Page en construction », de Fabrice Melquiot Mise en scène
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Page en construction », de Fabrice Melquiot Mise en scène
« Page en construction », de Fabrice Melquiot Mise en scène : Kheireddine Lardjam L'Algérie et la France. Le comédien et metteur en scène Kheireddine Lardjam navigue entre les deux pays depuis 15 ans. A travers ce nouveau spectacle, il aspire, par la création et la confrontation des regards, le sien et celui de l'auteur Fabrice Melquiot, à soulever la chape de silence qui recouvre leur Histoire commune depuis la fin de la guerre d'Algérie. En commandant un texte à Fabrice Melquiot, il ne se doutait pas que l'auteur choisirait de raconter cette Histoire-là à travers ses yeux et sa mémoire. C'est une histoire qu'on pourrait prendre pour l'histoire d'un pays, mais c'est l'histoire d'un homme qui, comme tous les exilés, n'est jamais où il est. Comme tous les exilés, il est une terre à part entière, une île errante. C'est l'histoire d'un homme qui joue sa vie, dont il a commandé l'écriture de certaines résurgences à un auteur qui en fera ce qu'il veut. C'est l'histoire d'un homme qui se donne. Il n'a rien à perdre, à part lui-même. Il s'appelle Kheireddine Lardjam. Personne, acteur, conteur et personnage : c'est lui, la page en construction. Il est algérien. Il vit en France. A moins qu'il ne soit français d'origine algérienne. Il vit en Algérie. A moins qu'il ne soit ni français ni algérien. Il vit entre les deux pays, nulle part. A moins qu'il ne soit sans patrie, sans drapeau, sans langue à lui, sans corps à lui : un fantôme consentant, une image, un souvenir du présent. Soyons clair : la guerre d'indépendance, il ne l'a pas faite. Il est né après. A moins qu'il ne la refasse chaque jour, à chaque fois qu'il parle, à chaque fois qu'il se rappelle, à chaque fois qu'il oublie. Sur Scène Kheireddine Lardjam sera accompagné par trois musiciens, trois interprètes qui incarneront par leurs mélodies cette histoire universelle. 1 Note d’intention de l’auteur Kheireddine Lardjam souhaitait me passer commande d’une pièce de théâtre évoquant la guerre d’Algérie. J’ai publié en 2005 une pièce qui s’intitule Salât Al-Janâza, dont les racines s’enfoncent jusqu’à l’insurrection algérienne de 1954. Dans Tarzan Boy, texte à caractère fortement autobiographique, j’évoque encore le conflit. La Guerre d’Algérie, j’y pense tous les jours, y compris quand je n’y pense pas. Pourquoi ? Parce que je suis né en France dans les seventies. La Guerre d’Algérie est l’un des événements majeurs de l’enfance de ma venue au monde. Je suis né appesanti par cette mémoire-là, qui est l’un des débuts de mon imaginaire. On a pour les années qui précèdent sa naissance une fascination naturelle ; ces années non vécues nous fondent et nous dominent. A travers l’écriture, on espère recoudre le rideau déchiré. Mais, plutôt qu’écrire la pièce vers laquelle Kheireddine m’orientait, j’ai préféré jouer avec lui. Comme un boxeur lance un défi à un autre boxeur, genre : voyons ce que t’as dans le ventre. Je ne le cache pas : ma démarche est perverse et arrogante. La Guerre d’Algérie, ce n’est pas le sujet. La notion même de « sujet » m’échappe. Le « sujet » d’une œuvre, c’est toujours le vrac, dont la définition change à mesure que se déplace le regard qu’on pose sur l’œuvre, et à mesure que le temps l’use. Le sujet, ce sont des accidents aux conséquences maîtrisées. Le premier accident, c’est cette rencontre entre Kheireddine et moi : voilà ce que je me suis dit. Le sujet, c’est son désir d’un espace artificiel habitable pour évoquer des espaces de vie inhabitables, les liens difficiles qu’il entretient avec la France comme avec l’Algérie. Le sujet, ce sont ses petites