inscrit des commentaires dans le
système informatique pour affirmer qu’ils n’étaient pas responsables de
l’utilisation de la caméra no 81 vers les chambres d’hôtel;
-
Trois gardiens-ouvriers, qui ont utilisé la caméra no 81 comme le
sergent Demers, ont été congédiés.
[65] Dans le présent dossier, les fautes déontologiques commises par le
sergent Demers sont extrêmement graves, car elles comportent de la négligence, de
l’insouciance et elles ont affecté de façon importante la confiance et la considération
que requiert la fonction de policier. D’ailleurs, les faits ont été rapportés dans les
médias.
[66] Par son incurie, le sergent Demers a gravement porté atteinte à la vie privée des
occupants des chambres de l’hôtel Hilton Québec.
[67] Quant à l’argument selon lequel il était impossible d’identifier les personnes, le
Comité considère que cela ne constitue aucunement une circonstance atténuant la
gravité du comportement du sergent Demers. En effet, l’absence de préjudice, pour
autant que ce soit le cas ici, ne peut être invoquée à titre de circonstance atténuante
puisque l’objectif du Code, encore une fois, est d’assurer la protection du public.
[68] Quant aux critères subjectifs, il s’agit de critères propres à la personne dont la
conduite a été reconnue fautive.
[69] Parmi ceux-ci, les critères relatifs au policier en tant que salarié, notamment le
nombre d’années d’expérience, constituent des facteurs importants à considérer
lorsqu’il faut apprécier la gravité de la conduite reprochée. D’autre part, la nature des
fonctions occupées, le poste occupé ainsi que le grade le cas échéant, sont également
à prendre en considération.
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[70] Dans le présent dossier, le sergent Demers est policier au sein de la SQ depuis
mars 1989, il avait donc plus de vingt ans d’expérience au moment des événements.
[71] De plus, il a le grade de sergent et il avait la responsabilité d’assurer la sécurité
de l’Assemblée nationale du Québec.
[72] Pour le Comité, ces éléments constituent autant de facteurs aggravants à l’égard
de la conduite du sergent Demers.
[73] D’autre part, quant aux critères relatifs au policier en tant qu’individu, le Comité
retient que l’état d’esprit du sergent Demers au moment des inconduites en aggrave le
caractère répréhensible. En effet, il n’a pas agi de façon irréfléchie. Au contraire, il a
même été confronté par les gardiens-ouvriers qui lui ont exprimé leur malaise face à
son comportement et certains lui ont même demandé de cesser. Pourtant, il s’est entêté
dans son comportement scandaleux qui s’est étendu sur une période de plusieurs mois.
Il a donc agi en toute connaissance de cause.
[74] L’argument des procureurs des parties voulant que la citation contre le
sergent Demers soit pour atteinte à la vie privée et non pour voyeurisme ne convainc
pas. En effet, rappelons que la citation est pour avoir visionné « à l’aide d’une caméra
de surveillance mise à sa disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec
alors qu’il y avait des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée ». Rappelons
également que le sergent Demers « recherchait de la nudité ou des activités sexuelles
chez les occupants »21.
[75] Le Comité estime que la recommandation d’imposer des suspensions de
huit jours par chef de façon consécutive ne tient pas compte de la gravité objective des
inconduites commises par le sergent Demers.
[76] En second lieu, le Comité estime que la récurrence des actes commis par le
sergent Demers, qui se sont étendus sur une période de plusieurs mois, ainsi que le fait
qu’il banalisait ses inconduites, militent en faveur d’une sanction nettement plus sévère
que celle proposée.
[77] Les procureurs ont fait valoir que le sergent Demers, loin de banaliser les faits,
avait pris conscience de ses erreurs et décidé, même en l’absence de preuve
matérielle, de signer l’exposé des faits rédigé par le Commissaire.
21
Pièce CP-1, paragr. 22.
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[78] Pour sa part, le Comité constate que la banalisation par le sergent Demers de
ses gestes apparaît clairement de l’exposé des faits et que sa prise de conscience est
bien tardive dans les présentes circonstances.
[79] En outre, le Comité considère que le sergent Demers a négligé d’accomplir ses
fonctions d’assurer la sécurité de l’Assemblée nationale pendant qu’il satisfaisait sa
curiosité malsaine. De façon évidente, le sergent Demers ne fait pas honneur à la
fonction qu’il occupe.
[80] Dans l’affaire C.U.M. c. Rousseau22, la Cour d’appel traite de l’importance du
poste occupé par les policiers dans notre société, on peut lire :
« […] Le policier, dans notre société, occupe un poste de grande importance.
Non seulement joue-t-il un rôle prépondérant sur le plan social mais il est
aussi chargé de voir à ce que tous les citoyens respectent les règles établies
par la société. Pour mériter le respect de ces citoyens, il doit posséder les
qualités d’honnêteté et d’intégrité et toujours se conduire d’une façon quasi
impeccable. »
[81] Le sergent Demers n’a pas démontré qu’il possédait les qualités d’honnêteté et
d’intégrité auxquelles la Cour d’appel fait référence.
[82] En conclusion, le sergent Demers a failli lamentablement à son obligation de
préserver la confiance et la considération que requiert sa fonction. De plus, il n’a pas
respecté l’autorité de la loi et des tribunaux et n’a pas collaboré à l’administration de la
justice par son comportement.
[83] L’un des buts de la Loi et du Code étant la protection du public, le Comité est
convaincu qu’une personne raisonnablement informée des faits ne voudrait pas avoir à
faire face à un policier manifestant un tel comportement.
[84] Il faut également rappeler que la sanction déontologique vise également
l’exemplarité, soit de démontrer à l’ensemble des policiers qu’un tel comportement est
inacceptable.
[85] C’est pourquoi le Comité, compte tenu de la gravité objective et subjective des
fautes déontologiques reprochées au sergent Demers, estime que, dans les présentes
circonstances, la destitution est la sanction appropriée.
22
C.U.M. c. Rousseau, C.A., Montréal, 500-09-001265-818, p. 7 et 8.
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SANCTIONS
[86] POUR CES MOTIFS, après avoir pris en considération la gravité de l’inconduite,
la teneur du dossier de déontologie ainsi que l’argumentation des parties, le Comité
IMPOSE au sergent STÉPHANE DEMERS, matricule 7933, membre de la Sûreté du
Québec, les sanctions suivantes :
Chef 1
[87]
la destitution pour avoir dérogé à l’article 5 du Code de déontologie des
policiers du Québec, en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à
sa disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il y avait
des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée;
Chef 5
[88]
la destitution pour avoir dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des
policiers du Québec, en visionnant, à l’aide d’une caméra de surveillance mise à
sa disposition, l’intérieur de chambres de l’hôtel Hilton Québec alors qu’il y avait
des occupants, portant ainsi atteinte à leur vie privée.
Pierre Gagné, avocat
Me Fannie Roy
Procureure du Commissaire
Me Marco Gaggino
Procureur de la partie policière
Lieu des audiences :
Québec
Date des audiences :
20 avril et 12 juillet 2016

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