Génériques/Princeps : Le débat refait surface

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Génériques/Princeps : Le débat refait surface
Industrie Labos
Génériques/Princeps
Le débat
refait surface
L’assurance-maladie affirme que le « médicament générique est la copie
exacte d’un médicament de marque ». Mais ce n’est pas ce que disent
les textes officiels qui définissent le générique comme un médicament
bioéquivalent. La transparence n’en ressort pas grandie. Certains médecins
commencent à le faire savoir publiquement.
E
n janvier dernier, lors des
19èmes Journées européennes
de la Société française de cardiologie (SFC), un sujet fait
salle comble avec plusieurs centaines
de cardiologues. Sujet : « Les génériques en cardiologie : un bienfait pour
qui ? » Le Pr. Yves Juillière, spécialiste
de l’insuffisance cardiaque, développe
son point de vue. Il a observé à de
nombreuses reprises que la substitution d’un générique au princeps déséquilibre le traitement de plusieurs
malades souffrant d’insuffisance cardiaque. A la reprise du princeps la
situation se normalise. Le Pr. Juillière
fait publiquement part de son « rasle-bol », en tant que cardiologue clinicien, face à cette situation. Il demande
alors aux cardiologues présents dans la
salle qui ont rencontré un problème
avec les génériques de lever la main.
Tous les bras (à une dizaine près) se
lèvent.
Succédané ou générique ?
Pour Frédérique Claudot1, avocate, un
générique, qui n’est pas exactement
conforme à l’original, est un succéda-
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PHARMACEUTIQUES - MARS 2009
né selon la définition du Littré. Pour
cette dernière, l’information dispensée par l’assurance-maladie pèche par
manque de précision. « Elle pourrait,
dans le cadre d’un procès, être présentée comme une information mensongère ayant causé un préjudice à un
patient, avance-t-elle. Naturellement,
les partenaires de l’assurance-maladie
dans la campagne d’information sur
les génériques pourraient également
être mis en cause. » Quant au pharmacien qui substitue un générique
qui n’est pas la copie exacte, sa res-
Qui croire ?
L’assurance-maladie, sur son site Ameli affirme* « qu’un médicament générique est la copie exacte d’un médicament de marque… qu’il est aussi efficace et
sûr ». Une affirmation en contradiction avec la loi – article L.5121-1 du Code
de la santé publique – qui précise qu’un générique « a la même composition
qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique
et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des
études de biodisponibilité appropriées… ». Aucune mention n’est faite sur les
excipients qui sont ignorés. Bizarrement, l’assurance-maladie ne reprend pas
la définition du générique de l’Agence européenne du médicament (EMEA)
qui, elle, n’ignore pas les excipients : « C’est un médicament similaire à un
médicament qui a déjà été autorisé (ndlr : le «médicament de référence»). Un
médicament générique contient la même quantité de principe(s) actif(s) que
le médicament de référence. Le médicament générique et le médicament de
référence peuvent également contenir des composants inactifs différents. »
* www.ameli.fr/assures/offre-de-prevention/les-medicaments-generiques.php
DR
GÉNÉRIQUES
VS PRINCEPS :
UNE QUALITÉ
IDENTIQUE ?
ponsabilité peut être engagée, en cas
d’accident. La position du Pr. Yves
Juillière est simple : « Oui aux génériques qui correspondent point par
point au princeps, qu’ils en soient
la copie exacte et non une copie approchée. » Le Pr. Merle, responsable
du centre de pharmacovigilance de
Limoges, dans un article co-signé est
très clair2 : « Certains paramètres du
médicament générique et de la substitution ne sont pas contrôlés ou le sont
mal. Ils peuvent alors conduire, avec
une fréquence mal connue, à une inefficacité du traitement ou à la survenue
d’effets secondaires. » Génériques et
princeps : qualité identique ? Catherine Bourienne-Bautista, déléguée générale du Gemme, considère que les
génériques sont des médicaments à
part entière et répondent aux mêmes
standards de qualité que les médicaments princeps. En 2007, après sept
ans de contrôle des médicaments génériques, l’AFSSAPS conclut que « la
qualité des génériques circulant sur le
marché national à l’heure actuelle est
globalement satisfaisante. (…) Il n’a
pas été mis en évidence de différences
de qualité des matières premières en
fonction de leur origine géographique
(UE ou hors UE) ». La déléguée générale du Gemme reconnaît volontiers
qu’il existe des notifications de pharmacovigilance pour les génériques de
la même façon que pour les princeps.