mains nerveuses et les bribes d’histoires ou d’Histoire qu’il distille dans la conversation, sa « gueule d’Arabe » comme il dit ; moins son parcours que l’imaginaire pur qu’il ignore porter et qu’en pervers prétentieux, j’ai l’idée de mettre à jour, en lui écrivant de la parole. Parole écrite pour lui, avec lui, depuis lui. Mes mots, comme si c’était les siens, pour dire ce qu’il ne saurait dire si je ne les lui imposais pas. En précisant les enjeux du travail que nous entreprenons, je pense beaucoup au film de Lars Von Trier et Jorgen Leth : Five Obstructions. Ce jeu du chat et de la souris, cette amicale séance de torture, ce portrait fragmentaire à la fois dégueulasse et splendide, cette vraie déclaration d’amour fraternel qui appuie là où ça fait mal, réflexion sur la trilogie identitaire qui fonde nos individualités : identité personnelle, identité sociale et identité d’emprunt. J’impose donc à Kheireddine Lardjam de jouer ce personnage qui s’appelle Kheireddine Lardjam. Je lui impose de devenir son propre masque et je ne lui épargnerai rien. Il a accepté le jeu. Ce jeu où je le cogne avec fraternité, après lui avoir lié les mains. 2 Note du metteur en scène Si on m’évoquait l’année 2006, je dirai que c’est l’année où j’ai découvert Fabrice Melquiot. Non! Il ne s’agit pas de découvrir l’homme mais plutôt l’œuvre. Un texte aussi fort que la mort. Son titre ? « Salât al-Janâza » ou la prière du mort. N’est ce pas là le sens même du texte : une prière, mais non à la mort mais à la vie ? Qu’est ce qu’un titre à part quelques mots agencés pour dire une histoire, une Histoire ? Trois jeunes, nés en Algérie, me ramènent à ma ville natale. C’était aussi la leur: Oran el bahia, Oran la merveilleuse. Cette ville aux Histoires multiples, a marqué les personnages comme elle m’a marqué moi. Je n’ai pu que m’émerveiller devant cette force de transcrire MA ville sans y mettre les pieds. Je vivais à Oran à cette époque-là et ce qui est encore plus fascinant c’est que l’auteur a réussi, chose qui n’est guère facile, de voyager chez moi par les mots et à travers les maux de simples « êtres en papier ». Moi, l’Oranais du centre ville, des quartiers dits populaires, je me suis retrouvé dans son texte, dans les ruelles qu’il décrivait, dans les coins et les recoins des bas fonds des cités. J’étais bien présent dans ce texte qui était présent en moi. Il me provoquait, me titiller, me forcer à sourire et à pleurer. Bref, je m’y trouvais comme si c’était moi qui l’avais crée. Après tant d’années passés à errer en Algérie puis en France, et par la suite entre les deux pays, je me suis retrouvé au croisé des chemins. Face à un public qui change aux changements des villes et des pays, je me suis trouvé à me poser une question persistante : pourquoi tant de clichés circulant entre les deux pays ? Je voyais dans le regard de chaque spectateur venu voir mes spectacles une soif de savoir, une curiosité inouïe à découvrir cet Autre diabolisé dans la presse et dans le discours politique. Ma position était délicate. Je me situais dans l’entre-deux et j’avais une meilleure vision du fossé qui se creusait au fil des années entre deux peuples liés par une Histoire commune, qu’on le veuille ou pas. C’est un fait ! C’est à ce moment-là que j’ai pensé à mener mon projet artistique autour de ce lien qui unit plus qu’il ne sépare. Le premier nom qui m’est venu à l’esprit était celui de Fabrice Melquiot. C’est l’auteur français le mieux placé à prendre part à cette aventure. Et le hasard a fait que nos chemins se re-croise au moment même où je songeais à ce projet. Ma première rencontre, « réelle » cette fois-ci, avec Fabrice fut autour de l’écriture, quand j’ai participé à un atelier d’écriture. C’était lui l’animateur de