Communisme en France, - l`Institut d`Histoire sociale

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Communisme en France, - l`Institut d`Histoire sociale
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Communisme en France,
de la révolution documentaire
au renouveau historiographique
Sous la direction de
Stéphane Courtois
Éditions Cujas, Paris, 2007, 1282 p., 39 €
par pierre rigoulot*
S
TÉPHANE COURTOIS, le maître d’œuvre de cet ouvrage, souligne d’emblée ce
paradoxe : alors que le PCF est moribond, l’étude du communisme français se
porte bien. On pourrait presque en faire une « loi » et dire qu’au cours de son histoire, la vitalité du PCF a été inversement proportionnelle à l’importance des études
menées sur lui. Institution militante active, organisation de combat révolutionnaire, le
parti communiste inspirait des histoires plus ou moins hagiographiques écrites par
des compagnons de route[1]ou par ses propres cadres[2]. Aujourd’hui, réduit à une
force politique marginale, il suscite des recherches nombreuses et fécondes.
Il faut en effet un affaiblissement, une mythologie en panne, un désenchantement
pour passer à l’étude objective, qui suppose une mise à distance. C’est une règle qu’on
retrouve d’ailleurs dans l’étude des États communistes. Une connaissance approfondie
du camp socialiste n’a été possible que tardivement. Branko Lazitch faisait remarquer
souvent qu’un large public n’avait commencé à reconnaître la nature totalitaire de
l’Union soviétique que fort tard, dans les années 1980, alors même que les formes les
plus représentatives du totalitarisme (élimination des opposants, camps de concentration, menace de guerre envers ses voisins) commençaient à montrer des signes de dysfonctionnement et d’affaiblissement. La vérité prend son envol au crépuscule pour
paraphraser une formule célèbre de Hegel.
* Pierre RIGOULOT est directeur de l’Institut d’Histoire sociale.
1. Comme celle de Georges WALTER, Histoire du PCF, Aymery Somogy, Paris 1948.
2. Ainsi André FERRAT, Histoire du PC, Bureau d’édition, Paris 1931 puis plus tard Jacques DUCLOS, Histoire du PCF,
Paris, éditions sociales, 1964.
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Sans doute faudrait-il nuancer quand on évoque un aussi long « retard » des
études sur le communisme. Et Stéphane Courtois le reconnaît en soulignant le rôle,
dès les années 1950, de la revue Est & Ouest. Bénéficiant des lumières et de l’expérience d’une incomparable équipe d’érudits ès communisme comme Boris Souvarine,
Branko Lazitch ou Claude Harmel, elle apporta une contribution décisive à l’histoire
du communisme. Est & Ouest fut un organe de combat mais aussi une source de
connaissance sur le communisme français.
Mais il est vrai que pour un public plus large, il faut attendre les années 1960 pour
voir « décoller » l’historiographie sur le communisme. Les conditions avaient mûri: la
mort de Staline en 1953, le XXe Congrès du PC soviétique en 1956, la nouvelle posture du
PCF à cette époque, qui se donnait désormais moins comme une organisation anticapitaliste que comme un grand parti de gauche responsable, le regard que portait sur lui une
nouvelle génération qui mettait en cause sa légitimité révolutionnaire, tout cela favorisa
cette évolution des études historiques avant même l’ouverture des archives soviétiques.
C’est en 1964 que naquit le premier ouvrage universitaire sur le Parti communiste
français, tiré de la première thèse soutenue sur ce sujet, Aux origines du Parti communiste français, d’Annie Kriegel, ancienne responsable des intellectuels communistes
français et de leur revue, La Nouvelle critique.
Courtois résume lumineusement l’approche par Annie du mouvement communiste français: « Le PCF est une pièce d’un système – le système communiste mondial
– qui se déploie dans une pluralité de champs – territorial, étatique, stratégique, politique, institutionnel, social, et dont la logique et la vitalité découlent d’un projet, le
projet communiste élaboré par Lénine et Staline. Ce système, dans sa modalité française, est extérieur à la société française où il cherche seulement à dégager des vecteurs
susceptibles de porter le projet communiste. Cette interprétation implique l’idée
d’une greffe du bolchevisme – conçu et expérimenté en URSS – sur le corps du socialisme français en 1920, et l’idée d’un PCF constitué en une contre-société qui lui permet de mettre en œuvre son projet à l’échelle de la micro-société communiste française et de préfigurer la société communiste future »…
Viennent encore, à l’époque, les premiers volumes du dictionnaire Maîtron sur le
Mouvement ouvrier, la biographie de Maurice Thorez par Philippe Robrieux, puis sa
monumentale histoire du PCF en quatre volumes[3]. Un peu plus tard, en 1970,
Georges Lavau, un politologue plus qu’un historien, publiait Le Parti communiste dans
le système communiste français.
3. Fayard, 1977-1984, Paris.
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C’est seulement en 1981 qu’est lancée la première revue spécialisée sur le sujet. Son
nom: Communisme. Ses animateurs: Stéphane Courtois et Annie Kriegel. Et c’est en
1983 seulement que fut mis sur pied par l’Institut du temps présent le premier colloque universitaire consacré au PCF – sur les années 1938-1941.
