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englebert.fm Page 4 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. 2o, de la loi du 12 janvier 1993 « contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire ». Cette loi visait notamment à unifier les voies de recours à l’égard des décisions du C.P.A.S. en matière d’octroi de l’aide sociale et du minimum de moyens d’existence, en supprimant les chambres provinciales qui existaient pour l’aide sociale et en confiant l’ensemble des litiges aux tribunaux du travail (Doc. parl., Ch., s.e. 1991-1992, no 630/1, pp. 6-8). B.8.2. — La formulation de la disposition en cause résulte d’une observation de la section de législation du Conseil d’Etat. En ce qui concerne le délai de recours à l’égard des décisions en matière d’aide individuelle, l’avant-projet de loi prévoyait l’introduction du recours « dans le mois de la réception de la décision » (ibidem, pp. 16 et 28). Après avoir estimé que « l’alinéa 3 en projet, aux termes duquel le recours doit être introduit dans le mois “ de la réception ” de la décision, n’est pas suffisamment précis pour exclure toute contestation concernant la date à laquelle le délai de recours commence à courir » (Doc. parl., Ch., s.e. 1991-1992, no 630/1, p. 41), la section de législation du Consei l d’Etat a suggéré de remplacer l’alinéa 3 de l’article 71 en projet par le texte qui existe actuellement. 2 0 0 6 B.9. — Si le centre public d’action sociale dispose du choix du mode de communication — « notification » par lettre recommandée ou remise en mains propres — à l’intéressé de la décision qui le concerne, la communication de cette décision, imposée par l’article 62bis de la loi du 8 juillet 1976, suppose, pour être accomplie, que la décision administrative soit portée à la connaissance de l’intéressé. Cette considération s’impose a fortiori lorsque la « notification » de la décision fait courir, comme le prévoit la disposition en cause, un délai de recours. 4 à la poste du pli recommandé notifiant la décision, la disposition en cause restreint de manière disproportionnée les droits de défense du destinataire de cette décision. B.13. — Par ailleurs, la Cour constate que la loi du 10 mars 2005 modifiant l’article 2 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la « charte de l’assuré social » inclus désormais l’« aide sociale » dans la définition de la notion de « sécurité sociale » relevant du champ d’application de la loi du 11 avril 1995, de sorte que la différence de traitement invoquée dans la première question préjudicielle n’existe plus depuis l’entrée en vigueur de la loi précitée du 10 mars 2005. B.14. — Les questions préjudicielles appellent une réponse positive. Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 7 octobre 2002 par la cour d’appel de Liège dans la cause 2000/RG/ 1346. II. — La procédure devant la Cour. Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport. L’avocat général Thierry Werquin a conclu. III. — Le moyen de cassation. Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées. Par ces motifs : La Cour, Dit pour droit : En ce qu’il prévoit que le délai de recours prend cours à partir de la date de dépôt à la poste du pli recommandé notifiant la décision, l’article 71 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale viole les articles 10 et 11 de la Constitution. CONCLUSIONS EN MATIÈRE CIVILE. — Mise en état judiciaire (article 747, § 2, C. jud.). — Délais pour conclure. — Conclusions remises au greffe dans le délai. — Conclusions non adressées simultanément à la partie adverse. — Ecartement des débats (oui). Cass. (1 re ch., aud. plén.), 9 décembre 2005 B.10. — Il est raisonnablement justifié que, pour éviter toute insécurité juridique, le législateur fasse courir des délais de procédure à partir d’une date qui ne soit pas tributaire du comportement des parties. Toutefois, le choix de la date du dépôt du pli recommandé à la poste comme point de départ du délai de recours apporte une restriction disproportionnée au droit de défense des destinataires, les délais de recours commençant à courir à partir d’un moment où ces derniers ne peuvent pas avoir connaissance du contenu du pli. (V. Vrancken c. s.a. Les assureurs réunis). B.11. — L’objectif d’éviter l’insécurité juridique pourrait être atteint aussi sûrement si le délai commençait à courir le jour où le destinataire a pu en avoir connaissance, c’est-àdire à la date où, en toute vraisemblance, le pli a été présenté à son domicile, sans avoir égard à la date à laquelle, le cas échéant, il a retiré le pli à la poste. Cette date est d’ailleurs celle à laquelle, sauf disposition contraire, la « notification » d’une décision administrative est réputée accomplie, le propre d’une notification étant de porter à la connaissance du destinataire le contenu de l’acte notifié. Lorsque le juge a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe des conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tout deux avoir lieu dans le délai fixé. La seule remise des conclusions au greffe, sans envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi. Il s’impose en pareil cas au juge d’écarter les conclusions même si elles ont été déposées au greffe dans le délai. B.12. — En ce qu’elle énonce que le délai de recours prend cours à partir de la date de dépôt I. — La décision attaquée. Siég. : I. Verougstraete (prés.), Cl. Parmentier (prés. sect.), E. Waûters (prés. sect.), G. Bourgeois, Ph. Echement (prés. sect.), G. Storck, D. Batselé, P. Maffei, A. Fettweis (rapp.). Min. publ. : Th. Werquin (av. gén.). Plaid. : MMes A. De Bruyn et H. Geinger. Articles 742, 745, 746, 747, particulièrement 747, § 2, alinéa 6, et 1042 du Code judiciaire. Décisions et motifs critiqués. L’arrêt « dit n’y avoir lieu à l’écartement d’office des conclusions de [la défenderesse] déposées au greffe de la cour [d’appel] le 18 mai 2001, soit dans le délai imparti par l’ordonnance rendue le 22 janvier 2001 en application de l’article 747 du Code judiciaire », bien qu’elles aient été communiquées au conseil du demandeur le 20 juin 2001 seulement, soit plus de trente jours après l’expiration du délai imparti par l’ordonnance pour conclure. L’arrêt fonde sa décision sur les motifs suivants : « que l’original des conclusions de [la défenderesse] a été déposé au greffe de la cour [d’appel] le 18 mai 2001; qu’elles ont été adressées par télécopieur le 20 juin 2001 au conseil [du demandeur]; que le conseil de [la défenderesse] qui a été invité