Chaque notification à l’AFSSAPS est
étudiée. Le Gemme demande systématiquement à l’AFSSAPS de lui
communiquer les résultats de ses démarches de pharmacovigilance. Elle
souligne que le Gemme regrette que
les médecins et les pharmaciens ne signalent pas systématiquement, à leur
centre régional de pharmacovigilance,
les problèmes (inefficacité ou intolérance) qui surviennent, alors que les
professionnels de santé en ont l’obligation. Des notifications scientifiquement précises en nombre suffisant
permettraient en effet d’approcher
concrètement et objectivement la réalité du terrain.
Méta-analyse rassurante
Sur la remise en cause des génériques
en pathologie cardiovasculaire, Catherine Bourienne-Bautista s’appuie
sur les résultats de la méta-analyse parue en décembre 2008 dans le Journal
of the American Medical Association3
qui montrent que génériques et princeps sont équivalents cliniquement.
Cette analyse de très large ampleur
évalue 47 publications comparant
les princeps aux génériques dans les
pathologies cardio vasculaires. Ses
conclusions sont très claires : il n’existe pas de preuve de la supériorité des
princeps sur les génériques, alors que
de nombreuses voix dénoncent ces
derniers sans preuve. Cette affirmation est cependant nuancée par les
auteurs eux-mêmes, qui discutent les
limites de leur analyse en expliquant
« que la plupart des études analysées
sont des études court terme, comprenant peu de sujets (…), que ce sont
essentiellement des études de bioéquivalence dont la pertinence clinique est
faible (…) qu’aucune conclusion ne
peut ainsi être tirée sur le long terme,
que les media devraient être beaucoup
plus rigoureux avant d’incriminer les
génériques (…) que la plupart des
études ont été réalisées chez des volontaires sains jeunes et non chez des
patients, que la méthode statistique
utilisée ne permet de savoir si générique et princeps sont équivalents ou
différents (…) mais aussi que personne n’envisage d’étude comparative au long cours entre princeps et
générique ». Les auteurs estiment en
conclusion « que les génériques sont
équivalents cliniquement aux princeps et qu’il est raisonnable de les utiliser dans les pathologies cardiovasculaires, même avec les molécules ayant
des marges thérapeutiques étroites
comme la warfarine (anticoagulant).
Incertitudes
Les récentes conclusions de l’AFSSAPS sur le traitement par générique
de l’épilepsie (voir encadré) reposent
sur une enquête nationale de pharmacovigilance coordonnée par le Centre régional de pharmacovigilance de
Rennes, mise en place par l’AFSSAPS
en 2007 et couvrant la période allant
du 31 octobre 2000 au 30 septembre 2007. Reste que la conclusion
du Centre régional diffère de celle
de l’AFSSAPS : « Au terme de cette
enquête, il semble que la substitution
princeps/générique soit un facteur associé à la survenue de recrudescence >>>
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Industrie Labos
>>> de crises chez les patients épileptiques,
particulièrement pour l’acide valproïque
et la lamotrigine… Ces données sont
cependant à interpréter avec prudence
car les observations concernant les génériques sont en général peu documentées.
Il semblerait important de confirmer ces
données au travers d’études rigoureuses,
permettant d’obtenir des observations
plus fiables. En raison de ce signal, le
Comité technique de pharmacovigilance (qui prépare le travail de la commission nationale de pharmacovigilance)
a recommandé, par mesure de précaution, l’application d’une restriction de la
substitution sur le modèle de ce qui a été
fait en Norvège (à savoir, substitution
de préférence à l’instauration du traite-
ment avec information du prescripteur,
et substitution au cours du traitement
uniquement après accord du prescripteur). » L’avis de l’AFSSAPS s’appuie
sur le fait qu’il n’existe pas de preuve
formelle démontrant, en France, une
différence d’efficacité entre générique et
princeps. Pourtant, deux études américaines parues dans la prestigieuse revue
Neurology en 2004 et 2008 ont montré que les concentrations sanguines des
antiépileptiques génériques étaient inférieures à celle du princeps chez certains
patients. Et ce, malgré la bioéquivalence
démontrée pour l’obtention d’AMM.
