Les propositions du Gouvernement pour une réforme de la Justice

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Les propositions du Gouvernement pour une réforme de la Justice
Dossier de presse
Conseil national de la
Justice
Cour suprême
27-2-2013
Les propositions du ministre de la Justice pour une réforme de la Justice
Comme il est envisagé d’ancrer dans la constitution deux nouvelles institutions, à savoir le
Conseil national de la justice et la Cour suprême, le ministre de la Justice entend lancer une
consultation préliminaire sur ces deux sujets, qui risquent d’être controversés, sur base
d’avant-projets de lois.
Il s’agit de l’avant-projet de loi portant organisation du Conseil national de la Justice et de
l’avant-projet de loi portant organisation de la Cour suprême.
Le ministre de la Justice François BILTGEN va saisir lors de cette consultation préliminaire
les autorités judiciaires et le Conseil d’État, afin de permettre à la Chambre des députés
d’arrêter les nouveaux textes constitutionnels ainsi qu’au gouvernement de décider sur les
projets de loi définitifs.
I. Le Conseil national de la Justice, un garant de l’indépendance des autorités
judiciaires et d’une bonne administration de la Justice
La création d’un Conseil national de la Justice a été retenue au niveau du programme
gouvernemental 2009-2014 : « Le Gouvernement mettra en place un Conseil national de la
Magistrature comme garant de l’indépendance de l’appareil judiciaire. Ce nouvel organe sera
composé majoritairement de magistrats. » Il ne constitue pas une fin en soi, mais il s’agit
d’un instrument en vue de mener à bien une réforme de la Justice, qui est indispensable
pour renforcer sensiblement son indépendance et pour garantir son efficacité et sa qualité.
Le Luxembourg est un des rares pays à ne pas disposer d’un tel organe. Il s’agira d’un
organe unique concernant tant l’ordre judiciaire que l’ordre administratif, qu’il est envisagé de
regrouper sous le Conseil national de la Justice et la Cour suprême.
Le Conseil national de la Justice aura la double mission de veiller à l’indépendance des
autorités judiciaires et à une bonne administration de la Justice.
Il y a lieu de souligner que la Justice forme un pouvoir et n’est pas une simple administration
de l’Etat.
Un renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire implique davantage de
responsabilités et une autonomie accrue de celui-ci.
1. Les attributions
Les attributions prévues du Conseil national de la Justice seront :
- la présentation au Grand-Duc des propositions pour le recrutement et la nomination des
magistrats. Il s’agit tant des magistrats du siège que des magistrats des parquets. Il s’en suit
qui le ministère public serait dorénavant indépendant du gouvernement et notamment du
ministère de la Justice ;
- l’instruction des affaires disciplinaires des magistrats et la réquisition des sanctions
disciplinaires devant les autorités compétentes ;
- l’établissement des règles d’éthique judiciaire et de déontologie de la magistrature et la
fonction consultative des magistrats dans ces matières ;
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- la promotion et la protection de l’image de la Justice. Le Conseil national de la Justice sera
en charge de la promotion de l’image de la justice. Le Gouvernement constate parmi la
population de grandes lacunes en matière de connaissance des institutions du Grand-Duché
et plus particulièrement du fonctionnement de la justice. L’objectif du projet de loi est
d’améliorer les connaissances des citoyens relatives au système judiciaire luxembourgeois.
Cet objectif pourra être atteint notamment par l’organisation de campagnes d’information ou
de conférences ainsi que par la mise en place de programmes dans les écoles.
Par ailleurs, le Conseil national de la Justice assurera la protection de l’image de la justice.
Celui-ci pourra émettre des communiqués en cas de diffusion d’informations inexactes ou
portant atteinte à l’image de la justice ;
- la réception et le traitement des doléances des justiciables relatives au fonctionnement de
la justice. Toutefois, l’objectif n’est pas de créer une quatrième voie de recours. L’affaire
serait instruite par un membre du Conseil national de la Justice. Lorsque l’examen de la
doléance ferait ressortir des faits ou omissions étant de nature à constituer une faute
disciplinaire, le Conseil national de la Justice engagerait une procédure disciplinaire. Dans le
cas où cet examen révèlerait un mauvais fonctionnement d’un service, le Conseil national de
la Justice pourrait adresser des recommandations en vue de remédier aux déficiences
constatées.
Le Conseil national de la Justice informerait aussi le justiciable des suites de sa doléance ;
- la présentation de recommandations aux juridictions et parquets en vue d’améliorer
l’administration de la justice ;
- la communication d’avis et de rapports à la Chambre des Députés et au Gouvernement ;
- l’exercice du pouvoir réglementaire dans le recrutement, la formation judiciaire et
l’évaluation des magistrats, l’éthique judiciaire et la déontologie de la magistrature ainsi que
la détermination du nombre et de la durée des audiences des juridictions, la fixation de
périodes de service réduit pendant l’année judiciaire, la détermination des heures
d’ouverture des greffes et autres services relevant du pouvoir judiciaire.