à s’expliquer à ce sujet à l’audience du 16 septembre 2002 a déclaré être dans l’impossibilité de prouver avoir communiqué ses conclusions au conseil [du demandeur] avant le 20 juin 2001 (voy. le procès-verbal d’audience du 16 septembre 2002); » que la sanction visée à l’article 747, § 2, du Code judiciaire, de l’écartement d’office des conclusions tardives, ne peut s’appliquer que dans les cas visés par la loi, les termes utilisés dans l’ordonnance étant sans incidence; » qu’en vertu de l’article 742 du Code judiciaire, les parties adressent ou déposent au greffe l’original de leurs conclusions; qu’en vertu de l’article 745 du même Code, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu’elles sont remises au greffe; qu’en vertu de l’article 746 du même Code, la remise des conclusions au greffe vaut signification; que, contrairement à l’article 747, § 2, du même Code, sans préjudice de l’application des exceptions prévues à l’article 748, §§ 1 er et 2 — lesquelles ne sont pas applicables en l’espèce — lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé les délais pour conclure, les conclusions qui ont été communiquées après l’expiration du délai sont d’office écartées des débats; » qu’il résulte de la combinaison des articles mentionnés ci-avant que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai englebert.fm Page 5 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. déterminé par le juge sont écartées d’office des débats (Cass., 23 mars 2001, R.G., no C.97.0270.N) ». Griefs. L’article 745 du Code judiciaire dispose que « toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat “ en même temps ” qu’elles sont remises au greffe » tandis que l’article 747, § 2, in fine, prévoit que sans préjudice de l’application d’exceptions non applicables en l’espèce, lorsque le juge a fixé les délais pour conclure, « les conclusions communiquées après l’expiration des délais (...) sont “ d’office ” écartées des débats ». Il importe peu par conséquent que les droits de défense de la partie adverse n’aient pas été violés par la communication tardive des conclusions. Le juge est tenu d’écarter d’office les conclusions déposées après l’expiration du délai imparti par l’ordonnance aménageant les délais pour conclure. A tort, l’arrêt objecte-t-il qu’en vertu de l’article 742 du Code judiciaire, les parties adressent ou déposent leurs conclusions au greffe, l’article 746 précisant que « la remise des conclusions au greffe vaut signification ». Si la remise des conclusions au greffe vaut signification, c’est parce que l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire a prévu que « toutes conclusions sont adressées [à la partie adverse ou à son avocat] en même temps qu’elles sont remises au greffe ». Autrement dit, l’article 746 ne peut être dissocié de l’article 745. La remise des conclusions au greffe vaut signification dans la mesure où les conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu’elles sont remises au greffe (article 745 du Code judiciaire). Si cette condition n’est pas remplie, la remise des conclusions au greffe ne vaut pas signification ou du moins c’est une signification qui n’est pas l’équivalent de la communication des conclusions à la partie adverse. Ceci est confirmé par l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire, qui dispose que « la communication des conclusions est réputée acc o m p l i e c i n q j o u r s a p r è s l ’ e nv o i d e s conclusions ». Le dépôt des conclusions non accompagné de leur envoi à la partie adverse ne vaut donc certainement pas communication des conclusions. C’est bien pourquoi l’article 747, § 2, du Code judiciaire a prévu, non pas que les conclusions déposées tardivement, mais que les conclusions « communiquées » tardivement seront d’office écartées des débats. Il résulte de cette disposition que c’est la date de la communication des conclusions à la partie adverse et non celle de leur dépôt au greffe qui est déterminante pour apprécier l’éventuel dépassement du délai. Il s’ensuit que la décision selon laquelle les conclusions communiquées au conseil de la demanderesse plus de trente jours après l’expiration du délai pour conclure ne doivent pas être écartées des débats étant donné qu’elles ont été déposées au greffe dans le délai déterminé par le juge et que les droits de défense du demandeur n’ont pas été violés, n’est pas légalement justifiée (violation des dispositions légales citées en tête du moyen). IV. — La décision de la Cour. Attendu qu’aux termes de l’article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu’elles sont remises au greffe; Attendu qu’en vertu de l’article 747, § 2, alinéa 5, du Code judiciaire, le président ou le juge désigné par celui-ci, détermine les délais pour conclure et fixe la date de l’audience des plaidoiries; Que le sixième alinéa de cette même disposition légale dispose que, sans préjudice de l’a pp li c at io n d es ex c ep ti o ns pr év ue s à l’article 748, §§ 1er et 2, étrangères à la présente espèce, les conclusions communiquées après l’expiration des délais déterminés à l’alinéa précédent sont d’office écartées des débats; Que, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tous deux avoir lieu dans le délai fixé; Que la seule remise des conclusions au greffe, sans envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi; Qu’il s’impose en pareil cas au juge d’écarter les conclusions même si elles ont été déposées au greffe dans le délai; Attendu qu’en décidant que les conclusions principales de la défenderesse ne devaient pas être écartées des débats, bien qu’elles n’eussent été communiquées au conseil du demandeur qu’après l’expiration du délai fixé par le juge, l’arrêt viole l’article 747, § 2, du Code judiciaire; Que, dans cette mesure, le moyen est fondé; Par ces motifs : La Cour, Casse l’arrêt attaqué. (...). O OBSERVATIONS Requiem pour l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire (1) 1. — La Cour de cassation vient donc de rendre un nouvel arrêt sur la question hautement controversée de savoir quelle est la formalité qui doit être accomplie, dans le délai fixé par le juge, en cas d’application de l’article 747, § 2, du Code judiciaire, pour éviter la sanction de l’écartement d’office des conclusions. Outre qu’elle est controversée, cette question est d’une importance quotidienne pour les avocats, inévitablement perdus face aux positions contradictoires développées tant par la jurisprudence que par la doctrine (malgré les termes très