cet atelier. N’est-ce pas le destin qui fait bien les choses ? J’en ai profité alors pour lui faire part de mon dessein suscité par un désir, voire un besoin de créer un spectacle ayant pour décor cette période douloureuse de l’Histoire de la France : la guerre d’Algérie. Il faut souligner une chose. Passionné d’Histoire que je suis, et depuis 10 ans, je travaille sans relâche entre les deux pays, à créer des spectacles et les faisant voyager entre les deux rives de la méditerranée. C’était comme si je cherchais à faire le médiateur efficace d’un travail de mémoire. Et ceci, je le précise, non pas pour le seul plaisir d’invoquer l’Histoire mais afin de servir le présent, sans désir de polémique ni de mise en accusation. Je ne mène pas un discours culpabilisateur ou accusateur. Loin de moi cette idée ! Qu’en est-il de la réponse de Fabrice Melquiot ? L’auteur convoité répondra favorablement à mon invitation, mais à une seule condition. Il souhaiterait écrire un texte que je porterai moi-même sur scène. Ce n’est pas tout ! Il exige aussi autre chose. Non seulement que je sois porteur de texte mais que le texte-même me porte. Quelle idée ! Faire face à un public en racontant mon parcours, mon histoire à travers l’Histoire des deux pays, un va et vient qui ne ferait que traduire ma quête d’un terrain 3 d’entente pour un avenir meilleur. Je semble idéaliste, tout comme cette idée que j’ai accepté avec une grande joie, mais que m’importe les jugements des autres si mon projet aboutisse. Cette condition est plus un chalenge, un défi que je me fais à moi-même avant de le faire à Fabrice. Certes, ça pourrait paraitre prétentieux d’un jeune homme de 35 ans de se raconter sur scène. Après tout, qu’ai-je vécu d’important à raconter ? Mais, j’ai accepté. Pourquoi ? Parce que je sais que Fabrice Melquiot est un de ces auteurs, en traitant des sujets délicats, usent de bribes de vies banales. Ce n’est guère ces vies qui seront mises en lumière mais la souffrance tacite qui s’en dégage. Fabrice parle des hommes, de leurs blessures, de leurs fêlures pour mieux nous interroger sur le monde dans lequel nous vivons. Fabrice Melquiot, à travers ses pièces, pose incessamment la question de l’origine, de l’héritage ancestral, de la construction de chacun à partir d’une histoire héritée mais qui doit être questionnée pour permettre de devenir un homme libre. Il sait créer un univers parlant du monde sans pour autant le copier. Son œuvre est littéraire au sens noble du terme. Doté d’une écriture originale, l’auteur ne suit pas le cours de ce que l’on pourrait appeler « logique rationnelle », mais plutôt les mouvements d’une logique des sentiments. Il fait partie de ces écrivains dont les mots ont besoin d’être dits, d’être représentés. Une fois sur scène, tout devient simple. Je porterai alors non mes mots mais ceux de Fabrice Melquiot. Ce spectacle sera donc une fiction. C’est ainsi que je compte vivre cette aventure assez particulière. Tout le spectacle reposera sur l’idée que même l’Histoire, avec un grand H, n’est qu’une grande fiction foisonnante – et dangereusement floue, aux contours peu clairs. Chaque pays, chaque continent, chaque ville a sa propre vision de l'histoire. Et dans tout récit historique, il y a, comme son nom l'indique, une part de récit. L'Histoire est subjective. Ce qui veut dire que tout ce qui nous définit, notre identité, notre passé n'est qu'un récit. On peut s’attendre, tout au long de notre projet, à ce que se réveillent de vieilles blessures en moi et qui ne sont que le reflet des blessures entre nos deux pays, qui n’ont pas fini de se cicatriser. Il faut en prendre le risque car, loin de toute récupération, de tout esprit partisan, ou autre « Nostalgérie », je souhaite inviter