2. La composition
La proposition du ministre de la Justice prévoit un Conseil national de la Justice de quinze
membres effectifs et de quinze membres suppléants.
Pour répondre à la déclaration gouvernementale, le taux de représentation serait de deux
tiers de magistrats et d’un tiers de non-magistrats.
Parmi les représentants de la magistrature siégeant comme membre effectif au sein du
Conseil national de la Justice, il y aurait huit chefs de corps, un magistrat élu par ses pairs et
un magistrat désigné par l’association professionnelle la plus représentative dans la
magistrature.
Quant aux personnalités extérieures à la magistrature, il y aurait deux avocats désignés
conjointement par les barreaux de Luxembourg et de Diekirch, un représentant du monde
académique désigné par l’Université du Luxembourg et deux représentants de la société
civile cooptés par les autres membres du Conseil national de la Justice.
Afin de marquer l’indépendance totale du troisième pouvoir, aucun membre du Conseil
national de la Justice ne serait désigné par le pouvoir politique.
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Dans le cas contraire, il y aurait une incompatibilité entre les différents mandats politiques (y
compris l’appartenance au Conseil d’État) et la qualité de membre du Conseil national de la
Justice.
3. La nomination et l’avancement des magistrats
Quant aux critères de nomination et d’avancement des magistrats à appliquer par le Conseil
national de la Justice, le ministre de la Justice propose de prendre en compte l’ancienneté
de service dans la magistrature, les qualités professionnelles et humaines, les efforts
accomplis en matière de formation continue et les résultats de l’évaluation si elle a lieu. En
cas de vacance d’un poste de chef de corps, le Conseil national de la Justice examinerait
l’adéquation du candidat au profil recherché pour le poste en question.
En ce qui concerne la procédure, le Grand-Duc serait tenu de nommer le candidat proposé
par le Conseil national de la Justice. Cela vaut tant pour les magistrats du siège que pour les
magistrats du ministère public. Le ministre de la Justice n’interviendrait de cette manière plus
dans la procédure de nomination des magistrats. Le Conseil national de la Justice saisirait
directement le Grand-Duc, sans passer par les services du Ministère d’État ou du Ministère
de la Justice. Les arrêtés grand-ducaux de nomination revêtiront le contreseing du président
du Conseil national de la Justice.
4. L’évaluation des magistrats
Le ministre de la Justice propose la mise en place d’un système d’évaluation des qualités
professionnelles et humaines des membres de la magistrature. L’objectif poursuivi est
double : premièrement, le régime d’évaluation viserait à améliorer le fonctionnement des
juridictions et parquets pris dans leur ensemble. Deuxièmement, le dispositif proposé viserait
à permettre la vérification des aptitudes de chacun des membres de la magistrature,
notamment dans la perspective des promotions à intervenir.
Il appartient au législateur de déterminer les grands principes de l’évaluation des membres
de la magistrature. Le Conseil national de la Justice réglementerait les modalités de cette
évaluation.
Quant au champ d’application de l’évaluation, celle-ci interviendrait à deux moments précis
de la carrière, c’est-à-dire avant l’accès aux fonctions classées au grade M4 et aux postes
de chef de corps. Toutefois, une évaluation supplémentaire pourrait être ordonnée à tout
moment par le Conseil national de la Justice, sur demande du chef de corps estimant que
les prestations du magistrat seraient insuffisantes.
Le ministre de la Justice propose un système d’évaluation par les pairs, à réunir dans un
organe collégial. Dans un souci de favoriser une évaluation objective et transparente,
l’évaluation serait confiée à la commission d’évaluation des membres de la magistrature.
Cette nouvelle commission serait exclusivement composée de magistrats désignés par le
Conseil national de la Justice pour chaque évaluation individuelle. La procédure d’évaluation
aurait un caractère contradictoire et garantit les droits de la défense par l’existence d’un
double degré de juridiction.
Les résultats de l’évaluation auraient une influence sur la carrière du magistrat. Le Conseil
national de la Justice pourrait refuser au magistrat l’avancement sollicité.
D’autre part, une procédure d’incapacité professionnelle serait mise en place pour les
membres de la magistrature. Cette nouvelle procédure comporterait deux étapes :
Le magistrat pourrait bénéficier dans une première étape d’un programme d’appui.
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Pour le cas où le magistrat n’aurait pas atteint ou retrouvé le niveau de prestation requis à
l’issue du programme d’appui, le régime disciplinaire serait déclenché dans une deuxième
phase, pouvant aller jusqu’à la révocation du magistrat défaillant.
