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J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier.
2o, de la loi du 12 janvier 1993 « contenant un
programme d’urgence pour une société plus
solidaire ».
Cette loi visait notamment à unifier les voies
de recours à l’égard des décisions du C.P.A.S.
en matière d’octroi de l’aide sociale et du minimum de moyens d’existence, en supprimant
les chambres provinciales qui existaient pour
l’aide sociale et en confiant l’ensemble des litiges aux tribunaux du travail (Doc. parl., Ch.,
s.e. 1991-1992, no 630/1, pp. 6-8).
B.8.2. — La formulation de la disposition en
cause résulte d’une observation de la section
de législation du Conseil d’Etat.
En ce qui concerne le délai de recours à
l’égard des décisions en matière d’aide individuelle, l’avant-projet de loi prévoyait l’introduction du recours « dans le mois de la réception de la décision » (ibidem, pp. 16 et 28).
Après avoir estimé que « l’alinéa 3 en projet,
aux termes duquel le recours doit être introduit dans le mois “ de la réception ” de la décision, n’est pas suffisamment précis pour exclure toute contestation concernant la date à
laquelle le délai de recours commence à
courir » (Doc. parl., Ch., s.e. 1991-1992,
no 630/1, p. 41), la section de législation du
Consei l d’Etat a suggéré de remplacer
l’alinéa 3 de l’article 71 en projet par le texte
qui existe actuellement.
2 0 0 6 B.9. — Si le centre public d’action sociale
dispose du choix du mode de communication
— « notification » par lettre recommandée ou
remise en mains propres — à l’intéressé de la
décision qui le concerne, la communication de
cette décision, imposée par l’article 62bis de
la loi du 8 juillet 1976, suppose, pour être accomplie, que la décision administrative soit
portée à la connaissance de l’intéressé.
Cette considération s’impose a fortiori lorsque la « notification » de la décision fait courir, comme le prévoit la disposition en cause,
un délai de recours.
4
à la poste du pli recommandé notifiant la décision, la disposition en cause restreint de manière disproportionnée les droits de défense
du destinataire de cette décision.
B.13. — Par ailleurs, la Cour constate que la
loi du 10 mars 2005 modifiant l’article 2 de la
loi du 11 avril 1995 visant à instituer la
« charte de l’assuré social » inclus désormais
l’« aide sociale » dans la définition de la notion de « sécurité sociale » relevant du champ
d’application de la loi du 11 avril 1995, de
sorte que la différence de traitement invoquée
dans la première question préjudicielle n’existe plus depuis l’entrée en vigueur de la loi précitée du 10 mars 2005.
B.14. — Les questions préjudicielles appellent une réponse positive.
Le pourvoi en cassation est dirigé contre
l’arrêt rendu le 7 octobre 2002 par la cour
d’appel de Liège dans la cause 2000/RG/
1346.
II. — La procédure devant la Cour.
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
III. — Le moyen de cassation.
Le demandeur présente un moyen libellé dans
les termes suivants :
Dispositions légales violées.
Par ces motifs :
La Cour,
Dit pour droit :
En ce qu’il prévoit que le délai de recours
prend cours à partir de la date de dépôt à la
poste du pli recommandé notifiant la décision,
l’article 71 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale viole
les articles 10 et 11 de la Constitution.
CONCLUSIONS EN MATIÈRE
CIVILE. — Mise en état judiciaire
(article 747, § 2, C. jud.). — Délais
pour conclure. — Conclusions remises
au greffe dans le délai. — Conclusions
non adressées simultanément
à la partie adverse. —
Ecartement des débats (oui).
Cass. (1 re ch., aud. plén.),
9 décembre 2005
B.10. — Il est raisonnablement justifié que,
pour éviter toute insécurité juridique, le législateur fasse courir des délais de procédure à
partir d’une date qui ne soit pas tributaire du
comportement des parties. Toutefois, le choix
de la date du dépôt du pli recommandé à la
poste comme point de départ du délai de recours apporte une restriction disproportionnée
au droit de défense des destinataires, les délais de recours commençant à courir à partir
d’un moment où ces derniers ne peuvent pas
avoir connaissance du contenu du pli.
(V. Vrancken c. s.a. Les assureurs réunis).
B.11. — L’objectif d’éviter l’insécurité juridique pourrait être atteint aussi sûrement si le
délai commençait à courir le jour où le destinataire a pu en avoir connaissance, c’est-àdire à la date où, en toute vraisemblance, le pli
a été présenté à son domicile, sans avoir égard
à la date à laquelle, le cas échéant, il a retiré le
pli à la poste.
Cette date est d’ailleurs celle à laquelle, sauf
disposition contraire, la « notification » d’une
décision administrative est réputée accomplie,
le propre d’une notification étant de porter à la
connaissance du destinataire le contenu de
l’acte notifié.
Lorsque le juge a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe des conclusions et leur
envoi simultané à la partie adverse doivent tout
deux avoir lieu dans le délai fixé.
La seule remise des conclusions au greffe, sans
envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences
de la loi.
Il s’impose en pareil cas au juge d’écarter les
conclusions même si elles ont été déposées au
greffe dans le délai.
B.12. — En ce qu’elle énonce que le délai de
recours prend cours à partir de la date de dépôt
I. — La décision attaquée.
Siég. : I. Verougstraete (prés.), Cl. Parmentier
(prés. sect.), E. Waûters (prés. sect.), G. Bourgeois, Ph. Echement (prés. sect.), G. Storck,
D. Batselé, P. Maffei, A. Fettweis (rapp.).
Min. publ. : Th. Werquin (av. gén.).
Plaid. : MMes A. De Bruyn et H. Geinger.
Articles 742, 745, 746, 747, particulièrement
747, § 2, alinéa 6, et 1042 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués.
L’arrêt « dit n’y avoir lieu à l’écartement
d’office des conclusions de [la défenderesse]
déposées au greffe de la cour [d’appel] le
18 mai 2001, soit dans le délai imparti par
l’ordonnance rendue le 22 janvier 2001 en
application de l’article 747 du Code judiciaire », bien qu’elles aient été communiquées
au conseil du demandeur le 20 juin 2001 seulement, soit plus de trente jours après l’expiration du délai imparti par l’ordonnance pour
conclure.
