1/10 PRESSE Dans l`étreinte du temps, Serge Safran, Le Castor
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1/10 PRESSE Dans l`étreinte du temps, Serge Safran, Le Castor
PRESSE Dans l’étreinte du temps, Serge Safran, Le Castor astral / Le Noroît, 1989 Dans l’étreinte du temps de Serge Safran Sur des sillons de rimmel et de strass, le promeneur sème les rires rouillés de son enfance perdue. Dans les plissements d’un ciel cyanosé, là où la ville fait des grumeaux, la lumière froide d’une morgue guide le carrousel indécis d’un corps lesté comme un colis piégé. « La lune dribble les néons vers Barbès-Rochechouart », le travesti distribue des œillades en grappes lilas, la prostituée calme son ventre en chamade, l’espoir tintinnabule dans le gobelet d’une fontaine wallace. Au seuil écarlate du désir, sous les frondaisons d’ancolies, Serge Safran dégaine un beau livre de passage, où le réel rattrape les crépuscules éthérés par la plante des pieds. La lente métamorphose des pierres ancestrales « où tout s’énumère pour mourir ». Le Castor astral / Le Noroît, 96p., 68 F. Patrice Delbourg, L’Événement du jeudi n° 274, Semaine du 1er au 7 février 1990 *** POÉSIE SERGE SAFRAN : Dans l’étreinte du temps. – Poète exposé à la violence et au déchirement, marcheur des zones grises qui enserrent les villes, Serge Safran – à qui l’on doit notamment une édition des Amours jaunes de Tristan Corbière (La Différence, coll. « Orphée ») – sait aussi dire la douceur et la terndresse du temps dans le murmure mouvant des arbres / le soleil sourd des pierres / où tout s’énumère pour mourir ». (Le Castor astral/ Le Noroit, 94 p., 68F.) Le Monde *** La caresse du tragique De Ronsard à Baudelaire, et aujourd’hui encore, la poésie s’est de tout temps tissée sur la révélation de l’effacement, de la déréliction et de la mort. Serge Safran, sur ce registre, ne fait pas exception. Il est vrai qu’un certain romantisme douloureux, chez lui, n’est jamais absent ; et que l’ombre subreptice de Gérard de Nerval y rôde avec insistance. Nourri donc d’influences croisées, le dernier recueil de Safran s’en prend d’emblée à l’existence – ou, du moins, à son impossibilité –, tant elle semble invariablement se heurter au lancinement de quelque plaie toujours vive, et plus généralement aux taraudements des chairs et de l’âme. Les jours, les nuits paraissent alors englués dans une sorte de poisse, sentiment presque palpable de cette embrassade du temps qui verse obstinément à l’étouffement. Il y a là de belles imprécations implicites d’un homme en froid avec son époque, dénotant une évidente parenté d’esprit – si ce n’est de style – avec le trop méconnu Tristan Corbière, à qui, précisément, Serge Safran a récemment consacré une conséquente étude. 1/10 Dans une langue généreuse et labile – mais qui se serre parfois en échardes et altières acuités –, cette poésie se joue sur une étonnante variété de registres : lyrisme déchiqueté, musique des sons et des sens, étranges chocs verbaux, mais aussi élégie, transparence et limpidité pressenties, écriture en marelle décadenassant l’espace… « Je m’en vais seul boulevard / des Batignolles / en paillettes mon deuil / sur les trottoirs / brille en armes de fiel / la viande rutilant d’or / d’horreur douce douleur / sans espoir… La mélancolie est fidèle comme une chienne ; et le tragique nous caresse de son aile. Jean-Louis Roux, INFO, Grenoble « Dans l’Etreinte du temps » de Serge Safran, Le Castor astral / Le Noroît ; 68 F). « Les Amours jaunes » de Tristan Corbière, présenté par Serge Safran (Orphée/La Différence ; 39 F). *** LA CHRONIQUE D’ALAIN BOSQUET Textes rares parfois essentiels Serge Safran Auteur d’une demi-douzaine de recueils de poésie, dont la plupart se cherchent entre le concret et l’abstrait, là où l’évidence ne se dévêt pas encore du fantastique et où la table sait se faire