avant tout à une réflexion sensible sur la complexité d’une histoire douloureuse. Cette dernière ayant conduit à une tragédie écrite dès les premières heures de la colonisation. Touché par l’utopie méditerranéenne d’un Camus rêvant d’une fédération permettant à des peuples différents de vivre en paix et dans l’égalité sur une même terre, je souhaite aussi conduire les spectateurs, avec lucidité, sur un chemin passionnant, poétique et fraternel. On y découvre un véritable emboîtement de souvenirs où s’entrecroisent plusieurs mémoires : celle de ma famille, de nos pays et celle d’un comédiens-conteur. Distribution Texte : Fabrice Melquiot Mise en scène : Kheireddine Lardjam Scènographie : Estelle Gautier Création Lumière : Manu Cottin Création Son : Pascal Brunot Interprètes : Kheireddine Lardjam, Distribution en Cours 4 Fabrice Melquiot, directeur du théâtre Am Stram Gram de Genève Fabrice Melquiot est écrivain pour le théâtre. Il a publié une quarantaine de pièces chez L’Arche Editeur : L’inattendu, Percolateur Blues, Le diable en partage, Kids, Autour de ma pierre il ne fera pas nuit, La dernière balade de Lucy Jordan, Ma vie de chandelle, C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure, Le laveur de visages, Exeat, Je rien Te deum, Marcia Hesse, Tasmanie, Lisbeth… Ses premiers textes pour enfants Les petits mélancoliques et Le jardin de Beamon sont publiés à l’Ecole des loisirs et diffusés sur France Culture. Il reçoit le Grand Prix Paul Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et, à Bratislava, le Prix européen de la meilleure oeuvre radiophonique pour adolescents. En 2003, Fabrice Melquiot s’est vu décerner le prix SACD de la meilleure pièce radiophonique, le prix Jean-Jacques Gauthier du Figaro et deux prix du Syndicat National de la Critique : révélation théâtrale de l’année, et pour Le diable en partage : meilleure création d’une pièce en langue française. Perlino Comment inaugure la collection de théâtre jeunesse de l’Arche éditeur, suit Bouli Miro, également sélectionné par La Comédie-Française ; ce sera le premier spectacle jeune public à être présenté au Français. La suite des aventures de Bouli, Bouli redéboule, a été présentée, toujours à la Comédie-Française en 2005-2006. Depuis, Bouli Miro a élu domicile au Théâtre de la Ville où Emmanuel Demarcy-Mota a mis en scène Wanted Petula et Bouli Année Zéro. Associé pendant six ans au Centre Dramatique National de Reims, Fabrice Melquiot voit ses pièces montées au Théâtre de la Bastille et des Abbesses, à Paris. De nombreux metteurs en scène ont choisi de se confronter à son écriture (Dominique Catton, Patrice Douchet – qui a mis en scène Bouli Miro, accueilli au TJA en 2002 –, Paul Desveaux, Vincent Goethals, Michel Belletante, Michel Dydim, Gilles Chavassieux, Jean-Pierre Garnier, Christian Duchange – qui a créé Le Cabinet de Curiosité au TNG en 2010 –, Stanislas Nordey, Gloria Paris, Jean-Pierre Garnier, Marion Lévy, Franck Berthier, Roland Auzet, Nino D’Introna...). Ses pièces, traduites en plusieurs langues, ont été créées en Espagne, Grèce, Allemagne, Canada, Russie, Italie, Japon, Etats-Unis, Canada, Mexique… Si l’essentiel de son écriture est tourné vers le théâtre, une autre passion l’anime : la poésie. Deux recueils ont été publiés à L’Arche : Veux-tu ? Et Graceful. En 2008, il a reçu le Prix du Jeune Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son oeuvre. Depuis 2009, Fabrice Melquiot est auteur associé au Théâtre de la Ville à Paris et dès la saison 2012-2013, il est le nouveau directeur du théâtre Am Stram Gram de Genève, créé en 1992 sous l’impulsion de Dominique Catton. 