L’arrêt fonde sa décision sur les motifs
suivants :
« que l’original des conclusions de [la défenderesse] a été déposé au greffe de la cour
[d’appel] le 18 mai 2001; qu’elles ont été
adressées par télécopieur le 20 juin 2001 au
conseil [du demandeur]; que le conseil de [la
défenderesse] qui a été invité à s’expliquer à
ce sujet à l’audience du 16 septembre 2002 a
déclaré être dans l’impossibilité de prouver
avoir communiqué ses conclusions au conseil
[du demandeur] avant le 20 juin 2001 (voy. le
procès-verbal d’audience du 16 septembre
2002);
» que la sanction visée à l’article 747, § 2, du
Code judiciaire, de l’écartement d’office des
conclusions tardives, ne peut s’appliquer que
dans les cas visés par la loi, les termes utilisés
dans l’ordonnance étant sans incidence;
» qu’en vertu de l’article 742 du Code judiciaire, les parties adressent ou déposent au
greffe l’original de leurs conclusions; qu’en
vertu de l’article 745 du même Code, toutes
conclusions sont adressées à la partie adverse
ou à son avocat, en même temps qu’elles sont
remises au greffe; qu’en vertu de l’article
746 du même Code, la remise des conclusions au greffe vaut signification; que,
contrairement à l’article 747, § 2, du même
Code, sans préjudice de l’application des exceptions prévues à l’article 748, §§ 1 er et 2
— lesquelles ne sont pas applicables en l’espèce — lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé les délais pour
conclure, les conclusions qui ont été communiquées après l’expiration du délai sont d’office écartées des débats;
» qu’il résulte de la combinaison des articles
mentionnés ci-avant que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai
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déterminé par le juge sont écartées d’office
des débats (Cass., 23 mars 2001, R.G.,
no C.97.0270.N) ».
Griefs.
L’article 745 du Code judiciaire dispose que
« toutes conclusions sont adressées à la partie
adverse ou à son avocat “ en même temps ”
qu’elles sont remises au greffe » tandis que
l’article 747, § 2, in fine, prévoit que sans préjudice de l’application d’exceptions non applicables en l’espèce, lorsque le juge a fixé les
délais pour conclure, « les conclusions communiquées après l’expiration des délais (...)
sont “ d’office ” écartées des débats ».
Il importe peu par conséquent que les droits
de défense de la partie adverse n’aient pas été
violés par la communication tardive des conclusions. Le juge est tenu d’écarter d’office
les conclusions déposées après l’expiration du
délai imparti par l’ordonnance aménageant les
délais pour conclure.
A tort, l’arrêt objecte-t-il qu’en vertu de
l’article 742 du Code judiciaire, les parties
adressent ou déposent leurs conclusions au
greffe, l’article 746 précisant que « la remise
des conclusions au greffe vaut signification ».
Si la remise des conclusions au greffe vaut signification, c’est parce que l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire a prévu que
« toutes conclusions sont adressées [à la partie adverse ou à son avocat] en même temps
qu’elles sont remises au greffe ». Autrement
dit, l’article 746 ne peut être dissocié de
l’article 745. La remise des conclusions au
greffe vaut signification dans la mesure où les
conclusions sont adressées à la partie adverse
en même temps qu’elles sont remises au greffe (article 745 du Code judiciaire).
Si cette condition n’est pas remplie, la remise
des conclusions au greffe ne vaut pas signification ou du moins c’est une signification qui
n’est pas l’équivalent de la communication
des conclusions à la partie adverse.
Ceci est confirmé par l’article 745, alinéa 2,
du Code judiciaire, qui dispose que « la communication des conclusions est réputée acc o m p l i e c i n q j o u r s a p r è s l ’ e nv o i d e s
conclusions ». Le dépôt des conclusions non
accompagné de leur envoi à la partie adverse
ne vaut donc certainement pas communication
des conclusions.
C’est bien pourquoi l’article 747, § 2, du
Code judiciaire a prévu, non pas que les conclusions déposées tardivement, mais que les
conclusions « communiquées » tardivement
seront d’office écartées des débats.
Il résulte de cette disposition que c’est la date
de la communication des conclusions à la partie adverse et non celle de leur dépôt au greffe
qui est déterminante pour apprécier l’éventuel
dépassement du délai.
Il s’ensuit que la décision selon laquelle les
conclusions communiquées au conseil de la
demanderesse plus de trente jours après l’expiration du délai pour conclure ne doivent pas
être écartées des débats étant donné qu’elles
ont été déposées au greffe dans le délai déterminé par le juge et que les droits de défense du
demandeur n’ont pas été violés, n’est pas légalement justifiée (violation des dispositions
légales citées en tête du moyen).
IV. — La décision de la Cour.
Attendu qu’aux termes de l’article 745,
alinéa 1er, du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à
son avocat, en même temps qu’elles sont remises au greffe;
Attendu qu’en vertu de l’article 747, § 2,
alinéa 5, du Code judiciaire, le président ou le
juge désigné par celui-ci, détermine les délais
pour conclure et fixe la date de l’audience des
plaidoiries;
Que le sixième alinéa de cette même disposition légale dispose que, sans préjudice de
l’a pp li c at io n d es ex c ep ti o ns pr év ue s à
l’article 748, §§ 1er et 2, étrangères à la présente espèce, les conclusions communiquées
après l’expiration des délais déterminés à
l’alinéa précédent sont d’office écartées des
débats;
Que, lorsque le président ou le juge désigné
par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et
leur envoi simultané à la partie adverse doivent tous deux avoir lieu dans le délai fixé;
Que la seule remise des conclusions au greffe,
sans envoi concomitant à la partie adverse de
ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux
exigences de la loi;
Qu’il s’impose en pareil cas au juge d’écarter
les conclusions même si elles ont été déposées
au greffe dans le délai;
Attendu qu’en décidant que les conclusions
principales de la défenderesse ne devaient pas
être écartées des débats, bien qu’elles n’eussent été communiquées au conseil du demandeur qu’après l’expiration du délai fixé par le
juge, l’arrêt viole l’article 747, § 2, du Code
judiciaire;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé;
Par ces motifs :
La Cour,
Casse l’arrêt attaqué.
(...).
O
OBSERVATIONS
Requiem pour l’article 745, alinéa 2,
du Code judiciaire (1)
1. — La Cour de cassation vient donc de rendre un nouvel arrêt sur la question hautement
controversée de savoir quelle est la formalité
qui doit être accomplie, dans le délai fixé par
le juge, en cas d’application de l’article 747,
§ 2, du Code judiciaire, pour éviter la sanction
de l’écartement d’office des conclusions.
Outre qu’elle est controversée, cette question
est d’une importance quotidienne pour les
avocats, inévitablement perdus face aux positions contradictoires développées tant par la
jurisprudence que par la doctrine (malgré les
termes très clairs utilisés par le législateur à
l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire).