quotidienne, Serge Safran connaît l’épanouissement avec un livre inclassable mais attachant, « Dans l’étreinte du temps » (Le Castor astral). On y trouve, macérés dans l’épouvante et la grâce, des points de repère très précis, des mythes éthérés et une sorte de besoin élégiaque à redéfinir l’état de perception. L’ensemble a une véhémence, une joie et une ténacité assez rares. On devine aussi que Serge Safran se veut engagé dans la fureur du siècle, ce qui ne l’empêche nullement de s’en détacher au bon moment. Irrévérence et douceur sont ses deux mamelles : « Saisir rester puis se taire / sourire enfin sans rien dire / savoir surtout ce qu’il faut faire / pour que les larmes soient le rire / comme l’air libre le vol noir / l’argile l’aigle la surprise / soudain vers l’aube lâcher prise / et puis mourir d’ivresse douce. » Alain Bosquet, Le Quotidien de Paris, mercredi 20 décembre 1989 *** Dans les bras d’Orphée L’avez-vous remarqué ? Étreinte et éternité : mêmes lettres ! C’est curieux. La première chose qui m’est venue à l’esprit en regardant le titre du dernier recueil de poésie de Serge Safran, « Dans l’étreinte du temps », c’est une association d’idées : « temps » contraire de « éternité ». Ensuite, les lettres qui forment « étreinte » sont les mêmes que celles qui composent « éternité ». À partir de là, on a envie d’ouvrir le livre. Et on ne le regrette pas. 2/10 Serge Safran : vous avez déjà pu voir ce nom dans cette rubrique le 9 mai dernier. Il a en effet préfacé la réédition des « Amours jaunes » de Tristan Corbière aux éditions La Différence, dont il était question ce jour-là. Il est né à Bordeaux en 1950. Il a publié plusieurs livres de poésie, dont « Bleuets de boue », « Le Chant de Talaïmannar » et « Épreuves d’origine » chez « Le Castor Astral ». Jeune poète encore, donc, l’auteur aime l’émotion et la beauté que donne l’écoute du monde. Il met en exergue ces mots de Toa Yuan-Ming : « Ici même, le Réel. Comment le dire dans l’oubli des mots ? ». Faut-il trouver les mots pour dire l’indicible ? Et le Réel n’est-il pas justement ce qui échappe aux mots ? Quand on écrit, n’est-ce pas toujours à l’heure du leurre ? Tiens, à propos, qu’on lise ces vers : « Voici venir l’hiver Avec ses voiles rouges Et son cortège d’amertume Voici venir l’hiver Ses meurtres son bitume Ses veules litanies Enfin voici l’hiver Avec ses mots de leurre Comme coutumes de trottoir » Le livre commence par un très beau et foisonnant « Gare Saint-Lazare » où les mots déferlent et s’entrechoquent avec une grande force pour s’apaiser dans un superbe dernier vers, « Comme ces dieux dont l’âme meurt dans le marbre ». L’ensemble de l’ouvrage est plein d’une poésie neuve, sensible, charnelle. Le poète ici est à la fois un voyeur et un voyageur qui regarde défiler ce qu’il nomme le « réel sous paupières ». Et quand on referme le livre de Safran on a justement envie de fermer les yeux, non de sommeil mais de soleil. Il y a là quelque chose qui brille en effet, comme des étincelles dont le crépitement résonne longtemps. C’est beau comme un feu d’artifices de mots qui retombent en pluie dans une nuit sereine sans lune. Serge Safran : Dans l’étreinte du temps, coédité par « Le Castor Astral » et « Le Noroît », 96 pages, 68F. François Jodin, La Liberté de l’est *** VIENT DE PARAITRE LIITERATURE FRANÇAISE Serge Safran DANS L’ÉTREINTE DU TEMPS Le Castor Astral, coédition Le Noroît, 98 pp., 68F. 3/10 Quatrième recueil d’un auteur « à l’écoute du monde », pour qui la poésie se situe aussi bien en Asie qu’à Barbès-Rochechouart ou dans l’autobus 66. Les voyageurs sont priés de ne pas descendre avant l’arrêt complet de l’opuscule, et de ne pas rater les correspondances. Libération, Livres, jeudi 7 décembre 1989 *** poésie ……… DANS L’ÉTREINTE DU TEMPS Serge Safran L’étreinte du temps est le reflet d’une expérience de l’écoute du monde. Loin