5 Kheireddine Lardjam Metteur en scène Kheireddine Lardjam Directeur artistique de la compagnie « EL Ajouad ». Après l’obtention d'une licence de musique, il entame des études théâtrales au conservatoire national d’Oran en Algérie. Il suivra plusieurs, stage de formation théâtrale en France, dans plusieurs pays arabe (Tunis, le Caire, Beyrouth, Damas et à Amman) et en Afrique de l’ouest. En parallèle il travaille dans plusieurs journaux indépendants algériens. Son parcours journalistique influence son travail scénique. L’actualité est toujours au cœur de ses créations. En 1996, après sa sortie du conservatoire, il crée la compagnie « El Ajouad » : titre d’une œuvre d’Abdelkader Alloula, premier artiste et dramaturge assassiné en Algérie en 1994 par les islamistes. Il reste un auteur déterminant dans le trajet de Kheirredine qui s’engage à défendre son œuvre en créant cinq de ses textes : « L’Alag » (les sangsues), « Habib Errebouhi », « El lithem », « Les Dires » et « Le pain ». Depuis il crée des pièces d’auteurs arabes : « La récréation des clowns » de Noureddine Aba, « Coquelicots » de Mohamed Bakhti, « La pluie » de Rachid Boudjedra, « Le cadavre encerclé » de Kateb Yacine, « Pygmalion » de Tawfiq al-Hakim, « Al-Fajr al-kâdhib » (L’aube trompeuse) de Naguib Mahfouz. Mais également des pièces d’auteurs occidentaux : « Roméo et Juliette » de William Shakespeare, « En attendant Godot » et « Fin de partie » de Samuel Beckett, « Ubu roi » d'Alfred Jarry, « Les Justes » d’Albert Camus, « Syndromes aériens » de Christophe Martin... Depuis 1999, ses spectacles tournent en Algérie, dans plusieurs pays arabes et également en France de façon régulière. Dès 2002, il collabore avec des metteurs en scène français comme Arnaud Meunier et Guy Alloucherie. La compagnie « El Ajouad » est jumelée avec la compagnie « La Mauvaise Graine » sous la direction d'Arnaud Meunier. En 2003, il est artiste associé au Forum du Blanc-Mesnil, où parallèlement à son travail de création il mène des projets artistiques en direction de jeunes de la ville du Blanc-Mesnil. En 2004, il dirige le théâtre « El Mouja » à Mostaganem en Algérie. Un théâtre condamné à la démolition par le pouvoir Algérien en 2006. En 2005, il met en scène le spectacle d’ouverture du festival international du théâtre indépendant en Algérie. Un spectacle qui regroupera 90 artistes de 15 pays différents. Dès la fin 2005, il entame des résidences de créations dans plusieurs pays arabes : à l'automne 2005, il crée « Le roi Lear » de William Shakespeare et « Murail » de Mahmoud Darwich en collaboration avec l’auteur, au théâtre Masrah el Hamra à Tunis. En 2006, il crée « Roberto Zucco » de Bernard-Marie Koltès au théâtre SHAMS à Beyrouth au Liban En 2007, il crée « Le jeu de l’amour et du Hasard » de Marivaux au Théâtre Royal de Marrakech au Maroc. Durant la saison 2007/2008, il est artiste associé à la scène nationale du Creusot. En parallèle à son travail de création, il mène un projet en direction de plusieurs quartiers sensibles de la ville du Creusot. Ce projet donne naissance à un événement intitulé « L’échappée » qui 6 regroupe une exposition, des collectes de témoignages et un spectacle réunissant 30 habitants et plusieurs artistes professionnels. Il est aussi membre fondateur et organisateur de l’évènement Siwa. Cette dernière propose une plate-forme de réflexion sur les modes de création et de représentation dans le monde arabe contemporain. Sa volonté est de se situer entre les cultures, entre les langues, de rendre visibles des expériences artistiques et leurs modalités de manifestation et de déploiement, à travers des présentations d’étapes de création. Ces réflexions se nourrissent à partir d’échanges et de dispositifs de rencontre entre artistes issus de l’« Occident » d’un côté et artistes du « monde arabe » de l’autre. Il s’agit à partir de ces