Pour faire simple, rappelons que selon les uns,
il convient de s’assurer du seul dépôt des conclusions au greffe dans le délai imparti par
l’ordonnance alors que pour les autres, se prévalant du texte de la loi, c’est la communication des conclusions à l’autre partie qui doit
être seule prise en considération (2).
(1) Les lecteurs m’autoriseront cet emprunt, en forme de clin d’œil, au titre d’un article publié en 1983,
à la J.L.M.B., p. 113, par le professeur Fettweis;
l’arrêt annoté du 9 décembre 2005 fait également
l’objet d’un commentaire de H. Boularbah, à paraître à la J.L.M.B., début 2006. Ce n'est qu'au moment
de la relecture des épreuves du présent article que j'ai
pu prendre connaissance des remarquables conclusions de l'avocat général Thierry Werquin, prises
avant l'arrêt annoté (disponibles sur le site de la Cour
de cassation) qui, malheureusement, n'ont pas été
suivies par la Cour. J'encourage vivement les lecteurs à les lire. Je partage très largement ses pénétrantes considérations, sous la seule réserve qu'à
mon sens, si une partie ne peut apporter la preuve ni
de la communication ni de l'envoi de ses conclusions
à l'autre et que celle-ci conteste les avoir reçues, il
n'y a pas lieu d'appliquer l'article 745, 1er alinéa, du
Code judiciaire, pour en déduire que les conclusions
seraient présumées envoyées à la date de leur dépôt
au greffe (point 4.2). Il convient au contraire d'écarter ces conclusions à défaut pour l'expéditeur de
prouver que leur communication est intervenue dans
le délai fixé par le juge.
(2) Voy., sur cette controverse : M. Regout, « La
mise en état des causes », J.L.M.B., 2004, pp. 510 et
s.; J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement interruptif du délai pour conclure : le dépôt ou la
communication », note sous Cass., 23 mars 2001 et
Liège 7 octobre 2002, J.T., 2003, pp. 751 à 754 et les
références citées par l’auteur p. 752, 1re col., « Pour
une réforme urgente de la mise en état judiciaire »,
obs. sous Bruxelles, 29 juin 2004, J.T., 2004, pp. 784
et 785 et « Dépôt ou communication? Ou de la complication d’une question simple », obs. sous Cass.,
22 janvier 2004, J.T., 2005, p. 418; J. Englebert,
« La mise en état », in Actualités et développements
récents en droit judiciaire, C.U.P., Bruxelles, Larcier, 03/2004, vol. 70, pp. 107 et s., spécialement
pp. 115 à 128; H. Boularbah et J. Englebert,
« Questions d’actualité en procédure civile »,
C.U.P., Bruxelles, Larcier, 12/2005, vol. 83, pp. 43
et s., spécialement pp. 80 à 89.
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On ne peut pas dire, dans cette controverse,
que la Cour de cassation ait brillé dans « sa
mission de veiller à l’interprétation et à l’application exacte de la loi et, par là, d’assurer
l’unité de la jurisprudence » (3).
Avant l’arrêt annoté, la Cour s’était déjà prononcée à quatre reprises sur cette question.
Pour bien comprendre la portée de l’arrêt du
9 décembre dernier, il n’est pas inutile de procéder à une rapide radioscopie de sa jurisprudence antérieure.
I. — Rappel de la jurisprudence antérieure
2. — Dans la première affaire soumise à la
Cour de cassation, la cour d’appel de Liège
avait écarté d’office des conclusions au motif
qu’elles avaient été déposées au greffe plus de
sept mois après l’expiration du délai fixé par
le juge.
Le moyen reprochait à la cour d’appel d’avoir
écarté les conclusions en raison de leur dépôt
tardif au greffe alors « que cette sanction ne
peut être appliquée que si les conclusions
n’ont pas été communiquées (« overgelegd »
id est « medegedeeld ») à la partie adverse
dans le délai imposé par le juge ». Le moyen
soutenait, à juste titre, que seule la communication devait être prise en compte « même si
l’ordonnance détermine que les conclusions
2 0 0 6 doivent être déposées au greffe dans le délai
fixé », tout en relevant « qu’en l’espèce, l’ordonnance rendue le 14 novembre 1995 a fixé
“ date jusqu’au 1er février 1996 pour permettre aux parties appelantes de conclure additionnellement et jusqu’au 1er mars 1996 pour
la réplique éventuelle de la partie intimée ” et
ceci donc sans préciser que les conclusions
devraient être déposées au greffe ». Le demandeur en cassation en concluait que « la
cour d’appel ne pouvait légalement appliquer
la sanction prévue à l’article 747 du Code judiciaire [...] au seul motif que ses conclusions
n’auraient été déposées au greffe de la cour
(d’appel) que le 2 septembre 1996 ».
6
Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation,
par un très bref arrêt du 15 mai 1998 (4), relève « qu’il n’apparaît pas des pièces auxquelles
la Cour peut avoir égard que les conclusions
additionnelles de la troisième demanderesse
aient été communiquées au défendeur avant
leur dépôt au greffe, dans le délai fixé en vertu
de l’article 747 ». Dès lors qu’il n’était pas
prouvé que la communication des conclusions
était intervenue dans le délai fixé par le juge
(ou du moins que cette communication ne ressortait pas des pièces auxquelles la Cour de
cassation pouvait avoir égard), la Cour a pu
décider que la sanction de leur écartement
était justifiée. Et ce, même si le juge d’appel
avait motivé cet écartement par leur dépôt tardif.
La doctrine en avait déduit que, par cet arrêt,
la Cour de cassation laissait « entrevoir son
inclinaison (sic; il faut bien sûr lire inclination. N.D.L.R.) envers [la] thèse prévisible et
dictée par la loi » selon laquelle seule la com-
(3) Rapport annuel de la Cour de cassation de Belgique, 2004, p. 31.
(4) 1re ch., section française.
munication des conclusions dans le délai devait être prise en compte (5).
Rétrospectivement et à la lumière de sa jurisprudence subséquente, l’attention est attirée
par le premier attendu du raisonnement de la
Cour, qui portait manifestement en lui les germ e s d e s o n a rg u m e n t a t i o n u l t é r i e u r e :
« qu’aux termes de l’article 745 du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la
partie adverse ou à son avocat en même temps
qu’elles sont remises au greffe ».