5. La discipline des magistrats
Le ministre de la Justice propose la séparation des fonctions d’instruction et de jugement des
affaires disciplinaires. Le Conseil national de la Justice déclencherait la procédure
disciplinaire, instruirait les affaires et saisirait les autorités investies du pouvoir de prononcer
les sanctions disciplinaires.
L’introduction du double degré de juridiction est proposée : En première instance, les affaires
disciplinaires seraient jugées par la Cour d’appel, compétente à l’égard des magistrats de
l’ordre judiciaire, et par la Cour administrative, compétente à l’égard des magistrats de l’ordre
administratif. L’appel serait toisé par la Cour suprême, compétente à l’égard de tous les
membres de la magistrature.
6. L'administration de la Justice
Un règlement du Conseil national de la Justice déterminerait le nombre et la durée des
audiences des juridictions, les heures d'ouverture des greffes et autres services relevant du
pouvoir judiciaire ainsi que les périodes de service réduit pendant l'année judiciaire qui
commence le 1er janvier et se termine le 31 décembre. En cas de besoin, chaque juridiction
sera tenue d'organiser des audiences extraordinaires, même pendant les périodes de
service réduit.
Le Conseil national de la Justice peut analyser le fonctionnement des juridictions et parquets
et leur adresser des recommandations en vue d'améliorer l'administration de la justice.
Les statistiques judiciaires seront établies par les juridictions et les parquets sur base des
recommandations du Conseil national de la Justice.
Les juridictions et parquets arrêteront un plan pluriannuel de l'organisation de leur travail sur
base des recommandations du Conseil national de la Justice.
Résumé :
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Le Conseil national de la Justice, composé pour deux tiers de magistrats et
d’un tiers de personnalités étrangères à la magistrature, et indépendant par
rapport à tout pouvoir politique, sera compétent à l’égard de toutes les
juridictions et de tous les magistrats, qu’ils ressortissent du siège ou du
parquet.
Il décidera en toute indépendance de toutes les propositions de nomination ou
de promotion.
Il élaborera des règles d’éthique et de déontologie et conseillera les magistrats
dans ces matières.
Il procédera à l’instruction disciplinaire, alors que la procédure disciplinaire
continuera à relever des juridictions de ressort.
Il réglementera l’organisation judiciaire.
Il traitera toutes les doléances des justiciables, étant entendu que ces
doléances ne pourront pas entraver l’indépendance de la justice.
Il assurera la promotion et la protection de l’image de marque de la justice.
Il pourra adresser toutes recommandations à toutes juridictions relatives à la
bonne organisation judiciaire.
Il conseille les pouvoirs politiques sur les questions de son ressort.
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II. Recréer une structure pyramidale de la justice luxembourgeoise tout en réformant
le contrôle de la constitutionnalité des lois.
Le ministre de la Justice veut non seulement redonner une cohérence au système judiciaire
luxembourgeois, mais également le rendre plus facile à comprendre par le justiciable.
1. Un système déphasé depuis la création de la justice administrative et de la justice
constitutionnelle
Notre système judiciaire est déphasé depuis la création des juridictions de l’ordre
administratif et de la Cour constitutionnelle.
En 1996, les juridictions de l’ordre administratif ont été créées dans l’urgence pour satisfaire
aux exigences de l’arrêt « Procola » rendu par la Cour européenne des droits de l’homme.
Ces juridictions statuent sur les recours dirigés par les citoyens contre les décisions
administratives. Le tribunal administratif est compétent en première instance et la Cour
administrative est la juridiction d’appel.
En 1997, la Cour constitutionnelle a été mise en place. Le dispositif actuel comprend les
faiblesses suivantes : d’une part, la Cour constitutionnelle ne statue que sur une question
préjudicielle. Il faut qu’un juge demande à la Cour constitutionnelle de trancher la question si
une loi est contraire à la Constitution. D’autre part, la Cour constitutionnelle éprouve de
grandes difficultés de composition. Cela est dû au fait que la Cour constitutionnelle est
exclusivement composée de magistrats siégeant à la Cour supérieure de Justice,
respectivement la Cour administrative. Afin de satisfaire aux exigences d’impartialité, les
membres de la Cour constitutionnelle ne peuvent pas siéger dans les affaires qu’ils ont
auparavant toisé en leur qualité de membre de la Cour supérieure de Justice ou de la Cour
administrative.
2. Recréer une organisation pyramidale de la justice luxembourgeoise.
Au sommet de la hiérarchie judiciaire, le ministre de la Justice propose la création d’une
Cour suprême. Cette nouvelle juridiction remplacerait la Cour supérieure de Justice et la
Cour constitutionnelle qui vont disparaître. La Cour suprême garantirait l’uniformité de
l’application du droit par les juridictions nationales. Elle comprendrait neuf magistrats
siégeant à plein temps. Le Parquet général ferait organiquement partie de la Cour suprême
et assurerait le ministère public auprès de cette juridiction.