expériences artistiques d’engager une pensée qui se déplace et travaille tous les acquis non questionnés des deux côtés. En mai 2009, Il est en résidence au Centre dramatique de Valence pour la création de « Bleu Blanc Vert » de Maïssa Bey. Il est aussi artiste associé du festival « Temps de parole » organisé au CDN cette même année. Kheireddine Lardjam réfléchit également à la transmission, qui est une autre forme d’engagement. Il met en place un projet de formation pour comédiens professionnel à Alger. En partenariat avec l’ambassade de France en Algérie durant trois ans (2005 à 2008), une quinzaine de comédiens professionnels algériens suivent une formation animée par plusieurs metteurs en scène internationaux. En France, il dirige aussi plusieurs ateliers, le dernier en date : en novembre 2010 à l’université d’Aix en Provence dans le cadre des ateliers de la Méditerranée organisés par Marseille 2013, capitale de la culture européenne. En 2011, Il est invité par Scènes du Jura pour être artiste associé du festival Scène Méditerranéenne. A cette occasion, il dirige deux projets en direction de quartiers des villes de Dole et Lons-le-Saunier. L’objectif étant d’inventer une nouvelle forme de présence artistique au plus près des habitants, dans le théâtre bien sûr, mais aussi hors les murs, en différents endroits de la ville. En collaboration avec toute une équipe artistique, et l’auteur Samuel Ballet, il met en scène deux spectacles avec une vingtaine de participants dans chaque ville. « Les terriens » à Lons-le-Saunier et « Nedjma ou les paraboles » à Dole. En Janvier 2011, il répond à une commande du Centre dramatique de Sartrouville, pour une création Jeunesse dans le cadre du Festival Odyssées en Yvelines. Il met en scène le texte de Pauline Sales : « De la salive comme oxygène ». Durant cette saison, il mène aussi un chantier artistique sur la thématique liberté, en collaboration avec l’auteur Christophe Martin. Le projet proposé par Sartrouville est d'aborder par le biais d'une création théâtrale avec 150 habitants de Sartrouville, les libertés individuelles, la question de la liberté dans l’espace public et l’espace privé. Un projet qui s’articule d’octobre 2010 à juin 2011, avec la mise en place de plusieurs ateliers dans différents espaces culturels de la ville de Sartrouville. La finalité étant deux restitutions regroupant les 150 participants sur la scène du Centre dramatique de Sartrouville, les 19 et 20 juin 2011. Pour la saison 2010/2011, il intègre le collectif d'artistes du Préau, Centre Dramatique Régional de Vire, où il crée « Réanimation » de Samuel Gallet. Durant la saison 2011/2012, il crée deux spectacles. « Le poète comme Boxeur », une adaptation théâtrale du recueil éponyme de Kateb Yacine. Et « Les Borgnes », de Mustapha Benfodil. 7 En avril 2013, il crée « End/Igné » de Mustapha Benfodil au Caire au théâtre Imad Eddine. Ce spectacle sera présenté au festival d’Avignon 2013 à la Manufacture 8 CULTURE MIS EN FICTION Depuis 1998, Kheireddine Lardjam met en scène des auteurs algériens. Avec Page en construction, il décide de donner la parole à l’Autre. Au Français, à Fabrice Melquiot, qui pour traiter des relations franco-algériennes s’inspire de la biographie du metteur en scène. PAR ANAÏS HELUIN “La Guerre d’Algérie a toujours été là, en ombre, dans ma biographie. Parce que je suis né dix ans après la fin de cette guerre, parce que le visage de la France en a été modifié. Parce que j’ai grandi devant ce visage-là”. Depuis que le metteur en scène Kheireddine Lardjam lui a proposé d’écrire une pièce sur les relations franco-algériennes, Fabrice Melquiot poétise son lien avec un sol qu’il n’a foulé que récemment. En février dernier, peu avant les élections