On peut en effet se demander quel était l’intérêt
de faire référence à cet article, sauf à considérer
qu’à défaut d’autre précision (comme c’était le
cas en l’espèce), il faudrait considérer que les
conclusions sont présumées communiquées ou
envoyées à l’autre partie « en même temps »
qu’elles sont déposées au greffe ou qu’à tout le
moins, un lien devrait être fait entre le dépôt
des conclusions et leur envoi à l’autre partie.
On s’en aperçoit clairement aujourd’hui, dès
1998, le doigt était déjà inexorablement mis
dans l’engrenage et la machine à broyer le second alinéa de l’article 745, ainsi mise en branle
ne s’arrêtera plus, au grand dam de la doctrine.
3. — Dans la deuxième affaire soumise à la
Cour de cassation, qui donnera lieu à son arrêt
du 23 mars 2001 (6), des conclusions additionnelles, dont l’écartement était demandé,
avaient été déposées au greffe la veille du dernier jour du délai fixé par le juge mais
n’avaient été communiquées à l’autre partie
que quatre jours après l’expiration de ce délai.
Après avoir rappelé « que l’article 745 du Code
judiciaire prévoit que “ toutes conclusions sont
adressées à la partie adverse en même temps
qu’elles sont remises au greffe ” », la cour d’appel d’Anvers précise aussitôt que « la sanction
consistant à écarter des conclusions des débats
concerne uniquement le dépôt tardif de ces conclusions au greffe » à condition, précise-t-elle,
« que la communication ultérieure de ces conclusions ne porte pas atteinte aux droits de la
partie adverse ». Or, en l’espèce, les conclusions
déposées au greffe « en temps utile », ont été
communiquées quatre jours plus tard à la partie
adverse, qui y a répondu, de sorte qu’« elles
n’ont pas porté atteinte aux droits de celle-ci ».
Etrangement, on constate que la cour d’appel
d’Anvers s’était elle aussi sentie obligée de
faire référence à l’article 745, alinéa 1 er, du
Code judiciaire, sans que l’on puisse percevoir exactement l’intérêt ou la pertinence de
ce rappel par rapport à l’argumentation retenue par ailleurs pour refuser d’écarter les conclusions communiquées tardivement mais déposées dans le délai.
bats concerne non pas le dépôt tardif de ces
conclusions mais leur communication tardive
à la partie adverse ».
Loin de saisir cette occasion pour
« confirmer » la tendance pressentie en 1998,
la Cour de cassation a pris, à cette occasion,
clairement position en faveur de la thèse du
seul dépôt des conclusions au greffe.
La Cour rappelle dans un premier temps
« qu’aux termes de l’article 742 [du Code judiciaire], les parties adressent ou déposent au
greffe l’original de leurs conclusions; qu’aux
termes de l’article 745 du même Code, toutes
conclusions sont adressées à la partie adverse
ou à son avocat en même temps qu’elles sont
remises au greffe; qu’aux termes de
l’article 746 du même Code, la remise des
conclusions au greffe vaut signification; qu’en
vertu de l’article 747, § 2, du même Code,
sans préjudice de l’application d’exceptions
non applicables en l’espèce, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé les délais pour conclure, les conclusions
communiquées après l’expiration de ces délais sont d’office écartées des débats ». Pour
ensuite, en conclure, « qu’il suit du rapprochement de ces dispositions que seules les
conclusions déposées au greffe en dehors du
délai déterminé par le juge sont écartées d’office des débats ».
Dans son commentaire publié sous l’arrêt, J.-Fr.
van Drooghenbroeck estimait que le raisonnement de la Cour laissait perplexe (7). On ne saurait mieux dire.
Il n’en reste pas moins qu’à cette date, le plaideur pouvait se dire que seul comptait le dépôt
au greffe de ses conclusions dans le délai fixé
par le juge.
Ce qui frappe, c’est que dans son récapitulatif
(quasi exhaustif) des dispositions du Code judiciaire fixant les règles selon lesquelles les
parties concluent dans les causes qui ne sont
pas retenues à l’audience d’introduction
(article 741, C. jud.), la Cour de cassation
omet singulièrement de reprendre
l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire,
pourtant fondamental dans ce débat dès lors
qu’il a été précisément ajouté par la loi du
3 août 1992, en même temps que le législateur
mettait en place le nouveau régime du calendrier contraignant d’échange des conclusions
(article 747, § 2). Cet « oubli » est d’autant
plus étrange que précisément, mis à part le
nouvel article 747, § 2, seul l’article 745,
alinéa 2, emploie le terme « communication »
à propos des conclusions.
Le moyen soumis à la Cour de cassation l’invitait à préciser clairement que la communication des conclusions à l’autre partie était la
seule formalité à prendre en compte pour vérifier si le délai fixé par le juge était respecté :
« que, conformément à l’article 747, § 2, dernier alinéa, du Code judiciaire, les conclusions “ communiquées ” après l’expiration du
délai prévu à l’alinéa précédent sont d’office
écartées des débats; que, dès lors, la sanction
consistant à écarter des conclusions des dé-
4. — L’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire est par contre au centre des préoccupations
de la Cour de cassation dans le troisième arrêt
qu’elle prononcera sur cette question controversée, le 20 décembre 2001 (8).
Dans cette affaire, l’ordonnance rendue sur la
base de l’article 747, § 2, du Code judiciaire,
accordait à la demanderesse en cassation un
délai de six semaines pour conclure, à dater de
la communication des conclusions de l’autre
partie.
Les conclusions de la défenderesse en cassation avaient été déposées au greffe le 18 février
(5) J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement
interruptif... », op. cit., pp. 751 à 754.
(6) 1re ch., section néerlandaise.
(7) J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement
interruptif... », op. cit., p. 752, 1re col.
(8) 1re ch., section néerlandaise.
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1994. « Tout autre élément faisant défaut », la
cour d’appel de Bruxelles estime que « il y a
lieu d’admettre que ce document de procédure
a été envoyé (9) à (la demanderesse) le même
jour » et « qu’en conséquence, ces conclusions
sont réputées communiquées à (la demanderesse) le 23 février 1994 ». C’est-à-dire, le
18 février plus cinq jours, par application de
l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire. Le
délai de six semaines à dater du 23 février 1994
expirait donc le 6 avril 1994.
La cour d’appel constate que la demanderesse
en cassation a déposé au greffe ses conclusions
le 5 avril 1994 et « qu’à défaut de tout autre
élément, il y a lieu d’admettre que ces conclusions ont été envoyées (aux défendeurs) le
même jour de sorte qu’elles sont réputées déposées (10) le 10 avril 1994, soit plus de six semaines après la communication des conclusions additionnelles (des défendeurs); qu’en
conséquence [...] il y a lieu d’écarter d’office
ces conclusions des débats ».