de se retire dans une inexpugnable tour d’ivoire où le bruit et la fureur ne l’atteindraient pas, le poète descend dans l’arène du siècle pour mieux appréhender le langage de l’univers concret. Il le traduit en vers libres aux associations puissantes, scandant lourdement le rythme du chant des mots. Ce sont des pièces souvent assez courtes, certaines cessant même d’affecter une structure versifiée pour prendre celles de subtils poèmes en prose. Serge Safran n’est déjà plus l’apprenti poète de Musset puisqu’il a publié plusieurs recueils, entre autres, Cinq sonnets pour Nadhya ou Épreuves d’origine. Les Libraires CLÉ *** POÉSIE JEAN ORIZET Serge Safran Le secret des êtres et des lieux Avec son sixième ouvrage, Dans l’étreinte du temps (1), Serge Safran affirme une voix de plus en plus attachante dans la génération des poètes de quarante ans. Contrairement à certains de ses contemporains, Safran, lui, ne « fabrique » pas : son lyrisme est vrai, sensible, ce qui n’exclut pas la précision de l’image. Voyageuse ou intimiste, urbaine ou campagnarde (Safran, s’il vit à paris, est resté fidèle à son Sud-Ouest natal), sa poésie sait trouver le ton et la manière appropriés. Cela nous vaut Gare Saint-Lazare par exemple, sorte de complainte où passe l’ombre de Laforgue et d’Apollinaire ou, dans Suite à quatre temps, une chanson qui pourrait être celle d’un Verlaine d’aujourd’hui. Safran est aussi à l’aise dans le poème en prose : L’Impérieux démolir ou le croquis pris sur le vif, dans un autobus par exemple : Ligne 21. Voici un poème dans le registre intimiste : la quiétude du chat la rosée du matin comme au soleil sans artifice douce la chaleur des mots l’amertume du thé la certitude du chant 4/10 des oiseaux dans le cèdre comme l’oubli creuse le ciel Serge Safran vit aussi la poésie en éditeur puisqu’il collabore au Castor Astral, maison d’édition bipolaire (Bordeaux-Paris), fondée par Marc Torralba et Jean-Yves Reuzeau, qui, en quatorze ans a publié quelques-uns des meilleurs poètes de leur génération : Patrice Delbourg, dont je salue au passage le beau roman désespéré Un certain Blatte paru au Seuil, James Sacré, François de Cornière, Marc Villard, parmi d’autres. En association avec le Noroît, le Castor Astral publie aussi des poètes québécois comme Claude Beausoleil et Paul Chamberland. Dans le domaine de la prose, voici d’excellents écrivains comme Emmanuel Bove, Hubert Haddad, Alain Absire ou Georges Perec. Une revue, Jungle, complète le dispositif et consacre aux arts et aux grands écrivains des dossiers annuels. (1)Le Castor astral, 52, rue des Grilles, 93500 Pantin et BP 11, 33038 Bordeaux Cedex Jean Orizet, Figaro Magazine, 2 décembre 1989 *** Serge SAFRAN, Dans l’étreinte du temps, Le Castor Astral-Le Noroît, 1990, 96 p. Sans nul doute, l’un des problèmes de la poésie française d’aujourd’hui est celui de dire son temps. Si elle parvient assez bien à en exprimer l’ambiance d’espace morcelé et de durée en miettes, elle est souvent prisonnière d’un matériau lexical rustique, au sens propre du terme. L’intérêt de la poésie de Serge Safran est qu’elle peut être traversée par l’urbain et le trivial, le boulevard des Batignolles, le dollar et la mort d’Anquetil. Il ne s’agit absolument pas d’un parti-pris systématique : il y a toute une légèreté qui fait penser à Apollinaire dans ce parcours qui s’intéresse aussi bien à l’actualité des otages du Liban qu’à l’éclat particulier d’un toit de vieilles tuiles, ou à une musique de Vivaldi, ou à la manière dont tombe la pluie. La manière, ou plutôt les manières, car elle aussi se trouve réfractée selon des angles lumineux ou sordides : tantôt, « la pluie sollicite / haut silence du ciel » : tantôt « imprécateur des trottoirs / chancre à la bouche la pluie / accompagne au hasard ». Les rythmes de l’écriture, on le voit, ne sont nullement stables, mais ils