présidentielles. Il voulait s’imprégner des odeurs, des sons, des sensualités algériennes. Il a rencontré “un mélange d’ébullition, de contestation et de résignation anticipée”. Et surtout, une jeunesse. “Des filles et des garçons qui te regardent droit dans les yeux et n’hésitent pas à appeler un chat un chat”. C’est pour eux que Fabrice Melquiot veut écrire. Pour eux aussi que Kheireddine Lardjam a tenu à donner la parole au dramaturge français, dont il apprécie et partage le désir d’an- 84 AlgerParis | JUILLET - AOÛT 2014 # 04 crage dans le présent. Page en construction, le spectacle qui naîtra en janvier 2015 de cette collaboration, n’aura toutefois rien d’une création jeune public. Il sera une partition faite de regards croisés : ceux d’artistes et de jeunes gens des deux côtés de la Méditerranée. Persuadé que “c’est des jeunes générations que peut venir une résolution des tensions qui persistent entre France et Algérie”, Kheireddine Lardjam a entamé fin mars 2014 un échange avec de jeunes Algériens du lycée Khelaf d’Oran qu’il poursuivra début septembre, puis en octobre avec les optionnaires théâtre du lycée du Creusot. Pas à travers des ateliers ni une quelconque action pédagogique, mais “par un dialogue libre autour des répétitions du spectacle”, tient-il à préciser. Une méthode inédite pour lui, qui depuis la création de sa compagnie El Ajouad en 1998 a pourtant souvent travaillé avec des jeunes. “Cette fois, je veux les impliquer dans le processus de création et non leur proposer des ateliers pédagogiques. Leur manière de parler, de bouger, leurs connaissances et préjugés sur l’Autre nourriront ma mise en scène”, explique l’initiateur de Page en construction. FANTÔMES EN GOGUETTE Son but : trouver un équilibre entre deux rives. Celles qu’il traverse sans arrêt avec son théâtre d’ici et de là-bas, et qui font de lui “un homme avec deux passeports, qui se demande toujours lequel il faudra cacher”, observe Fabrice Melquiot qui a choisi de placer Kheireddine Lardjam au cœur de son processus d’écriture. Page en construction dira alors le rapport schizophrénique du metteur en scène à ses deux cultures et son occultation de certains pans de son histoire familiale. Sur scène, Kheireddine Lardjam jouera alors son propre rôle. Ou quelque chose qui s’en rapproche. Il sera le héros d’une quête généalogique qu’il aurait pu entreprendre, mais © DR KHEIREDDINE LARDJAM CULTURE dont il a préféré se détourner. Trop douloureuse. Trop pleine d’une histoire trop fraîche pour être regardée en face. Pourtant, elle est inscrite dans son nom et dans son prénom, cette histoire. “Un de mes grands oncles s’appelait Kheireddine. Militant pour l’indépendance de l’Algérie, il est mort sous la torture. Mon patronyme est lui aussi marqué par ce pan de l’histoire algérienne ; une ville porte d’ailleurs le nom de Lardjam”, révèlet-il avec l’expression de qui est rattrapé par le passé. Depuis que Fabrice Melquiot a mis le doigt sur ses fantômes, le metteur en scène ne peut plus se dérober. Il fait resurgir d’autres souvenirs. Son apprentissage du piano, entre autres, qui le destinait à une carrière de musicien. Mais cette bribe de passé-là ne fera pas l’objet d’un récit : elle sera portée par trois musiciens qui accompagneront le parcours du double fictif de Kheireddine Lardjam. Deux Algériens, un Français ; trois univers musicaux qui se fondront en un seul pour évoquer un jeune artiste prodige devenu grand, et illustrer la possibilité d’un échange constructif entre deux pays encore empêtrés dans leur passé colonial. Les fantômes ont bien le droit de danser, eux aussi. Pour brouiller les frontières entre réel et imaginaire, et ouvrir un espace de tous les possibles. De tous les doutes, aussi. UNE VERVE POPULAIRE CAPABLE