La critique fondamentale que l’on peut faire
de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, soumis à la censure de la Cour de cassation, est
d’avoir présumé, « à défaut de tout autre
élément », que les conclusions avaient été envoyées à l’autre partie le même jour que celui
de leur dépôt au greffe.
On en revient, une fois de plus, à l’article 745,
alinéa 1er, du Code judiciaire qui dispose que
« toutes conclusions sont adressées à la partie
adverse ou à son avocat, en même temps
qu’elles sont remises au greffe ».
Cette règle préexistait à la réforme de 1992.
Elle figure dans le Code judiciaire depuis
l’entrée en vigueur de celui-ci. Elle ne fait
l’objet d’aucun commentaire particulier par
Ch. van Reephinghen dans son Rapport sur la
réforme judiciaire, qui ne fait que paraphraser
les textes en projet : « Les parties se communiquent la copie de leur conclusions et déposent en même temps l’original au greffe
(art. 745 et 746). Le dépôt au greffe vaut
signification » (11). Dans son Manuel, A.
Fettweis se contente lui-même d’indiquer, à
propos de l’article 745 (à l’époque il n’y avait
pas encore de second alinéa) : « Un échange
de conclusions se fait, en principe, par le dépôt au greffe de l’original (article 742). La remise des conclusions au greffe vaut signification (article 746). Les conclusions doivent, en
outre, être adressées à la partie adverse ou à
son avocat (article 745) » (12). L’auteur précise, en note de bas de page, que « la sanction
du défaut de communication des conclusions
est la remise de la cause ».
Cette règle est introduite dans le Code judiciaire dès lors qu’auparavant, les conclusions
étaient remises au tribunal par l’intermédiaire
des avoués et la communication entre les parties se faisait par une signification réciproque
de celles-ci entre avoués, par l’intermédiaire
des huissiers audienciers (13).
(9) C’est moi qui souligne.
(10) Lire, plus vraisemblablement, « communiquées ».
(11) Ch. van Reephinghen, Rapport sur la réforme
judiciaire, éd. du Moniteur, 1964, p. 287.
(12) A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Liège,
éd. 1987, p. 226, no 283.
(13) Article 70 du décret du 30 mars 1808; voy. chevalier Braas, Précis de procédure civile, Bruylant,
2e éd., 1934, p. 421.
Elle impose, sans toutefois qu’aucune sanction ne soit attachée à ce prescrit, à une partie
d’envoyer ses conclusions à l’autre partie « en
même temps » qu’elles sont déposées au greffe. Elle assure ainsi le respect du contradictoire. C’est pour ce motif que si elle n’est pas
respectée, la cause était remise afin de garantir ce principe (14). Cet article ne contient cependant aucune présomption d’envoi des conclusions à l’autre partie, simultané au dépôt,
contrairement à ce qu’en déduit la cour
d’appel.
Le pourvoi, qui ne critique pas l’arrêt sur ce
point, se fonde par contre sur une interprétation restrictive de la portée de l’article 745,
alinéa 2, du Code judiciaire :
« la disposition de l’article 745, alinéa 2, du
Code judiciaire suivant laquelle la “ communication ” des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l’envoi, tend uniquement
à éviter que le délai entre l’envoi et la réception des conclusions par leur destinataire ne
soit imputé sur le délai imparti à celui-ci pour
le dépôt de ses conclusions en réponse et
qu’en conséquence, si elle est importante pour
la détermination du point de départ de ce délai, cette disposition ne peut avoir pour effet
de faire différer de cinq jours la date du dépôt
au greffe de conclusions auxquelles, comme
c’est le cas en l’espèce, la partie adverse ne
peut plus répondre ».
Il est vrai que cette vision inutilement réductrice de cette disposition trouve appui dans les
travaux préparatoires de la loi du 3 août 1992
et plus particulièrement dans la justification
de l’amendement déposé en vue d’introduire
cette disposition dans le Code judiciaire (15),
qui n’envisage que cette hypothèse où le délai
pour conclure d’une partie commence à courir
à dater de la communication des conclusions
de l’autre partie. Dans ce cas, il importe de
pouvoir déterminer avec précision la date de
la communication des conclusions.
Mais comme la doctrine a déjà eu l’occasion
de le démontrer (16), ce n’est évidemment pas
la seule hypothèse dans laquelle il importe de
pouvoir fixer avec précision la date de la communication des conclusions. Outre le moment
où un délai prend cours, ce qu’il importe de
pouvoir déterminer, chaque fois qu’un calendrier contraignant est fixé, c’est si les conclusions ont bien été communiquées avant
l’échéance du délai.
Suivant le pourvoi sur ce point, la Cour de cassation va décider « que les conclusions ne doivent pas être envoyées à la partie adverse cinq
jours avant l’expiration du délai pour être réputées accomplies (sic) dans le délai fixé par
le président ou le juge désigné par celui-ci » et
« que la présomption de l’article 745,
alinéa 2, du Code judiciaire tend à fixer le
point de départ du délai pour répondre à partir
de la communication des conclusions de la
(14) En ce sens, Liège, 27 janvier 1970, J.L.M.B.,
1969-1970, p. 251.
(15) Doc. parl., Sénat, 301-2 (S1991-1992), p. 62; il
est vrai que les discussions en commission de la justice du Sénat, préalable au vote de l’amendement visant à ajouter le second alinéa à l’article 745, ne
brillent pas non plus par leur clarté et attestent d’un
optimisme bien imprudent dans le chef des parlementaires (p. 63).
(16) H. Boularbah et J. Englebert, « Questions
d’actualité... », op. cit., pp. 84 à 89.
partie adverse » réduisant ainsi de façon parfaitement injustifiée la portée tout à fait générale de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire.
Par ailleurs, le pourvoi soutenait qu’en l’espèce, « conformément aux articles 742 et 746 du
Code judiciaire, seule la date du dépôt au greffe (le 5 avril 1994) doit être prise en considération ».
Au lieu de confirmer sa toute récente jurisprudence sur ce point, la Cour de cassation décide
que lorsqu’un délai contraignant est fixé par le
juge en application de l’article 747, § 2, du
Code judiciaire, les conclusions doivent être
déposées et envoyées avant l’expiration du délai fixé.