clairs utilisés par le législateur à l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire). Pour faire simple, rappelons que selon les uns, il convient de s’assurer du seul dépôt des conclusions au greffe dans le délai imparti par l’ordonnance alors que pour les autres, se prévalant du texte de la loi, c’est la communication des conclusions à l’autre partie qui doit être seule prise en considération (2). (1) Les lecteurs m’autoriseront cet emprunt, en forme de clin d’œil, au titre d’un article publié en 1983, à la J.L.M.B., p. 113, par le professeur Fettweis; l’arrêt annoté du 9 décembre 2005 fait également l’objet d’un commentaire de H. Boularbah, à paraître à la J.L.M.B., début 2006. Ce n'est qu'au moment de la relecture des épreuves du présent article que j'ai pu prendre connaissance des remarquables conclusions de l'avocat général Thierry Werquin, prises avant l'arrêt annoté (disponibles sur le site de la Cour de cassation) qui, malheureusement, n'ont pas été suivies par la Cour. J'encourage vivement les lecteurs à les lire. Je partage très largement ses pénétrantes considérations, sous la seule réserve qu'à mon sens, si une partie ne peut apporter la preuve ni de la communication ni de l'envoi de ses conclusions à l'autre et que celle-ci conteste les avoir reçues, il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 745, 1er alinéa, du Code judiciaire, pour en déduire que les conclusions seraient présumées envoyées à la date de leur dépôt au greffe (point 4.2). Il convient au contraire d'écarter ces conclusions à défaut pour l'expéditeur de prouver que leur communication est intervenue dans le délai fixé par le juge. (2) Voy., sur cette controverse : M. Regout, « La mise en état des causes », J.L.M.B., 2004, pp. 510 et s.; J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement interruptif du délai pour conclure : le dépôt ou la communication », note sous Cass., 23 mars 2001 et Liège 7 octobre 2002, J.T., 2003, pp. 751 à 754 et les références citées par l’auteur p. 752, 1re col., « Pour une réforme urgente de la mise en état judiciaire », obs. sous Bruxelles, 29 juin 2004, J.T., 2004, pp. 784 et 785 et « Dépôt ou communication? Ou de la complication d’une question simple », obs. sous Cass., 22 janvier 2004, J.T., 2005, p. 418; J. Englebert, « La mise en état », in Actualités et développements récents en droit judiciaire, C.U.P., Bruxelles, Larcier, 03/2004, vol. 70, pp. 107 et s., spécialement pp. 115 à 128; H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualité en procédure civile », C.U.P., Bruxelles, Larcier, 12/2005, vol. 83, pp. 43 et s., spécialement pp. 80 à 89. 2006 5 englebert.fm Page 6 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. On ne peut pas dire, dans cette controverse, que la Cour de cassation ait brillé dans « sa mission de veiller à l’interprétation et à l’application exacte de la loi et, par là, d’assurer l’unité de la jurisprudence » (3). Avant l’arrêt annoté, la Cour s’était déjà prononcée à quatre reprises sur cette question. Pour bien comprendre la portée de l’arrêt du 9 décembre dernier, il n’est pas inutile de procéder à une rapide radioscopie de sa jurisprudence antérieure. I. — Rappel de la jurisprudence antérieure 2. — Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation, la cour d’appel de Liège avait écarté d’office des conclusions au motif qu’elles avaient été déposées au greffe plus de sept mois après l’expiration du délai fixé par le juge. Le moyen reprochait à la cour d’appel d’avoir écarté les conclusions en raison de leur dépôt tardif au greffe alors « que cette sanction ne peut être appliquée que si les conclusions n’ont pas été communiquées (« overgelegd » id est « medegedeeld ») à la partie adverse dans le délai imposé par le juge ». Le moyen soutenait, à juste titre, que seule la communication devait être prise en compte « même si l’ordonnance détermine que les conclusions 2 0 0 6 doivent être déposées au greffe dans le délai fixé », tout en relevant « qu’en l’espèce, l’ordonnance rendue le 14 novembre 1995 a fixé “ date jusqu’au 1er février 1996 pour permettre aux parties appelantes de conclure additionnellement et jusqu’au 1er mars 1996 pour la réplique éventuelle de la partie intimée ” et ceci donc sans préciser que les conclusions devraient être déposées au greffe ». Le demandeur en cassation en concluait que « la cour d’appel ne pouvait légalement appliquer la sanction prévue à l’article 747 du Code judiciaire [...] au seul motif que ses conclusions n’auraient été déposées au greffe de la cour (d’appel) que le 2 septembre 1996 ». 6 Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation, par un très bref arrêt du 15 mai 1998 (4), relève « qu’il n’apparaît pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les conclusions additionnelles de la troisième demanderesse aient été communiquées au défendeur avant leur dépôt au greffe, dans le délai fixé en vertu de l’article 747 ». Dès lors qu’il n’était pas prouvé que la communication des conclusions était intervenue dans le délai fixé par le juge (ou du moins que cette communication ne ressortait pas des pièces auxquelles la Cour de cassation pouvait avoir égard), la Cour a pu décider que la sanction de leur écartement était justifiée. Et ce, même si le juge d’appel avait motivé cet écartement par leur dépôt tardif. La doctrine en avait déduit que, par cet arrêt, la Cour de cassation laissait « entrevoir son inclinaison (sic; il faut bien sûr lire inclination. N.D.L.R.) envers [la] thèse prévisible et dictée par la loi » selon laquelle seule la com- (3) Rapport annuel de la Cour de cassation de Belgique, 2004, p. 31. (4) 1re ch., section française. munication des conclusions dans le délai devait être prise en compte (5). Rétrospectivement et à la lumière de sa jurisprudence subséquente, l’attention est attirée par le premier attendu du raisonnement de la Cour, qui portait manifestement en lui les germ e s d e s o n a rg u m e n t a t i o n u l t é r i e u r e : « qu’aux termes de l’article 745 du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat en même temps qu’elles sont remises au greffe ». On peut en effet se demander quel était l’intérêt de faire référence à cet article, sauf à considérer qu’à défaut d’autre précision (comme c’était le cas en l’espèce), il faudrait considérer que les conclusions sont présumées communiquées ou envoyées à l’autre partie « en même temps » qu’elles sont déposées au greffe ou qu’à tout le moins, un lien devrait être fait entre le dépôt des conclusions et leur envoi à l’autre partie. On s’en aperçoit clairement aujourd’hui, dès 1998, le doigt était déjà inexorablement mis dans l’engrenage et la machine à broyer le second alinéa de l’article 745, ainsi mise en branle ne s’arrêtera plus, au grand dam de la doctrine. 