Au niveau de l’ordre judiciaire, la Cour d’appel deviendrait une juridiction autonome. Celle-ci
connaîtrait non seulement les affaires civiles, commerciales et pénales, mais également les
appels dirigés contre les jugements rendus par le Conseil arbitral de la sécurité sociale, ce
qui impliquerait la suppression du Conseil supérieur de la sécurité sociale. Le ministre de la
Justice propose également la suppression des juridictions militaires, de sorte que le
contentieux relevant de ces juridictions serait transféré à l’ordre judiciaire.
Quant à l’ordre administratif, le ministre de la Justice propose le maintien du tribunal
administratif et de la Cour administrative comme juridictions autonomes.
3. Réformer le contrôle de la constitutionnalité des lois
Le ministre de la Justice propose la suppression de la Cour constitutionnelle et l’abandon du
mécanisme de la question préjudicielle de constitutionnalité. Il n'y aurait donc plus de juge
constitutionnel spécifique. Chaque juge aura non seulement, comme dans le système actuel,
le pouvoir d’examiner la conformité des lois aux traités internationaux et d’écarter
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l’application des lois contraires à ces traités, mais également de vérifier la constitutionnalité
des lois et d'en écarter le cas échéant l'application.
Par le jeu des voies de recours, tous les litiges concernant l'interprétation de la Constitution
auront vocation à remonter à la Cour suprême qui trancherait en dernière instance la
question de la conformité des lois à la Constitution. Dans le cas où la Cour suprême
déclarerait une disposition légale contraire à la Constitution ou à une norme de droit
supranational, celle-ci serait abrogée à partir de la publication de l’arrêt au Mémorial. Dans
des circonstances exceptionnelles, la Cour suprême pourrait indiquer, par voie de disposition
générale, les effets des dispositions déclarées contraires à la Constitution ou à une norme
de droit supranational qui devront être considérés comme définitifs ou maintenus
provisoirement pour le délai qu’elle déterminera.
S'il est vrai que, par le mécanisme de l'appel et du pourvoi en cassation, chaque jugement
est, en principe, susceptible de remonter à la Cour suprême pour y trouver une solution
définitive et incontestable, il se peut également qu'une loi soit déclarée inconstitutionnelle par
une juridiction inférieure, sans que les parties n'exercent contre la décision
d'inconstitutionnalité un recours qui la fasse remonter vers la Cour suprême. Pour que des
décisions d'inconstitutionnalité puissent malgré tout faire l'objet d'un contrôle ultime par la
Cour suprême, le procureur général d’État aura la faculté d'exercer un pourvoi dans l'intérêt
de la loi, dans le seul but de faire résoudre la question de la constitutionnalité d'une loi, de
manière définitive, par la Cour suprême. L’arrêt de la Cour suprême n’aura pas d’effet sur les
parties au litige.
Résumé :
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Avec l’instauration d’une Cour Suprême, la Justice sera dotée à nouveau d’un
système pyramidal, regroupant deux branches, l’ordre judiciaire et l’ordre
administratif.
La Cour suprême sera dotée de magistrats à plein temps.
Le droit administratif sera désormais soumis à des pourvois en cassation.
Chaque juge pourra désormais non seulement contrôler la conformité des lois
par rapport aux traités, conventions et droit communautaire mais également
par rapport à la Constitution.
Lorsque la Cour suprême aura constaté une contrariété d’une disposition
législative par rapport à une norme supérieure, la disposition sera abrogée
dans un pas de temps qui pourra être défini par la Cour suprêmeUn ministère public sera instauré auprès de la Cour suprême qui pourra
notamment saisir la Cour suprême de recours portant sur la constitutionnalité
de la loi dans l’intérêt de la loi.
III. Suite de la procédure
Le ministre de la Justice a prié les autorités judiciaires d’aviser les avant-projets de loi pour
au plus tard le premier mai 2013.
Dès que la Chambre des Députés aura arrêté ses propositions définitives de modification
constitutionnelle en la matière, le ministre de la Justice saisira le Conseil de gouvernement
avec des projets de lois définitifs tenant compte de la phase de consultation.
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Par ailleurs il entend proposer au Conseil de gouvernement dans les prochaines semaines
les différents avant-projets de lois sur :
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la réforme du statut du ministère public ;
l’organisation des juridictions de l'ordre judiciaire (y compris la réforme du contentieux
de la sécurité sociale) ;
l’organisation des juridictions de l’ordre administratif (y compris la réforme du
règlement de procédure) ;
les attachés de justice ;
les pourvois et procédures en cassation.
Ces textes pourront être déposés en tant que projet de loi pour autant qu’ils ne dépendent
pas d’une réforme de la Constitution.
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