A partir de là, la référence à l’article 745,
alinéa 1er, prend évidemment tout son sens :
« Attendu qu’en vertu de l’article 745 du
Code judiciaire, toutes conclusions sont
adressées à la partie adverse ou à son avocat,
en même temps qu’elles sont remises au greffe et la communication des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l’envoi;
» Que, conformément à l’article 747, § 2, dernier alinéa, du même Code, sans préjudice de
l’application d’exceptions non applicables en
l’espèce, les conclusions communiquées
après l’expiration des délais fixés par le président ou le juge désigné par celui-ci sont d’office écartées des débats;
» Attendu que, lorsque le président ou le juge 2 0 0 6
désigné par celui-ci a déterminé des délais
pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent avoir lieu dans le délai fixé ».
Près de dix ans après la réforme de 1992, la
Cour de cassation trouve dans une disposition
insérée dans le Code judiciaire lors de la rédaction de celui-ci, la justification d’une double condition, totalement contraire au texte
limpide de l’article 747, § 2, introduit en
1992 : puisque l’article 745, alinéa 1er, précise que les parties s’adressent leurs conclusions en même temps qu’elles les déposent au
greffe, il doit s’en déduire selon la Cour qu’en
cas de délais contraignants fixés par le juge,
lorsque la loi précise que les conclusions communiquées hors délais doivent être écartées
d’office des débats, il faut comprendre les
conclusions qui n’ont pas été remises au greffe et envoyés en même temps à l’autre partie,
dans le délai fixé.
7
5. — De façon étrange, dans son quatrième
arrêt rendu sur cette question, le 22 janvier
2004, la Cour de cassation (17) opère une manifeste marche arrière. En effet, il n’est plus
question ici du dépôt et de l’envoi concomitant dans le délai fixé par le juge pour éviter la
sanction de l’écartement d’office. La Cour en
revient à sa formule du 23 mars 2001 : « qu’il
suit de la combinaison des articles 742, 745,
746 et 747, § 2, du Code judiciaire, que seules
les conclusions déposées au greffe postérieurement au délai fixé par le juge sont écartées
des débats » (18).
La Cour tempère quelque peu les effets de
cette jurisprudence en ajoutant que « eussentelles été tardivement déposées au greffe, le
(17) 1re ch., section néerlandaise.
(18) On notera que les moyens ne sont pas reproduits
avec l’arrêt sur le site de la Cour.
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J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier.
juge n’est pas tenu d’écarter des débats les
conclusions communiquées à la partie adverse
auxquelles celle-ci a répondu avant l’expiration du délai précité fixé par le juge pour le
dépôt des conclusions », ceci afin d’éviter de
voir écartées des conclusions déposées en
l’espèce tardivement mais communiquées depuis plusieurs années à l’autre partie, bien
avant la mise en œuvre du processus de mise
en état contraignant ayant conduit à la fixation
de délais par le juge (19).
II. — Portée de l’arrêt du 9 décembre 2005
6. — Enfin, vient l’arrêt commenté, rendu
cette fois-ci par la première chambre réunie
en audience plénière. Sans doute la Cour a-telle entendu mettre un terme à ses propres
atermoiements sur une question qui pose problèmes, quotidiennement, aux avocats de terrain. L’insécurité engendrée par les solutions
controversées des juridictions du fond et ses
précédents arrêts, sévèrement critiqués par la
doctrine, imposaient à la Cour de prendre une
décision claire et si possible à l’abri des critiques précitées.
La déception est à la hauteur des espérances.
Enorme.
La cour d’appel de Liège, dans l’arrêt soumis
à la censure de la Cour, avait estimé qu’il n’y
2 0 0 6 avait pas lieu d’écarter d’office des conclusions déposées au greffe dans le délai fixé par
le juge bien qu’elles n’aient été communiquées à l’autre partie que plus de trente jours
après l’expiration de ce délai. Reprenant directement la formule de l’arrêt de la Cour de
cassation du 23 mars 2001, la cour d’appel,
après avoir rappelé la portée des articles 742,
745, alinéa 1er, 746 et 747, § 2, du Code judiciaire, précise « qu’il résulte de la combinaison des articles mentionnés ci-avant que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai déterminé par le juge sont
écartées d’office des débats ».
8
Les critiques formulées par le moyen unique
paraissent quelque peu confuses et semblent
aller en tous sens. D’une part, se fondant sur
les articles 745, alinéa 1 e r , et 747, § 2,
alinéa 6, et sans que je puisse déceler le rapport entre ces deux dispositions et l’argumentation qui suit, le moyen soutient qu’il importe
peu que les droits de la défenses n’aient pas
été violés par la communication tardive. Le
moyen insiste ensuite sur le fait que le juge est
tenu d’éca rter d’office les conclusions
« déposées » après l’expiration du délai fixé
par le juge. Ce qui ne contredit en rien l’arrêt
attaqué. Ensuite, le moyen soutient que
l’article 746 serait indissociablement lié à
l’article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire en
ce sens que la remise des conclusions au greffe ne vaut signification que « dans la mesure
où les conclusions sont adressées à la partie
adverse en même temps qu’elles sont remises
au greffe » et d’ajouter que « si cette condition n’est pas remplie, la remise des conclu(19) Sur cet aspect de l’arrêt qui intéresse moins
mon propos, je renvoie le lecteur aux commentaires
déjà publiés : J.-Fr. van Drooghenbroeck, « Dépôt
ou communication... », op. cit., p. 418 et
H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualités... », op. cit., pp. 81 à 84.
sions au greffe ne vaut pas signification ou du
moins c’est une signification qui n’est pas
l ’ é q u iva l e n t d e l a c o m m u n i c a t i o n d e s
conclusions ». Ces développements obscurs
et, à ma connaissance, privés de toute base objective, permettent au demandeur en cassation
de conclure, sur ce point, que « le dépôt des
conclusions non accompagné de leur envoi à
la partie adverse ne vaut donc certainement
pas communication ». Enfin, le moyen précise, à juste titre, que « c’est bien pourquoi
l’article 747, § 2, du Code judiciaire a prévu
non pas que les conclusions déposées tardivement, mais que les conclusions “ communiquées ” tardivement seront d’office écartées
des débats » et qu’« il résulte de cette disposition que c’est la date de la communication des
conclusions à la partie adverse et non celle de
leur dépôt au greffe qui est déterminante pour
apprécier l’éventuel dépassement du délai ».
Le but du demandeur en cassation était évidemment d’obtenir la cassation de l’arrêt attaqué. Peu lui importait sur quelle base. On
comprend dès lors que dans un souci d’efficacité, il ait élargi au maximum l’éventail de ses
chances. Malheureusement, il a ainsi donné
l’occasion à la Cour de confirmer sa jurisprudence retenue dans son arrêt de décembre
2001, sans rencontrer de face le dernier argument fondé spécialement sur le texte de
l’article 747, § 2.