3. — Dans la deuxième affaire soumise à la Cour de cassation, qui donnera lieu à son arrêt du 23 mars 2001 (6), des conclusions additionnelles, dont l’écartement était demandé, avaient été déposées au greffe la veille du dernier jour du délai fixé par le juge mais n’avaient été communiquées à l’autre partie que quatre jours après l’expiration de ce délai. Après avoir rappelé « que l’article 745 du Code judiciaire prévoit que “ toutes conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu’elles sont remises au greffe ” », la cour d’appel d’Anvers précise aussitôt que « la sanction consistant à écarter des conclusions des débats concerne uniquement le dépôt tardif de ces conclusions au greffe » à condition, précise-t-elle, « que la communication ultérieure de ces conclusions ne porte pas atteinte aux droits de la partie adverse ». Or, en l’espèce, les conclusions déposées au greffe « en temps utile », ont été communiquées quatre jours plus tard à la partie adverse, qui y a répondu, de sorte qu’« elles n’ont pas porté atteinte aux droits de celle-ci ». Etrangement, on constate que la cour d’appel d’Anvers s’était elle aussi sentie obligée de faire référence à l’article 745, alinéa 1 er, du Code judiciaire, sans que l’on puisse percevoir exactement l’intérêt ou la pertinence de ce rappel par rapport à l’argumentation retenue par ailleurs pour refuser d’écarter les conclusions communiquées tardivement mais déposées dans le délai. bats concerne non pas le dépôt tardif de ces conclusions mais leur communication tardive à la partie adverse ». Loin de saisir cette occasion pour « confirmer » la tendance pressentie en 1998, la Cour de cassation a pris, à cette occasion, clairement position en faveur de la thèse du seul dépôt des conclusions au greffe. La Cour rappelle dans un premier temps « qu’aux termes de l’article 742 [du Code judiciaire], les parties adressent ou déposent au greffe l’original de leurs conclusions; qu’aux termes de l’article 745 du même Code, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat en même temps qu’elles sont remises au greffe; qu’aux termes de l’article 746 du même Code, la remise des conclusions au greffe vaut signification; qu’en vertu de l’article 747, § 2, du même Code, sans préjudice de l’application d’exceptions non applicables en l’espèce, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé les délais pour conclure, les conclusions communiquées après l’expiration de ces délais sont d’office écartées des débats ». Pour ensuite, en conclure, « qu’il suit du rapprochement de ces dispositions que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai déterminé par le juge sont écartées d’office des débats ». Dans son commentaire publié sous l’arrêt, J.-Fr. van Drooghenbroeck estimait que le raisonnement de la Cour laissait perplexe (7). On ne saurait mieux dire. Il n’en reste pas moins qu’à cette date, le plaideur pouvait se dire que seul comptait le dépôt au greffe de ses conclusions dans le délai fixé par le juge. Ce qui frappe, c’est que dans son récapitulatif (quasi exhaustif) des dispositions du Code judiciaire fixant les règles selon lesquelles les parties concluent dans les causes qui ne sont pas retenues à l’audience d’introduction (article 741, C. jud.), la Cour de cassation omet singulièrement de reprendre l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire, pourtant fondamental dans ce débat dès lors qu’il a été précisément ajouté par la loi du 3 août 1992, en même temps que le législateur mettait en place le nouveau régime du calendrier contraignant d’échange des conclusions (article 747, § 2). Cet « oubli » est d’autant plus étrange que précisément, mis à part le nouvel article 747, § 2, seul l’article 745, alinéa 2, emploie le terme « communication » à propos des conclusions. Le moyen soumis à la Cour de cassation l’invitait à préciser clairement que la communication des conclusions à l’autre partie était la seule formalité à prendre en compte pour vérifier si le délai fixé par le juge était respecté : « que, conformément à l’article 747, § 2, dernier alinéa, du Code judiciaire, les conclusions “ communiquées ” après l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent sont d’office écartées des débats; que, dès lors, la sanction consistant à écarter des conclusions des dé- 4. — L’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire est par contre au centre des préoccupations de la Cour de cassation dans le troisième arrêt qu’elle prononcera sur cette question controversée, le 20 décembre 2001 (8). Dans cette affaire, l’ordonnance rendue sur la base de l’article 747, § 2, du Code judiciaire, accordait à la demanderesse en cassation un délai de six semaines pour conclure, à dater de la communication des conclusions de l’autre partie. Les conclusions de la défenderesse en cassation avaient été déposées au greffe le 18 février (5) J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement interruptif... », op. cit., pp. 751 à 754. (6) 1re ch., section néerlandaise. (7) J.-Fr. van Drooghenbroeck, « L’événement interruptif... », op. cit., p. 752, 1re col. (8) 1re ch., section néerlandaise. englebert.fm Page 7 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. 1994. « Tout autre élément faisant défaut », la cour d’appel de Bruxelles estime que « il y a lieu d’admettre que ce document de procédure a été envoyé (9) à (la demanderesse) le même jour » et « qu’en conséquence, ces conclusions sont réputées communiquées à (la demanderesse) le 23 février 1994 ». C’est-à-dire, le 18 février plus cinq jours, par application de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire. Le délai de six semaines à dater du 23 février 1994 expirait donc le 6 avril 1994. La cour d’appel constate que la demanderesse en cassation a déposé au greffe ses conclusions le 5 avril 1994 et « qu’à défaut de tout autre élément, il y a lieu d’admettre que ces conclusions ont été envoyées (aux défendeurs) le même jour de sorte qu’elles sont réputées déposées (10) le 10 avril 1994, soit plus de six semaines après la communication des conclusions additionnelles (des défendeurs); qu’en conséquence [...] il y a lieu d’écarter d’office ces conclusions