DE S’INSTALLER N’IMPORTE OÙ... Selon Fabrice Melquiot, “mettre Kheireddine au centre de la pièce, c’est aussi troubler la relation entre spectateur et personnage, entre document et fiction. C’est travailler pour l’instabilité, l’inconfort de l’écoute et la mobi- lité du regard”. Le metteur en scène croit lui aussi en la nécessité d’un grand brouillage des repères traditionnels, dans ce projet. Le goual ou “conteur”, surtout, incarnera l’effacement de toute certitude, et donc de tout cliché identitaire. Figure centrale du théâtre de Abdelkader Alloula (1939-1994) auquel s’est longtemps consacrée la compagnie El Ajouad, il sera dans Page en construction une entité voyageuse. Une parole sans corps. Ou plutôt, une verve populaire capable de s’installer n’importe où. Chez Larbi Bestam, leader du groupe El Ferda qui interrompra alors un moment son malhoun, poésie marocaine chantée méconnue en France. Chez Sacha Carmen aussi, chanteuse algéro-russe au jazz métissé, ou encore chez le guitariste électro-rock Romaric Bourgeois et dans le jeu de Kheireddine Lardjam lui-même. “Tour à tour, nous raconterons tous les quatre l’histoire de cet homme qui me ressemble. La parole circulera entre nous, comme elle devrait se mouvoir entre France et Algérie”, affirme ce dernier. Mais le goual de Page en construction ne sera pas seulement franco-algérien. Incitation au mélange des cultures et des disciplines, il parlera toutes les langues qui lui chantent. Invité à porter un regard sur les corps des quatre musiciens et comédiens, le chorégraphe Hamid Ben Mahi donnera une dimension physique à ce mouvement verbal et culturel porté par la figure éclatée du conteur. Car chez Kheireddine Lardjam, les mots ne vont jamais sans la chair. Sa mise en scène du Poète comme boxeur de Kateb Yacine, qu’il présente à Avignon du 6 au 26 juillet, en donne déjà la preuve. De quoi patienter jusqu’à Page en construction… Page en construction, projet de Kheireddine Lardjam écrit par Fabrice Melquiot. EN SAVOIR PLUS Fabrice Melquiot, du théâtre pour enfants à la guerre d’Algérie Création les 14 et 15 janvier 2015 à la Filature, scène nationale de Mulhouse. Le 21 janvier 2015 à l’Arc, Scène nationale du Creusot. Du 1er février au 10 février 2015 en tournée en Algérie (Théâtre Régionale d’Oran, théâtre régional d’Annaba, théâtre régionale de Béjaia, théâtre régional de Tizi Ouzou). Du 22 au 24 mai au Centre Dramatique de Dijon. Le poète comme boxeur, de Kateb Yacine, à la Manufacture du 6 au 26 juillet. Tel. : 04 90 85 12 71 © DR Bouli est un bébé gros comme son père Daddi Rotondo et miro comme sa mère Mama Binocla. Il est le héros de Bouli Miro, premier spectacle jeune public à être présenté à la Comédie-Française. C’était en 2002. Une belle reconnaissance pour Fabrice Melquiot, auteur de la pièce qui depuis 1998 publiait des textes pour enfants à l’École des Loisirs. Ensuite, les choses s’accélèrent. En 2002-2003, Emmanuel Demarcy-Mota l’invite à rejoindre comme auteur associé la Comédie de Reims. À ce jour, Fabrice Melquiot a écrit une quarantaine de pièces qui font de lui l’un des auteurs de théâtre français les plus joués. Des metteurs en scène comme Dominique Catton, Michel Didym, l’Américain Ben Yalom ou encore le Chilien Victor Carrasco ont monté ses textes poétiques et ancrés dans le présent. En 2005, il écrit Sâlat Al-Janazâ pour deux frères et sœurs d’origine algérienne vivant en France. C’est pour lui une première approche de l’histoire franco-algérienne. Avec Page en construction, il poursuit son exploration de “ceux qui flottent, et habitent en esprit la Méditerranée”. Résidence au Lycée Khelaf à Oran du 2 au 12 septembre. Et du 08 au 17 octobre, au lycée Léon Blum au Creusot. JUILLET - AOÛT 2014 # 04 | AlgerParis 85