n’épousent pas pour autant la réalité évoquée : on a au contraire une impression permanente de contrepied, de syncope, de coïncidence refusée entre les ondes du monologue intérieur et les agressions du réel. Et puisque tout espoir d’accord est perdu, l’écrivain brouille lui-même les pistes en variant la distance, commençant par un long poème en vers libres intitulé Gare Saint-Lazare (là encore, on pense à Zone au début d’Alcools), continuant par des poèmes plus courts dont il intitule certains, avec un humour qui contribue à déstabiliser les repères, Petites pièces détachées, et terminant sur un assez court long texte en prose, mais dont les phrases sont presque exclusivement nominales. Cette diversité sans fard prouve l’authenticité d’une voix qui ne s’interdit nullement de jouer dans les moments libres que lui laisse « l’étreinte du temps », mais qui ne peut au fond que transcrire le message fondamental : « c’est toujours nuit et brouillard / à l’écoute du monde ». Jean-Yves Debreuille, Le Croquant, n° 7, printemps – été 1990 *** DANS L’ÉTREINTE 5/10 DU TEMPS de Serge Safran, le Castor Astral Et le Noroît, « Matin du Monde », 94 p. Dérive et sons Si le sens résiste chez Zumthor à l’épreuve des mots modernes, s’il subsiste à titre d’horizon ou de condition du discours poétique, voire même comme l’ultime espoir de la dérive du poète, il n’en va pas de même chez Serge Safran, dont le recueil évoque l’« obstination à vivre / malgré l’absence de sens ». Autre manière d’affirmer une présence et un vouloir-vivre résolument ludiques, éclatés, déployés « dans l’étreinte du temps » plutôt que dans la dissémination des lieux. Aussi ambiguë que le titre de Zumthor [Point de fuite, l’Hexagone, 124 p.] (la fuite se donnant comme impossible et nécessaire), la contrainte temporelle est métaphorisée par le geste d’étreindre, à la fois étouffoir sordide et présence chaleureuse d’un corps aimé. Mais tandis que la bivalence dans Point de fuite oppose des lieux successifs et distincts, celle de Safran confine à la déroute du sens, à la superposition des valeurs. Aucun itinéraire n’y est concevable puisque rien n’est fixe : « seuls les désastres sont sûrs ». Le poète n’admet pas qu’une régression soit possible et même bénéfique, comme peut le suggérer Zumthor lorsqu’il affirme la place du « je » dans un énoncé primitif (là « où le soleil luit pour le jour »). Poésie plus violente et sulfureuse, hermétique par endroits, mais aussi très imaginative et mordante. On voyage assez bien « dans l’étreinte du temps », les déplacements sont nombreux et fulgurants. D’entrée de jeu, nous sommes à la gare Saint-Lazare d’où nous partons pour Bordeaux, Mantes, Delhi ou le lac de Magog. On l’aura deviné, d’une gare de papier ne peut sortir qu’un train fictif dont le passager ne descend jamais, entraîné dans une géographie imaginaire balisée par des noms exotiques : « Québec Orénoque Rimbaud Raphaël ». Le nom propre dessine moins une topologie qu’une suite d’effets sonores destinés à satisfaire les « obsessions des tracas d’assonances en passions ». On est ici en pleine poésie du signifiant ; le sens est joyeusement débauché par le son (« décolletés d’échancrures de rires / sardoniques ou sardanapaliques »). Rien d’étonnant par conséquent à ce que cette poésie privilégie entre toutes la figure de la paronomase (« shikaras … rickshaws », « épaves d’évasions », « tout se trouble / tout se double », « livres et lèvres interlopes », etc.), quitte parfois à produire des images motivées presque entièrement par la redondance phonique (« la lumière clouée / comme un clown qui chavire »). Cela devient un peu agaçant à la longue, d’autant plus que le texte est truffé d’allitérations plus ou moins subtiles (« l’oubli lourd du bourdon dans la bouche »). Le don de l’image cède alors la place au talent de la rime et le recueil y laisse un