des débats ». La critique fondamentale que l’on peut faire de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, soumis à la censure de la Cour de cassation, est d’avoir présumé, « à défaut de tout autre élément », que les conclusions avaient été envoyées à l’autre partie le même jour que celui de leur dépôt au greffe. On en revient, une fois de plus, à l’article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire qui dispose que « toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu’elles sont remises au greffe ». Cette règle préexistait à la réforme de 1992. Elle figure dans le Code judiciaire depuis l’entrée en vigueur de celui-ci. Elle ne fait l’objet d’aucun commentaire particulier par Ch. van Reephinghen dans son Rapport sur la réforme judiciaire, qui ne fait que paraphraser les textes en projet : « Les parties se communiquent la copie de leur conclusions et déposent en même temps l’original au greffe (art. 745 et 746). Le dépôt au greffe vaut signification » (11). Dans son Manuel, A. Fettweis se contente lui-même d’indiquer, à propos de l’article 745 (à l’époque il n’y avait pas encore de second alinéa) : « Un échange de conclusions se fait, en principe, par le dépôt au greffe de l’original (article 742). La remise des conclusions au greffe vaut signification (article 746). Les conclusions doivent, en outre, être adressées à la partie adverse ou à son avocat (article 745) » (12). L’auteur précise, en note de bas de page, que « la sanction du défaut de communication des conclusions est la remise de la cause ». Cette règle est introduite dans le Code judiciaire dès lors qu’auparavant, les conclusions étaient remises au tribunal par l’intermédiaire des avoués et la communication entre les parties se faisait par une signification réciproque de celles-ci entre avoués, par l’intermédiaire des huissiers audienciers (13). (9) C’est moi qui souligne. (10) Lire, plus vraisemblablement, « communiquées ». (11) Ch. van Reephinghen, Rapport sur la réforme judiciaire, éd. du Moniteur, 1964, p. 287. (12) A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Liège, éd. 1987, p. 226, no 283. (13) Article 70 du décret du 30 mars 1808; voy. chevalier Braas, Précis de procédure civile, Bruylant, 2e éd., 1934, p. 421. Elle impose, sans toutefois qu’aucune sanction ne soit attachée à ce prescrit, à une partie d’envoyer ses conclusions à l’autre partie « en même temps » qu’elles sont déposées au greffe. Elle assure ainsi le respect du contradictoire. C’est pour ce motif que si elle n’est pas respectée, la cause était remise afin de garantir ce principe (14). Cet article ne contient cependant aucune présomption d’envoi des conclusions à l’autre partie, simultané au dépôt, contrairement à ce qu’en déduit la cour d’appel. Le pourvoi, qui ne critique pas l’arrêt sur ce point, se fonde par contre sur une interprétation restrictive de la portée de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire : « la disposition de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire suivant laquelle la “ communication ” des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l’envoi, tend uniquement à éviter que le délai entre l’envoi et la réception des conclusions par leur destinataire ne soit imputé sur le délai imparti à celui-ci pour le dépôt de ses conclusions en réponse et qu’en conséquence, si elle est importante pour la détermination du point de départ de ce délai, cette disposition ne peut avoir pour effet de faire différer de cinq jours la date du dépôt au greffe de conclusions auxquelles, comme c’est le cas en l’espèce, la partie adverse ne peut plus répondre ». Il est vrai que cette vision inutilement réductrice de cette disposition trouve appui dans les travaux préparatoires de la loi du 3 août 1992 et plus particulièrement dans la justification de l’amendement déposé en vue d’introduire cette disposition dans le Code judiciaire (15), qui n’envisage que cette hypothèse où le délai pour conclure d’une partie commence à courir à dater de la communication des conclusions de l’autre partie. Dans ce cas, il importe de pouvoir déterminer avec précision la date de la communication des conclusions. Mais comme la doctrine a déjà eu l’occasion de le démontrer (16), ce n’est évidemment pas la seule hypothèse dans laquelle il importe de pouvoir fixer avec précision la date de la communication des conclusions. Outre le moment où un délai prend cours, ce qu’il importe de pouvoir déterminer, chaque fois qu’un calendrier contraignant est fixé, c’est si les conclusions ont bien été communiquées avant l’échéance du délai. Suivant le pourvoi sur ce point, la Cour de cassation va décider « que les conclusions ne doivent pas être envoyées à la partie adverse cinq jours avant l’expiration du délai pour être réputées accomplies (sic) dans le délai fixé par le président ou le juge désigné par celui-ci » et « que la présomption de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire tend à fixer le point de départ du délai pour répondre à partir de la communication des conclusions de la (14) En ce sens, Liège, 27 janvier 1970, J.L.M.B., 1969-1970, p. 251. (15) Doc. parl., Sénat, 301-2 (S1991-1992), p. 62; il est vrai que les discussions en commission de la justice du Sénat, préalable au vote de l’amendement visant à ajouter le second alinéa à l’article 745, ne brillent pas non plus par leur clarté et attestent d’un optimisme bien imprudent dans le chef des parlementaires (p. 63). (16) H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualité... », op. cit., pp. 84 à 89. partie adverse » réduisant ainsi de façon parfaitement injustifiée la portée tout à fait générale de l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire. Par ailleurs, le pourvoi soutenait qu’en l’espèce, « conformément aux articles 742 et 746 du Code judiciaire, seule la date du dépôt au greffe (le 5 avril 1994) doit être prise en considération ». Au lieu de confirmer sa toute récente jurisprudence sur ce point, la Cour de cassation décide que lorsqu’un délai contraignant est fixé par le juge en application de l’article 747, § 2, du Code judiciaire, les conclusions doivent être déposées et envoyées avant l’expiration du délai fixé. A partir de là, la référence à l’article 745, alinéa 1er, prend évidemment tout son sens : « Attendu qu’en vertu de l’article 745 du Code judiciaire, toutes conclusions sont adressées à la partie adverse ou à son avocat, en même temps qu’elles sont remises au greffe et la communication