En réalité, la Cour confirme son arrêt du
20 décembre 2001, quasi mot à mot : « que,
lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la
remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tout
deux avoir lieu dans le délai fixé ».
Et pour être certaine d’être bien comprise, elle
ajoute « que la seule remise des conclusions
au greffe, sans envoi concomitant à la partie
adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi; qu’il s’impose
en pareil cas au juge d’écarter les conclusions
même si elles ont été déposées au greffe dans
le délai ».
Sur quelle base légale se fonde la Cour pour
arriver à cette solution? Sur le désormais incontournable article 745, alinéa 1er, ainsi que
sur l’article 747, § 2, alinéas 5 et 6. La Cour
se contente toutefois de paraphraser le contenu de ces deux dispositions (trois premiers attendus), sans donner la moindre explication
sur le raisonnement qu’elle tient pour lui permettre de déduire de ces articles que la formalité à respecter c’est le dépôt et l’envoi simultané, à la partie adverse, dans le délai fixé par
le juge.
Il convient donc d’être attentif et de ne pas se
contenter de lire l’avant-dernier attendu de
l’arrêt qui, pris isolément, pourrait faire croire
à une solution plus conforme à celle, qu’avec
d’autres, j’appelais de mes vœux.
III. — Critique de la solution
retenue par la Cour de cassation
7. — C’est sciemment qu’en 1992, le législateur a utilisé la notion de communication des
conclusions lorsqu’il a mis en place le mécanisme de mise en état contraignante visé à
l’article 747, § 2, du Code judiciaire. Comme
le souligne justement le représentant du ministre lors des discussions du projet de loi de
1992, si le législateur n’avait retenu que la
formalité du dépôt au greffe, la partie adverse
aurait couru le risque d’être « prise au
dépourvu ». C’est-à-dire de ne pas avoir connaissance des conclusions en temps voulu
pour garantir le respect du principe du contradictoire, qui est assuré par la seule communication. Dès lors que les délais pour conclure
devenaient, dans certaines circonstances,
contraignants, il était impératif de pouvoir
déterminer avec précision le moment où
l’obligation de conclure était réalisée. Or, la
détermination de la date de la communication
(à l’inverse de celle du dépôt) posait problème en ce sens qu’elle n’était pas, a priori,
certaine.
Le législateur n’a pas résolu ce problème, se
contentant d’une part, d’introduire bien maladroitement une présomption de communication cinq jours après l’envoi : « la commission
décide cependant de ne pas insérer de texte
supplémentaire, après qu’un membre eut fait
remarquer que l’essentiel de l’article 745 est
le dépôt des conclusions et que la date de la
communication de celles-ci est à présent
fixée. On évitera ainsi — croyaient pouvoir
ajouter les parlementaires — toute contestation par certains tribunaux ou certains greffes
au sujet du dépôt ou du non-dépôt de conclusions; il y aura une présomption légale ». Et
en précisant, d’autre part, que « la charge de la
p r e u v e c o n c e r n a n t l ’ e nv o i i n c o m b e à
l’expéditeur » (20).
8. — Contrairement à ce que soutient l’avocat
général Dubrulle dans ses conclusions prises
avant l’arrêt précité du 20 décembre 2001, on ne
peut pas valablement soutenir que « il y a lieu
d’entendre par cette communication (21) l’envoi à la partie adverse ou à son avocat » (22).
Communiquer, c’est, nous enseignent les dictionnaires (23), « faire part de, donner connaissance de quelque chose à quelqu’un, par
r e l a t i o n p l u s o u m o i n s d i r e c t e ave c l e
destinataire », c’est « remettre » ou « faire
partager quelque chose à quelqu’un ». La
communication suppose une transmission
aboutie. Alors qu’envoyer, ce n’est que « faire
partir quelque chose » et adresser, c’est
« envoyer quelque chose vers (ou à) un destinataire ou un lieu de destination ». C’est l’antonymie de recevoir.
Ce qui est navrant dans la jurisprudence analysée, c’est que la controverse ne porte, depuis le
début, que sur la question de savoir si les
conclusions doivent être « déposées » ou
« déposées et envoyées » à la partie adverse et
que, pas une seule fois, la Cour de cassation ne
semble se poser la question si, dès lors que le
législateur utilise le terme « communiquer »,
ce serait peut-être cela la formalité à respecter.
9. — Si l’on peut toujours espérer qu’un jour,
sensible aux critiques, la Cour revienne sur
(20) Doc. parl., Sénat, 301-2 (S.E. 1991-1992),
p. 63.
(21) Il fait ici référence à la communication des conclusions visée à l’article 747, § 2, alinéa 6, C. jud.
(22) Pas., 2001, I, 2177.
(23) « Le trésor de la langue française informatisé »,
http://atilf.atilf.fr/tlfi/.
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J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier.
cette jurisprudence, il convient bien, pour le
praticien, d’en tirer les conséquences dans sa
pratique quotidienne.
Face à un délai contraignant fixé par le juge,
il devra veiller à déposer ses conclusions au
greffe et à les envoyer simultanément à l’autre
partie, dans le délai fixé.
En réalité, la Cour de cassation ne parle plus,
dans l’arrêt annoté, de dépôt des conclusions
au greffe mais de leur « remise » au greffe,
reprenant ainsi la terminologie utilisée tant
par l’article 746 (la remise au greffe vaut signification) que par l’article 745, alinéa 1er
(les conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu’elles sont remises au
greffe). L’article 742 précise que les parties
adressent ou déposent au greffe l’original de
leurs conclusions. Il faudrait donc en déduire,
dans la rigueur des principes, que, par remise
au greffe, sont visées tant la formalité du dépôt que celle de l’envoi des conclusions au
greffe. Les conclusions simplement adressées
au greffe le dernier jour du délai devraient
donc être considérées comme remises dans le
délai.
Il convient en outre de s’assurer de « leur envoi simultané » (24) à l’autre partie, toujours
dans le délai. Le Code utilise les termes
« adresser en même temps » (article 745,
alinéa 1er).
Est simultané, ce « qui existe, qui a lieu dans
le même temps, au même instant [...]; qui se
rapporte à un même moment du temps, qui est
concomitant, synchrone (25); [...] qui appartient au même acte, qui constitue un seul acte,
un ensemble ». C’est le contraire de successif
ou de différé (26).