Pourquoi ces études n’ont elles pas été
retenues en France ? De son côté, la
Commission d’AMM a conclu « qu’il
devrait être conseillé de ne pas substituer le traitement antiépileptique chez
les patients pour lesquels il a été difficile
d’obtenir l’équilibre thérapeutique. La
substitution devrait donc être anticipée
par le médecin et n’être envisagée qu’en
accord avec le patient ». Finalement, on
est encore loin d’avoir des certitudes.
Princeps contre génériques
Pour le Pr. Georges Houin, pharmacologue au CHU de Toulouse, qui siège à
l’AFSSAPS au groupe générique, « la remise en cause des génériques fait partie
d’une campagne organisée par certains
laboratoires, fabricants de princeps, qui
font pression contre les génériques par
différents moyens : à travers la presse,
GILLES BONNEFOND (USPO)
Pour Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de
pharmaciens d’officine (USPO), « il n’y pas davantage d’effets
secondaires avec les médicaments génériques. D’ailleurs, ce débat n’a lieu qu’en France ». Il s’étonne du fait que les génériques
soient remis en question en cardiologie, « comme par hasard,
juste au moment où les sartans vont être généricables. Il s’agit
d’une campagne, d’une cabale qui repose sur des on dit ». Il se
demande « où sont les notifications de pharmacovigilance des
médecins qui déclarent avoir eu des effets secondaires sous génériques ». Dans son officine, où le taux de substitution atteint
85 %, Gilles Bonnefond « n’a jamais rencontré plus de problèmes avec les génériques, qu’avec les princeps ». Les effets secondaires se rencontrent avec tous les médicaments et « il n’est pas
acceptable d’insinuer que les génériques sont moins sûrs que les
princeps ». Quant à la sous-notification, « elle concerne aussi
bien les génériques que les princeps, c’est une sous-notification
en général ». L’USPO a proposé à l’AFSSAPS de simplifier la
procédure de notification en la rendant possible via Internet en
l’intégrant dans le logiciel métier, ce qui pourrait augmenter le
nombre de notifications. Gilles Bonnefond affirme qu’il n’y a
pas de problème de qualité avec les génériques puisqu’ils sont
contrôlés avec la même rigueur que les princeps. En outre, avec
82 % de substitution des génériques et un recul d’utilisation de
cinq ans en France, il n’y a aucun problème particulier. En Allemagne, aux Etats Unis, en Angleterre, ce recul est beaucoup plus
important, l’utilisation des génériques est beaucoup plus forte
qu’en France et pourtant aucun problème n’a été signalé.
Un combat d’arrière-garde
Il ajoute d’ailleurs que « six ans après la création de l’observatoire
des erreurs génériques créé par certains médecins hostiles aux génériques, on attend toujours les résultats de cet observatoire… »
Pour le président de l’USPO, « un spécialiste qui remet en cause les
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génériques discrédite
sa spécialité ». Il souligne que les laboratoires, dont les molécules sont généricables,
utilisent des stratégies
de contournement
pour retarder la mise
sur le marché des génériques et diminuer
leur part de marché.
Dans le rapport préliminaire sur l’enquête
de concurrence dans
le secteur pharmaceutique1 paru en novembre 2008, la Commission européenne a mis
en évidence ces stratégies et s’en est d’ailleurs émue, précise-t-il.
Ces méthodes aboutissent ainsi à ce que la part de marché des
génériques en France soit inférieure à celle de ses voisins alors que
le nombre de médicaments génériques est identique. Cette situation n’est pas étonnante « quand on constate la pression exercée
par la visite médicale auprès des médecins pour qu’ils prescrivent
dans une classe thérapeutique des médicaments hors répertoire »,
une pression mise en évidence dans le rapport de la Commission
européenne. Pour Gilles Bonnefond, « une industrie pharmaceutique dynamique doit être présente sur le marché des génériques,
à l’instar de Sanofi avec sa filiale Winthrop et … s’opposer aux
génériques est un combat d’arrière-garde ».