des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l’envoi; » Que, conformément à l’article 747, § 2, dernier alinéa, du même Code, sans préjudice de l’application d’exceptions non applicables en l’espèce, les conclusions communiquées après l’expiration des délais fixés par le président ou le juge désigné par celui-ci sont d’office écartées des débats; » Attendu que, lorsque le président ou le juge 2 0 0 6 désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent avoir lieu dans le délai fixé ». Près de dix ans après la réforme de 1992, la Cour de cassation trouve dans une disposition insérée dans le Code judiciaire lors de la rédaction de celui-ci, la justification d’une double condition, totalement contraire au texte limpide de l’article 747, § 2, introduit en 1992 : puisque l’article 745, alinéa 1er, précise que les parties s’adressent leurs conclusions en même temps qu’elles les déposent au greffe, il doit s’en déduire selon la Cour qu’en cas de délais contraignants fixés par le juge, lorsque la loi précise que les conclusions communiquées hors délais doivent être écartées d’office des débats, il faut comprendre les conclusions qui n’ont pas été remises au greffe et envoyés en même temps à l’autre partie, dans le délai fixé. 7 5. — De façon étrange, dans son quatrième arrêt rendu sur cette question, le 22 janvier 2004, la Cour de cassation (17) opère une manifeste marche arrière. En effet, il n’est plus question ici du dépôt et de l’envoi concomitant dans le délai fixé par le juge pour éviter la sanction de l’écartement d’office. La Cour en revient à sa formule du 23 mars 2001 : « qu’il suit de la combinaison des articles 742, 745, 746 et 747, § 2, du Code judiciaire, que seules les conclusions déposées au greffe postérieurement au délai fixé par le juge sont écartées des débats » (18). La Cour tempère quelque peu les effets de cette jurisprudence en ajoutant que « eussentelles été tardivement déposées au greffe, le (17) 1re ch., section néerlandaise. (18) On notera que les moyens ne sont pas reproduits avec l’arrêt sur le site de la Cour. englebert.fm Page 8 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. juge n’est pas tenu d’écarter des débats les conclusions communiquées à la partie adverse auxquelles celle-ci a répondu avant l’expiration du délai précité fixé par le juge pour le dépôt des conclusions », ceci afin d’éviter de voir écartées des conclusions déposées en l’espèce tardivement mais communiquées depuis plusieurs années à l’autre partie, bien avant la mise en œuvre du processus de mise en état contraignant ayant conduit à la fixation de délais par le juge (19). II. — Portée de l’arrêt du 9 décembre 2005 6. — Enfin, vient l’arrêt commenté, rendu cette fois-ci par la première chambre réunie en audience plénière. Sans doute la Cour a-telle entendu mettre un terme à ses propres atermoiements sur une question qui pose problèmes, quotidiennement, aux avocats de terrain. L’insécurité engendrée par les solutions controversées des juridictions du fond et ses précédents arrêts, sévèrement critiqués par la doctrine, imposaient à la Cour de prendre une décision claire et si possible à l’abri des critiques précitées. La déception est à la hauteur des espérances. Enorme. La cour d’appel de Liège, dans l’arrêt soumis à la censure de la Cour, avait estimé qu’il n’y 2 0 0 6 avait pas lieu d’écarter d’office des conclusions déposées au greffe dans le délai fixé par le juge bien qu’elles n’aient été communiquées à l’autre partie que plus de trente jours après l’expiration de ce délai. Reprenant directement la formule de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2001, la cour d’appel, après avoir rappelé la portée des articles 742, 745, alinéa 1er, 746 et 747, § 2, du Code judiciaire, précise « qu’il résulte de la combinaison des articles mentionnés ci-avant que seules les conclusions déposées au greffe en dehors du délai déterminé par le juge sont écartées d’office des débats ». 8 Les critiques formulées par le moyen unique paraissent quelque peu confuses et semblent aller en tous sens. D’une part, se fondant sur les articles 745, alinéa 1 e r , et 747, § 2, alinéa 6, et sans que je puisse déceler le rapport entre ces deux dispositions et l’argumentation qui suit, le moyen soutient qu’il importe peu que les droits de la défenses n’aient pas été violés par la communication tardive. Le moyen insiste ensuite sur le fait que le juge est tenu d’éca rter d’office les conclusions « déposées » après l’expiration du délai fixé par le juge. Ce qui ne contredit en rien l’arrêt attaqué. Ensuite, le moyen soutient que l’article 746 serait indissociablement lié à l’article 745, alinéa 1er, du Code judiciaire en ce sens que la remise des conclusions au greffe ne vaut signification que « dans la mesure où les conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu’elles sont remises au greffe » et d’ajouter que « si cette condition n’est pas remplie, la remise des conclu(19) Sur cet aspect de l’arrêt qui intéresse moins mon propos, je renvoie le lecteur aux commentaires déjà publiés : J.-Fr. van Drooghenbroeck, « Dépôt ou communication... », op. cit., p. 418 et H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualités... », op. cit., pp. 81 à 84. sions au greffe ne vaut pas signification ou du moins c’est une signification qui n’est pas l ’ é q u iva l e n t d e l a c o m m u n i c a t i o n d e s conclusions ». Ces développements obscurs et, à ma connaissance, privés de toute base objective, permettent au demandeur en cassation de conclure, sur ce point, que « le dépôt des conclusions non accompagné de leur envoi à la partie adverse ne vaut donc certainement pas communication ». Enfin, le moyen précise, à juste titre, que « c’est bien pourquoi l’article 747, § 2, du Code judiciaire a prévu non pas que les conclusions déposées tardivement, mais que les conclusions “ communiquées ” tardivement seront d’office écartées des débats » et qu’« il résulte de cette disposition que c’est la date de la communication des conclusions à la partie adverse et non celle de leur dépôt au greffe qui est déterminante pour apprécier l’éventuel dépassement du délai ». Le but du demandeur en cassation était évidemment d’obtenir la cassation de l’arrêt attaqué. Peu lui importait sur quelle base. On comprend dès lors que dans un souci d’efficacité, il ait élargi au maximum l’éventail de ses chances. Malheureusement, il a ainsi donné l’occasion à la Cour de confirmer sa jurisprudence retenue dans son arrêt de