Il faudrait donc remettre ses conclusions au
greffe et les adresser à son adversaire au
même instant. Ce ne sera matériellement pas
possible notamment lorsque l’on va physiquement déposer les conclusions au greffe sauf à
y rencontrer au même instant son confrère.
Hors cette situation improbable, il faudra bien
soit d’abord envoyer les conclusions (par
exemple par la remise du pli à la poste) puis
aller en déposer l’original au greffe, soit l’inverse. Il ne s’agit plus d’actes simultanés mais
bien successifs. Par contre, la simultanéité
pourra encore être respectée lorsque le plaideur se contentera d’adresser ses conclusions
par la poste au greffe. Dans ce cas, les deux
plis, celui adressé au greffe et celui destiné à
la partie adverse, pourront être remis simultanément à la poste.
On voit, par ces quelques exemples, que cette
exigence de simultanéité est parfaitement
inappropriée. C’est normal puisqu’elle est déduite d’une disposition datant de la rédaction
du Code judiciaire (1967) que l’on tente d’appliquer à une règle introduite vingt-cinq ans
plus tard (27). A nouveau, je ne peux en aucun
cas suivre l’avocat général Dubrulle, lorsqu’il
(24) La Cour de cassation utilise encore le terme
« concomitant ».
(25) Ainsi une traduction simultanée se dit d’une traduction effectuée au fur et à mesure qu’un orateur
parle.
(26) « Le trésor de la langue française informatisé »,
http://atilf.atilf.fr/tlfi/
(27) Il va sans dire que cette jurisprudence sonne définitivement le glas d’une interprétation large de
l’article 745, alinéa 2, C. jud.
écrit que « l’article 745 (28) du Code judiciaire est étranger à l’article 747, § 2, dernier
alinéa » (29). C’est au contraire, comme je
l’ai démontré ci-dessus, l’alinéa 1er de cet article qui est totalement étranger à l’article
747, § 2.
Appliquée strictement (et il n’y a pas de raison d’agir autrement), la règle va conduire à
des conséquences absurdes. Que se passera-til lorsqu’une partie, bien organisée, termine la
rédaction de ses conclusions quinze jours
avant l’expiration du délai fixé par le juge et
qu’elle les envoie à cette date par courrier à
son adversaire, alors qu’elle ne les dépose que
quelques jours plus tard, mais toujours bien
avant l’échéance du délai, au greffe, à l’occasion d’un déplacement au Palais. Il n’y aura
pas remise au greffe et envoi simultané à
l’autre partie. Il faudra donc décider que ces
conclusions doivent être écartées des débats.
Ou alors, on décidera que l’envoi ne doit pas
se faire « en même temps » que la remise au
greffe. Et on comprendra que la référence à
l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire,
qui impose précisément cette simultanéité est,
en la matière, sans la moindre pertinence.
10. — Enfin, et c’est sans doute l’aspect le
plus désolant de l’histoire, il reste à déterminer comment une partie va prouver l’envoi (simultané) de ses conclusions à la partie adverse. C’était précisément parce que la date de la
communication était trop incertaine du goût
de certains magistrats que ceux-ci, avec l’appui dans un premier temps de la Cour de cassation, avaient substitué à l’exigence légale
celle du seul dépôt (et non la simple remise)
qui a toujours date certaine (cachet du greffe)
(30).
M a i s d è s l o r s q u e l a C o u r, fi d è l e à
l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire,
exige en outre l’envoi à l’autre partie dans le
délai fixé, il sera impératif de pouvoir apporter la preuve de cet envoi. Sur ce point l’enseignement de la Cour de cassation est muet. Il
appartiendra à chaque partie de veiller à se
préserver cette preuve, par exemple en envoyant ses conclusions par pli recommandé à
la poste, ou en produisant un accusé de réception, ce qui peut se concevoir par exemple en
cas de remise des conclusions par porteur, ou
par télécopieur ou par courriel.
On en revient donc à la case départ (31). Et
dans ce cas, puisqu’il faudra quand même
prouver l’envoi, ne serait-il pas plus simple
d’admettre que la seule formalité qui compte,
c’est la communication présumée, iuris tantum, par l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire, accomplie cinq jours après l’envoi?
Jacques ENGLEBERT
Avocat
Maître de conférence
à l’Université libre de Bruxelles
(28) Il vise ici le second alinéa.
(29) Pas., 2001, I, 2179.
(30) Liège, 25 octobre 2005, J.T., 2005, p. 758.
(31) Voy. not. G. de Leval, « La loi du 3 août 1992
modifiant le Code judiciaire : la mise en état », in Le
droit judiciaire rénové, Kluwer, 1992, pp. 103 et s.,
spécialement p. 110.
ABUS DE DROIT. — Critère. —
Disproportion du préjudice causé
par rapport à l’avantage recherché
ou obtenu. — Attitude de l’auteur
de la violation du droit d’autrui.
Cass. (1 re ch.), 25 novembre 2005
Siég. : Ph. Echement (prés. sect. et rapp.), D.
Batselé, D. Plas, Ch. Matray et Ph. Gosseries.
Min. publ. : A. Henkes (av. gén.).
Plaid. : MMes Michel Mahieu et L. Simont.
(Chalet c. Meulemans et Rigo).
Il peut y avoir abus de droit lorsqu’un droit est
exercé sans intérêt raisonnable et suffisant. Tel
est spécialement le cas lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit.
Dans l’appréciation des intérêts en présence, le
juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause, notamment de l’attitude de la
violation du droit d’autrui.
2006
I. — La décision attaquée.
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 24 octobre 2003 par le tribunal de première instance de Namur, statuant
en degré d’appel.
II. — La procédure devant la Cour.
Le président de section Philippe Echement a
fait rapport.
L’avocat général André Henkes a conclu.
III. — Le moyen de cassation.
La demanderesse présente un moyen libellé
dans les termes suivants :
Dispositions légales violées.
— principe général du droit prohibant l’abus
de droit, tel qu’il est consacré notamment par
les articles 1382 et 1383 du Code civil;
— articles 1382 et 1383 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués.
Le jugement attaqué, par confirmation du jugement, dont appel, déclare fondée la demande originaire des défendeurs et ordonne en
conséquence l’enlèvement des installations litigieuses situées sur le fonds des défendeurs,
et ce notamment pour les motifs suivants :
« L’abus de droit. Selon (la demanderesse),
l’inconvénient mineur pour les [défendeurs]
de supporter les ouvrages d’évacuation
d’eaux qu’elle a érigés le long de son bâtiment
est sans proportion avec l’inconvénient et le
9