(1)Enquête sectorielle dans le domaine pharmaceutique. Rapport
préliminaire. 28 novembre 2008. http://ec.europa.eu/competition/
sectors/pharmaceuticals/inquiry/exec_summary_fr.pdf
© ERIC DURAND
Cabale contre les génériques
Génériques et épilepsie, qu’en penser ?
Les génériques ont récemment été mis en cause dans le traitement de l’épilepsie. L’AFSSAPS, dans une lettre aux professionnels de santé, écrit à ce propos :
« La responsabilité des médicaments génériques ne peut être affirmée dans la
survenue de crises épileptiques observées chez les patients à l’occasion de la
substitution d’un médicament antiépileptique. Les données disponibles ne
permettent pas d’apporter la démonstration scientifique d’une relation entre la
substitution et le déséquilibre de la maladie épileptique. De plus, les données
de l’enquête ne permettent pas d’affirmer que les cas rapportés soient liés à un
défaut de bioéquivalence des génériques par rapport aux princeps. En conclusion, pour l’AFSSAPS, l’efficacité et la sécurité des médicaments génériques ne
sont pas remises en cause.
par l’intermédiaire de médecins et directement auprès des membres des commissions des autorités de santé. Pression
qu’il a subie à titre personnel ». Le Pr.
Houin regrette le très faible nombre de
notifications de pharmacovigilance qui
empêche de recueillir suffisamment de
données scientifiques pour connaître
précisément ce qui se passe dans la réalité. Il serait en effet utile que les médecins
et les pharmaciens fassent une déclaration de pharmacovigilance lorsqu’ils
sont confrontés à un effet indésirable ou
à une perte d’efficacité des génériques.
Les centaines de cardiologues du congrès
de la SFC, qui ont rencontré des problèmes avec les génériques, auraient ainsi
dû faire une déclaration à la pharmacovigilance. Concernant les excipients qui
peuvent être différents entre génériques
et princeps, le Pr. Houin estime à titre
personnel que « pour certains patients,
notamment les personnes âgées, il est
dommage que la couleur, les excipients,
le goût ou la formulation, la forme du
médicament soient différents du princeps surtout pour le traitement des
maladies chroniques. Une copie exacte
serait préférable ». Le Pr. Louis Merle,
responsable du centre de pharmacovigilance de Limoges, pense qu’il serait indispensable, plus simple et plus sûr que
générique et princeps soient strictement
identiques. Il regrette que « certains médicaments dont la présentation est brevetée ne puisse être copiée, mais aussi
que certains excipients soient ajoutés
dans le générique alors qu’ils n’entrent
pas dans la composition du princeps. »
En l’absence de notifications en nombre
suffisant et pour clarifier définitivement
le débat, il serait envisageable de réaliser une enquête auprès des pharmaciens
ou des médecins ayant eu des problèmes avec les génériques pour recueillir
des données scientifiques et précises en
nombre suffisant et indiscutables. « Cette étude, qui demande des bras (et des
moyens) pourrait être envisagée dans le
cadre des programmes hospitaliers de recherche clinique », précise le Pr. Merle.
La substitution en question
Pour le Pr. Merle, le principe du générique n’est pas à remettre en cause. En
revanche, le principe de la substitution
pose problème, non seulement entre
princeps et générique mais aussi entre
génériques. Les pharmaciens peuvent en
effet changer de fournisseur de génériques assez fréquemment et l’on sait que
les génériques ne sont pas équivalents
entre eux. Même si chacun séparément satisfait aux normes cinétiques
de bioéquivalence. En effet, précise-til, les génériques sont toujours et uniquement évalués par rapport au princeps, mais jamais entre eux. Affaire à
suivre. ■
Emmanuel Cuzin
(1) Consensus cardio pour le praticien
2007, N° 33 : 26-28.
(2) M. L Laroche, S. Crepin, L. Merle.
Pharmacovigilance des médicaments
génériques et apparentés. Lettre du
pharmacologue 2005, volume 16 n° 3 ;
87-94.
(3) Clinical equivalence of generic and
brand-name drugs used in cardiovascular
disease. Kesselheim A. S et al JAMA,
2008 Vol 300, N° 21; 2514-2526.
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