décembre 2001, sans rencontrer de face le dernier argument fondé spécialement sur le texte de l’article 747, § 2. En réalité, la Cour confirme son arrêt du 20 décembre 2001, quasi mot à mot : « que, lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci a déterminé des délais pour conclure, la remise au greffe de ces conclusions et leur envoi simultané à la partie adverse doivent tout deux avoir lieu dans le délai fixé ». Et pour être certaine d’être bien comprise, elle ajoute « que la seule remise des conclusions au greffe, sans envoi concomitant à la partie adverse de ces mêmes conclusions, ne satisfait pas aux exigences de la loi; qu’il s’impose en pareil cas au juge d’écarter les conclusions même si elles ont été déposées au greffe dans le délai ». Sur quelle base légale se fonde la Cour pour arriver à cette solution? Sur le désormais incontournable article 745, alinéa 1er, ainsi que sur l’article 747, § 2, alinéas 5 et 6. La Cour se contente toutefois de paraphraser le contenu de ces deux dispositions (trois premiers attendus), sans donner la moindre explication sur le raisonnement qu’elle tient pour lui permettre de déduire de ces articles que la formalité à respecter c’est le dépôt et l’envoi simultané, à la partie adverse, dans le délai fixé par le juge. Il convient donc d’être attentif et de ne pas se contenter de lire l’avant-dernier attendu de l’arrêt qui, pris isolément, pourrait faire croire à une solution plus conforme à celle, qu’avec d’autres, j’appelais de mes vœux. III. — Critique de la solution retenue par la Cour de cassation 7. — C’est sciemment qu’en 1992, le législateur a utilisé la notion de communication des conclusions lorsqu’il a mis en place le mécanisme de mise en état contraignante visé à l’article 747, § 2, du Code judiciaire. Comme le souligne justement le représentant du ministre lors des discussions du projet de loi de 1992, si le législateur n’avait retenu que la formalité du dépôt au greffe, la partie adverse aurait couru le risque d’être « prise au dépourvu ». C’est-à-dire de ne pas avoir connaissance des conclusions en temps voulu pour garantir le respect du principe du contradictoire, qui est assuré par la seule communication. Dès lors que les délais pour conclure devenaient, dans certaines circonstances, contraignants, il était impératif de pouvoir déterminer avec précision le moment où l’obligation de conclure était réalisée. Or, la détermination de la date de la communication (à l’inverse de celle du dépôt) posait problème en ce sens qu’elle n’était pas, a priori, certaine. Le législateur n’a pas résolu ce problème, se contentant d’une part, d’introduire bien maladroitement une présomption de communication cinq jours après l’envoi : « la commission décide cependant de ne pas insérer de texte supplémentaire, après qu’un membre eut fait remarquer que l’essentiel de l’article 745 est le dépôt des conclusions et que la date de la communication de celles-ci est à présent fixée. On évitera ainsi — croyaient pouvoir ajouter les parlementaires — toute contestation par certains tribunaux ou certains greffes au sujet du dépôt ou du non-dépôt de conclusions; il y aura une présomption légale ». Et en précisant, d’autre part, que « la charge de la p r e u v e c o n c e r n a n t l ’ e nv o i i n c o m b e à l’expéditeur » (20). 8. — Contrairement à ce que soutient l’avocat général Dubrulle dans ses conclusions prises avant l’arrêt précité du 20 décembre 2001, on ne peut pas valablement soutenir que « il y a lieu d’entendre par cette communication (21) l’envoi à la partie adverse ou à son avocat » (22). Communiquer, c’est, nous enseignent les dictionnaires (23), « faire part de, donner connaissance de quelque chose à quelqu’un, par r e l a t i o n p l u s o u m o i n s d i r e c t e ave c l e destinataire », c’est « remettre » ou « faire partager quelque chose à quelqu’un ». La communication suppose une transmission aboutie. Alors qu’envoyer, ce n’est que « faire partir quelque chose » et adresser, c’est « envoyer quelque chose vers (ou à) un destinataire ou un lieu de destination ». C’est l’antonymie de recevoir. Ce qui est navrant dans la jurisprudence analysée, c’est que la controverse ne porte, depuis le début, que sur la question de savoir si les conclusions doivent être « déposées » ou « déposées et envoyées » à la partie adverse et que, pas une seule fois, la Cour de cassation ne semble se poser la question si, dès lors que le législateur utilise le terme « communiquer », ce serait peut-être cela la formalité à respecter. 9. — Si l’on peut toujours espérer qu’un jour, sensible aux critiques, la Cour revienne sur (20) Doc. parl., Sénat, 301-2 (S.E. 1991-1992), p. 63. (21) Il fait ici référence à la communication des conclusions visée à l’article 747, § 2, alinéa 6, C. jud. (22) Pas., 2001, I, 2177. (23) « Le trésor de la langue française informatisé », http://atilf.atilf.fr/tlfi/. englebert.fm Page 9 Wednesday, January 25, 2006 4:50 PM J.T. no 6207 du 7 janvier 2006. Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Larcier. cette jurisprudence, il convient bien, pour le praticien, d’en tirer les conséquences dans sa pratique quotidienne. Face à un délai contraignant fixé par le juge, il devra veiller à déposer ses conclusions au greffe et à les envoyer simultanément à l’autre partie, dans le délai fixé. En réalité, la Cour de cassation ne parle plus, dans l’arrêt annoté, de dépôt des conclusions au greffe mais de leur « remise » au greffe, reprenant ainsi la terminologie utilisée tant par l’article 746 (la remise au greffe vaut signification) que par l’article 745, alinéa 1er (les conclusions sont adressées à la partie adverse en même temps qu’elles sont remises au greffe). L’article 742 précise que les parties adressent ou déposent au greffe l’original de leurs conclusions. Il faudrait donc en déduire, dans la rigueur des principes, que, par remise au greffe, sont visées tant la formalité du dépôt que celle de l’envoi des conclusions au greffe. Les conclusions simplement adressées au greffe le dernier jour du délai devraient donc être considérées comme remises dans le délai. Il convient en outre de s’assurer de « leur envoi simultané » (24) à l’autre partie, toujours dans le délai. Le Code utilise les termes « adresser en même temps » (article 745, alinéa 1er). Est simultané, ce « qui existe, qui a lieu dans le même temps, au même instant [...]; qui se rapporte à un même moment du temps, qui est concomitant, synchrone (25); [...] qui appartient