peu de sa fraîcheur. Toutefois, ce qui paraît être un tic en certaines pages ne l’est pas en d’autres. Il faut souligner en particulier le travail d’écriture consenti par l’auteur pour exprimer avec autant d’acuité la cruauté du monde contemporain dans lequel le sujet est « étreint » : « l’indécision des ÉtatsUnis accroît / la mienne quant à la nature / des larmes de la nuit / […] l’hiver des privatisations approche / l’hiver du froid et de l’absence / sans espoir proche à prétendre \ la poésie partout vieille taupe / à résister aux mots et mythes reçus ». Cette esthétique de la résistance culmine, il me semble, dans la mise en mots du rire, d’un rire qui traverse tout le recueil, à fois défense et dénonciation cynique d’une société hiémale. « Et rire aux ronces du bercail » constitue par exemple un habile octosyllabe scandé par le son « r » qui accentue le contraste entre les barbelés du monde et le « bercail », lieu chaud et douillet censé représenter dans l’imaginaire l’Église ou le foyer familial. Envahi par les tiges épineuses des ronces, le bercail perd du même coup sa fonction rassurante, et l’on comprend que le rire qui résonne à travers les pages (« Les boues se fissurent au fond des berceaux »). Les poèmes (surtout ceux 6/10 en prose, fortement rythmés) de Safran multiplient les oxymores comme dans cet alexandrin : « Illumine la nuit la moisson sarcophage » (où, en plus de l’opposition lumière/noirceur, se lit celle de la fécondité et de la mort). Le poète tord le vers et la syntaxe, produit de ces inanités sonores auxquelles il est toujours possible de rattacher du sens – pourvu qu’on le veuille un peu. Au total, ses vers les plus réussis me semblent être ceux qui combinent en les majorant l’un par l’autre le son et le sens, comme dans les images « mâchoires d’ombre / lourdes d’insomnie » et « la lune en cuir noir / clouté d’étoiles/ factices ». Michel Biron, SPIRALE, Arts lettres spectacles sciences humaines, n° 97, mai 1990 *** POÉSIE le choix de Robert Sabatier Serge Safran L’Avril Ô comme pourtant l’étreinte incertaine du temps s’étire en feulements si tristes Si torve cette torpeur de lèvres au petit matin gris pluie si sévère à voiler les visions de l’oubli Ô comme pourtant sans trêves tout m’attire et surprend la ferveur des fuites et des fontaines Sur des places égarées aux profondes promesses sur les pavés mouillés de larmes et lumières Ô comme s’évertue l’hiver d’illusoires miroirs mots magiques toujours en jalouses contraintes Ce poème est extrait de Dans l’étreinte du temps, par Serge Safran, éditions Le Castor astral. BP 11, 33038 Bordeaux Cedex. Robert Sabatier, Le Figaro littéraire, lundi 12 mars 1990 *** DANS L’ETREINTE DU TEMPS Avec ce nouveau recueil, Serge SAFRAN continue plus avant sa quête secrète vers la face cachée des choses, qui comptent bien davantage que leur apparence. Avec un sens élégiaque sublimé, il s’attache ici à traquer « la matière à rompre l’ordre des nuits et des jours ». Collection : Matin du Monde 7/10 Format 140x 210 – 128 pages – Prix Public : 68 FF Coédition avec le Noroît (Montréal) Parution octobre 1989 DESSOUS LES CARTES DE SERGE SAFRAN Est-ce par l’effet du désarroi de l’époque si l’on constate enfin que la poésie est une entreprise sérieuse ? Non pas tant une nouvelle science recélant dans l’obscur des formules utiles pour élaborer de nouvelles théories mais une connaissance qui, sous le sceau de l’indicible, contient parfois de bien étranges clairvoyances. André Breton n’avait pas placé en vain la poésie au-delà de la philosophie et Max Jacob n’épaississait nullement le mystère lorsqu’il lui conférait le pouvoir du dessous des cartes. Celui qui a le goût de lire en se laissant guider aux sensations, aux intuitions de l’intériorité, sait qu’il assiste à de la pensée. Ainsi, la poésie de Serge Safran qui s’appuie sur la double évocation