Interview micro16
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Interview micro16
INTERVIEW MICRO16 PHILIPPE GRIZE En bref Lors de l’événement micro16, Philippe Grize présentera une conférence sur les atouts de la production microtechnique suisse dans l’industrie du futur . Philippe Grize, passionné par le monde dans lequel nous vivons a toujours été féru d’ingénierie. Il baigne dans le domaine technique depuis tout petit, sachant qu’il est la troisième génération de sa famille à avoir étudié le génie mécanique. C’est une des raisons pour laquelle il fit ses études à l’EPFL, qu’il travailla dans le domaine des moyens de production microtechnique, et qu’aujourd’hui, il est directeur de l’HE-Arc Ingénierie et qu’il y trouve un réel plaisir à transmettre sa passion. Le focus Quels sont les grands défis à relever pour les acteurs de la production microtechnique suisse dans l’industrie de demain ? Dans un monde de plus en plus connecté , comment notre tissu industriel peut-il se positionner et s’adapter au marché ? « Première chose essentielle et qu’on oublie : dans le cœur de la région microtechnique qu’est l’Arc jurassien, on ne fait pas qu’innover, on produit ! Et on produit avec des contraintes importantes: niveau de vie élevé, coûts de surface et coûts d’énergie importants, évidemment le franc fort, et tout ceci dans un système de concurrence mondialisée. Mais on a des savoir-faire uniques au monde et une culture du travail qui sont de vrais atouts: on maitrise le micron et on ne négocie pas sur la qualité, elle est dans les gènes. Il faut en être conscient et construire sur cette culture qui est le fondement et qui fait la richesse de l’industrie microtechnique. De plus, l’ensemble de la chaîne de valeur est à portée de main, des fournisseurs de matières jusqu’aux manufactures en passant par les fabricants des moyens de production, ils sont présents dans un mouchoir de poche, ce qui facilite les échanges. Je pense qu’on peut être non seulement des acteurs de la révolution industrielle annoncée, mais en devenir des leaders. Pour y parvenir, il faudra néanmoins faire tomber quelques barrières, souvent culturelles. Dans cette région, alors qu’on est capable de commercialiser nos produits partout dans le monde et dialoguer avec des cultures différentes et variés, on a trop souvent de la peine à communiquer d’un bout à l’autre d’un même village. Or l’un des facteurs clés de l’industrie de demain est l’interconnexion, il faudra donc qu’on soit capable de s’interconnecté ! La révolution industrielle dans la production microtechnique risque aussi d’être culturelle... » Quels seront les impacts de cette nouvelle révolution industrielle, en particulier en termes d’énergie et de climat ? «Je pense qu’ils pourraient être immenses. Une nouvelle génération arrive sur le marché du travail. Les ingénieurs qui sortent de nos écoles ont été sensibilisés à de nouvelles notions, dont l’impact de nos activités sur la planète, et ils sont désormais conscients et intéressés par les défis liés à l’environnement. De nouvelles contraintes réglementaires vont arriver : par exemple, la labellisation énergétique des moyens de production sur laquelle l’Europe travaille depuis des années. Les surfaces occupées et la consommation d’énergie liées à l’activité industrielle va devenir une problématique non seulement écologique, mais de plus en plus économique. Puisque le franc fort risque de le rester encore longtemps, l’industrie de production microtechnique doit saisir l’opportunité de réduire aussi ses coûts dans des domaines qu’elle n’a pas encore suffisamment explorés. » Interview micro16 p. 2 En parlant d’usine, elle n’aura et n’a pas d’autres choix que de se transformer pour relever le défi de cette transition industrielle. Comment voyez -vous l’usine de demain ? Quels seront les objectifs qu’elle devra atteindre pour pouvoir produire plus efficacement tout en restant dans un équilibre économique proche de celui d’une production de masse ? « Je ne vois pas la transition industrielle comme une menace pour la production microtechnique. Le tissu industriel de l’Arc jurassien a la chance d’avoir des donneurs d’ordre dont l’essence même de leurs activités est de commercialiser des produits uniques avec les coûts d’une production de masse, et l’autre avantage majeur est d’avoir à proximité tous les acteurs pour atteindre ce graal. Pour des raisons différentes, l’horlogerie et les medtechs ont un but commun: fabriquer le produit le plus adapté possible à chaque client. Le positionnement de l’horlogerie suisse des 20 dernières années fait que, quand vous achetez une montre à plusieurs milliers de francs, il y a une chose que vous ne souhaitez pas forcément, c’est que votre voisin ait la même. Et il est évident que les implants médicaux se doivent de correspondre à chaque morphologie. Le but est donc de commercialiser des produits adaptés à l’envie ou au besoin de chaque personne, avec des coûts les plus bas possibles, correspondant à une demande de masse, tout le monde rêvant d’avoir un bijou à son poignet et il est fort probable que l’on soit nombreux à être confronté à l’implantation de prothèses au fur et à mesure de notre vie. Et les technologies liées à la digitalisation des entreprises et à leur interconnexion vont permettre une véritable révolution dans l’organisation de la chaine de valeur, du client au producteur. La transition industrielle va permettre de passer des modèles souvent déconnectés du type « B2B » et « B2C » à un modèle intégré « C2B2B » (Cutomer to Business to Business), c’est-à-dire que le client déclenchera la production du produit qu’il souhaite exactement et qu’il influencera fortement les moyens et les logiques industrielles mises en œuvre pour y parvenir. Aujourd’hui on en vit déjà les prémices, notamment dans le dentaire et l’automobile. Et demain, les usines seront organisées pour éviter les stocks intermédiaires dus à une logique de production basée sur des tailles de lots importantes, les moyens de production seront agiles et adaptatifs, la digitalisation aura permis d’avoir accès en temps réel aux bonnes informations au bon moment, la production se fera en réseau interconnecté d’usines, implantées là où il faut, et l’ensemble de la chaine de valeur de la production microtechnique aura été revisitée pour être bon du premier coup et atteindre une efficacité qui fera oublier le franc fort ! Un rêve ? Oui, mais qui peut devenir réalité. A nous, entreprises, institutions académiques et de recherche, de nous parler pour définir les vrais besoins, pour sélectionner les bonnes technologies et les bons concepts organisationnels, et de devenir les leaders de la révolution industrielle. » 08.08.2016 | par Mathilde Enz ©micro16.ch