au même acte, qui constitue un seul acte, un ensemble ». C’est le contraire de successif ou de différé (26). Il faudrait donc remettre ses conclusions au greffe et les adresser à son adversaire au même instant. Ce ne sera matériellement pas possible notamment lorsque l’on va physiquement déposer les conclusions au greffe sauf à y rencontrer au même instant son confrère. Hors cette situation improbable, il faudra bien soit d’abord envoyer les conclusions (par exemple par la remise du pli à la poste) puis aller en déposer l’original au greffe, soit l’inverse. Il ne s’agit plus d’actes simultanés mais bien successifs. Par contre, la simultanéité pourra encore être respectée lorsque le plaideur se contentera d’adresser ses conclusions par la poste au greffe. Dans ce cas, les deux plis, celui adressé au greffe et celui destiné à la partie adverse, pourront être remis simultanément à la poste. On voit, par ces quelques exemples, que cette exigence de simultanéité est parfaitement inappropriée. C’est normal puisqu’elle est déduite d’une disposition datant de la rédaction du Code judiciaire (1967) que l’on tente d’appliquer à une règle introduite vingt-cinq ans plus tard (27). A nouveau, je ne peux en aucun cas suivre l’avocat général Dubrulle, lorsqu’il (24) La Cour de cassation utilise encore le terme « concomitant ». (25) Ainsi une traduction simultanée se dit d’une traduction effectuée au fur et à mesure qu’un orateur parle. (26) « Le trésor de la langue française informatisé », http://atilf.atilf.fr/tlfi/ (27) Il va sans dire que cette jurisprudence sonne définitivement le glas d’une interprétation large de l’article 745, alinéa 2, C. jud. écrit que « l’article 745 (28) du Code judiciaire est étranger à l’article 747, § 2, dernier alinéa » (29). C’est au contraire, comme je l’ai démontré ci-dessus, l’alinéa 1er de cet article qui est totalement étranger à l’article 747, § 2. Appliquée strictement (et il n’y a pas de raison d’agir autrement), la règle va conduire à des conséquences absurdes. Que se passera-til lorsqu’une partie, bien organisée, termine la rédaction de ses conclusions quinze jours avant l’expiration du délai fixé par le juge et qu’elle les envoie à cette date par courrier à son adversaire, alors qu’elle ne les dépose que quelques jours plus tard, mais toujours bien avant l’échéance du délai, au greffe, à l’occasion d’un déplacement au Palais. Il n’y aura pas remise au greffe et envoi simultané à l’autre partie. Il faudra donc décider que ces conclusions doivent être écartées des débats. Ou alors, on décidera que l’envoi ne doit pas se faire « en même temps » que la remise au greffe. Et on comprendra que la référence à l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire, qui impose précisément cette simultanéité est, en la matière, sans la moindre pertinence. 10. — Enfin, et c’est sans doute l’aspect le plus désolant de l’histoire, il reste à déterminer comment une partie va prouver l’envoi (simultané) de ses conclusions à la partie adverse. C’était précisément parce que la date de la communication était trop incertaine du goût de certains magistrats que ceux-ci, avec l’appui dans un premier temps de la Cour de cassation, avaient substitué à l’exigence légale celle du seul dépôt (et non la simple remise) qui a toujours date certaine (cachet du greffe) (30). M a i s d è s l o r s q u e l a C o u r, fi d è l e à l’article 745, alinéa 1 er , du Code judiciaire, exige en outre l’envoi à l’autre partie dans le délai fixé, il sera impératif de pouvoir apporter la preuve de cet envoi. Sur ce point l’enseignement de la Cour de cassation est muet. Il appartiendra à chaque partie de veiller à se préserver cette preuve, par exemple en envoyant ses conclusions par pli recommandé à la poste, ou en produisant un accusé de réception, ce qui peut se concevoir par exemple en cas de remise des conclusions par porteur, ou par télécopieur ou par courriel. On en revient donc à la case départ (31). Et dans ce cas, puisqu’il faudra quand même prouver l’envoi, ne serait-il pas plus simple d’admettre que la seule formalité qui compte, c’est la communication présumée, iuris tantum, par l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire, accomplie cinq jours après l’envoi? Jacques ENGLEBERT Avocat Maître de conférence à l’Université libre de Bruxelles (28) Il vise ici le second alinéa. (29) Pas., 2001, I, 2179. (30) Liège, 25 octobre 2005, J.T., 2005, p. 758. (31) Voy. not. G. de Leval, « La loi du 3 août 1992 modifiant le Code judiciaire : la mise en état », in Le droit judiciaire rénové, Kluwer, 1992, pp. 103 et s., spécialement p. 110. ABUS DE DROIT. — Critère. — Disproportion du préjudice causé par rapport à l’avantage recherché ou obtenu. — Attitude de l’auteur de la violation du droit d’autrui. Cass. (1 re ch.), 25 novembre 2005 Siég. : Ph. Echement (prés. sect. et rapp.), D. Batselé, D. Plas, Ch. Matray et Ph. Gosseries. Min. publ. : A. Henkes (av. gén.). Plaid. : MMes Michel Mahieu et L. Simont. (Chalet c. Meulemans et Rigo). Il peut y avoir abus de droit lorsqu’un droit est exercé sans intérêt raisonnable et suffisant. Tel est spécialement le cas lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l’avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit. Dans l’appréciation des intérêts en présence, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause, notamment de l’attitude de la violation du droit d’autrui. 2006 I. — La décision attaquée. Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 24 octobre 2003 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d’appel. II. — La procédure devant la Cour. Le président de section Philippe Echement a fait rapport. L’avocat général André Henkes a conclu. III. — Le moyen de cassation. La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées. — principe général du droit prohibant l’abus de droit, tel qu’il est consacré notamment par les articles 1382 et 1383 du Code civil; — articles 1382 et 1383 du Code civil. Décisions et motifs critiqués. Le jugement attaqué, par confirmation du jugement, dont appel, déclare fondée la demande originaire des défendeurs et ordonne en conséquence l’enlèvement des installations litigieuses situées sur le fonds des défendeurs, et ce notamment pour les motifs suivants : « L’abus de droit. Selon (la demanderesse), l’inconvénient mineur pour les [défendeurs] de supporter les ouvrages d’évacuation d’eaux qu’elle a érigés le long de son bâtiment est sans proportion avec l’inconvénient et le 9