du voyeur et du voyageur, inviterait-elle à des recherches plus hardies, qui débordent la réalité telle que nous la situons encore dans d’improbables apparences. Et l’on est aussitôt surpris, dès lors que l’on franchit l’horizon du visible, de s’avancer sur des chemins marqués de signes suggestifs. Dans cette aventure qui nous mène au cœur des interrogations, nous approchons la Vallée de Shangrilà, celle qu’entrevit autrefois Stanislas Rodanski et sur laquelle il établit la certitude de l’Éternité. Or, si la poésie de Serge Safran, scintille du même pressentiment, elle ne conduit pas d’emblée aux portes de la Cité du Bonheur. L’itinéraire est tortueux, tout autant éclairé par la « jouissance immédiate des origines » que par « la quête obstinée d’une paix perdue ». Et c’est l’attente qui retient le poète, une attente « lucide d’éternités » figée dans l’inquiétude des « seuils écarlates ». Il semble que le voyage s’immobilise dans la stupeur des évidences, dans la crainte sournoise de retrouver le lien à travers « la sordide étreinte du temps ». Le lien porte toujours le nom d’amour. Mais ce mot-là est si désuet, si désert, qu’il fait abdiquer tout courage. Seule compte « une force refus de ne pas se briser » : la poésie comme connaissance, la poésie qui offre généreusement ses clés mais garde le secret des lieux. Et l’on est constamment poussé vers cet ailleurs où dominent le calme, la légèreté, l’entéléchie. De ce côté de l’être, l’amour n’est plus une maya. Les « phrases parfums » de Serge Safran nous en persuadent. Guy Darol, 3ème Marché de la Poésie à Nantes, 20 21 22 octobre 1989 *** Autre co-édition du Castor Astral avec les éditions Le Noroît, le dernier recueil de Serge Safran, le bordelais familier des notules et des colonnes éditoriales, revuiste forcené. Dans l’étreinte du temps fait office d’éponge fidèle, d’antenne parabolique, le monde est là avec ses hommes et les fourmis, autant de fragments sensibles. Safran l’auteur est un traducteur sans séminaire, son écriture est souple, sa musique, ses impressions recèlent des carnets de route et du blues ébahis. Retenons ne serait-ce que la douceur : « pur doute durable / de la table / d’un bol de thé / au matin mutant sans mâtures / agrès ni voiles au vent / sans aventures ni regrets… ». Thierry Bouffechoux, Poésie 90 *** Trois poètes Serge Safran (3) 8/10 Serge Safran se lit à haute voix, de préférence sur un banc public ! Ou sur le quai d’une gare, entre le passage de deux trains… Une odeur de cinéma de quartier, de gitane bleue, de fête, de rue, de bitume, de grisaille. Et d’autres repères ? Sade, Bataille ou Crevel. Et aussi l’envers du décor, les magouilles atrocités tontons macoutes, la « monstruosité les mots d’amour… » Et encore toutes ces ambiguïtés qui traversent notre vieux continent, tantôt sans intérêt, tantôt insipides : « … un travelo traitant de conne une aubergine » Le poète voyeur et voyageur nous livre les mensonges quotidiens, nous démange, nous dérange, nous fait avaler de travers et la réalité et les monstruosités. Il nous livre une matière première, brute, à disséquer, à analyser ? Il nous la livre telle, en pleine figure, comme un cadeau offert avec générosité, avec bravoure. De la matière. La matière d’être, de penser, de réfléchir : « mon cœur comme un œuf claquera dans l’évier » Il nous offre les formes du futur à vomir, à moisir, à pourrir sans cesse… Il nous offre un chemin de traverse quittant les beaux quartiers de la quiétude béate, s’ouvrant sur crachin et lumières viscoses. Il nous offre, au lieu d’un miroir déformant, le miroir de la vérité et toujours la « monstruosité les mots d’amour… » Réaliste, le poème de Safran est tiré à bout portant. Une balle, non dans le vide, mais en plein cœur, à vous faire éclater la soupière : « Le bord de l’évier retient les doigts, ô si sages, maculés de sang » Leçon