Peu à peu s’imposait, grâce à Stéphane Courtois, Marc Lazar et Annie Kriegel la
distinction entre une dimension téléologique concernant la doctrine et le projet
marxistes léninistes, le modèle d’organisation du parti, le lien avec l’URSS et, par
ailleurs une dimension sociétale renvoyant aux rapports sociaux, aux structures économiques, mentales, culturelles et politiques de la France.
Divers travaux d’importance furent publiés, ceux de Jean-Paul Molinari, sur la
sociologie de l’adhésion ouvrière au PCF, de Michel Hastings, sur l’histoire et l’anthropologie politique et sociale, de Halluin, « La Mecque du communisme français des
années 1920 », sur la cartographie électorale, (grâce à Frédéric Salmon), la Seconde
Guerre mondiale, la mémoire communiste, etc.
Mais l’ouverture des archives de l’Internationale communiste en 1992, dont les
documents que le PCF y avait déposés, ainsi que ceux des responsables et des départements du Comintern chargés de contrôler et de diriger l’action du parti, bouleversèrent l’historiographie. Les archives des partis communistes d’« Europe de l’Est »
ouvrirent aussi de nouveaux champs de recherches et la connaissance de personnages
aussi importants historiquement que Jean Moulin ou Arthur London et bientôt
Eugen Fried[4] s’en trouva renouvelée. Une nouvelle histoire du PCF, s’appuyant
notamment sur toutes ces archives vit le jour, signée Stéphane Courtois et Marc Lazar,
ainsi que le Livre noir du Communisme[5] qui suscita maintes polémiques de la part
d’historiens souvent soucieux d’éviter la condamnation implicite du communisme et
d’en faire éclater le concept en diverses catégories manifestant des évolutions, des disparités, et des contextes multiples.
Divers travaux éclairant la problématique du totalitarisme furent enfin publiés,
notamment les actes d’une série de colloques organisés par Stéphane Courtois,
publiés aux éditions du Rocher.
Pourtant, l’intéressant paradoxe des contributions qui constituent le volume que
nous présentons est que seule l’étude de Sylvain Boulouque (de l’université de Reims)
sur Le mouvement communiste dans l’Aube entre les deux guerres montre – et de
manière éloquente – l´importance de l’apport des archives soviétiques. Encore cellesci sont-elles comparées et croisées avec des sources françaises, municipales, départe4. Annie KRIEGEL, Stéphane COURTOIS, Eugen Fried, le grand secret du PCF, Paris, Seuil 1997.
5. Laffont, 1997.
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mentales et nationales. Même les archives de l’Institut d’Histoire sociale sont mises à
contribution.
La nouveauté de l’historiographie actuelle ne tient pas aux seules archives, soviétiques (Sylvain Boulouque) ou françaises (Franck Liaigre sur le Parti communiste et la
lutte armée en Bretagne ou Maxime Guichard – Université Paris X Nanterre – sur la
municipalité d’Aubervilliers), mais à une posture nouvelle, distanciée, non combattante, à une connaissance approfondie et spécialisée d’un domaine (comme celle de
Dominique Andolfatto sur le communisme déclinant de ces dernières années) ou à
l’érudition qu’on pourrait dire panoramique d’un Yves Santamaria sur le PCF et la
paix, la maîtrise de certains instruments de connaissance comme la cartographie de
Frédéric Salmon ou les statistiques (comme l’illustre l’étude de Bruno Chiron sur les
fusillés communistes du Mont-Valérien).
Il n’est pas non plus question d’archives dans les très stimulantes contributions de
Yolene Dilas qui éclaire la nature du PCF au miroir de l’alter-mondialisme ni dans celle
de Michel Hastings, dont l’approche anthropologique éclaire les ressorts les plus profonds du militantisme comme de certains choix stratégiques. De manière originale,
Hastings s’interroge sur le parti tiré des sentiments les plus violents comme l’épouvante, le désespoir, la haine, le ressentiment.
Un mot encore pour revenir sur les bouleversements que la nouvelle historiographie peut susciter. Bruno Chiron (Université Paris X) se livre à un travail minutieux
sur les fusillés du Mont-Valérien: l’examen porte sur les dates de l’exécution, comme
sur l’âge des exécutés, leur situation familiale, leurs lieux de militantisme, les motifs
d’arrestation et d’exécution, etc. Naturellement, il reste beaucoup à faire, et dans le
même esprit de scientificité, mais les hypothèses que Chiron avance, à partir de son
travail sur le Mont-Valérien, au sujet du nombre de fusillés en France, laissent pantois
le lecteur, y compris celui qui, depuis des années, dénonce le mythe du « Parti des
75000 fusillés ». Ce n’est en effet ni le nombre de 29660 fusillés, communistes ou non
qu’il faut retenir, comme Est & Ouest le faisait sans cesse en s’appuyant sur les données
produites au procès de Nuremberg ni celui de 25 687 comme il ressortait d’une
enquête demandée en 1948 par François Mitterrand, alors ministre des Anciens combattants, mais très probablement celui d’à peine cinq mille fusillés, dont moins de
trois mille communistes.
Les mythes tombent. Tel est l’effet non seulement de l’ouverture des archives
soviétiques et de l’extension des sources françaises disponibles, mais aussi… de la
chute des mythes, grâce à laquelle un autre regard, plus objectivement historique, est
possible.
P.R.
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