d’humanisme ? Certainement. Teintée de pessimisme, d’incertitude, de doute, de nonvérité. Nulle autosatisfaction, nul discours, ni moralisateur, ni « bon teint, bon ton ». Le cri de la réalité, la copie conforme de la détresse, de l’homme en prise avec lui-même. J’ai envie d’ajouter que Safran filme en silence aux salves des rapaces. La poésie de Safran, un antidote à tant de textes en creux… À lire. « historiques raisons de raidir son idiome discourir querellant et vibrant de malheur à défendre veuve poésie et orphelin philtre magique aux fées fiduciaires greffiers repas entre amis part maudite pitance pauvres que nous sommes que l’envers vaut l’endroit ou l’horreur bicéphale en version florentine ». 9/10 (3) Dans l’Étreinte du temps. Ed. le Castor Astral. En librairie. Serge Safran est né en 1950. Il vit à Paris. Poète, éditeur et critique. Animateur dynamique d’une maison d’édition. Gaspard Hons, Espace de Libertés 178 – Février 1990 *** DANS L’ETREINTE DU TEMPS SERGE SAFRAN/ Ed Le Castor astral / Ed. Le Noroît/ B. P11/ 33038 Bordeaux cedex / Ed du Noroît / Ed du Noroît / CP244/ St Lambert / J4P 3N8/ Québec / 68 FF – Voyages-errances : une étiquette trop apparente chez Safran. Il ya autre chose. Le style : il y a une série de clichés photographiques rapides. Tenté de citer André Suarès : « Le sentiment seul improvise : il a l’invention perpétuelle ». Un jazz de l’étreinte, un humour voyeur en demi-teinte. Safran cherche l’autre face, l’au-delà du miroir social et poétique. Après avoir traversé les paysages de l’enfance, évoqué la beauté, le rire, son époque, il aime déambuler dans une vie-ville, avec un regard ironique et attendri à la fois. » … Que se brise dans l’herbe / Le miroir de mourir vite / chaque instant en partance / d’autres repentirs / que se brise dans l’herbe dans l’herbe / le champ retourné pour la semence / pour ultime départ / la herse du désir / les éclats délivrance / chaleur brûlée trop vite / comme on tue les passants / la passion s’éparpille / et les billes d’enfance / amours en herbe / chanson surprise / la mort épouse pauvre Gaspard / le premier venu dans la ville… » Voici une écriture transparente, à fleur de vie, Safran lui-même à la lisière d’un danger permanent. »… C’est en novembre / la nuit trente-sept ans / vomies de nuit / les amours les errances / seul l’effroi d’être au seuil / terreur de survivre / à la haine à l’orgueil / l’horreur c’est d’attendre. » Alex Million, Regart n° 10 *** Le ton Safran Journaliste au « Magazine littéraire », éditeur, écrivain, Serge Safran est aussi – et surtout – un poète. Il l’a prouvé à maintes reprises dans le passé ( il apubié depuis 1976 plusieurs livres de poésie, un récit de voyage, « De l’autre coté du Ladakh » et a fort bien préfacé les Amours jaunes de Tristan Corbière dans la collection Orphée de la Différence). Il le montre encore aujourd’hui avec le présent recueil « Dans l’étreinte du temps ». Ici, il développe une écriture et un style bien personnel, constamment aux aguets, et surtout une constante sensibilité qui se love dans une diversité de ton et de forme. Exemple : ce puissant et assez long poème « Gare Saint-Lazare » (qui n’est pas sans rappeler la « Prose du Transsibérien » de Blaise Cendrars) côtoie, dans « Nouvelles pièces détachées », de petits groupes de mots tout à tour sensuels, imagés et énigmatiques. Safran parle des « plages ensoleillées de nacre », de « ciel comme peint en bleu méthylène », de « cœur comme un œuf (qui) claquera dans l’évier », et de « châteaux de lunes ». Cette langue-là fait gicler les mots contre les parois rêches du réel. Serge Safran parle vrai, parle chaud. Cette poésie-là bourdonne comme le sang (le sens) dans les oreilles de la vie. « Dans l’étreinte du temps », Serge Safran, édition Le Castor Astral - Le Noroît, 94 pages, 68 F. Philippe Lacoche, Le Courier Picard 10/10